Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur les relations culturelles entre la France et le Danmark, Paris le 6 janvier 2012.

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Circonstance : Représentation du ballet Napoli à l'Opéra de Paris le 6 janvier 2012

Texte intégral


La magnifique représentation du chef-d’oeuvre d’August Bournonville, à laquelle nous venons d’assister, nous rappelle l’ancienneté et l’intensité des liens culturels qui unissent nos deux pays, dont le Ballet Royal du Danemark et sa tradition chorégraphique marquée par ses liens étroits avec l’école française sont une manifestation indéniable. Je sais également, cher Nikolaj Hübbe, vos liens avec l’Opéra National de Paris, vous qui avez dansé avec Isabelle Guérin, Sylvie Guillem et Manuel Legris.
Pour la 7ème fois depuis son adhésion à la Communauté européenne, le Danemark va assumer la présidence de l’Union Européenne, aux côtés de la Pologne et de Chypre. Nous vivons, vous le savez, des temps cruciaux pour l’avenir de l’Union. Les regards de l’Europe se tournent vers Copenhague, pour la relance de la croissance, pour une Europe responsable et dynamique. Dans ce climat particulier, je prends toute la mesure de ce qui, depuis si longtemps, nous relie, des valeurs qui nous sont communes, des engagements que nous partageons sur la scène internationale.
J’étais ce matin à Domrémy, en Lorraine, avec le Président de la République, pour commémorer les 600 ans de la naissance de Jeanne d’Arc. En revisitant le paysage bigarré de toutes les interprétations, des relectures contradictoires de cette figure nationale, les mille et un visages d’une mythologie à la fois si complexe et constitutive de notre histoire, j’avais en tête le visage de Renée Falconetti et sa chevelure rasée, dans le chef-d’oeuvre de Carl Dreyer. C’est un maître danois qui finalement, aura le mieux saisi la portée universelle d’une figure française, dans un « hymne au triomphe de l’âme sur la vie » qui figure à jamais au Panthéon de l’histoire du cinéma mondial.
Pour la France, le Danemark restera toujours la patrie de Tycho Brahé et de son observatoire, celle de Søren Kierkegaard, celle du courage d’un peuple pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais au-delà de ces permanences que nous lègue l’histoire, il y a tout ce que la scène culturelle danoise nous apporte, et dont le dynamisme nous montre que notre vieille Europe n’a jamais perdu le chemin de la créativité.
La prolifique scène de Copenhague redessine le paysage du jazz, en tissant de nouveaux liens avec la scène française. De longue date, dans le domaine du design et des arts plastiques, les artistes danois continuent d’imposer leur marque en France, dans la lignée de Richard Mortensen et Robert Jacobsen, qui étaient très liés au cercle qu’avait formé Denise Renée : les artistes danois ont toute leur place, d’ailleurs, dans le Fonds National d’Art Contemporain français. Vos créateurs de mode continuent d’inspirer leurs homologues français, dans l’héritage qu’aura laissé le regretté Erik Mortensen. À la Grande Arche de La Défense signée par l’architecte von Spreckelsen, est venue répondre le geste créatif de Jean Nouvel, pour la grande salle de concert de la Radio et Télévision danoise.
Et puis il y a cette passion commune que la France et le Danemark partagent pour le cinéma, depuis Carl Dreyer jusqu’au Festin de Babette de Karen Blixen, si magnifiquement adapté au cinéma par Gabriel Axel en 1988, et au succès retentissant des réalisateurs du groupe Dogma 1995 - Thomas Vinterberg, Lars von Trier, Soren Kragh-Jacobsen, tous primés à plusieurs reprises dans les plus prestigieux festivals de cinéma européen.
La littérature danoise était à l’honneur au dernier Salon du Livre de Paris, qui rendait hommage en 2011 aux lettres nordiques : si nos mémoires d’enfance portent toujours la trace des contes d’Andersen, de ses marchandes d’allumettes, de ses vilains petits canards et de ses soldats de plomb, le public français lit désormais les romans de Sven Åge Madsen traduits et publiés chez Gallimard, tout comme Jens Peter Grondahl.
Voilà pour ces quelques exemples, parmi tant d’autres, de ce foisonnement de la culture danoise en France, particulièrement bien reflété dans l’excellente programmation de la Maison du Danemark à Paris, l’un des instituts culturels étrangers les plus actifs de la capitale - comme en témoignent son festival de jazz, ses expositions, du design au jeu vidéo, reflétant toutes les facettes et les genres de la création contemporaine. Le Danemark en France, c’est également la Fondation Danoise à la Cité universitaire internationale de Paris, et tous les artistes qui y viennent en résidence – et je connais l’importance que le gouvernement danois accorde à la mobilité des artistes.
C’est aussi, bien sûr, l’attachement très fort d’un couple royal franco-danois à notre pays. Celui de Votre Majesté, qui avez étudié notamment à la Sorbonne, une Reine qui, avec son époux, a traduit Simone de Beauvoir ; celui de la famille des comtes de Monpezat, par qui le domaine des châteaux du royaume s’étend de Rosenborg à Caïx dans le Lot. Un amour de la France que vous partagez avec vos enfants, le Prince Héritier Frederik, qui a été en poste à l’Ambassade du Danemark à Paris, le Prince Joachim, marié lui aussi à une Française, et vos petits-enfants.
