Texte intégral
Q - Bonjour Monsieur le Ministre, jai beaucoup de questions avec une actualité très chargée, notamment sur la crise européenne, les suites et lévolution de ce que lon a appelé le Printemps arabe, la répression qui continue en Syrie, la contestation en Russie, lAfrique aussi avec, entre autres, la Côte dIvoire et la République démocratique du Congo.
Quelques questions dactualité en France, la campagne 2012 et les questions sur laudiovisuel extérieur de la France.
Vendredi, le Sommet de Bruxelles a débouché sur un accord de discipline budgétaire à vingt-six. Le Royaume-Uni sest abstenu, il est donc isolé. Cette abstention britannique est-elle un échec et est-ce le début véritablement dun éloignement du Royaume-Uni de lUnion européenne ?
R - Ce nest pas seulement un accord de discipline budgétaire et le présenter comme un échec, cest un peu en décalage par rapport à la réalité et à tout ce que lon a entendu dire. Cest un succès.
Q - Cest un accord à vingt-six et pas à vingt-sept !
R - Oui, mais je préfère parler du succès plutôt que de ce qui peut être insatisfaisant. Cest un succès, François Baroin la qualifié dhistorique et je souscris volontiers à cette affirmation. Cest vrai, cest une discipline budgétaire renforcée. Lorsque lon a adopté leuro dans le cadre du Traité de Maastricht, on navait pas prévu ce qui était nécessaire pour le faire fonctionner.
Il y a donc la règle dor dont la conformité sera appréciée par la Cour de justice de lUnion européenne, dans les limites que nous souhaitions.
Il y a ensuite les sanctions lorsquon ne respecte pas la discipline budgétaire. Mais il y a aussi - et cest très important du point de vue français, parce que nous nous sommes beaucoup battus pour cela - le renforcement de la gouvernance.
Il y aura un Conseil européen régulièrement et la chancelière allemande a même souhaité que, pendant la période de crise, il se réunisse tous les mois.
Il y aura enfin un pilotage qui, je lespère, sera rapidement mis en place.
Q - Cest le modèle allemand ?
R - Comme toujours, vous voyez les choses de manière négative. Eh bien non, pas du tout, ce nest pas le modèle allemand qui simpose et cest assez paradoxal que vous me disiez cela quand je parle de la gouvernance économique parce que cest une idée française.
Q - Mais je parlais des économies budgétaires ?
R - Je parlais du gouvernement économique. Il y a des idées françaises, des idées allemandes et, de grâce, sortons de ce petit jeu : qui gagne, qui perd. On a vu où cela a conduit, à des excès de langage absolument inacceptables qui nous ramènent un siècle en arrière. Alors, faisons attention.
Jen viens à votre question. Le Royaume-Uni na pas voulu sassocier à cette démarche qui réunit maintenant les vingt-six autres États membres de lUnion européenne. Il sisole, cest regrettable, nous aurions souhaité quil soit toujours embarqué avec les Vingt-sept. Ce nest pas complètement nouveau. On sait très bien, depuis très longtemps, que, pour le Royaume-Uni, lUnion européenne est dabord un marché. Pour nous, cest un peu plus que cela, cest vraiment une solidarité en matière économique, monétaire et fiscale pour demain.
Q - Le Premier ministre britannique David Cameron a parlé dune décision qui avait été très difficile à prendre. Cet isolement du Royaume-Uni nest-il pas aussi une mauvaise nouvelle quand même pour lUnion européenne dans son ensemble ?
R - Ce nest pas une bonne nouvelle mais cela ne va pas nous empêcher davancer.
Q - Vous avez, à juste titre, mis en garde contre la germanophobie et les dérapages verbaux. Mais, tout de même, limpression qui se dégage, cest que lon est dans une Europe allemande. Quelles sont les concessions que la France aurait obtenues de lAllemagne ? En quoi pouvez-vous démontrer que ce nest pas Angela Merkel qui a, dune certaine façon, imposé sa recette ?
R - Je vais continuer à faire de la résistance. Je ne partage absolument pas cette analyse. Jai déjà répondu en partie à votre question. Il y a deux ans, quand le président de la République française parlait de gouvernement économique de la zone euro, cette idée était totalement refusée en Allemagne. Aujourdhui, non seulement elle nest pas refusée mais elle est même activée.
De plus, quand nous avons dit que la Cour de justice de lUnion européenne ne règlerait pas le budget de la France, nous nétions pas en accord avec lAllemagne. Et quel est le point de vue qui a prévalu ? Le nôtre.
Je pourrais continuer cette démonstration sur beaucoup dautres sujets. Par exemple, sans entrer dans le détail, limplication du secteur privé dans la résolution des crises de dettes - comme ceci a été fait pour la Grèce - était plutôt une idée allemande et nous avons dit que nous ne souhaitions pas que ceci reste valable pour dautres. Nous avons obtenu satisfaction.
Q - Pourquoi ?
R - Parce que cela fragilisait beaucoup la confiance des marchés.
Q - Mais certains contestent que les banques privées justement ne soient pas amenées à participer ?
R - Cela a été acté par vingt-six États européens puisque cest le résultat de la rencontre de Bruxelles. Cétait effectivement un contre-signal pour les marchés et pour les épargnants qui risquaient de voir leurs dettes non remboursées si ce principe avait été confirmé. Il a été écrit très clairement dans laccord final que le mécanisme européen de stabilité se prononcerait selon les règles du FMI.
On pourrait continuer cette démonstration, mais je pense quelle est dangereuse parce quessayer de voir qui a marqué des points, qui nen a pas marqué, cest vieux comme lhistoire de lUnion européenne. Depuis toujours, les intérêts de la France et les intérêts de lAllemagne ne sont pas forcément convergents mais, le plus important, cest quil y a une volonté de dialogue, une volonté de travailler ensemble et que lon parvienne à un accord. Ce qui me paraît important aujourdhui, ce nest pas de savoir dans quelles conditions on a obtenu cet accord, cest de savoir ce quil est. Et je répète quil est de nature aujourdhui à nous permettre de sortir de la crise.
Q - Au-delà de cette polémique entre la France et lAllemagne, peut-on dire que cest le couple franco-allemand qui, actuellement, entraîne lEurope et prend les décisions - ce qui est critiqué parfois - pour lensemble de lEurope ?
R - Vous savez, les initiatives franco-allemandes sont critiquées mais on nous critique aussi quand nous ne faisons rien. Combien de fois ai-je entendu dire quil faut que la France et lAllemagne prennent linitiative pour entraîner les autres !
Il est vrai que lorsque nous prenons linitiative, cela provoque parfois un peu de crispation. Mais, là encore, regardez ce qui sest passé : cest sur la base de la lettre Merkel-Sarkozy que laccord a été finalement conclu.
Je rappelle quand même que la France et lAllemagne représentent 55 % du PIB de la zone euro. Bien entendu, cela ne nous donne pas le droit de dicter nos conditions aux autres. Il faut respecter tous les pays qui sont membres à part entière de la zone euro, mais cela donne quand même une responsabilité particulière à la France et à lAllemagne.
Q - La discipline budgétaire, cest évidemment très important pour lavenir de lUnion européenne, pour ce qui va se passer dans les prochaines années. Mais on a limpression que, pour le court terme, la Banque centrale européenne ne va pas intervenir davantage. On na pas décidé la création des fameuses euro-obligations. Quand lItalie et lEspagne vont se présenter devant les marchés au début de lannée 2012, que va-t-il se passer ? Ne risque-t-on pas davoir la même crise que celle que lon vient de connaître ces derniers mois, une crise de liquidité ?
R - Vous dites que la Banque centrale na pas décidé dintervenir davantage, ce nest pas exact. Elle a décidé de faire des prêts illimités aux banques européennes au taux de 1 %. Cest donc une prise de position très importante de la Banque centrale dans le cadre de son indépendance. Les euro-obligations, cest une lubie ! En quoi cela consisterait-il ?
Q - Cest ce que fait la réserve fédérale américaine ou la Banque dAngleterre ?
R - LAmérique - cela ne vous a pas échappé - est un État. LEurope nest pas un État et nous ne sommes pas intégrés comme le sont les États-Unis dAmérique. Les euro-obligations, cela consisterait à mutualiser la dette, cest-à-dire à faire payer de la mauvaise dette par les pays qui ont un bon crédit.
Q - Cest largument de lAllemagne.
R - Cest largument de la France et de lAllemagne. Nous verrions les conditions de refinancement de notre dette dégradées et nous avons toujours dit, dès le départ - nous navons pas changé là-dessus -, que cest bien sûr une idée à ne pas écarter et que ce serait le point dachèvement de lUnion monétaire que nous sommes en train de bâtir. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bufs. Lorsque nous aurons fait cette Union, alors, effectivement, il y aura possibilité de mutualiser la dette.
Q - Pensez-vous que les prêts à 1 % de la Banque centrale européenne sont suffisants pour éviter une nouvelle crise ?
R - Si je vous dis que cest suffisant et que, demain, les marchés «turbulent» vous me direz que jai été imprudent. Cest une crise extrêmement difficile, les marchés réagissent dans le très court terme, selon des critères qui nous échappent parfois. Je pense que ce qui a été décidé vendredi dernier est solide et que cela va nous permettre de repartir en avant.
Q - Est-ce laccord final est définitif ? On a vu depuis deux ans une série de sommets au niveau européen se succéder à chaque fois pour essayer de colmater la brèche et dempêcher que la zone euro néclate. Pensez-vous que le problème est réglé définitivement ? Et surtout, au-delà du discours sur laustérité, sur la discipline budgétaire, doù viendra la relance et la croissance économique dont lEurope a besoin pour trouver plus demplois, y compris en France ?
R - Cest une étape décisive. Je lai dit, je serais bien téméraire, dans un monde qui change à une vitesse toujours plus accélérée, qui est totalement imprévisible, de vous dire que cest définitif. Bien entendu, nous nous adapterons et nous avons les moyens de nous adapter à lévolution des choses.
Vous avez tout à fait raison de dire que la question qui se pose aujourdhui et qui est prioritaire, cest la croissance. Pour établir les équilibres budgétaires, il faut bien sûr faire des économies, tailler dans les dépenses le cas échéant, augmenter les recettes, mais on sait bien que le mécanisme vertueux de retour à léquilibre, cest la croissance. Cest la croissance qui fait rentrer les recettes fiscales sans quon soit obligé daugmenter le taux des impôts.
