Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les défis à relever en 2012 face à la crise de la dette européenne et aux transitions politiques dans le monde arabe, et la place de l'Afrique et des pays émergents dans la gouvernance mondiale, Lisbonne le 4 janvier 2012.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé au Portugal le 4 janvier 2012 : intervention à la conférence des ambassadeurs portugais, à Lisbonne le 4

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Je voudrais d’abord vous remercier, Monsieur le Ministre, de votre invitation et de la chaleur de votre accueil. C’est un grand honneur pour moi de pouvoir m’exprimer devant vous aujourd’hui, à l’occasion de votre rencontre annuelle. Je sais la qualité des relations qu’entretiennent les diplomates français et portugais dans tous les pays où nous avons les uns et les autres des ambassades. Je connais et j’apprécie la tradition francophone de la diplomatie portugaise. Et je tiens à vous dire combien le dialogue avec mon homologue, M. Paulo Portas, est pour moi une source d’enrichissement et pour nos diplomaties l’occasion de construire ensemble des positions utiles à nos intérêts, à ceux de l’Europe, et pourquoi pas au monde.
À l’aube de cette année, je voudrais également vous présenter mes vœux les plus sincères, pour vous-mêmes et pour vos familles. Qu’il s’agisse de la crise de la dette européenne, du succès des transitions démocratiques dans le monde arabe ou encore de la construction d’un monde plus équilibré et plus juste, 2012 sera une nouvelle année de bouleversements et de renouvellement.
Pour relever ces défis, la France et le Portugal doivent unir leurs forces.
Notre relation, fruit d’une longue histoire commune, est une relation d’amitié et de confiance.
Cette amitié s’appuie sur le partage d’une « latinité « qui nous rapproche, mais aussi sur la vision du monde souvent similaire de deux pays habitués à entretenir des liens sur tous les continents.
Elle s’appuie également sur une profonde estime. Je voudrais dire aujourd’hui le soutien que la France apporte aux mesures courageuses et difficiles décidées par le Portugal pour tenir ses objectifs de redressement budgétaire et de désendettement. Nous avons confiance dans la capacité du Portugal à tenir sa trajectoire de réduction des déficits, qui accompagne l’effort de solidarité de 78 milliards d’euros accordé par l’Union européenne et le Fonds monétaire international en 2011. Ce message de confiance a été confirmé par la troïka Fonds monétaire international / Banque centrale européenne / Commission. C’est ce message qui compte, bien plus que celui des agences de notation.
Notre amitié s’appuie enfin sur l’engagement que nous partageons au service de la paix, de la liberté et de la démocratie. J’en veux pour preuve les efforts conjoints de nos deux pays pour favoriser l’émergence d’un vaste espace de stabilité et de sécurité dans le monde arabe.
Nul n’avait prévu le «printemps arabe», la France pas plus que d’autres pays. Mais mon pays, comme le vôtre, a très vite considéré que cet élan des peuples vers la liberté était une formidable chance. Il s’est très vite mobilisé pour l’accompagner :
- Nous avons appelé la communauté internationale à intervenir en Libye, en application du principe de responsabilité de protéger.
- Nous avons proposé notre soutien aux gouvernements engagés dans un processus de transition - je pense à la Tunisie, à l’Égypte et au Maroc.
Dans le cadre de la Présidence française du G8, nous avons lancé le Partenariat de Deauville, pour aider les pays qui mettent en œuvre des réformes politiques et économiques profondes.
Aujourd’hui, ces efforts commencent à porter leurs fruits :
- La Libye s’est libérée et la phase de reconstruction est désormais engagée.
- Sous notre impulsion commune avec nos partenaires allemands et britanniques, le Conseil de sécurité a pris des positions fermes sur la situation au Yémen, qui ont conduit les principaux acteurs à s’engager dans le plan de transition.
- Pour la première fois, des élections libres et démocratiques ont eu lieu en Tunisie, au Maroc et en Égypte. Je sais que ces élections suscitent des interrogations. Certains se demandent si les valeurs au nom desquels les peuples se sont levés constitueront bien la base des futurs régimes. D’autres craignent un retour aux errements du passé. Mais nous ne pouvons refuser à des peuples dont la voix a si longtemps été étouffée le droit d’exprimer leurs choix. Nous ne pouvons accréditer l’idée selon laquelle islam et démocratie seraient incompatibles. Nous ne pouvons admettre que les peuples arabes n’aient d’autre choix que la dictature ou l’extrémisme. Nous devons au contraire nous garder des procès d’intention et laisser aux nouveaux gouvernements, qui ont été élus pour donner corps aux aspirations des peuples à la liberté et à la démocratie, le temps de faire leurs preuves.
