Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'engagement de la France au service du progrès et de la défense des droits de l'homme, Paris le 10 décembre 2011.

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Circonstance : Journée internationale des droits de l'homme le 10 décembre 2011 : remise du prix des droits de l'homme de la République française à Paris le 10

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Cher Yves Repiquet,
Mesdames, Messieurs les Lauréats,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Bienvenue au Quai d’Orsay pour célébrer les droits de l’Homme.
Le 17 août 1789, Mirabeau, député à la Constituante, s’adressait ainsi à ses pairs pour les exhorter à inscrire son projet de déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en préambule de la future Constitution : «C’est pour nous, c’est pour nos neveux, c’est pour le monde entier que vous travaillez». Le 10 décembre 1948, les Nations unies reprenaient son message, avec l’adoption à Paris de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Aujourd’hui, en attribuant le Prix des droits de l’Homme aux lauréats choisis par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, la France exprime son admiration et son soutien à ceux qui incarnent les valeurs dans lesquelles elle se reconnaît depuis des siècles : le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La République vient à la rencontre de ceux qui se mobilisent pour les défendre, partout où elles sont bafouées ou menacées.
Je voudrais remercier celles et ceux qui, au ministère des Affaires étrangères et européennes comme au sein de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, ont contribué au succès de cette matinée. J’y vois une occasion privilégiée de dresser un bilan de notre action, et plus largement de l’engagement de notre diplomatie au service des progrès de la dignité humaine.
Cet engagement repose sur trois grandes exigences.
La première, c’est la légitimité. Au cours des derniers mois, on a parfois entendu dire que notre soutien au peuple libyen n’était pas justifié, que la défense des droits de l’Homme n’était qu’un prétexte pour poursuivre je ne sais quel dessein colonial.
Le «printemps arabe» a une nouvelle fois jeté à bas ce discours relativiste. Après tant de combats, en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique et en Europe de l’Est, il a une nouvelle fois montré au monde que les droits de l’Homme n’étaient pas un concept occidental imposé. Il a montré au monde que l’aspiration à la liberté et à la dignité était universelle, qu’elle était «une exigence fondamentale que l’on ressent partout», pour reprendre la formule de la philosophe Jeanne Hersch. Il a montré au monde que face à l’oppression et à la répression sauvage, cette aspiration pouvait être plus forte que la peur et donner aux peuples le courage de se lever pour reconquérir des droits qui sont fondamentaux - et je voudrais rendre hommage à tous les martyrs qui, en Tunisie, en Syrie, en Libye, en Égypte et dans tant d’autres pays, ont payé de leur vie le combat au service de la liberté.
Était-il juste d’intervenir par la force en Libye pour aider ces combattants et protéger les populations d’un bain de sang ? Je le crois sincèrement, car nous l’avons fait dans le respect du droit international.
- D’abord, parce qu’en matière de droits de l’Homme, nous agissons en référence à un corpus de règles issues de multiples enceintes - je pense aux grandes conventions des Nations unies et du conseil de l’Europe ou à la Charte des droits fondamentaux de l’Union.
- Mais aussi parce qu’en Libye, nous sommes intervenus sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies - je pense bien sûr à la résolution 1973, qui applique pour la première fois le principe de responsabilité de protéger. Ce principe, la France a joué un rôle décisif pour l’inscrire dans le droit international - je pense à l’action visionnaire de Mario Bettati et de Bernard Kouchner. Nous sommes en effet convaincus que le débat entre interventionnisme et souveraineté est un débat stérile et vain. Le principe de responsabilité de protéger ne remet pas en cause la souveraineté des États. Bien au contraire : la protection des populations est l’une des raisons d’être de la souveraineté.
Deuxième exigence : la cohérence.
La cohérence, c’est d’abord de savoir nous plier nous-mêmes aux règles que nous entendons faire respecter. Nous n’avons pas de leçons à donner au monde. Nous savons ce que la cause des droits de l’Homme doit à d’autres peuples. Nous savons aussi que notre démocratie ne s’est pas construite en un jour et qu’elle est toujours perfectible. Ne donnons pas le sentiment d’attendre des autres des efforts que nous nous dispenserions d’accomplir chez nous. N’oublions pas que notre crédibilité et notre influence reposent largement sur notre capacité à relever nos propres défis. C’est bien pourquoi nous acceptons comme un progrès de participer à l’Examen périodique universel, qui nous conduit, comme tous les membres de l’ONU, à rendre compte du respect des droits fondamentaux sur notre propre sol.