Q - Et cest le manque de croissance qui a fragilisé leuro ?
R - Et cest le manque de croissance aujourdhui qui fragilise lAmérique. Il faut quand même se souvenir que cest une crise mondiale. Aujourdhui, le surendettement de lAmérique est au moins aussi fort que le surendettement de la zone euro et le ralentissement de la croissance inquiète aussi la Chine. Cest donc un problème mondial.
Je pense, personnellement, que lon ne peut relancer la croissance de façon solide que sur des bases assainies. On a vu tout à lheure les années 1995-1997 dans votre reportage. Jai eu à faire face - dans un contexte tout à fait différent parce quil ny avait pas deuro à lépoque, cétait le franc qui se dévaluait - au même problème : comment rétablir léquilibre budgétaire. Eh bien, après une cure daustérité - il faut avoir le courage dutiliser les mots ! - que sest-il passé ? Une fois léconomie française assainie, dès 1997, puis 1998, la croissance est repartie. Je nai pas pu en profiter puisque je nétais plus Premier ministre, mais la France en a profité et cest bien lessentiel.
Assainissons et repartons en même temps, injectons dans léconomie - cela me paraît très important aussi -, des dépenses davenir.
Je ne vais pas revenir sur ce que nous avons fait avec Michel Rocard mais les 35 milliards deuros du Grand Emprunt, que je préfère appeler linvestissement davenir, désormais sont en train de sinjecter dans des laboratoires de recherches, dans les universités, dans les technologies vertes, dans les technologies numériques. Et je pense que cest cela qui peut et qui va soutenir la croissance.
Q - Comme je le disais, il y a beaucoup de sujets dans lactualité. Ces derniers jours, en Russie, on a limpression que quelque chose se passe : des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg ; des élections qui sont dénoncées comme truquées ; les manifestants demandent lorganisation dun nouveau scrutin. Pensez-vous que nous assistons au début dun Printemps russe ?
R - Jétais en Russie il y a quelques mois. Au cours de ce voyage, javais rencontré des représentants dassociations, des ONG et des journalistes qui se battent pour les droits de lHomme. Javais eu un dialogue très intéressant avec eux. Javais bien pris la mesure de laspiration du peuple russe à davantage de liberté. On le voit aujourdhui.
Ces élections, si on se réfère au rapport de lOSCE, ne se sont pas déroulées dans des conditions convenables et transparentes. Jai été lun des premiers à dire quil fallait que lon fasse toute la lumière sur les conditions dans lesquelles elles sétaient déroulées.
Ensuite, il faut évidemment respecter la liberté dexpression en Russie, les arrestations et les incarcérations qui se multiplient ne sont pas acceptables. Nous lavons dit publiquement aux autorités russes.
Q - Avez-vous été surpris par lampleur des manifestations ?
R - Bien sûr, cette aspiration à la liberté qui est aujourdhui à luvre partout dans le monde nous surprend. Tous ceux qui connaissent la Russie savent bien quil se passait des choses, il y avait une fermentation, une aspiration à la liberté. Mais dire que les choses allaient se passer à ce moment-là, avec cette importance-là, cétait difficile à prévoir. Je dois dire aussi que les peuples, on sen rend compte un peu partout, naiment pas trop que lon joue avec les processus démocratiques.
Q - Signe que le Kremlin est peut-être en train dentendre ce message, le président Medvedev aujourdhui a ordonné louverture dune enquête sur les soupçons de fraude qui pèsent sur les législatives de dimanche dernier. Jimagine donc, Alain Juppé, que cest une initiative que vous approuvez ?
R - Bien sûr et nous appelons, dabord, les autorités russes au dialogue et à éviter la violence. Il faut laisser se manifester les oppositions, cest la règle du jeu dans la démocratie et ensuite en tirer les conséquences pour lorganisation de la prochaine élection présidentielle. Si les critiques qui sont faites sur le déroulement de ce scrutin sont confirmées - nous avons de bonnes raisons de penser que lOSCE na pas affirmé cela à la légère - il faudra naturellement que la correction soit faite.
Q - Et lopposition va jusquà demander lorganisation, vu lampleur des truquages, dun nouveau scrutin législatif ?
R - Laissons le débat se poursuivre en Russie. Lenquête est demandée par le président Medvedev, cest aux autorités russes de décider des conséquences concrètes à en tirer. Je ne veux pas mingérer dans les affaires russes.
Q - Je trouve vos propos à linstant extrêmement frappants, parce que la France avait, jusquà très récemment, donné une sorte de blanc-seing au pouvoir politique russe, allant jusquà qualifier la Russie de démocratie. Cétait le commentaire de François Fillon, il ny a pas si longtemps, et vous venez juste de dire que les arrestations sont inacceptables, que les peuples naiment pas lorsque lon décide avant eux du retour dun tel ou dun tel au Kremlin.
La France est-elle en train de réviser, de réapprécier le jugement quelle porte sur la nature de ce pouvoir et si cest le cas, nest-on pas allé un peu trop loin dans notre partenariat avec la Russie ? Je pense notamment à ce projet de développement touristique dans le Caucase russe qui est une zone de conflits armés et où, chaque année, il y a des morts. Ce projet a été perçu aussi comme une sorte de validation par la France de toute la politique menée par Vladimir Poutine dans cette région meurtrie.
R - Je ne crois pas quil y ait contradiction. Nous avons développé avec la Russie un partenariat politique, économique et stratégique. Je crois que nous avons eu raison, nous ne sommes pas les seuls à lavoir fait et lUnion européenne dans son ensemble le fait également.
Il est exact quil y a eu des progrès démocratiques en Russie : le seul fait quaujourdhui, la presse puisse sexprimer, même si cest insuffisant. Je lai dit, ce nest pas une démocratie parfaite bien sûr. Mais quand est-ce que la Russie, depuis le début des temps où elle sest constituée, a été une démocratie ? Cest un apprentissage long et difficile et il faut accompagner la Russie dans cette direction. Cest un vrai problème de comportement de notre diplomatie. Faut-il rompre les ponts avec ceux qui nappliquent pas exactement les modèles que nous appliquons après deux ou trois siècles dapprentissage républicain ? Ou, au contraire, faut-il les accompagner, essayer de les convaincre et les faire évoluer dans la bonne direction ?
Je ne suis pas sûr que le fait daider la Russie à organiser un grand complexe touristique dans le Caucase soit aussi contre-productif que vous semblez le penser.
Louverture au monde, louverture vers lextérieur, cela a des implications inéluctables et inévitables. Et, dailleurs, les vrais régimes répressifs et dictatoriaux se referment sur eux-mêmes. La Birmanie commence légèrement à souvrir, la Corée du Nord, pas du tout. Entrer dans la brèche, si je puis dire, chaque fois quil y a une ouverture dans un pays qui progresse dans la voie de la démocratie, je pense que cest la direction quil faut prendre.
Q - Il y a quelques jours, M. Poutine accusait les États-Unis davoir incité les manifestants à fomenter le chaos et de les avoir financés. Il accusait nommément Hillary Clinton. Pensez-vous que cest de lintérêt des États-Unis de provoquer le chaos en Russie ?
R - Je nen crois rien, ce sont des allégations.
Q - Elles ont quand même été tenues par Vladimir Poutine !
R - Peut-être mais je ne suis pas là pour valider tout ce que dit M. Poutine, même si je pense que nous devons continuer de poursuivre un dialogue étroit et constructif avec la Russie. Je ne suis pas tout noir, tout blanc, ce serait trop facile si cétait ainsi ; il y a des moments où il faut suivre la ligne de crête.
Q - Concernant, les suites des révolutions arabes, vous lavez dit vous-même, lattitude de la France tient en deux mots : confiance et vigilance. Vous faites confiance au processus en cours et la vigilance, ce sont les lignes rouges à ne pas dépasser par les islamistes. Ce qui veut dire que la France conditionnera, par exemple, son aide économique au non-franchissement de ces lignes rouges, cest-à-dire en gros les valeurs démocratiques de la France ?
R - Quand jentends le parti An-Nour, en Égypte expliquer que les femmes peuvent travailler mais uniquement quand elles nont pas denfant, que la démocratie est une impiété, que le tourisme cest bien, mais quil faut interdire les piscines et les plages mixtes, je me dis que là, la ligne rouge est franchie. La confiance, cela signifie donc que lon ne peut pas demander ou constater que les peuples organisent des élections qui se déroulent de manière convenable comme cela a été le cas en Tunisie, au Maroc et en Égypte, et puis contester le résultat des élections. Au nom de quoi devrions-nous décider que ces résultats ne sont pas acceptables ?
Cest un fait, il faut le respecter. Mais il faut être vigilant parce que certaines de ces forces politiques ont aujourdhui des positions, des idées, des programmes qui ne sont pas compatibles avec un certain nombre de nos valeurs fondamentales. Il va falloir les juger à leurs actes.
Je ne veux pas faire de procès dintention a priori, on va voir avec qui les Frères musulmans vont sallier pour constituer une coalition en Égypte - ils ont plusieurs possibilités pour le faire. Quel sera le programme de leur gouvernement ? Les déclarations que jai citées tout à lheure nengagent-elles que leurs auteurs ou bien est-ce que ce sera le programme de travail du gouvernement égyptien ? À partir de là, nous déterminerons notre position.
Q - LEurope peut-elle poser des conditions à lattribution de son aide à ces pays en transition dans le monde arabe ? Et de quelle manière ?
R - Pourquoi pas ? Quand nous aidons financièrement un peuple à mettre en place son projet démocratique et que dans le même temps, nous avons le sentiment quil construit autre chose quune démocratie, nous ne sommes pas obligés de maintenir les financements. Cest un dialogue. Je sais bien que cela peut apparaître comme une intrusion. Nous laissons ces peuples choisir le modèle politique et économique quils souhaitent ; nous leur demandons de nous présenter leurs priorités économiques, politiques et sociales. Ce nest pas nous qui allons faire le plan daction de la Tunisie ou du Maroc mais, in fine, quand ces plans nous seront proposés, nous serons en droit de vérifier si ceux-ci respectent les principes démocratiques.