- Enfin, le Partenariat de Deauville est désormais pleinement opérationnel. Il constitue un atout majeur au service de l’éducation et de l’accès à l’emploi, qui sont les meilleures garanties du succès des transitions démocratiques.
Ces efforts, nous devons les poursuivre ensemble.
L’urgence, c’est que le régime syrien mette fin aux exactions odieuses qu’il continue à perpétrer contre son peuple et qui constituent un véritable crime contre l’humanité. Nous devons tout mettre en œuvre, avec nos partenaires européens et avec tous ceux qui le veulent, au premier rang desquels la Ligue arabe, pour aider l’opposition et le peuple syrien à obtenir enfin le respect de leurs droits. Le silence du Conseil de sécurité est inacceptable et nous ne nous y résignons pas.
Nous devons aussi continuer à nous engager en faveur de la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Nous l’avons fait récemment, quand nous avons répété que la colonisation devait immédiatement cesser, y compris à Jérusalem-Est.
Nous devons également poursuivre nos efforts au sein de l’Union européenne, où nous nous sommes mobilisés pour que la priorité accordée à la rive sud de la Méditerranée soit maintenue dans le cadre de la rénovation de la politique de voisinage.
Enfin, nous devons continuer à nous engager dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, pour renforcer la solidarité entre les pays du pourtour méditerranéen autour de réalisations concrètes. La France apprécie le soutien que le Portugal a toujours apporté à cette initiative, qui renouvelle le projet méditerranéen de l’Union européenne. Un nouveau secrétaire général, le Marocain Youssef Amrani, a pris ses fonctions en juillet dernier à Barcelone. Nous devons appuyer les efforts qu’il a engagés sur des projets précis : l’autoroute trans-maghrébine, le plan solaire méditerranéen, l’office méditerranéen pour la jeunesse, le soutien aux sociétés civiles et notamment aux femmes, l’appui au PME, la protection civile, etc.
Notre coordination est d’autant plus essentielle que nous devons aider l’Europe à traverser la crise sans précédent à laquelle elle est confrontée.
Membre actif de l’Union européenne et de la zone euro, le Portugal sait bien ce que la construction européenne a apporté à nos peuples : la paix, alors que nous avions connu des siècles de guerre ; la démocratie, alors que nous peinions à la construire dans nos pays ; la liberté économique et le progrès social, dans une conception humaniste que nous voulons préserver ; la liberté de circulation des hommes et des femmes, dont le Portugal sait mieux que tout autre combien elle est essentielle.
Aujourd’hui, l’Union européenne est à la croisée des chemins. La conviction du gouvernement français, c’est que si nous voulons surmonter la crise et garantir la poursuite du projet européen, nous avons besoin de nouveaux sauts d’intégration, d’approfondissement et de gouvernance. Nous avons besoin de plus d’Europe.
Cela vaut naturellement pour la zone euro. Avec l’Allemagne, nous avons proposé en décembre l’idée d’un nouveau traité sur l’union économique renforcée. Cette démarche était ouverte à tous. Face à la crise, nous avons en effet besoin de tous ceux qui, comme le Portugal, ont depuis leur adhésion pleinement joué le jeu d’une intégration européenne accrue, avec la conviction que nous devons avancer sans niveler les ambitions sur celles du moins disant. Le Royaume-Uni a refusé cette approche, en demandant à amputer le marché intérieur de la régulation des services financiers. Ce n’était pas acceptable. Nous le regrettons, mais nous constatons que nous avons été 26 à demander - ou à ne pas nous opposer - à ce que nous allions de l’avant.
Le projet de traité qui a été présenté par Herman van Rompuy est une proposition équilibrée, une bonne base de travail. Nous plaidons pour qu’il soit finalisé dès que possible en vue du Conseil européen du 30 janvier :
- Avec un gouvernement économique pour la zone euro ;
- Avec un volet de croissance et de convergence ;
- Et avec des règles de responsabilité budgétaire, ce qu’il est convenu d’appeler la règle d’or d’équilibre budgétaire et les sanctions en cas de non respect de ces règles, sauf majorité qualifiée opposée au Conseil.
Ce traité viendra compléter les éléments de la réponse globale de l’Europe à la crise de la dette, qu’il s’agisse des plans d’aide à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal, de la création du mécanisme de solidarité, des nouvelles règles de gouvernance et d’équilibre budgétaire, ou du «pacte pour l’euro plus» pour la croissance, la convergence et la compétitivité.