Cet attachement que votre famille incarne en premier lieu, on le retrouve dans la qualité et la densité de notre coopération culturelle, qui se traduit chaque année par une multitude de manifestations dans les domaines les plus variés. Je pense par exemple, à Copenhague, à l’exposition sur Gauguin et la Polynésie au musée Ny Carlsberg, avec le soutien de l’Institut français, qui vient de se terminer ; à l’exposition prochaine sur François Boucher, ou à celle en cours sur Toulouse-Lautrec à la Galerie nationale du Danemark, avec votre appui précieux, puisque un grand nombre des oeuvres présentées proviennent des collections royales, l’une des plus riches au monde pour la production graphique de l’artiste – de la même façon que l’exposition « Quand Versailles était meublée d’argent » avait pu faire découvrir au public français les pièces danoises du château de Rosenborg, coorganisateur de l’événement. Je pense au festival de musique Athelas, où Pierre Boulez sera invité, et auquel Votre Altesse Royale a bien voulu donner son patronage ; au projet de musique française, du baroque à nous jours, actuellement mené au Danemark à l’initiative de Peter Augustinus. Dans le domaine de la musique, il y a moins de trois mois, le festival Les Boréales, organisé par le centre régional des lettres de Basse-Normandie avec le soutien de mon ministère, a été marqué par le remarquable concert d’Agnès Obel lors de la 20ème édition du festival, en novembre dernier.
Notre coopération culturelle, ce sont aussi nos échanges d’expertise sur les questions patrimoniales, et leurs nouveaux enjeux juridiques et environnementaux ; les partenariats étroits entre la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque royale du Danemark, notamment dans le domaine de la préservation des données numériques, et leur participation commune à Europeana ; les échanges d’étudiants et d’enseignants entre nos écoles d’art et de design.
Dans le domaine de l’audiovisuel, je souhaiterais évoquer nos engagements communs en matière de diversité culturelle et linguistique, pour attirer votre attention sur la visibilité de la chaîne TV5 Monde au Danemark, qui semble être en partie remise en question par les opérateurs privés concernés. Je ne doute pas que les négociations en cours avec l’opérateur puissent aboutir sur une issue favorable.
Je me réjouis par ailleurs que soit à l’étude, à l’initiative du Conseil Nordique, la création d’une chaîne de télévision culturelle commune à l’ensemble de l’espace scandinave, sur le modèle d’ARTE, dont nous venons de fêter les 20 ans. J’ai veillé à ce qu’ARTE puisse participer à ce très beau projet d’ARTE Norden, dans son nouveau contrat d’objectifs et de moyens, notamment en termes de fourniture de programmes.
La qualité de cette coopération doit pouvoir nous servir d’aiguillon pour intensifier nos projets communs au niveau européen.
Dans les domaines culturels, les enjeux en effet ne manquent pas pour la présidence danoise, avec l’élaboration de positions communes sur la numérisation, sur la place de la culture dans les relations extérieures de l’Union européenne, avec l’ouverture également des négociations pour le programme Europe Créative, qui se substituera aux programmes Média et Culture. Sur tous ces sujets qui relèvent de notre responsabilité commune, vous pouvez compter sur l’implication et la collaboration étroite de la France.
Je sais que votre gouvernement a reçu il y a quelques mois la visite de M. Jacques Toubon, sur la fiscalité des biens et services culturels. Nous avons, vous le savez, adopté en France une loi sur le prix unique du livre numérique. Il s’agit là d’un enjeu essentiel pour le monde du livre, en France comme au Danemark. Il nous faut repenser ensemble les politiques du livre à l’heure du numérique, en anticipant les bouleversements en cours plutôt que de les subir. La France a proposé au Conseil, à la Commission européenne et au Parlement européen de se saisir de cette question : un soutien du Danemark en la matière serait primordial. Le livre, bien entendu, n’est pas le seul secteur concerné par la révolution numérique : la vidéo, la musique, la presse sont tout aussi concernés. Pour le livre numérique, la France applique un taux réduit de TVA depuis le 1er janvier. De manière générale, je suis convaincu de la nécessité de mettre en place un environnement fiscal propice au développement d’offres légales de contenus culturels. Le développement de ces services est actuellement entravé par les différences de traitement fiscal au sein de l’Union. Là aussi, la présidence danoise pourrait permettre de rouvrir cette question dans un cadre communautaire.
L’avenir de la création culturelle à l’heure du numérique était précisément le sujet qui nous a réuni en novembre dernier en Avignon pour le sommet culturel G8-G20 : nous avons pu partager avec nos partenaires nos convictions sur la nécessité de préserver les droits d’auteur, qui protègent et rémunèrent les créateurs, sur la nécessité de garantir une offre légale diversifiée des contenus culturels en ligne, de lutter de manière coordonnée contre le piratage des oeuvres, de partager, de manière générale, notre responsabilité face à cette grande transition qui concerne l’ensemble des secteurs de la culture et de la communication.
À l’occasion de ce très beau moment d’amitié franco-danois qui nous réunit ce soir, je formule le souhait que dans tous ces domaines, face à notre responsabilité commune sur les engagements à prendre, le dialogue avec votre gouvernement puisse être le plus fructueux possible.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 10 janvier 2012