Q - Vous êtes, il me semble, le principal partisan de cette idée quil faut dialoguer, je parle du gouvernement français, avec les courants islamistes de lautre côté de la Méditerranée. Tout le monde nest pas daccord avec vous, en particulier au sein de la droite notamment en France. Nêtes-vous pas un peu seul à défendre cette idée quil faut maintenir le canal du dialogue avec ces courants qui ne rassurent pas tout le monde ?
R - Je ne crois pas. Nous en avons parlé en Conseil des ministres, cest exactement la ligne du président de la République et cest celle du gouvernement. Il peut y avoir des appréciations différentes, je peux le comprendre, mais je pense que notre ligne est claire. Nous la maintenons dans chacun des cas que jai évoqués tout à lheure.
Q - À lautre extrémité de léchiquier politique, en Égypte, il y a les islamistes mais aussi larmée. Pensez-vous que le rôle joué par larmée en Égypte est un rôle positif pour la démocratie en devenir en Égypte ?
R - Larmée doit transférer le pouvoir, cest la règle du jeu. Des élections ont eu lieu, il faut maintenant quil y ait transfert à un pouvoir civil et jespère que larmée jouera le jeu.
Q - Confirmez-vous votre déplacement prochainement au Maroc pour rencontrer le Premier ministre marocain ?
R - La date nest pas encore arrêtée mais jai eu très récemment M. Benkirane au téléphone pour le féliciter de sa nomination. Avec le Maroc, vous savez que nous avons des relations très étroites. Je pense que le Maroc peut et va réussir sa transition démocratique grâce à laudace, il faut bien le dire, du roi et aussi grâce à louverture de la vie publique. Je rappelle que le parti «de la Justice et du développement» avait déjà des députés au Parlement marocain. Aujourdhui, il en a un peu plus du quart et il va donc être conduit à gouverner avec dautres forces politiques. Cest un bon schéma me semble-t-il.
Q - Les différents partis en Tunisie ont enfin réussi à sentendre sur une Constitution provisoire, une répartition des pouvoirs entre le Premier ministre et le président avec, finalement, plus de pouvoir pour le président. Est-ce une bonne évolution là aussi ?
R - Là encore, cest aux Tunisiens de choisir. Ce nest pas moi qui vais leur dire quel régime ils doivent choisir. Cest leur choix. Nous sommes prêts à les aider sous réserve de ce que jai dit tout à lheure et qui pour linstant ne se manifeste pas.
Sagissant de la Tunisie, jai eu là aussi des contacts avec le parti Ennahda et je my rendrai à nouveau dès que le gouvernement sera en place. Cest la même ligne que celle que jai exprimée tout à lheure à propos de lÉgypte ou du Maroc.
Q - Sur les révoltes arabes, le soutien de la France à la démocratisation, aux valeurs, la défense des valeurs, on na pas beaucoup entendu la France défendre ou demander la libération de militants pro-démocratie, dopposants à Bahreïn aux Émirats Arabes Unis.
Mine de rien, ne sommes-nous pas un peu dans le «deux poids, deux mesures» car la France semble particulièrement muette sagissant de ces cas précis ? Les Émirats Arabes Unis étaient notre partenaire dans lexpédition libyenne, ne les ménage-t-on pas ?
R - Ma voix na peut-être pas suffisamment de force, je veux bien ladmettre mais je ne suis pas muet en tout cas. Jai dit très clairement quà Bahreïn comme ailleurs, il fallait tenir compte des aspirations populaires, que la répression nétait pas une solution, quil fallait faire des réformes et quil fallait dialoguer.
Q - Et du côté des opposants ?
R - Quand les opposants ont été «embastillés» - pardonnez-moi cette expression - ou mis en prison dans des conditions irrégulières, ils doivent être libérés naturellement. Il faut aussi prendre conscience de ce qui se passe dans le monde arabe. Il y a des conflits stratégiques. Je ne sais pas si je peux utiliser cette expression, il existe une véritable guerre de religion entre sunnites et chiites, cela aussi cest quelque chose qui doit être intégré dans notre réflexion.
Q - Vous faites allusion au rôle de lIran à Bahreïn ?
R - Par exemple ou ailleurs.
Q - Au sud du Maghreb, il y a le Sahel et là-bas se développe ces derniers mois le terrorisme de lAQMI. Douze otages actuellement dont six Français sont entre leurs mains. Avez-vous des informations nouvelles en particulier sur les otages dAreva enlevés en septembre 2010 au Niger et sur dautres enlevés fin novembre dans le nord du Mali ?
R - Non, je nai pas dinformations complémentaires. Nous utilisons tous les canaux de discussion possibles pour obtenir une libération. Nous le faisons en permanence avec plus ou moins de bonheur, nous avions obtenu la libération de Mme Larribe il y a quelques temps, nous continuons à travailler.
Vous connaissez ma position constante dans ce domaine : il faut protéger le secret des négociations dans lintérêt-même des otages.
Q - Savez-vous si les contacts continuent ou sils ont été suspendus ? On sait que lun des négociateurs algériens aurait rompu les ponts avec les services français. Avez-vous des informations ?
R - Nous avons des contacts, je ne vous en dirai pas plus.
À propos du Sahel, je voudrais simplement dire que notre inquiétude est maximale parce quil y a eu, de Libye, pénétration dun certain nombre de forces ou de groupes armés, avec beaucoup darmes. Tout notre travail dans le Sahel consiste à essayer de convaincre les pays riverains de se coordonner dans leur action contre AQMI. La Mauritanie et le Niger sont fortement engagés ; jen ai parlé la semaine dernière avec mon collègue algérien, M. Medelci, qui est parfaitement conscient du défi. La coopération régionale est clé.
Q - (incompréhensible)
R - Absolument, et avec laide de lUnion européenne qui a mis en place, à linstigation de la France, un plan Sahel pour aider ces pays à séquiper et à se former.
Q - Êtes-vous satisfait de la coopération avec ces pays ? Le Mali, lAlgérie en font-ils assez ?
R - LAlgérie sengage, je vous lai dit. Nous en avons parlé. Elle a réuni les pays de la région pour essayer de mieux les coordonner. Il faut convaincre le Mali de sengager à fond.
Q - Toujours sur cette question des trois Européens mais, cette fois-ci, il sagit de deux Espagnols et un Italien enlevés à la fin du mois doctobre ; leur enlèvement vient dêtre revendiqué mais par un groupe dissident dAQMI. Le fait quil y ait, à présent, des groupes dissidents dAQMI qui, visiblement, opèrent jusquen Afrique subsaharienne, cela vous inquiète-t-il ? Certains spécialistes de la lutte anti-terroriste parlent de la nécessité dans cette région dune véritable thérapie de choc.
R - Quest-ce que cela veut dire ?
Q - Je vous le demande !
R - Non, je le demande à ceux qui utilisent cette expression. Je pense quil faut «mettre le paquet» pour tout ce qui est information, intelligence. Nous coopérons avec les Américains, avec dautres et vous avez raison de dire que le risque est en train de gagner vers le Sud. Il y a peu de temps, jétais au Nigéria et il y a eu des attentats là-bas, avec des groupes qui ne sont pas dAQMI, mais qui sont des groupes terroristes dinspiration extrémiste. Donc, la plus grande vigilance et la plus grande coopération simposent.
Q - Je parlais de la collaboration des États comme le Mali et le Niger. La collaboration des services spéciaux, quils soient américains, britanniques est-elle efficace sur le terrain ?
R - Cette coopération existe et elle est bonne.
Q - Vous nen direz pas plus ?
R - Je ne veux pas révéler la manière dont cela se passe. Je peux vous dire que les services de renseignements coopèrent.
Q - On a limpression que cette menace à vraiment explosé en quelques mois, en quelques années. Cela va aujourdhui du Nigeria au Soudan, tous les pays sont concernés.
R - Absolument. Elle a été incontestablement renforcée par ce qui sest passé entre la Libye et le Sahel.
Q - Un effet collatéral de notre intervention en Libye.
R - Pas de notre intervention : de la libération du peuple libyen de la dictature de Kadhafi.
Q - On peut peut-être parler de la situation en Syrie. Il y a encore eu des blessés et des morts, le président Bachar Al-Assad peut-il tenir le coup encore longtemps ?
R - Jai déjà dit ce que jen pensais. Je nai jamais vu un chef dÉtat, dans la période récente - il y en a eu dautres dans le passé bien sûr - sexprimer avec autant de cynisme. Quand je pense quil y a quelques jours encore, il expliquait sur une chaîne de télévision quil ny était pour rien, quil navait pas donné dordre ! Enfin, cest absolument invraisemblable ! Dans la minute-même où il disait cela, on continuait à tirer sur des populations.
Q - Il a indiqué que ces excès étaient des excès individuels.
R - Cest de la provocation. On nous explique encore que les troupes sont en train de se concentrer autour de la ville dHoms qui est lun des foyers de résistance majeur. Nous sommes très inquiets de ce qui se passe à Homs et nous le dénonçons. Quand un chef dÉtat se comporte ainsi, il na plus de légitimité ni de perspective à long terme. Il sest passé quelque chose de fondamental dans cette crise syrienne où la France parle haut et fort depuis longtemps, cest que la Ligue arabe a pris une position très claire et très ferme. La Turquie est aussi engagée fortement ; lensemble de lUnion européenne est absolument sur la même ligne et les pressions internationales sont extrêmement fortes. Seule la Russie a encore une attitude différente, ce que je regrette profondément. Le Conseil de sécurité vient de décider dauditionner Mme Pillay, la Haute commissaire pour les droits de lHomme, qui va faire son rapport au Conseil de sécurité qui ne pourra plus nier ce qui se passe.
Q - La pression internationale ne se relâche pas.
R - Elle ne se relâche pas, elle saccentue, des sanctions supplémentaires ont été prises par lUnion européenne et par les pays arabes et on ne pourra plus continuer à dire que les responsabilités sont partagées.
Q - Pour autant la Russie et la Chine, surtout la Russie, ne vont pas jusquau point où ils sont allés concernant la Libye.
R - Peut-être parce que la résolution 1973 leur a laissé un mauvais souvenir. M. Sergueï Lavrov nous a dit cela à Bruxelles la semaine dernière.
