Texte intégral
Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de vous rencontrer et très surpris de vous voir aussi nombreux - cest une agréable surprise - dans cette pièce et dans ce palais qui sont dédiés essentiellement à la musique. Je ne jouerai daucun instrument de musique car jen serais tout à fait incapable. Je préfère écouter !
Je ne vais pas revenir sur la journée dhier passée à Tunis, ni sur les rencontres que jai pu avoir avec toutes les autorités tunisiennes : le président de la République, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et, bien sûr, le président de lAssemblée constituante. Jai eu loccasion, au cours de ces entretiens, de renouveler la confiance de la France dans la Tunisie et dans le processus de transition démocratique actuellement en cours ; Confiance mais aussi soutien qui se manifeste sur tous les plans : sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan culturel. Si vous voulez, je répondrai à vos différentes questions sur les sujets que nous avons évoqués.
Ce matin, jai souhaité avoir un contact, certes rapide mais je crois très fructueux, avec les différents aspects de la société tunisienne, de sa société civile, du monde du travail. Jai commencé par la visite dune entreprise tunisienne à capitaux français, Cahors, qui donne, je crois, un bon exemple de ce que peut être un investissement mutuellement intéressant pour la France et la Tunisie, puisque cette entreprise qui fabrique des coffrets de compteur électrique pour les grandes entreprises tunisiennes, en sinstallant ici, crée des emplois en Tunisie - une cinquantaine, si je me souviens bien - mais elle crée aussi des emplois en France puisquelle importe une partie de ses matières premières de France. Cest donc là une opération mutuellement avantageuse. Investir en Tunisie, ce nest pas forcément délocaliser des établissements industriels venus de France mais au contraire rechercher une complémentarité.
Jai tenu ensuite à avoir des contacts avec le tissu associatif tunisien dont je constate quil est très riche et quil se développe très vite depuis plusieurs mois. Je pense en effet que la démocratie, ce sont dabord des élections libres et transparentes mais cest aussi une culture qui sacquiert grâce au développement du réseau associatif.
Lassociation «Amal», qui ma accueilli dans ses locaux, aide les mères célibataires. Cest un beau combat et jai pu rencontrer à cette occasion dautres associations. Vous le savez sans doute, lambassade de France a organisé lannée dernière un forum consacré au tissu associatif et à la société civile. Cela a été un grand succès et nous allons poursuivre cette année avec un nouveau forum, au mois de mars je crois, qui nous permettra de réunir des associations tunisiennes mais aussi de les mettre en contact avec les associations françaises.
La troisième étape de cette matinée a été consacrée à lhistoire longue, si je puis dire. Carthage est un site que je connaissais déjà mais jai été très impressionné par lhomme de Byrsa qui a été reconstitué à la suite de la découverte archéologique que vous connaissez.
Puis je suis venu ici, à Sidi Bou Saïd, dabord parce cest un lieu magnifique qui mérite toujours la visite. Aussi, cela a été pour moi loccasion de réaffirmer la confiance de la France dans les possibilités touristiques de la Tunisie. Je sais que le tourisme est un des piliers de léconomie tunisienne. Il a souffert, depuis un an, pour des raisons évidentes mais je pense quaujourdhui, toutes les conditions de son redémarrage sont réunies. Jai rencontré quelques touristes français et jespère que la prochaine saison estivale permettra le redémarrage du tourisme. Des mesures conjoncturelles sont nécessaires pour relancer cette activité touristique mais aussi, jen ai parlé hier avec les responsables tunisiens, des réformes structurelles. La France est prête à coopérer avec les responsables tunisiens pour développer de nouveaux produits qui correspondent mieux à lattente des touristes qui sintéressent à cette région. Voilà donc relatées, aussi précisément que possible, les activités de la matinée.
Je voudrais aussi insister sur la dimension artistique et culturelle de ces quelques instants passés ici, à Sidi Bou Saïd, dabord dans une galerie dart contemporain et puis ici, dans ce magnifique palais transformé en musée. Je crois que pour bien comprendre les évolutions dune société, il faut connaître son activité artistique qui est très souvent à lavant-garde de ces évolutions. Je crois que lart contemporain peut être aussi un signal intéressant.