La cohérence, c’est aussi d’assumer la complexité de notre environnement. Je sais que pour certains, affirmer que les droits de l’Homme sont au cœur de notre diplomatie sans pour autant s’interdire d’entretenir des relations politiques et commerciales avec des États peu respectueux de ces droits relèverait de la duplicité. Mais couper les ponts avec ces États servirait-il la cause des droits de l’Homme ? Ma conviction, c’est qu’il n’y a pas d’un côté, le camp de l’idéal et de l’autre, celui du cynisme. C’est que le dialogue est le meilleur moyen de faire évoluer les situations. C’est la raison pour laquelle nous ne cessons de dialoguer : avec les pays qui persécutent les opposants politiques et discriminent les minorités ; avec ceux qui jugent nos compatriotes de façon inéquitable ; et prochainement avec les dirigeants birmans. Il n’y a pas de duplicité à évoquer avec un même partenaire la question des droits de l’Homme et la coopération économique. Car pour être entendus, nous devons compter pour nos interlocuteurs. C’est la force de l’interdépendance qui donne sa chance au message sur les droits de l’Homme.
La cohérence, c’est enfin de traiter de la même façon les situations comparables. Même si nous entretenons des liens privilégiés avec certains pays, même si les situations géopolitiques ne sont jamais identiques, même si l’action doit viser l’efficacité et le résultat autant, sinon plus, que l’affirmation des principes, il n’y a pas deux poids et deux mesures en matière de droits de l’Homme. Notre message doit rester lisible et constant.
Aux États-Unis, nous nous mobilisons à l’approche de chaque exécution. En Chine, en Inde, en Afrique, notre dialogue bilatéral ou européen est l’occasion d’évoquer avec les autorités les atteintes aux droits de l’Homme chaque fois que c’est nécessaire. Au Conseil de sécurité des Nations unies, au sein de l’Union européenne et au Conseil des droits de l’Homme, nous ne relâchons pas nos efforts pour que cesse le massacre de la population syrienne. Aujourd’hui, l’écrasante majorité dont la résolution sur la Syrie a bénéficié à Genève témoigne de l’indignation profonde de la communauté internationale.
En Tunisie, en Libye, en Égypte, où la France a apporté un soutien sans faille au «printemps arabe», l’heure est aujourd’hui à la reconstruction et à la transition démocratique. Ce processus sera long et incertain, car le chemin vers la démocratie est exigeant et souvent tortueux. Il faut laisser du temps aux nouveaux régimes arabes. Il faut que les responsables issus des élections s’affirment en gouvernant. Nous sommes tous conscients du risque de voir émerger ici ou là un pouvoir peu respectueux des droits fondamentaux. Mais je refuse tout proc??s d’intention. Pouvons-nous oublier que ces élections tournent la page de plusieurs décennies d’oppression ? Pouvons-nous refuser à des peuples condamnés depuis si longtemps au silence le droit d’exprimer enfin leurs opinions et leurs choix ? Lorsque la régularité du scrutin n’est pas en cause, comme c’est le cas en Égypte, réjouissons-nous que le vote ait pu se dérouler librement. Nous jugerons les pouvoirs nouveaux sur leurs actes. Ils ont combattu pour la liberté. Pourquoi la récuseraient-ils ? Ils ont pour mandat de donner corps aux aspirations des peuples. Ils peuvent compter sur nous et nous serons attentifs à ce qu’il en soit ainsi.
Enfin, troisième exigence : l’engagement.
Pour faire progresser la cause des droits de l’Homme, nous devons d’abord mobiliser nos propres ressources. L’ambassadeur Zimeray, dont je salue l’action, aime à dire que chacune de nos ambassades doit être une maison des droits de l’Homme. Je crois en effet que notre diplomatie dans son ensemble doit être engagée en faveur des droits de l’Homme et au service des hommes. C’est pourquoi j’ai veillé à ce que les droits fondamentaux soient au programme de la formation de nos diplomates. Le «printemps arabe» nous l’a enseigné : nos diplomates doivent également mieux écouter les défenseurs des droits de l’Homme et demeurer toujours attentifs aux fermentations des sociétés où la dignité étouffe. C’est une mission que je leur ai rappelée lors de la conférence annuelle des ambassadeurs. J’ai aussi demandé à nos centres culturels de se mobiliser pour soutenir les grandes causes que nous défendons. En évoquant il y a quelques jours l’inspiration qu’elle tire de l’œuvre de Victor Hugo, Aung Sang Suu Kyi s’en est en quelque sorte fait l’écho.