Q - Cest la résolution qui a permis lintervention en Libye.
R - Absolument. Je lui ai répondu que de notre point de vue, partagé par les Britanniques, ainsi que par tous les pays de lOTAN, nous nous sommes conformés strictement à la résolution 1973.
La Russie na, cependant, pas ce point de vue. Nous essayons de la convaincre de sortir de lisolement où elle sest enfermée. Aujourdhui, il ny a guère plus que la Russie et la Chine qui continuent à soutenir que, dun côté, il y a un régime qui fait ce quil peut pour rétablir lordre et, de lautre, des terroristes qui attaquent ce régime.
Ce nest pas la vérité. La vérité, cest quil y a un régime qui réprime des mouvements populaires daspiration à la liberté et à la démocratie.
Q - Vous aviez, il y a quelques temps, évoqué la possibilité de couloirs humanitaires et cétait déjà en ayant la ville de Homs à lesprit. Depuis la situation na fait que saggraver ; elle est, semble-t-il, devenue critique. Comment comptez-vous sauver Homs, protéger cette ville ? Et est-ce un cas concret pour que lidée de couloirs humanitaires puisse se mettre en place ?
R - Il y a deux façons de concevoir un couloir humanitaire. Cest avec laccord du pays dans lequel cela se passe ou contre ce pays. Dans ce cas-là, il faut utiliser la force.
Aujourdhui, nous soutenons la proposition de la Ligue arabe qui travaille dans son dialogue avec Damas, à lenvoi dobservateurs qui auraient notamment pour objectif de faciliter laccès de laide humanitaire. Ceci est en cours de discussion et jespère que nous y parviendrons.
Q - La Syrie demande la levée des sanctions avant dautoriser larrivée des observateurs. Est-ce acceptable ?
R - La Ligue arabe ne la pas accepté pour linstant.
Q - Certains opposants syriens seraient menacés, même sur le territoire français. Confirmez-vous cette information ?
R - Il y a des informations en ce sens et nous les protégeons. Nous dialoguons également avec eux et entretenons un contact permanent avec le Conseil national syrien. Nous ne sommes dailleurs pas les seuls et je voudrais aussi saluer le rôle de notre ambassadeur sur place qui est retourné en Syrie. Pourquoi y est-il retourné ? Parce que les opposants nous lont demandé, cétait une façon de les rassurer et davoir une présence internationale.
Q - Cinq soldats français ont été blessés dans un attentat à lexplosif dans le sud du Liban. Ils font partie de la FINUL. Était-ce un message de la Syrie ?
R - Sans doute. Nous avons de fortes raisons de penser que cet attentat vient de là. Il y en a déjà eu un, il y a quelques mois ou quelques semaines.
Q - Il faut expliquer, Monsieur le Ministre, que la Syrie utilise le Hezbollah pour ce genre dattentats sur place au Liban.
R - En effet, cest son bras armé, si je puis dire. Nous avons à nouveau appelé le gouvernement libanais à protéger la FINUL qui est là dans une mission de paix. Elle na pas de mission de combat, elle est là pour sinterposer et éviter les affrontements. Vous savez quil y a, en ce moment, aux Nations unies, une revue stratégique sur le sens de cette mission : que faisons-nous au Liban ? Que fait la FINUL ? Nous souhaitons que les forces armées libanaises prennent la relève le plus rapidement possible. Au terme de cette revue stratégique, nous verrons les conséquences à en tirer. Pour la France, lindépendance, lintégrité territoriale, la souveraineté et la liberté du Liban sont des enjeux fondamentaux.
Q - Vous venez de tenir la Syrie responsable de cet attentat. Cest bien ce quil faut comprendre ?
R - Nous avons de fortes raisons de penser que ces attentats sont de cette origine là. Aujourdhui, je nen ai pas la preuve, naturellement, mais nous avons de forts doutes.
Q - Lactualité africaine : en République démocratique du Congo - qui un pays francophone de 70 millions dhabitants -, il y a eu des élections présidentielles le 28 novembre. Les résultats officiels donnaient la victoire à Joseph Kabila et près de 49 % des voix, 32 % à lopposant Étienne Tshisekedi. La France considère, Monsieur le Ministre, Joseph Kabila comme le président réélu, légal et légitime de la RDC ce soir ?
R - Nous avons du mal à nous faire une idée précise sur la façon dont ces élections se sont déroulées. Dans un premier temps, les observateurs internationaux ont donné plutôt un avis favorable, puis il y a eu des doutes sur la régularité des élections. En tous cas, ce que nous avons fait, vraiment sans désemparer depuis des semaines et des semaines, cest faire passer le même message, à la fois aux partisans de Kabila et aux partisans de Tshisekedi : «ne recourez pas à la violence, trouvez une issue à vos différends et à vos antagonismes par le dialogue et non pas par la force armée». Malheureusement, nous ne sommes pas écoutés pour linstant mais tout le monde sy met.
Nous souhaitons que lUnion africaine et toutes les organisations régionales puissent accentuer leur pression dans cette direction. La situation est explosive, jen ai parfaitement conscience car le recours à la violence est extrêmement fort. Nous essayons donc de faire tout notre possible pour léviter.
Q - Sur la Côte dIvoire, des élections législatives ont eu lieu ce dimanche. On na pas encore les résultats ni la participation, on sait que la participation est faible à Abidjan, la capitale. Ce sont les premières de lère Ouattara. Le parti de Laurent Gbagbo, lancien président, a boycotté ces élections. Est-ce que dans ces conditions, Monsieur le Ministre, une réconciliation en Côte dIvoire vous paraît possible ?
R - Il ne faut pas renoncer. Je regrette la consigne de boycott qui a été donnée. Attendons de voir les résultats définitifs, notamment sur la participation. Je pense que le président Ouattara est vraiment animé par un esprit de réconciliation ; il a mis en place une commission de réconciliation. La Côte dIvoire est en train de sortir, petit à petit, de la situation, notamment de blocage économique dans laquelle elle se trouvait. Je pense donc que les choses vont plutôt dans la bonne direction. Le fait que les autorités ivoiriennes aient choisi denvoyer M. Gbagbo à la Cour pénale internationale à La Haye permettra, je lespère, de progresser.
Q - Mais attendu aussi la situation politique, puisque cest largument invoqué par le FPI, le parti de lex-président Gbagbo pour boycotter ce scrutin.
R - Faisons confiance à la justice internationale pour faire la lumière.
Q - Laurent Gbagbo, vous venez de le dire est en train dêtre jugé par la Cour pénale internationale. Est-ce que dautres responsables ivoiriens de lancien régime ou même du régime actuel devraient selon vous aussi être traduit en justice devant la CPI ?
R - Jai dit : pas dimpunité. Ce nest pas à moi quil appartient den décider mais il y a un procureur de la Cour pénale internationale qui fait son travail. Et cest à lui de dire qui doit être le cas échéant inculpé, quel que soit le côté politique qui porte la responsabilité déventuels massacres.
Q - Est-ce quil ny a pas un déséquilibre, en sachant quil y a eu parmi les partisans de Laurent Gbagbo 150 interpellations. Parmi les partisans dAlassane Ouattara, personne na été interpellé dans cette sortie de crise. Est-ce que la réconciliation peut se produire en labsence apparente de justice impartiale dans le pays ?
R - Nous avons dit, depuis le début, à M. Ouattara quil lui appartenait de faire la lumière sur déventuels massacres même si ces massacres étaient de la responsabilité de groupes qui lavaient soutenu. Je crois que cest son intention et, je le répète, cest au procureur de la Cour pénale internationale de faire son uvre.
Q - Encore un mot sur Laurent Gbagbo : au moment de son arrestation, au moment de son arrivée, sa première déclaration devant la CPI, il a dit : «jai été arrêté sous les balles françaises, sous les obus français». Avez-vous un commentaire ?
R - Il se défend comme il peut.
Q - Une question sur laudiovisuel extérieur de la France puisque ça fait deux semaines que les personnels de RFI, à lappel de tous les syndicats, sont en grève. Ils dénoncent ce quils appellent le passage en force de la direction de lAudiovisuel extérieur de la France et de RFI pour imposer une fusion entre France 24 et RFI. Comme il sagit de deux médias en charge de contenus internationaux, même si pour linstant le Quai dOrsay na pas la tutelle sur ces médias, comment voyez-vous cette crise ? Pour linstant on est plutôt dans limpasse
R - On a décidé dune réforme, il y a deux ou trois ans je crois, de laudiovisuel extérieur de la France dans son ensemble. Je voudrais dabord dire - et ce nest pas parce que je suis ici que je le dis - quun des points forts de cet audiovisuel, cest TV5 Monde. Ce nest pas un média français, cest un média international de langue française. Cest pour moi un des points forts qui doivent être maintenus dans son indépendance et dans le respect des engagements internationaux de la France. Il y a peut être des possibilités de mutualisation avec dautres médias, mais je pense que cest très important.
Pour le reste, le rapprochement de France 24 et RFI me parait une bonne idée et il faut poursuivre dans cette direction. Dans quelles conditions ? Cest aux gestionnaires et aux responsables de chacune de ces chaînes de le dire et pas à moi. En ce qui concerne la gouvernance de laudiovisuel extérieur, les choses se sont apaisées et clarifiées à France 24. Il faut donc repartir sur de nouvelles bases.
Vous évoquiez le rôle du ministère des Affaires étrangères ; je crois quil doit avoir son mot à dire dans le pilotage de laudiovisuel extérieur. Jai proposé récemment à lAssemblée nationale la création dun comité stratégique de pilotage où les différentes administrations seraient présentes. Peut-être pourrait-on aller un jour vers une co-tutelle entre le ministère de la Culture et le ministère des Affaires étrangères.
Q - RFI va continuer de diffuser en radio à travers lAfrique qui est une des régions du monde où elle est particulièrement suivie
R- Je lespère !
Q - Cest une inquiétude des (inaudible) que la fusion siphonne un peu les moyens de RFI au profit de France 24...