Je repars dans quelques instants vers la France avec confiance dans lavenir de la Tunisie. Je ne sous-estime pas les défis considérables que la Tunisie, ses autorités, son peuple vont avoir à relever dans les mois qui viennent. Il sagit principalement des défis économiques et sociaux, bien sûr, mais je pense quil y a suffisamment dénergie, dans cette société, pour les relever. Jai été très impressionné, en particulier, par la place quoccupent les femmes dans la société tunisienne et dans la vie associative tunisienne, au sein de ce processus de démocratisation de la Tunisie. Je souhaite donc la meilleure chance possible au peuple tunisien qui est pour la France, vous le savez, un peuple ami.
Q - On voit en France une montée de lextrême droite. Avez-vous évoqué avec les responsables tunisiens un plan daction pour réduire le malentendu et la confusion autour de lislam ?
R - La montée de lextrémisme que vous soulignez nest pas un phénomène propre à la France. On la retrouve dans beaucoup dautres pays européens, peut-être aussi dans des pays extra-européens, je pense à lAmérique du Nord. Aucun grand pays démocratique nest à labri de cette tendance qui traduit la peur face aux transformations du monde. Nous vivons dans un monde nouveau et la nouveauté fait peur, doù ces réactions de repli et de méfiance vis-à-vis de lautre. Il faut combattre cette tendance dans nos sociétés respectives et la seule façon de les combattre, cest léducation, la pédagogie et lexplication des réalités du monde dans lequel nous sommes. Ce travail dexplication et de pédagogie, nous devons le faire ensemble, dans un dialogue entre les cultures, entre les civilisations, entre les religions peut-être.
Je ne peux pas en effet accepter lidée quil y aurait une sorte de contradiction de fond entre islam et démocratie. Lislam est une religion diverse, avec des sensibilités diverses. Il y a des extrémistes, comme dans dautres religions. Je nen citerai pas quelques unes mais on les voit à luvre aujourdhui même. Et puis il y a des interlocuteurs qui partagent pour lessentiel nos valeurs démocratiques ; on les appelle souvent «modérés». Je ne sais pas si ce mot convient mais cest, je crois, avec eux quil faut continuer le dialogue et lexplication comme je lai fait.
Je vous rappelle que lune des premières initiatives que jai prises quand jai été nommé à nouveau ministre des Affaires étrangères a été dorganiser un colloque à lInstitut du monde arabe, précisément pour favoriser le dialogue entre un certain nombre de responsables français, de représentants de la société civile française et des responsables venus dÉgypte, de Libye, de Syrie et de Tunisie, bien entendu. Cela a même été mon premier contact avec les responsables dEn-Nahdha et vous voyez que nous allons continuer dans cette voie.
Q - Je voudrais savoir quel accueil vous avez reçu au cours de cette visite et ne pensez-vous pas que la France pourrait perdre du terrain par rapport aux nouvelles alliances qui sont en train de naître entre la Tunisie et des pays arabes ?
R - En ce qui concerne laccueil, je nai quune expression : exceptionnellement chaleureux. On mavait dit que les Tunisiens allaient peut-être bouder. Eh bien pas du tout, jai été à tous les niveaux reçu avec énormément de sympathie et surtout de volonté de coopération. Partout, on ma dit que la France est aujourdhui lun des premiers, peut-être le premier partenaire économique de la Tunisie et nous avons lintention de continuer dans cette voie ; cest aussi notre intention. De ce point de vue, je crois donc quil ny a aucune espèce dambiguïté.
Pour le reste, nous navons pas vocation au monopole ; nous sommes dans un monde de concurrence. Nous ne sommes pas les seuls, il y en a dautres qui sintéressent à la Tunisie et la Tunisie sintéresse légitimement à dautres partenaires. Cest tout à fait normal et il nous appartient simplement de mériter notre première place et de faire en sorte que nous soyons aussi bons, sinon meilleurs que les autres.