Restent les questions de la Banque centrale européenne et des eurobonds.
- Sur la Banque centrale européenne, notre ligne est claire et partagée par Berlin. La Banque centrale est indépendante. Il ne nous revient pas de dire ce qu’elle doit faire ou ne pas faire. Nous savons pouvoir compter sur elle pour prendre ses responsabilités, comme elle l’a toujours fait.
- Sur les eurobonds, nous devons faire preuve de réalisme. Une mutualisation des dettes des pays de la zone euro ne sera réalisable qu’au terme d’un processus d’intégration économique et budgétaire, pas avant d’avoir établi des règles communes de désendettement et de retour à l’équilibre budgétaire. Notre objectif commun, c’est de tenir ces engagements de réduction des déficits pour retrouver ensemble la maîtrise de notre destin, de nos choix et de notre indépendance.
Plus d’Europe, c’est aussi ce dont nous avons besoin pour l’espace Schengen. Il ne s’agit pas de construire une Europe forteresse. Il s’agit de construire une Europe qui contrôle effectivement ses frontières extérieures afin de préserver la libre circulation de ses citoyens.
Les crises migratoires de 2011 l’ont montré, notamment à la frontière gréco-turque et à Lampedusa : nous avons besoin d’un pilotage plus politique, plus clair, plus réactif et plus efficace de l’espace Schengen. C’est le sens des propositions que nous avons présentées en décembre dernier pour renforcer l’agence FRONTEX, pour disposer de clauses de sauvegardes en matière de visas et de rétablissement, dans certains cas précis et encadrés, des contrôles aux frontières intérieures, et pour renforcer le système d’évaluation Schengen.
Plus d’Europe, c’est enfin ce dont nous avons besoin pour nous affirmer davantage sur la scène internationale. C’est la raison pour laquelle nous devons dynamiser le Service européen d’action extérieure (SEAE) et utiliser tous les outils du Traité de Lisbonne, notamment pour faire avancer la politique de sécurité et de défense commune.
Cette politique, 2011 en a montré les limites, notamment en Libye. Mais 2011 a aussi montré l’efficacité des instruments dont elle dispose. Je pense notamment aux sanctions. Elles ont été décisives pour la chute de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Elles ont permis à l’Union européenne de faire pression sur la Syrie quand le Conseil de sécurité restait paralysé. Elles sont plus que jamais nécessaires en Iran, notamment sur le secteur pétrolier et financier, face à la poursuite d’un programme nucléaire dont il est clair qu’il n’a pas de finalité civile.
Lors du Conseil du 1er décembre dernier, nous avons pu tracer une feuille de route sur la politique de sécurité et de défense commune. Cela nous a permis de maintenir sur la table l’idée de capacité permanente européenne de planification et de conduite d’opérations. Cela nous permet surtout d’avancer sur les opérations et sur les projets concrets de mutualisation et de partage des capacités identifiés par l’Agence européenne de Défense. La France compte sur le Portugal pour soutenir les futures opérations de politique de sécurité et de défense commune : au Sahel, pour renforcer les capacités régionales de lutte contre Al Qaïda au Maghreb islamique, et dans la Corne de l’Afrique, pour renforcer les capacités maritimes régionales de lutte contre la piraterie, en appui de l’opération Atalante.
Outre ces trois dossiers, nous avons cette année un défi particulier à relever ensemble : la négociation des prochaines perspectives financières pour 2014/2020. Nous y parviendrons d’autant mieux que le Portugal et la France partagent la même ambition : faire en sorte que l’Europe ne dépense pas plus, mais mieux.
Le budget de l’Union européenne ne peut pas s’exonérer des efforts de maîtrise budgétaire engagés par les États membres. Dans cet esprit, la Commission a proposé une stabilisation des dépenses de la Politique agricole commune au niveau de 2013. C’est pour nous un minimum. L’essentiel de l’effort de stabilisation ne saurait porter sur la seule Politique agricole commune.
Sur les ressources, nous devrons travailler à un système moins complexe que les rabais empilés. La France souhaite notamment que nous avancions sur la directive présentée en septembre dernier pour créer une taxe sur les transactions financières, dont une partie pourrait être affectée au budget communautaire.
Cette Europe plus intégrée, plus unie et plus forte que nous appelons de nos vœux est indispensable. Dans un monde désormais multipolaire, elle doit trouver toute sa place aux côtés des nouvelles puissances qui s’affirment chaque jour davantage.