R - Je ne veux pas me prononcer sur les moyens. Toutes les institutions aujourdhui, quelles soient privées ou publiques, doivent gérer au mieux leurs moyens. Et, parfois, il y a des adaptations nécessaires. En revanche, je souhaite que RFI puisse continuer à faire entendre sa voix, car laudiovisuel extérieur, je lai dit, dans toutes ses composantes, est un des éléments dinfluence majeurs de la France, absolument majeurs. ( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2011
Quelques questions dactualité en France, la campagne 2012 et les questions sur laudiovisuel extérieur de la France.
Vendredi, le Sommet de Bruxelles a débouché sur un accord de discipline budgétaire à vingt-six. Le Royaume-Uni sest abstenu, il est donc isolé. Cette abstention britannique est-elle un échec et est-ce le début véritablement dun éloignement du Royaume-Uni de lUnion européenne ?
R - Ce nest pas seulement un accord de discipline budgétaire et le présenter comme un échec, cest un peu en décalage par rapport à la réalité et à tout ce que lon a entendu dire. Cest un succès.
Q - Cest un accord à vingt-six et pas à vingt-sept !
R - Oui, mais je préfère parler du succès plutôt que de ce qui peut être insatisfaisant. Cest un succès, François Baroin la qualifié dhistorique et je souscris volontiers à cette affirmation. Cest vrai, cest une discipline budgétaire renforcée. Lorsque lon a adopté leuro dans le cadre du Traité de Maastricht, on navait pas prévu ce qui était nécessaire pour le faire fonctionner.
Il y a donc la règle dor dont la conformité sera appréciée par la Cour de justice de lUnion européenne, dans les limites que nous souhaitions.
Il y a ensuite les sanctions lorsquon ne respecte pas la discipline budgétaire. Mais il y a aussi - et cest très important du point de vue français, parce que nous nous sommes beaucoup battus pour cela - le renforcement de la gouvernance.
Il y aura un Conseil européen régulièrement et la chancelière allemande a même souhaité que, pendant la période de crise, il se réunisse tous les mois.
Il y aura enfin un pilotage qui, je lespère, sera rapidement mis en place.
Q - Cest le modèle allemand ?
R - Comme toujours, vous voyez les choses de manière négative. Eh bien non, pas du tout, ce nest pas le modèle allemand qui simpose et cest assez paradoxal que vous me disiez cela quand je parle de la gouvernance économique parce que cest une idée française.
Q - Mais je parlais des économies budgétaires ?
R - Je parlais du gouvernement économique. Il y a des idées françaises, des idées allemandes et, de grâce, sortons de ce petit jeu : qui gagne, qui perd. On a vu où cela a conduit, à des excès de langage absolument inacceptables qui nous ramènent un siècle en arrière. Alors, faisons attention.
Jen viens à votre question. Le Royaume-Uni na pas voulu sassocier à cette démarche qui réunit maintenant les vingt-six autres États membres de lUnion européenne. Il sisole, cest regrettable, nous aurions souhaité quil soit toujours embarqué avec les Vingt-sept. Ce nest pas complètement nouveau. On sait très bien, depuis très longtemps, que, pour le Royaume-Uni, lUnion européenne est dabord un marché. Pour nous, cest un peu plus que cela, cest vraiment une solidarité en matière économique, monétaire et fiscale pour demain.
Q - Le Premier ministre britannique David Cameron a parlé dune décision qui avait été très difficile à prendre. Cet isolement du Royaume-Uni nest-il pas aussi une mauvaise nouvelle quand même pour lUnion européenne dans son ensemble ?
R - Ce nest pas une bonne nouvelle mais cela ne va pas nous empêcher davancer.
Q - Vous avez, à juste titre, mis en garde contre la germanophobie et les dérapages verbaux. Mais, tout de même, limpression qui se dégage, cest que lon est dans une Europe allemande. Quelles sont les concessions que la France aurait obtenues de lAllemagne ? En quoi pouvez-vous démontrer que ce nest pas Angela Merkel qui a, dune certaine façon, imposé sa recette ?
R - Je vais continuer à faire de la résistance. Je ne partage absolument pas cette analyse. Jai déjà répondu en partie à votre question. Il y a deux ans, quand le président de la République française parlait de gouvernement économique de la zone euro, cette idée était totalement refusée en Allemagne. Aujourdhui, non seulement elle nest pas refusée mais elle est même activée.
De plus, quand nous avons dit que la Cour de justice de lUnion européenne ne règlerait pas le budget de la France, nous nétions pas en accord avec lAllemagne. Et quel est le point de vue qui a prévalu ? Le nôtre.
Je pourrais continuer cette démonstration sur beaucoup dautres sujets. Par exemple, sans entrer dans le détail, limplication du secteur privé dans la résolution des crises de dettes - comme ceci a été fait pour la Grèce - était plutôt une idée allemande et nous avons dit que nous ne souhaitions pas que ceci reste valable pour dautres. Nous avons obtenu satisfaction.
Q - Pourquoi ?
R - Parce que cela fragilisait beaucoup la confiance des marchés.
Q - Mais certains contestent que les banques privées justement ne soient pas amenées à participer ?
R - Cela a été acté par vingt-six États européens puisque cest le résultat de la rencontre de Bruxelles. Cétait effectivement un contre-signal pour les marchés et pour les épargnants qui risquaient de voir leurs dettes non remboursées si ce principe avait été confirmé. Il a été écrit très clairement dans laccord final que le mécanisme européen de stabilité se prononcerait selon les règles du FMI.
On pourrait continuer cette démonstration, mais je pense quelle est dangereuse parce quessayer de voir qui a marqué des points, qui nen a pas marqué, cest vieux comme lhistoire de lUnion européenne. Depuis toujours, les intérêts de la France et les intérêts de lAllemagne ne sont pas forcément convergents mais, le plus important, cest quil y a une volonté de dialogue, une volonté de travailler ensemble et que lon parvienne à un accord. Ce qui me paraît important aujourdhui, ce nest pas de savoir dans quelles conditions on a obtenu cet accord, cest de savoir ce quil est. Et je répète quil est de nature aujourdhui à nous permettre de sortir de la crise.
Q - Au-delà de cette polémique entre la France et lAllemagne, peut-on dire que cest le couple franco-allemand qui, actuellement, entraîne lEurope et prend les décisions - ce qui est critiqué parfois - pour lensemble de lEurope ?
R - Vous savez, les initiatives franco-allemandes sont critiquées mais on nous critique aussi quand nous ne faisons rien. Combien de fois ai-je entendu dire quil faut que la France et lAllemagne prennent linitiative pour entraîner les autres !
Il est vrai que lorsque nous prenons linitiative, cela provoque parfois un peu de crispation. Mais, là encore, regardez ce qui sest passé : cest sur la base de la lettre Merkel-Sarkozy que laccord a été finalement conclu.
Je rappelle quand même que la France et lAllemagne représentent 55 % du PIB de la zone euro. Bien entendu, cela ne nous donne pas le droit de dicter nos conditions aux autres. Il faut respecter tous les pays qui sont membres à part entière de la zone euro, mais cela donne quand même une responsabilité particulière à la France et à lAllemagne.
Q - La discipline budgétaire, cest évidemment très important pour lavenir de lUnion européenne, pour ce qui va se passer dans les prochaines années. Mais on a limpression que, pour le court terme, la Banque centrale européenne ne va pas intervenir davantage. On na pas décidé la création des fameuses euro-obligations. Quand lItalie et lEspagne vont se présenter devant les marchés au début de lannée 2012, que va-t-il se passer ? Ne risque-t-on pas davoir la même crise que celle que lon vient de connaître ces derniers mois, une crise de liquidité ?
R - Vous dites que la Banque centrale na pas décidé dintervenir davantage, ce nest pas exact. Elle a décidé de faire des prêts illimités aux banques européennes au taux de 1 %. Cest donc une prise de position très importante de la Banque centrale dans le cadre de son indépendance. Les euro-obligations, cest une lubie ! En quoi cela consisterait-il ?
Q - Cest ce que fait la réserve fédérale américaine ou la Banque dAngleterre ?
R - LAmérique - cela ne vous a pas échappé - est un État. LEurope nest pas un État et nous ne sommes pas intégrés comme le sont les États-Unis dAmérique. Les euro-obligations, cela consisterait à mutualiser la dette, cest-à-dire à faire payer de la mauvaise dette par les pays qui ont un bon crédit.
Q - Cest largument de lAllemagne.
R - Cest largument de la France et de lAllemagne. Nous verrions les conditions de refinancement de notre dette dégradées et nous avons toujours dit, dès le départ - nous navons pas changé là-dessus -, que cest bien sûr une idée à ne pas écarter et que ce serait le point dachèvement de lUnion monétaire que nous sommes en train de bâtir. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bufs. Lorsque nous aurons fait cette Union, alors, effectivement, il y aura possibilité de mutualiser la dette.
Q - Pensez-vous que les prêts à 1 % de la Banque centrale européenne sont suffisants pour éviter une nouvelle crise ?
R - Si je vous dis que cest suffisant et que, demain, les marchés «turbulent» vous me direz que jai été imprudent. Cest une crise extrêmement difficile, les marchés réagissent dans le très court terme, selon des critères qui nous échappent parfois. Je pense que ce qui a été décidé vendredi dernier est solide et que cela va nous permettre de repartir en avant.
Q - Est-ce laccord final est définitif ? On a vu depuis deux ans une série de sommets au niveau européen se succéder à chaque fois pour essayer de colmater la brèche et dempêcher que la zone euro néclate. Pensez-vous que le problème est réglé définitivement ? Et surtout, au-delà du discours sur laustérité, sur la discipline budgétaire, doù viendra la relance et la croissance économique dont lEurope a besoin pour trouver plus demplois, y compris en France ?
R - Cest une étape décisive. Je lai dit, je serais bien téméraire, dans un monde qui change à une vitesse toujours plus accélérée, qui est totalement imprévisible, de vous dire que cest définitif. Bien entendu, nous nous adapterons et nous avons les moyens de nous adapter à lévolution des choses.
Vous avez tout à fait raison de dire que la question qui se pose aujourdhui et qui est prioritaire, cest la croissance. Pour établir les équilibres budgétaires, il faut bien sûr faire des économies, tailler dans les dépenses le cas échéant, augmenter les recettes, mais on sait bien que le mécanisme vertueux de retour à léquilibre, cest la croissance. Cest la croissance qui fait rentrer les recettes fiscales sans quon soit obligé daugmenter le taux des impôts.