Q -(Sur lavenir des relations bilatérales, laccueil des étudiants tunisiens en France et linvestissement français en Tunisie)
R - Je vous ai dit comment les choses sétaient passées, avec une volonté, partagée par la partie tunisienne et par la partie française, daller de lavant dans une coopération extrêmement étroite pour des raisons historiques, géographiques, culturelles, linguistiques... Bref, nous avons de multiples raisons de travailler ensemble et ceci ne fait pas débat aujourdhui entre nous.
Sagissant des étudiants, je voudrais rappeler que la France est, si je me souviens bien, le troisième pays daccueil au monde pour les étudiants étrangers. Donc, cette idée que la France est un pays fermé ne correspond pas à la réalité. Il y a de très nombreux étudiants tunisiens en France - 5.000, je crois - et lambassadeur me faisait même remarquer quils sont parmi les plus performants des étudiants étrangers en France et quils réussissent très bien dans les concours les plus difficiles. Vous voyez donc que la France est heureuse de les accueillir. Il y a eu cette circulaire du ministère de lIntérieur que vous évoquez, qui était sans doute rédigée de manière non appropriée ; elle a été modifiée de façon à permettre à ceux des étudiants qui souhaitent prolonger leur séjour en France par un emploi de le faire dans des conditions qui ont été clarifiées. Je crois que de ce côté-là aussi les malentendus sont dissipés.
Concernant linvestissement étranger, nous sommes le premier investisseur en Tunisie et nous allons, je lespère, continuer. Nous incitons nos entreprises à venir. Il y a 1 200 ou 1 300 entreprises françaises qui sont installées ici : des grandes, des petites et des moyennes. Je pense que les petites et les moyennes entreprises sont très importantes parce quelles sont plus créatrices demplois. Il faut les inciter à venir en Tunisie, ce qui suppose un environnement juridique, économique et social stable ; les entreprises qui sinstallent ont besoin de cela.
Nous avons évoqué quelques cas de mouvements sociaux. À lheure actuelle, une médiation des autorités tunisiennes devrait sans doute permettre de régler les problèmes et stabiliser nos entreprises. On me faisait remarquer aussi que très peu dentreprises françaises sont parties après les événements de la Révolution et que la plupart souhaitent poursuivre leur activité ; je lai observé ce matin encore en visitant lentreprise Cahors.
Jai parlé du tourisme dans mon propos. Jai fait du tourisme ce matin et je suis un exemple, je crois, de touriste français. Les Français en général aiment la Tunisie ; ils en connaissent les beautés naturelles, patrimoniales et je suis convaincu quaprès cette période dinquiétude qui est bien compréhensible, le tourisme redémarrera. En tout cas, nous incitons nos concitoyens à reprendre la direction de la Tunisie.
Q - Quavez-vous à dire aux Tunisiens pour le premier anniversaire du 14 janvier 2011 ? Et quand vous parlez de la confiance de la France dans la Tunisie, il y a beaucoup dentreprises françaises qui ont quitté la Tunisie
R - Je disais tout à lheure le contraire. Je parle sur la foi de ce que me dit lambassadeur qui doit être bien informé. Selon lui, peu dentreprises françaises sont parties. Il y en a quelques unes, bien sûr, mais il y en a peu et nous souhaitons que les conditions soient réunies pour que celles qui sont là restent et que dautres viennent.
À loccasion de lanniversaire de la Révolution, le message est clair : cest un message de confiance. Nous sommes heureux de voir que des valeurs qui nous sont chères - la démocratie, lÉtat de droit, les libertés publiques et les libertés privées, le respect des minorités, le respect de la femme, de la dignité de la femme et de la place de la femme dans la société sont des valeurs partagées.
Hier, jai rencontré des responsables du parti En-Nahdha qui pèse le plus lourd dans la coalition. Nous avons eu cette conversation et, sur ces principes-là, nous nous sommes retrouvés.
Q - Le député français Bernard Debré a adressé le 2 janvier une lettre ouverte au président Marzouki en lui reprochant davoir évoqué le colonialisme. Quelle est la position officielle française ?