Le Portugal est bien placé pour le savoir, lui qui dispose avec la lusophonie d’un espace de solidarité intercontinental très comparable à ce qu’est la francophonie pour la France et l’hispanité pour l’Espagne. Nous savons la richesse et la diversité du monde. Nous savons que notre avenir se jouera aussi sur les autres continents.
Je pense d’abord à l’Afrique, qui comptera demain un quart de l’humanité et qui est aujourd’hui devenue un acteur global sur la scène internationale.
Nous le savons tous, le continent africain est confronté à des défis majeurs :
Défi de la démocratie - des progrès significatifs on été réalisés en 2011, en Côte d’Ivoire, au Sud-Soudan, au Niger, en Guinée ou à Madagascar, mais l’année 2012 sera également marquée par des échéances déterminantes, au premier rang desquelles les élections au Sénégal.
Défi de la progression de l’État de droit - je voudrais saluer le projet engagé par les pays européens pour accompagner les autorités de Guinée Bissau dans la réforme de leur système de sécurité. Les événements qui se sont produits à Bissau fin décembre montrent que ces efforts doivent être poursuivis.
Défi de la sécurité - je pense au terrorisme, à la piraterie et aux trafics en tout genre, notamment celui de la drogue en Afrique de l’ouest, face auxquels l’Union européenne est pleinement mobilisée, en étroite coordination avec les pays des régions concernés.
Défi du développement - en 2010, sous Présidence française, les pays membres du G20 n’ont pas ménagé leurs efforts pour lutter contre la famine dans la corne de l’Afrique et aider le continent africain à avancer vers les objectifs du millénaire pour le développement
Défi écologique, enfin, sur un continent particulièrement menacé par le réchauffement climatique et la désertification.
Pour aider l’Afrique à relever ces défis, la France est déterminée à travailler avec l’ensemble des pays africains : les pays francophones, bien sûr, auxquels nous unit une relation ancienne et profonde, mais aussi les puissances émergentes du continent, comme le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie - je me suis rendu dans ces 3 pays en 2010 - ou encore l’Angola.
La France est également déterminée à soutenir les efforts d’intégration du continent africain. Je pense avant tout à l’Union africaine, qui s’est affirmée en moins de 10 ans comme un acteur incontournable et symbolise aujourd’hui la diversité, la force et la richesse de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle, comme le Portugal, nous sommes attachés au respect du multilinguisme, dans cette enceinte comme au sein des autres organisations régionales. Nous avons exprimé notre tristesse lors de la récente disparition de Cesaria Evora, dont l’œuvre contribue au rayonnement de la lusophonie partout dans le monde.
Pour relever les défis auxquels elle est confrontée, l’Afrique doit aussi s’exprimer pleinement au sein de la gouvernance mondiale.
Nous l’avons vu au Sommet de Cannes : le continent africain occupe aujourd’hui toute sa place au sein du G20. Nous avons en effet veillé à ce qu’il soit représenté dans toute sa diversité : à travers l’Afrique du Sud, membre permanent, symbole de l’émergence, à travers la présidence en exercice de l’Union africaine et à travers l’Éthiopie, qui préside le comité d’organisation du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique et porte la voix des pays les plus pauvres.
L’Afrique doit également trouver toute sa place au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Bien sûr, avec trois membres non permanents, le continent n’en est pas absent. Mais le Conseil de sécurité, créé en 1945 et réformé pour la dernière fois en 1963, doit mieux refléter la réalité du monde d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle la France plaide pour son élargissement, et notamment pour l’attribution de nouveaux sièges à l’Afrique, dans les deux catégories de membres.
Enfin, l’Afrique doit pouvoir trouver toute sa place dans la nouvelle gouvernance mondiale de l’environnement que la France appelle de ses vœux. La Conférence de Rio + 20 nous permettra de franchir une étape majeure en ce sens, avec la création d’une organisation mondiale de l’environnement, située à Nairobi.
Dans le monde multipolaire qui se dessine sous nos yeux, les pays émergents doivent aussi pouvoir pleinement jouer leur rôle.
L’émergence est une réalité incontournable : aujourd’hui, 2 des 3 plus grandes économies mondiales sont asiatiques, le Brésil se classe au 7e rang et l’ensemble de l’Amérique latine connaît depuis 10 ans une croissance soutenue d’environ 6 % par an.