Q - Et cest le manque de croissance qui a fragilisé leuro ?
R - Et cest le manque de croissance aujourdhui qui fragilise lAmérique. Il faut quand même se souvenir que cest une crise mondiale. Aujourdhui, le surendettement de lAmérique est au moins aussi fort que le surendettement de la zone euro et le ralentissement de la croissance inquiète aussi la Chine. Cest donc un problème mondial.
Je pense, personnellement, que lon ne peut relancer la croissance de façon solide que sur des bases assainies. On a vu tout à lheure les années 1995-1997 dans votre reportage. Jai eu à faire face - dans un contexte tout à fait différent parce quil ny avait pas deuro à lépoque, cétait le franc qui se dévaluait - au même problème : comment rétablir léquilibre budgétaire. Eh bien, après une cure daustérité - il faut avoir le courage dutiliser les mots ! - que sest-il passé ? Une fois léconomie française assainie, dès 1997, puis 1998, la croissance est repartie. Je nai pas pu en profiter puisque je nétais plus Premier ministre, mais la France en a profité et cest bien lessentiel.
Assainissons et repartons en même temps, injectons dans léconomie - cela me paraît très important aussi -, des dépenses davenir.
Je ne vais pas revenir sur ce que nous avons fait avec Michel Rocard mais les 35 milliards deuros du Grand Emprunt, que je préfère appeler linvestissement davenir, désormais sont en train de sinjecter dans des laboratoires de recherches, dans les universités, dans les technologies vertes, dans les technologies numériques. Et je pense que cest cela qui peut et qui va soutenir la croissance.
Q - Comme je le disais, il y a beaucoup de sujets dans lactualité. Ces derniers jours, en Russie, on a limpression que quelque chose se passe : des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg ; des élections qui sont dénoncées comme truquées ; les manifestants demandent lorganisation dun nouveau scrutin. Pensez-vous que nous assistons au début dun Printemps russe ?
R - Jétais en Russie il y a quelques mois. Au cours de ce voyage, javais rencontré des représentants dassociations, des ONG et des journalistes qui se battent pour les droits de lHomme. Javais eu un dialogue très intéressant avec eux. Javais bien pris la mesure de laspiration du peuple russe à davantage de liberté. On le voit aujourdhui.
Ces élections, si on se réfère au rapport de lOSCE, ne se sont pas déroulées dans des conditions convenables et transparentes. Jai été lun des premiers à dire quil fallait que lon fasse toute la lumière sur les conditions dans lesquelles elles sétaient déroulées.
Ensuite, il faut évidemment respecter la liberté dexpression en Russie, les arrestations et les incarcérations qui se multiplient ne sont pas acceptables. Nous lavons dit publiquement aux autorités russes.
Q - Avez-vous été surpris par lampleur des manifestations ?
R - Bien sûr, cette aspiration à la liberté qui est aujourdhui à luvre partout dans le monde nous surprend. Tous ceux qui connaissent la Russie savent bien quil se passait des choses, il y avait une fermentation, une aspiration à la liberté. Mais dire que les choses allaient se passer à ce moment-là, avec cette importance-là, cétait difficile à prévoir. Je dois dire aussi que les peuples, on sen rend compte un peu partout, naiment pas trop que lon joue avec les processus démocratiques.
Q - Signe que le Kremlin est peut-être en train dentendre ce message, le président Medvedev aujourdhui a ordonné louverture dune enquête sur les soupçons de fraude qui pèsent sur les législatives de dimanche dernier. Jimagine donc, Alain Juppé, que cest une initiative que vous approuvez ?
R - Bien sûr et nous appelons, dabord, les autorités russes au dialogue et à éviter la violence. Il faut laisser se manifester les oppositions, cest la règle du jeu dans la démocratie et ensuite en tirer les conséquences pour lorganisation de la prochaine élection présidentielle. Si les critiques qui sont faites sur le déroulement de ce scrutin sont confirmées - nous avons de bonnes raisons de penser que lOSCE na pas affirmé cela à la légère - il faudra naturellement que la correction soit faite.
Q - Et lopposition va jusquà demander lorganisation, vu lampleur des truquages, dun nouveau scrutin législatif ?
R - Laissons le débat se poursuivre en Russie. Lenquête est demandée par le président Medvedev, cest aux autorités russes de décider des conséquences concrètes à en tirer. Je ne veux pas mingérer dans les affaires russes.
Q - Je trouve vos propos à linstant extrêmement frappants, parce que la France avait, jusquà très récemment, donné une sorte de blanc-seing au pouvoir politique russe, allant jusquà qualifier la Russie de démocratie. Cétait le commentaire de François Fillon, il ny a pas si longtemps, et vous venez juste de dire que les arrestations sont inacceptables, que les peuples naiment pas lorsque lon décide avant eux du retour dun tel ou dun tel au Kremlin.
La France est-elle en train de réviser, de réapprécier le jugement quelle porte sur la nature de ce pouvoir et si cest le cas, nest-on pas allé un peu trop loin dans notre partenariat avec la Russie ? Je pense notamment à ce projet de développement touristique dans le Caucase russe qui est une zone de conflits armés et où, chaque année, il y a des morts. Ce projet a été perçu aussi comme une sorte de validation par la France de toute la politique menée par Vladimir Poutine dans cette région meurtrie.
R - Je ne crois pas quil y ait contradiction. Nous avons développé avec la Russie un partenariat politique, économique et stratégique. Je crois que nous avons eu raison, nous ne sommes pas les seuls à lavoir fait et lUnion européenne dans son ensemble le fait également.
Il est exact quil y a eu des progrès démocratiques en Russie : le seul fait quaujourdhui, la presse puisse sexprimer, même si cest insuffisant. Je lai dit, ce nest pas une démocratie parfaite bien sûr. Mais quand est-ce que la Russie, depuis le début des temps où elle sest constituée, a été une démocratie ? Cest un apprentissage long et difficile et il faut accompagner la Russie dans cette direction. Cest un vrai problème de comportement de notre diplomatie. Faut-il rompre les ponts avec ceux qui nappliquent pas exactement les modèles que nous appliquons après deux ou trois siècles dapprentissage républicain ? Ou, au contraire, faut-il les accompagner, essayer de les convaincre et les faire évoluer dans la bonne direction ?
Je ne suis pas sûr que le fait daider la Russie à organiser un grand complexe touristique dans le Caucase soit aussi contre-productif que vous semblez le penser.
Louverture au monde, louverture vers lextérieur, cela a des implications inéluctables et inévitables. Et, dailleurs, les vrais régimes répressifs et dictatoriaux se referment sur eux-mêmes. La Birmanie commence légèrement à souvrir, la Corée du Nord, pas du tout. Entrer dans la brèche, si je puis dire, chaque fois quil y a une ouverture dans un pays qui progresse dans la voie de la démocratie, je pense que cest la direction quil faut prendre.
Q - Il y a quelques jours, M. Poutine accusait les États-Unis davoir incité les manifestants à fomenter le chaos et de les avoir financés. Il accusait nommément Hillary Clinton. Pensez-vous que cest de lintérêt des États-Unis de provoquer le chaos en Russie ?
R - Je nen crois rien, ce sont des allégations.
Q - Elles ont quand même été tenues par Vladimir Poutine !
R - Peut-être mais je ne suis pas là pour valider tout ce que dit M. Poutine, même si je pense que nous devons continuer de poursuivre un dialogue étroit et constructif avec la Russie. Je ne suis pas tout noir, tout blanc, ce serait trop facile si cétait ainsi ; il y a des moments où il faut suivre la ligne de crête.
Q - Concernant, les suites des révolutions arabes, vous lavez dit vous-même, lattitude de la France tient en deux mots : confiance et vigilance. Vous faites confiance au processus en cours et la vigilance, ce sont les lignes rouges à ne pas dépasser par les islamistes. Ce qui veut dire que la France conditionnera, par exemple, son aide économique au non-franchissement de ces lignes rouges, cest-à-dire en gros les valeurs démocratiques de la France ?
R - Quand jentends le parti An-Nour, en Égypte expliquer que les femmes peuvent travailler mais uniquement quand elles nont pas denfant, que la démocratie est une impiété, que le tourisme cest bien, mais quil faut interdire les piscines et les plages mixtes, je me dis que là, la ligne rouge est franchie. La confiance, cela signifie donc que lon ne peut pas demander ou constater que les peuples organisent des élections qui se déroulent de manière convenable comme cela a été le cas en Tunisie, au Maroc et en Égypte, et puis contester le résultat des élections. Au nom de quoi devrions-nous décider que ces résultats ne sont pas acceptables ?
Cest un fait, il faut le respecter. Mais il faut être vigilant parce que certaines de ces forces politiques ont aujourdhui des positions, des idées, des programmes qui ne sont pas compatibles avec un certain nombre de nos valeurs fondamentales. Il va falloir les juger à leurs actes.
Je ne veux pas faire de procès dintention a priori, on va voir avec qui les Frères musulmans vont sallier pour constituer une coalition en Égypte - ils ont plusieurs possibilités pour le faire. Quel sera le programme de leur gouvernement ? Les déclarations que jai citées tout à lheure nengagent-elles que leurs auteurs ou bien est-ce que ce sera le programme de travail du gouvernement égyptien ? À partir de là, nous déterminerons notre position.
Q - LEurope peut-elle poser des conditions à lattribution de son aide à ces pays en transition dans le monde arabe ? Et de quelle manière ?
R - Pourquoi pas ? Quand nous aidons financièrement un peuple à mettre en place son projet démocratique et que dans le même temps, nous avons le sentiment quil construit autre chose quune démocratie, nous ne sommes pas obligés de maintenir les financements. Cest un dialogue. Je sais bien que cela peut apparaître comme une intrusion. Nous laissons ces peuples choisir le modèle politique et économique quils souhaitent ; nous leur demandons de nous présenter leurs priorités économiques, politiques et sociales. Ce nest pas nous qui allons faire le plan daction de la Tunisie ou du Maroc mais, in fine, quand ces plans nous seront proposés, nous serons en droit de vérifier si ceux-ci respectent les principes démocratiques.