R - Je ne commente pas les propos dun parlementaire français. Les parlementaires sont libres, ils nengagent pas le gouvernement français.
Quant au colonialisme, si lon pouvait sortir du passé pour entrer dans le présent, ou même dans lavenir, ce serait bien ! Ne vivons pas au XXème siècle, essayons de nous projeter sur le XXIème siècle. Je crois que cest cela qui intéresse la jeunesse tunisienne plutôt que de ressasser les vieux souvenirs.
Q - Ismaïl Haniyeh se trouve actuellement en Tunisie. Quelle est votre position sur la situation au Proche-Orient et sur la crise en Syrie ?
R - Ce sont des questions qui mériteraient beaucoup de temps. Très brièvement, sur la situation entre Israël et la Palestine, vous connaissez la position française : il ny a pas dautre solution que daller vers deux États pour deux peuples et la seule façon dy parvenir cest de reprendre des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens. Nous allons continuer à agir dans cette direction. Il y a, en ce moment même, des contacts en Jordanie, à Amman, et jespère quils permettront davancer.
En ce qui concerne la Syrie, cela fait des mois et des mois que la France a condamné la répression exercée par le régime qui est une des plus brutales, des plus sanglantes, des plus barbares qui se soient déchaînées au cours des dernières années : plus de 5.000 morts, des tortures, des prisonniers en très grand nombre, des blessés aussi. Nous navons pas pu jusquà présent obtenir que le Conseil de sécurité condamne cette répression parce que, malheureusement, certains membres permanents opposent leur veto à une telle résolution.
Nous soutenons aujourdhui linitiative de la Ligue arabe qui a envoyé sur le terrain des observateurs avec des objectifs précis : larrêt des combats, le retour de larmée syrienne dans ses casernes, laccès libre des médias internationaux à la Syrie pour quils puissent rendre compte de ce quil sy passe. Nous constatons, aujourdhui, que la mission dobservation nest pas en mesure de faire ce travail. Je crois que lobjectif de la Ligue arabe est de se donner les moyens dy parvenir, de renforcer cette mission et nous allons soutenir ce renforcement pour que cette répression puisse sarrêter le plus vite possible.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2012
Je ne vais pas revenir sur la journée dhier passée à Tunis, ni sur les rencontres que jai pu avoir avec toutes les autorités tunisiennes : le président de la République, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et, bien sûr, le président de lAssemblée constituante. Jai eu loccasion, au cours de ces entretiens, de renouveler la confiance de la France dans la Tunisie et dans le processus de transition démocratique actuellement en cours ; Confiance mais aussi soutien qui se manifeste sur tous les plans : sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan culturel. Si vous voulez, je répondrai à vos différentes questions sur les sujets que nous avons évoqués.
Ce matin, jai souhaité avoir un contact, certes rapide mais je crois très fructueux, avec les différents aspects de la société tunisienne, de sa société civile, du monde du travail. Jai commencé par la visite dune entreprise tunisienne à capitaux français, Cahors, qui donne, je crois, un bon exemple de ce que peut être un investissement mutuellement intéressant pour la France et la Tunisie, puisque cette entreprise qui fabrique des coffrets de compteur électrique pour les grandes entreprises tunisiennes, en sinstallant ici, crée des emplois en Tunisie - une cinquantaine, si je me souviens bien - mais elle crée aussi des emplois en France puisquelle importe une partie de ses matières premières de France. Cest donc là une opération mutuellement avantageuse. Investir en Tunisie, ce nest pas forcément délocaliser des établissements industriels venus de France mais au contraire rechercher une complémentarité.
Jai tenu ensuite à avoir des contacts avec le tissu associatif tunisien dont je constate quil est très riche et quil se développe très vite depuis plusieurs mois. Je pense en effet que la démocratie, ce sont dabord des élections libres et transparentes mais cest aussi une culture qui sacquiert grâce au développement du réseau associatif.