Au-delà de notre ministère, nous sommes également déterminés à aider ceux qui agissent sur le terrain, à commencer par les défenseurs des droits de l’Homme, les associations et les organisations non gouvernementales. J’ai distingué tout à l’heure cinq associations : l’Acid Survivors Foundation, Tamkeen, l’Association madrilène pour la prévention, la réinsertion et l’attention aux femmes prostituées, Aireana et le réseau africain pour la protection des femmes et des enfants victimes de violences, implanté au Malawi. A travers ce prix, c’est au dévouement, au courage et au professionnalisme de tous les hommes et femmes qui défendent les droits de l’Homme au quotidien, parfois au péril de leur vie, que je voudrais rendre hommage. Nous devons travailler encore plus étroitement avec eux. Vous tous ici rassemblés savez ce que cela représente, pour un défenseur menacé, de disposer d’un interlocuteur dans chaque ambassade de France, d’y être reçu, écouté et encouragé.
Légitimité, cohérence, engagement : ces exigences guident notre action au service des droits de l’Homme dans chacune de ses dimensions.
Notre première priorité, c’est de porter la parole de la France. Cette fonction de plaidoyer et de dialogue est essentielle. La diplomatie française continuera de l’assumer, que ce soit dans le cadre de forums internationaux, à New York, à Genève ou à Strasbourg ou à l’occasion de contacts bilatéraux.
Notre deuxième priorité, c’est de répondre avec fermeté aux comportements les plus odieux.
Face à des violations massives, notre réponse la plus immédiate est celle des sanctions. Et c’est l’honneur de l’Union européenne que d’avoir su prendre des mesures énergiques à l’égard du régime syrien.
Dans le même temps, nous poursuivons notre combat pour que justice soit faite et pour que les coupables des crimes les plus graves soient jugés. La Cour pénale internationale, que la France a toujours soutenue, est aujourd’hui sous le feu croisé des critiques, entre ceux qui trouvent qu’elle va trop loin et ceux qui considèrent qu’elle ne va pas assez vite. Pour ma part, je tiens sa création comme l’un des progrès les plus substantiels depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Elle a d’ailleurs largement fait la preuve de son influence : l’émission des mandats d’arrêt contre le colonel Kadhafi, l’un de ses fils et le chef des services de renseignement a constitué un signal déterminant, et elle jugera bientôt Laurent Gbagbo. Comme elle l’a toujours fait, la France continuera à soutenir les juridictions pénales internationales.
Enfin, troisième priorité : protéger dans l’urgence. L’actualité des derniers mois l’a montré : au-delà des mots, il y a des réalités humaines qui commandent. Il faut parfois donner à notre action le souffle de l’urgence. Face aux séismes politiques comme aux catastrophes naturelles, les acteurs humanitaires ont joué un rôle déterminant. La diplomatie française y a également pris toute sa part.
Voilà pourquoi le Centre de crise est intervenu sur les lieux des crises, notamment en Libye, et a pu rapatrier des Libyens, des Égyptiens ou des journalistes blessés dans les combats. Son professionnalisme et le courage de ses équipes ont, une fois encore, sauvé des vies.
Voilà pourquoi il importe que la direction des Français de l’étranger apporte son aide à nos compatriotes confrontés à des situations difficiles. La protection qu’elle offre aux Français détenus à l’étranger, et notamment à ceux qui sont confrontés à des systèmes judiciaires parfois défaillants, est l’un des volets très concret de notre action en faveur des droits de l’Homme. Au-delà des affaires les plus connues, comme celles de Florence Cassez, de Pham Minh Hoang ou de Patrice Faye, ce sont des dizaines de dossiers que nos diplomates suivent avec détermination et humanité.
Mesdames, Messieurs,
Dans un monde qui change de plus en plus vite, où il est parfois difficile de discerner progrès et menaces, les droits de l’Homme sont sans cesse confrontés à de nouveaux enjeux. Nouvelles technologies de l’information et du vivant, urbanisation, démographie, environnement : autant de défis que la modernité lance à la dignité humaine, autant de nouvelles frontières pour les droits de l’Homme, autant de réflexions à mener et de nouveaux combats à engager.
Convaincue de sa vocation, forte de l’héritage de la République française, fidèle aux valeurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la diplomatie française y prendra toute sa part.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2011