Nous ne pouvons nier que ce phénomène bouscule nos acquis. Mais trop souvent, l’émergence est perçue comme un danger pour l’Europe. Trop souvent, l’opinion publique se laisse séduire par les sirènes du déclinisme. Les récents débats sur la contribution de la Chine à la résolution de la crise de la zone euro en sont la meilleure illustration. Contrairement aux idées qui circulent parfois dans les médias, la participation chinoise à la stabilisation financière de la zone euro n’est pas le fruit d’une stratégie prédatrice. Elle est le reflet d’interdépendances croissantes. Si la Chine s’engage, c’est parce qu’il est dans son intérêt bien compris de contribuer à la prospérité de son premier partenaire commercial.
La réalité, en effet, c’est que l’émergence représente avant tout la sortie de la misère pour des centaines de millions d’êtres humains. Elle constitue une opportunité sans précédent pour nos économies : l’opportunité d’accéder à des marchés potentiels de plusieurs centaines de millions de consommateurs, l’opportunité de trouver de nouveaux terrains d’investissements et de nouveaux viviers de coopération scientifique et intellectuelle, l’opportunité de développer un dialogue d’égal à égal entre les civilisations, meilleur rempart contre l’extrémisme et le repli sur soi.
Ces opportunités, nous devons les saisir. Nous devons construire avec les pays émergents une relation équilibrée et responsable qui profite à tous.
Une relation équilibrée, cela suppose de repenser les rapports entre les émergents et l’Europe. Face à la Chine, l’Inde ou le Brésil, l’Union européenne avance trop souvent en ordre divisé. Ne nous y trompons pas, si nous voulons être crédibles, c’est bien à l’échelle européenne que doit être conçu notre dialogue avec ces pays. Notre priorité, c’est de nous entendre sur nos objectifs et nos stratégies
Au cœur de ces stratégies, nous devons placer le principe de réciprocité. Je pense en particulier aux accords de libre-échange que nous négocions avec les pays émergents et dans lesquels le respect de règles partagées par tous est essentiel, notamment en matière d’accès aux marchés publics et de respect de la propriété intellectuelle.
Nous devons aussi relever le défi que l’émergence lance à nos propres modèles et conduire en interne les réformes nécessaires pour renforcer notre compétitivité. Plus que jamais, une politique industrielle déterminée et des investissements massifs en recherche et développement s’imposent.
Une relation responsable, cela suppose d’accepter de donner aux émergents la place qui leur revient dans la gouvernance mondiale, tout en les encourageant à prendre leurs responsabilités.
La France s’est fortement engagée pour faire évoluer le système international hérité de 1945 et permettre aux pays émergents de s’y impliquer davantage. Je pense à la création du G20, à l’appui sans ambigüité que nous apportons à l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies et à notre position ouverte sur la réforme des droits de vote au Fonds monétaire international.
Dans ces enceintes rénovées, nous ne cherchons pas à imposer nos valeurs et nos intérêts, au risque de passer pour des donneurs de leçons. Nous cherchons à convaincre que face à défis globaux comme le développement durable, la protection de l’environnement et le réchauffement climatique, nous devons conjuguer nos efforts. Nous avons pour cela une réelle légitimité. En Europe, nous avons su construire un modèle coopératif qui a assuré à notre continent une paix et une prospérité sans précédent dans l’histoire du monde. À nous de faire rayonner ce modèle. Notre politique culturelle est à cet égard un atout majeur. Elle démontre que la mondialisation n’est pas synonyme d’uniformisation. Elle contribue au débat d’idées qui agite les pays émergents. Elle doit également à attirer en Europe les étudiants et les chercheurs de ces pays et nous aider à resserrer les liens entre nos peuples.
Mesdames, Messieurs,
Patrie de navigateurs, d’explorateurs et de voyageurs, le Portugal a toujours été une terre d’audace, de modernité et d’ouverture au monde. Depuis son adhésion à Communauté économique européenne, il a toujours fait la preuve de son volontarisme et de son ambition pour l’Europe. Fidèle à l’esprit de la «révolution des œillets», il a à cœur de porter au monde le message humaniste de notre continent.
Aujourd’hui plus que jamais, à l’aube d’une année qui s’annonce cruciale pour nos pays, pour l’Europe et pour le monde, nous avons besoin de cette ouverture au monde, de cette ambition et de cette détermination.
Forts de notre engagement commun en faveur de la paix, de la démocratie et de la liberté, confiants dans la capacité de l???Europe à surmonter la crise, convaincus de la nécessité d’agir pour un monde plus équilibré où chacun puisse trouver sa place, sachons unir nos efforts au service de la vision que nous avons en partage.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 2012