Lassociation «Amal», qui ma accueilli dans ses locaux, aide les mères célibataires. Cest un beau combat et jai pu rencontrer à cette occasion dautres associations. Vous le savez sans doute, lambassade de France a organisé lannée dernière un forum consacré au tissu associatif et à la société civile. Cela a été un grand succès et nous allons poursuivre cette année avec un nouveau forum, au mois de mars je crois, qui nous permettra de réunir des associations tunisiennes mais aussi de les mettre en contact avec les associations françaises.
La troisième étape de cette matinée a été consacrée à lhistoire longue, si je puis dire. Carthage est un site que je connaissais déjà mais jai été très impressionné par lhomme de Byrsa qui a été reconstitué à la suite de la découverte archéologique que vous connaissez.
Puis je suis venu ici, à Sidi Bou Saïd, dabord parce cest un lieu magnifique qui mérite toujours la visite. Aussi, cela a été pour moi loccasion de réaffirmer la confiance de la France dans les possibilités touristiques de la Tunisie. Je sais que le tourisme est un des piliers de léconomie tunisienne. Il a souffert, depuis un an, pour des raisons évidentes mais je pense quaujourdhui, toutes les conditions de son redémarrage sont réunies. Jai rencontré quelques touristes français et jespère que la prochaine saison estivale permettra le redémarrage du tourisme. Des mesures conjoncturelles sont nécessaires pour relancer cette activité touristique mais aussi, jen ai parlé hier avec les responsables tunisiens, des réformes structurelles. La France est prête à coopérer avec les responsables tunisiens pour développer de nouveaux produits qui correspondent mieux à lattente des touristes qui sintéressent à cette région. Voilà donc relatées, aussi précisément que possible, les activités de la matinée.
Je voudrais aussi insister sur la dimension artistique et culturelle de ces quelques instants passés ici, à Sidi Bou Saïd, dabord dans une galerie dart contemporain et puis ici, dans ce magnifique palais transformé en musée. Je crois que pour bien comprendre les évolutions dune société, il faut connaître son activité artistique qui est très souvent à lavant-garde de ces évolutions. Je crois que lart contemporain peut être aussi un signal intéressant.
Je repars dans quelques instants vers la France avec confiance dans lavenir de la Tunisie. Je ne sous-estime pas les défis considérables que la Tunisie, ses autorités, son peuple vont avoir à relever dans les mois qui viennent. Il sagit principalement des défis économiques et sociaux, bien sûr, mais je pense quil y a suffisamment dénergie, dans cette société, pour les relever. Jai été très impressionné, en particulier, par la place quoccupent les femmes dans la société tunisienne et dans la vie associative tunisienne, au sein de ce processus de démocratisation de la Tunisie. Je souhaite donc la meilleure chance possible au peuple tunisien qui est pour la France, vous le savez, un peuple ami.
Q - On voit en France une montée de lextrême droite. Avez-vous évoqué avec les responsables tunisiens un plan daction pour réduire le malentendu et la confusion autour de lislam ?
R - La montée de lextrémisme que vous soulignez nest pas un phénomène propre à la France. On la retrouve dans beaucoup dautres pays européens, peut-être aussi dans des pays extra-européens, je pense à lAmérique du Nord. Aucun grand pays démocratique nest à labri de cette tendance qui traduit la peur face aux transformations du monde. Nous vivons dans un monde nouveau et la nouveauté fait peur, doù ces réactions de repli et de méfiance vis-à-vis de lautre. Il faut combattre cette tendance dans nos sociétés respectives et la seule façon de les combattre, cest léducation, la pédagogie et lexplication des réalités du monde dans lequel nous sommes. Ce travail dexplication et de pédagogie, nous devons le faire ensemble, dans un dialogue entre les cultures, entre les civilisations, entre les religions peut-être.
Je ne peux pas en effet accepter lidée quil y aurait une sorte de contradiction de fond entre islam et démocratie. Lislam est une religion diverse, avec des sensibilités diverses. Il y a des extrémistes, comme dans dautres religions. Je nen citerai pas quelques unes mais on les voit à luvre aujourdhui même. Et puis il y a des interlocuteurs qui partagent pour lessentiel nos valeurs démocratiques ; on les appelle souvent «modérés». Je ne sais pas si ce mot convient mais cest, je crois, avec eux quil faut continuer le dialogue et lexplication comme je lai fait.