Q - Vous êtes, il me semble, le principal partisan de cette idée quil faut dialoguer, je parle du gouvernement français, avec les courants islamistes de lautre côté de la Méditerranée. Tout le monde nest pas daccord avec vous, en particulier au sein de la droite notamment en France. Nêtes-vous pas un peu seul à défendre cette idée quil faut maintenir le canal du dialogue avec ces courants qui ne rassurent pas tout le monde ?
R - Je ne crois pas. Nous en avons parlé en Conseil des ministres, cest exactement la ligne du président de la République et cest celle du gouvernement. Il peut y avoir des appréciations différentes, je peux le comprendre, mais je pense que notre ligne est claire. Nous la maintenons dans chacun des cas que jai évoqués tout à lheure.
Q - À lautre extrémité de léchiquier politique, en Égypte, il y a les islamistes mais aussi larmée. Pensez-vous que le rôle joué par larmée en Égypte est un rôle positif pour la démocratie en devenir en Égypte ?
R - Larmée doit transférer le pouvoir, cest la règle du jeu. Des élections ont eu lieu, il faut maintenant quil y ait transfert à un pouvoir civil et jespère que larmée jouera le jeu.
Q - Confirmez-vous votre déplacement prochainement au Maroc pour rencontrer le Premier ministre marocain ?
R - La date nest pas encore arrêtée mais jai eu très récemment M. Benkirane au téléphone pour le féliciter de sa nomination. Avec le Maroc, vous savez que nous avons des relations très étroites. Je pense que le Maroc peut et va réussir sa transition démocratique grâce à laudace, il faut bien le dire, du roi et aussi grâce à louverture de la vie publique. Je rappelle que le parti «de la Justice et du développement» avait déjà des députés au Parlement marocain. Aujourdhui, il en a un peu plus du quart et il va donc être conduit à gouverner avec dautres forces politiques. Cest un bon schéma me semble-t-il.
Q - Les différents partis en Tunisie ont enfin réussi à sentendre sur une Constitution provisoire, une répartition des pouvoirs entre le Premier ministre et le président avec, finalement, plus de pouvoir pour le président. Est-ce une bonne évolution là aussi ?
R - Là encore, cest aux Tunisiens de choisir. Ce nest pas moi qui vais leur dire quel régime ils doivent choisir. Cest leur choix. Nous sommes prêts à les aider sous réserve de ce que jai dit tout à lheure et qui pour linstant ne se manifeste pas.
Sagissant de la Tunisie, jai eu là aussi des contacts avec le parti Ennahda et je my rendrai à nouveau dès que le gouvernement sera en place. Cest la même ligne que celle que jai exprimée tout à lheure à propos de lÉgypte ou du Maroc.
Q - Sur les révoltes arabes, le soutien de la France à la démocratisation, aux valeurs, la défense des valeurs, on na pas beaucoup entendu la France défendre ou demander la libération de militants pro-démocratie, dopposants à Bahreïn aux Émirats Arabes Unis.
Mine de rien, ne sommes-nous pas un peu dans le «deux poids, deux mesures» car la France semble particulièrement muette sagissant de ces cas précis ? Les Émirats Arabes Unis étaient notre partenaire dans lexpédition libyenne, ne les ménage-t-on pas ?
R - Ma voix na peut-être pas suffisamment de force, je veux bien ladmettre mais je ne suis pas muet en tout cas. Jai dit très clairement quà Bahreïn comme ailleurs, il fallait tenir compte des aspirations populaires, que la répression nétait pas une solution, quil fallait faire des réformes et quil fallait dialoguer.
Q - Et du côté des opposants ?
R - Quand les opposants ont été «embastillés» - pardonnez-moi cette expression - ou mis en prison dans des conditions irrégulières, ils doivent être libérés naturellement. Il faut aussi prendre conscience de ce qui se passe dans le monde arabe. Il y a des conflits stratégiques. Je ne sais pas si je peux utiliser cette expression, il existe une véritable guerre de religion entre sunnites et chiites, cela aussi cest quelque chose qui doit être intégré dans notre réflexion.
Q - Vous faites allusion au rôle de lIran à Bahreïn ?
R - Par exemple ou ailleurs.
Q - Au sud du Maghreb, il y a le Sahel et là-bas se développe ces derniers mois le terrorisme de lAQMI. Douze otages actuellement dont six Français sont entre leurs mains. Avez-vous des informations nouvelles en particulier sur les otages dAreva enlevés en septembre 2010 au Niger et sur dautres enlevés fin novembre dans le nord du Mali ?
R - Non, je nai pas dinformations complémentaires. Nous utilisons tous les canaux de discussion possibles pour obtenir une libération. Nous le faisons en permanence avec plus ou moins de bonheur, nous avions obtenu la libération de Mme Larribe il y a quelques temps, nous continuons à travailler.
Vous connaissez ma position constante dans ce domaine : il faut protéger le secret des négociations dans lintérêt-même des otages.
Q - Savez-vous si les contacts continuent ou sils ont été suspendus ? On sait que lun des négociateurs algériens aurait rompu les ponts avec les services français. Avez-vous des informations ?
R - Nous avons des contacts, je ne vous en dirai pas plus.
À propos du Sahel, je voudrais simplement dire que notre inquiétude est maximale parce quil y a eu, de Libye, pénétration dun certain nombre de forces ou de groupes armés, avec beaucoup darmes. Tout notre travail dans le Sahel consiste à essayer de convaincre les pays riverains de se coordonner dans leur action contre AQMI. La Mauritanie et le Niger sont fortement engagés ; jen ai parlé la semaine dernière avec mon collègue algérien, M. Medelci, qui est parfaitement conscient du défi. La coopération régionale est clé.
Q - (incompréhensible)
R - Absolument, et avec laide de lUnion européenne qui a mis en place, à linstigation de la France, un plan Sahel pour aider ces pays à séquiper et à se former.
Q - Êtes-vous satisfait de la coopération avec ces pays ? Le Mali, lAlgérie en font-ils assez ?
R - LAlgérie sengage, je vous lai dit. Nous en avons parlé. Elle a réuni les pays de la région pour essayer de mieux les coordonner. Il faut convaincre le Mali de sengager à fond.
Q - Toujours sur cette question des trois Européens mais, cette fois-ci, il sagit de deux Espagnols et un Italien enlevés à la fin du mois doctobre ; leur enlèvement vient dêtre revendiqué mais par un groupe dissident dAQMI. Le fait quil y ait, à présent, des groupes dissidents dAQMI qui, visiblement, opèrent jusquen Afrique subsaharienne, cela vous inquiète-t-il ? Certains spécialistes de la lutte anti-terroriste parlent de la nécessité dans cette région dune véritable thérapie de choc.
R - Quest-ce que cela veut dire ?
Q - Je vous le demande !
R - Non, je le demande à ceux qui utilisent cette expression. Je pense quil faut «mettre le paquet» pour tout ce qui est information, intelligence. Nous coopérons avec les Américains, avec dautres et vous avez raison de dire que le risque est en train de gagner vers le Sud. Il y a peu de temps, jétais au Nigéria et il y a eu des attentats là-bas, avec des groupes qui ne sont pas dAQMI, mais qui sont des groupes terroristes dinspiration extrémiste. Donc, la plus grande vigilance et la plus grande coopération simposent.
Q - Je parlais de la collaboration des États comme le Mali et le Niger. La collaboration des services spéciaux, quils soient américains, britanniques est-elle efficace sur le terrain ?
R - Cette coopération existe et elle est bonne.
Q - Vous nen direz pas plus ?
R - Je ne veux pas révéler la manière dont cela se passe. Je peux vous dire que les services de renseignements coopèrent.
Q - On a limpression que cette menace à vraiment explosé en quelques mois, en quelques années. Cela va aujourdhui du Nigeria au Soudan, tous les pays sont concernés.
R - Absolument. Elle a été incontestablement renforcée par ce qui sest passé entre la Libye et le Sahel.
Q - Un effet collatéral de notre intervention en Libye.
R - Pas de notre intervention : de la libération du peuple libyen de la dictature de Kadhafi.
Q - On peut peut-être parler de la situation en Syrie. Il y a encore eu des blessés et des morts, le président Bachar Al-Assad peut-il tenir le coup encore longtemps ?
R - Jai déjà dit ce que jen pensais. Je nai jamais vu un chef dÉtat, dans la période récente - il y en a eu dautres dans le passé bien sûr - sexprimer avec autant de cynisme. Quand je pense quil y a quelques jours encore, il expliquait sur une chaîne de télévision quil ny était pour rien, quil navait pas donné dordre ! Enfin, cest absolument invraisemblable ! Dans la minute-même où il disait cela, on continuait à tirer sur des populations.
Q - Il a indiqué que ces excès étaient des excès individuels.
R - Cest de la provocation. On nous explique encore que les troupes sont en train de se concentrer autour de la ville dHoms qui est lun des foyers de résistance majeur. Nous sommes très inquiets de ce qui se passe à Homs et nous le dénonçons. Quand un chef dÉtat se comporte ainsi, il na plus de légitimité ni de perspective à long terme. Il sest passé quelque chose de fondamental dans cette crise syrienne où la France parle haut et fort depuis longtemps, cest que la Ligue arabe a pris une position très claire et très ferme. La Turquie est aussi engagée fortement ; lensemble de lUnion européenne est absolument sur la même ligne et les pressions internationales sont extrêmement fortes. Seule la Russie a encore une attitude différente, ce que je regrette profondément. Le Conseil de sécurité vient de décider dauditionner Mme Pillay, la Haute commissaire pour les droits de lHomme, qui va faire son rapport au Conseil de sécurité qui ne pourra plus nier ce qui se passe.
Q - La pression internationale ne se relâche pas.
R - Elle ne se relâche pas, elle saccentue, des sanctions supplémentaires ont été prises par lUnion européenne et par les pays arabes et on ne pourra plus continuer à dire que les responsabilités sont partagées.
Q - Pour autant la Russie et la Chine, surtout la Russie, ne vont pas jusquau point où ils sont allés concernant la Libye.
R - Peut-être parce que la résolution 1973 leur a laissé un mauvais souvenir. M. Sergueï Lavrov nous a dit cela à Bruxelles la semaine dernière.
Q - Cest la résolution qui a permis lintervention en Libye.
R - Absolument. Je lui ai répondu que de notre point de vue, partagé par les Britanniques, ainsi que par tous les pays de lOTAN, nous nous sommes conformés strictement à la résolution 1973.