Je vous rappelle que lune des premières initiatives que jai prises quand jai été nommé à nouveau ministre des Affaires étrangères a été dorganiser un colloque à lInstitut du monde arabe, précisément pour favoriser le dialogue entre un certain nombre de responsables français, de représentants de la société civile française et des responsables venus dÉgypte, de Libye, de Syrie et de Tunisie, bien entendu. Cela a même été mon premier contact avec les responsables dEn-Nahdha et vous voyez que nous allons continuer dans cette voie.
Q - Je voudrais savoir quel accueil vous avez reçu au cours de cette visite et ne pensez-vous pas que la France pourrait perdre du terrain par rapport aux nouvelles alliances qui sont en train de naître entre la Tunisie et des pays arabes ?
R - En ce qui concerne laccueil, je nai quune expression : exceptionnellement chaleureux. On mavait dit que les Tunisiens allaient peut-être bouder. Eh bien pas du tout, jai été à tous les niveaux reçu avec énormément de sympathie et surtout de volonté de coopération. Partout, on ma dit que la France est aujourdhui lun des premiers, peut-être le premier partenaire économique de la Tunisie et nous avons lintention de continuer dans cette voie ; cest aussi notre intention. De ce point de vue, je crois donc quil ny a aucune espèce dambiguïté.
Pour le reste, nous navons pas vocation au monopole ; nous sommes dans un monde de concurrence. Nous ne sommes pas les seuls, il y en a dautres qui sintéressent à la Tunisie et la Tunisie sintéresse légitimement à dautres partenaires. Cest tout à fait normal et il nous appartient simplement de mériter notre première place et de faire en sorte que nous soyons aussi bons, sinon meilleurs que les autres.
Q -(Sur lavenir des relations bilatérales, laccueil des étudiants tunisiens en France et linvestissement français en Tunisie)
R - Je vous ai dit comment les choses sétaient passées, avec une volonté, partagée par la partie tunisienne et par la partie française, daller de lavant dans une coopération extrêmement étroite pour des raisons historiques, géographiques, culturelles, linguistiques... Bref, nous avons de multiples raisons de travailler ensemble et ceci ne fait pas débat aujourdhui entre nous.
Sagissant des étudiants, je voudrais rappeler que la France est, si je me souviens bien, le troisième pays daccueil au monde pour les étudiants étrangers. Donc, cette idée que la France est un pays fermé ne correspond pas à la réalité. Il y a de très nombreux étudiants tunisiens en France - 5.000, je crois - et lambassadeur me faisait même remarquer quils sont parmi les plus performants des étudiants étrangers en France et quils réussissent très bien dans les concours les plus difficiles. Vous voyez donc que la France est heureuse de les accueillir. Il y a eu cette circulaire du ministère de lIntérieur que vous évoquez, qui était sans doute rédigée de manière non appropriée ; elle a été modifiée de façon à permettre à ceux des étudiants qui souhaitent prolonger leur séjour en France par un emploi de le faire dans des conditions qui ont été clarifiées. Je crois que de ce côté-là aussi les malentendus sont dissipés.
Concernant linvestissement étranger, nous sommes le premier investisseur en Tunisie et nous allons, je lespère, continuer. Nous incitons nos entreprises à venir. Il y a 1 200 ou 1 300 entreprises françaises qui sont installées ici : des grandes, des petites et des moyennes. Je pense que les petites et les moyennes entreprises sont très importantes parce quelles sont plus créatrices demplois. Il faut les inciter à venir en Tunisie, ce qui suppose un environnement juridique, économique et social stable ; les entreprises qui sinstallent ont besoin de cela.
Nous avons évoqué quelques cas de mouvements sociaux. À lheure actuelle, une médiation des autorités tunisiennes devrait sans doute permettre de régler les problèmes et stabiliser nos entreprises. On me faisait remarquer aussi que très peu dentreprises françaises sont parties après les événements de la Révolution et que la plupart souhaitent poursuivre leur activité ; je lai observé ce matin encore en visitant lentreprise Cahors.
Jai parlé du tourisme dans mon propos. Jai fait du tourisme ce matin et je suis un exemple, je crois, de touriste français. Les Français en général aiment la Tunisie ; ils en connaissent les beautés naturelles, patrimoniales et je suis convaincu quaprès cette période dinquiétude qui est bien compréhensible, le tourisme redémarrera. En tout cas, nous incitons nos concitoyens à reprendre la direction de la Tunisie.
Q - Quavez-vous à dire aux Tunisiens pour le premier anniversaire du 14 janvier 2011 ? Et quand vous parlez de la confiance de la France dans la Tunisie, il y a beaucoup dentreprises françaises qui ont quitté la Tunisie
R - Je disais tout à lheure le contraire. Je parle sur la foi de ce que me dit lambassadeur qui doit être bien informé. Selon lui, peu dentreprises françaises sont parties. Il y en a quelques unes, bien sûr, mais il y en a peu et nous souhaitons que les conditions soient réunies pour que celles qui sont là restent et que dautres viennent.
À loccasion de lanniversaire de la Révolution, le message est clair : cest un message de confiance. Nous sommes heureux de voir que des valeurs qui nous sont chères - la démocratie, lÉtat de droit, les libertés publiques et les libertés privées, le respect des minorités, le respect de la femme, de la dignité de la femme et de la place de la femme dans la société sont des valeurs partagées.
Hier, jai rencontré des responsables du parti En-Nahdha qui pèse le plus lourd dans la coalition. Nous avons eu cette conversation et, sur ces principes-là, nous nous sommes retrouvés.
Q - Le député français Bernard Debré a adressé le 2 janvier une lettre ouverte au président Marzouki en lui reprochant davoir évoqué le colonialisme. Quelle est la position officielle française ?
R - Je ne commente pas les propos dun parlementaire français. Les parlementaires sont libres, ils nengagent pas le gouvernement français.
Quant au colonialisme, si lon pouvait sortir du passé pour entrer dans le présent, ou même dans lavenir, ce serait bien ! Ne vivons pas au XXème siècle, essayons de nous projeter sur le XXIème siècle. Je crois que cest cela qui intéresse la jeunesse tunisienne plutôt que de ressasser les vieux souvenirs.
Q - Ismaïl Haniyeh se trouve actuellement en Tunisie. Quelle est votre position sur la situation au Proche-Orient et sur la crise en Syrie ?
R - Ce sont des questions qui mériteraient beaucoup de temps. Très brièvement, sur la situation entre Israël et la Palestine, vous connaissez la position française : il ny a pas dautre solution que daller vers deux États pour deux peuples et la seule façon dy parvenir cest de reprendre des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens. Nous allons continuer à agir dans cette direction. Il y a, en ce moment même, des contacts en Jordanie, à Amman, et jespère quils permettront davancer.
En ce qui concerne la Syrie, cela fait des mois et des mois que la France a condamné la répression exercée par le régime qui est une des plus brutales, des plus sanglantes, des plus barbares qui se soient déchaînées au cours des dernières années : plus de 5.000 morts, des tortures, des prisonniers en très grand nombre, des blessés aussi. Nous navons pas pu jusquà présent obtenir que le Conseil de sécurité condamne cette répression parce que, malheureusement, certains membres permanents opposent leur veto à une telle résolution.
Nous soutenons aujourdhui linitiative de la Ligue arabe qui a envoyé sur le terrain des observateurs avec des objectifs précis : larrêt des combats, le retour de larmée syrienne dans ses casernes, laccès libre des médias internationaux à la Syrie pour quils puissent rendre compte de ce quil sy passe. Nous constatons, aujourdhui, que la mission dobservation nest pas en mesure de faire ce travail. Je crois que lobjectif de la Ligue arabe est de se donner les moyens dy parvenir, de renforcer cette mission et nous allons soutenir ce renforcement pour que cette répression puisse sarrêter le plus vite possible.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2012