La Russie na, cependant, pas ce point de vue. Nous essayons de la convaincre de sortir de lisolement où elle sest enfermée. Aujourdhui, il ny a guère plus que la Russie et la Chine qui continuent à soutenir que, dun côté, il y a un régime qui fait ce quil peut pour rétablir lordre et, de lautre, des terroristes qui attaquent ce régime.
Ce nest pas la vérité. La vérité, cest quil y a un régime qui réprime des mouvements populaires daspiration à la liberté et à la démocratie.
Q - Vous aviez, il y a quelques temps, évoqué la possibilité de couloirs humanitaires et cétait déjà en ayant la ville de Homs à lesprit. Depuis la situation na fait que saggraver ; elle est, semble-t-il, devenue critique. Comment comptez-vous sauver Homs, protéger cette ville ? Et est-ce un cas concret pour que lidée de couloirs humanitaires puisse se mettre en place ?
R - Il y a deux façons de concevoir un couloir humanitaire. Cest avec laccord du pays dans lequel cela se passe ou contre ce pays. Dans ce cas-là, il faut utiliser la force.
Aujourdhui, nous soutenons la proposition de la Ligue arabe qui travaille dans son dialogue avec Damas, à lenvoi dobservateurs qui auraient notamment pour objectif de faciliter laccès de laide humanitaire. Ceci est en cours de discussion et jespère que nous y parviendrons.
Q - La Syrie demande la levée des sanctions avant dautoriser larrivée des observateurs. Est-ce acceptable ?
R - La Ligue arabe ne la pas accepté pour linstant.
Q - Certains opposants syriens seraient menacés, même sur le territoire français. Confirmez-vous cette information ?
R - Il y a des informations en ce sens et nous les protégeons. Nous dialoguons également avec eux et entretenons un contact permanent avec le Conseil national syrien. Nous ne sommes dailleurs pas les seuls et je voudrais aussi saluer le rôle de notre ambassadeur sur place qui est retourné en Syrie. Pourquoi y est-il retourné ? Parce que les opposants nous lont demandé, cétait une façon de les rassurer et davoir une présence internationale.
Q - Cinq soldats français ont été blessés dans un attentat à lexplosif dans le sud du Liban. Ils font partie de la FINUL. Était-ce un message de la Syrie ?
R - Sans doute. Nous avons de fortes raisons de penser que cet attentat vient de là. Il y en a déjà eu un, il y a quelques mois ou quelques semaines.
Q - Il faut expliquer, Monsieur le Ministre, que la Syrie utilise le Hezbollah pour ce genre dattentats sur place au Liban.
R - En effet, cest son bras armé, si je puis dire. Nous avons à nouveau appelé le gouvernement libanais à protéger la FINUL qui est là dans une mission de paix. Elle na pas de mission de combat, elle est là pour sinterposer et éviter les affrontements. Vous savez quil y a, en ce moment, aux Nations unies, une revue stratégique sur le sens de cette mission : que faisons-nous au Liban ? Que fait la FINUL ? Nous souhaitons que les forces armées libanaises prennent la relève le plus rapidement possible. Au terme de cette revue stratégique, nous verrons les conséquences à en tirer. Pour la France, lindépendance, lintégrité territoriale, la souveraineté et la liberté du Liban sont des enjeux fondamentaux.
Q - Vous venez de tenir la Syrie responsable de cet attentat. Cest bien ce quil faut comprendre ?
R - Nous avons de fortes raisons de penser que ces attentats sont de cette origine là. Aujourdhui, je nen ai pas la preuve, naturellement, mais nous avons de forts doutes.
Q - Lactualité africaine : en République démocratique du Congo - qui un pays francophone de 70 millions dhabitants -, il y a eu des élections présidentielles le 28 novembre. Les résultats officiels donnaient la victoire à Joseph Kabila et près de 49 % des voix, 32 % à lopposant Étienne Tshisekedi. La France considère, Monsieur le Ministre, Joseph Kabila comme le président réélu, légal et légitime de la RDC ce soir ?
R - Nous avons du mal à nous faire une idée précise sur la façon dont ces élections se sont déroulées. Dans un premier temps, les observateurs internationaux ont donné plutôt un avis favorable, puis il y a eu des doutes sur la régularité des élections. En tous cas, ce que nous avons fait, vraiment sans désemparer depuis des semaines et des semaines, cest faire passer le même message, à la fois aux partisans de Kabila et aux partisans de Tshisekedi : «ne recourez pas à la violence, trouvez une issue à vos différends et à vos antagonismes par le dialogue et non pas par la force armée». Malheureusement, nous ne sommes pas écoutés pour linstant mais tout le monde sy met.
Nous souhaitons que lUnion africaine et toutes les organisations régionales puissent accentuer leur pression dans cette direction. La situation est explosive, jen ai parfaitement conscience car le recours à la violence est extrêmement fort. Nous essayons donc de faire tout notre possible pour léviter.
Q - Sur la Côte dIvoire, des élections législatives ont eu lieu ce dimanche. On na pas encore les résultats ni la participation, on sait que la participation est faible à Abidjan, la capitale. Ce sont les premières de lère Ouattara. Le parti de Laurent Gbagbo, lancien président, a boycotté ces élections. Est-ce que dans ces conditions, Monsieur le Ministre, une réconciliation en Côte dIvoire vous paraît possible ?
R - Il ne faut pas renoncer. Je regrette la consigne de boycott qui a été donnée. Attendons de voir les résultats définitifs, notamment sur la participation. Je pense que le président Ouattara est vraiment animé par un esprit de réconciliation ; il a mis en place une commission de réconciliation. La Côte dIvoire est en train de sortir, petit à petit, de la situation, notamment de blocage économique dans laquelle elle se trouvait. Je pense donc que les choses vont plutôt dans la bonne direction. Le fait que les autorités ivoiriennes aient choisi denvoyer M. Gbagbo à la Cour pénale internationale à La Haye permettra, je lespère, de progresser.
Q - Mais attendu aussi la situation politique, puisque cest largument invoqué par le FPI, le parti de lex-président Gbagbo pour boycotter ce scrutin.
R - Faisons confiance à la justice internationale pour faire la lumière.
Q - Laurent Gbagbo, vous venez de le dire est en train dêtre jugé par la Cour pénale internationale. Est-ce que dautres responsables ivoiriens de lancien régime ou même du régime actuel devraient selon vous aussi être traduit en justice devant la CPI ?
R - Jai dit : pas dimpunité. Ce nest pas à moi quil appartient den décider mais il y a un procureur de la Cour pénale internationale qui fait son travail. Et cest à lui de dire qui doit être le cas échéant inculpé, quel que soit le côté politique qui porte la responsabilité déventuels massacres.
Q - Est-ce quil ny a pas un déséquilibre, en sachant quil y a eu parmi les partisans de Laurent Gbagbo 150 interpellations. Parmi les partisans dAlassane Ouattara, personne na été interpellé dans cette sortie de crise. Est-ce que la réconciliation peut se produire en labsence apparente de justice impartiale dans le pays ?
R - Nous avons dit, depuis le début, à M. Ouattara quil lui appartenait de faire la lumière sur déventuels massacres même si ces massacres étaient de la responsabilité de groupes qui lavaient soutenu. Je crois que cest son intention et, je le répète, cest au procureur de la Cour pénale internationale de faire son uvre.
Q - Encore un mot sur Laurent Gbagbo : au moment de son arrestation, au moment de son arrivée, sa première déclaration devant la CPI, il a dit : «jai été arrêté sous les balles françaises, sous les obus français». Avez-vous un commentaire ?
R - Il se défend comme il peut.
Q - Une question sur laudiovisuel extérieur de la France puisque ça fait deux semaines que les personnels de RFI, à lappel de tous les syndicats, sont en grève. Ils dénoncent ce quils appellent le passage en force de la direction de lAudiovisuel extérieur de la France et de RFI pour imposer une fusion entre France 24 et RFI. Comme il sagit de deux médias en charge de contenus internationaux, même si pour linstant le Quai dOrsay na pas la tutelle sur ces médias, comment voyez-vous cette crise ? Pour linstant on est plutôt dans limpasse
R - On a décidé dune réforme, il y a deux ou trois ans je crois, de laudiovisuel extérieur de la France dans son ensemble. Je voudrais dabord dire - et ce nest pas parce que je suis ici que je le dis - quun des points forts de cet audiovisuel, cest TV5 Monde. Ce nest pas un média français, cest un média international de langue française. Cest pour moi un des points forts qui doivent être maintenus dans son indépendance et dans le respect des engagements internationaux de la France. Il y a peut être des possibilités de mutualisation avec dautres médias, mais je pense que cest très important.
Pour le reste, le rapprochement de France 24 et RFI me parait une bonne idée et il faut poursuivre dans cette direction. Dans quelles conditions ? Cest aux gestionnaires et aux responsables de chacune de ces chaînes de le dire et pas à moi. En ce qui concerne la gouvernance de laudiovisuel extérieur, les choses se sont apaisées et clarifiées à France 24. Il faut donc repartir sur de nouvelles bases.
Vous évoquiez le rôle du ministère des Affaires étrangères ; je crois quil doit avoir son mot à dire dans le pilotage de laudiovisuel extérieur. Jai proposé récemment à lAssemblée nationale la création dun comité stratégique de pilotage où les différentes administrations seraient présentes. Peut-être pourrait-on aller un jour vers une co-tutelle entre le ministère de la Culture et le ministère des Affaires étrangères.
Q - RFI va continuer de diffuser en radio à travers lAfrique qui est une des régions du monde où elle est particulièrement suivie
R- Je lespère !
Q - Cest une inquiétude des (inaudible) que la fusion siphonne un peu les moyens de RFI au profit de France 24...
R - Je ne veux pas me prononcer sur les moyens. Toutes les institutions aujourdhui, quelles soient privées ou publiques, doivent gérer au mieux leurs moyens. Et, parfois, il y a des adaptations nécessaires. En revanche, je souhaite que RFI puisse continuer à faire entendre sa voix, car laudiovisuel extérieur, je lai dit, dans toutes ses composantes, est un des éléments dinfluence majeurs de la France, absolument majeurs. ( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2011