Interview de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, à Europe 1 le 4 janvier 2012, sur le débat dans la campagne pour l'élection présidentielle, l'enquête sur l'affaire Karachi des ventes d'armes au Pakistan et sa candidature à l'investiture dans les Hauts-de-Seine.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous avez entendu François HOLLANDE et lu François HOLLANDE, le changement c’est maintenant, le changement c’est lui. Est-ce que vous êtes sûr que les Français ne sont pas déjà acquis à ce qu’il y ait ce besoin d’alternance ?
 
CLAUDE GUÉANT Les Français souhaitent qu’il y ait de l’action, c’est tout à fait évident parce que simplement la situation exige l’action, et c’est ce que fait le président de la République, et c’est ce que fait le gouvernement, qui prennent les initiatives qui sont adaptées à notre situation, une situation difficile, mouvante, qui exige effectivement qu’il y ait des réponses. Ceci dit, en ce qui concerne François HOLLANDE, je reprendrais volontiers l’appréciation qui a été portée sur ses propos par Cécile DUFLOT, au risque de surprendre, à savoir qu’il y a des formules mais que il y a beaucoup de formules et qu’il faut passer à la pratique, il faut débattre des solutions, dit-elle. Or, à cet égard, ils ne peuvent strictement rien, c’est un vide sidéral en ce qui concerne ses propositions. Que dit-il ? Il faut le changement, mais qu’est-ce que c’est que le changement ? Il ne dit pas le changement vers lequel il veut entraîner les Français.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais, laissez-lui du temps.
 
CLAUDE GUÉANT Les Français ont quand même le droit à la vérité. Mais oui, ses porte-parole ont même théorisé hier la vertu qui consiste à ne pas dire aux Français ce qu’on a l’intention de faire quand on arrive au gouvernement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et vous pensez qu’il va faire tout ça…
 
CLAUDE GUÉANT …ils ont dit, « il le fera progressivement dans les mois à venir et les semaines à venir ». Alors, j’espère qu’il aura fait des propositions quand même avant l’élection.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais, vous avez noté, Claude GUÉANT, que François HOLLANDE a accéléré son rythme, qu’il passe à l’attaque avec une terrible sévérité sur le bilan d’un pouvoir qui, d’après lui, divise la France, l’affaiblit, la dégrade, l’abime.
 
CLAUDE GUÉANT Oui, alors j’observe deux choses, effectivement, c’est d’abord le vide absolu de ses propositions. Il détaille un programme, il avait écrit une longue lettre aux français par l’intermédiaire du journal LIBERATION, et son programme c’est la vérité, la justice, l’espérance, la volonté. Bon, soit…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous avez quelque chose contre ça ?
 
CLAUDE GUÉANT Non, tout le monde est d’accord avec ça, bien sûr, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Enfin, qu’il dise aux Français. Alors, ce que j’observe par ailleurs c’est effectivement des propos qui sont absolument outranciers sur la situation de la France et qui mettent le débat à un niveau qui n’est pas digne du débat présidentiel. Enfin, j’ai lu dans un journal du matin qu’il avait qualifié le président de la République, hier, lors d’un déjeuner de presse, de « sale mec », enfin c’est quelque chose qui est intolérable. Et j’observe que beaucoup des gens qui travaillent avec lui se laissent aller à des propos violents, à des propos mensongers, à des insultes, et quand l’insulte et le mensonge tiennent lieu d’arguments, je crois qu’il y a lieu de se poser des questions.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous voulez dire qu’hier, sur FRANCE 2, il disait « mieux vaut un président normal qu’un président inconstant et anormal », et vous faites allusion à un déjeuner qui a eu lieu hier au restaurant Chez Françoise, devant des journalistes, dont Matthieu CROISSANDEAU, du PARISIEN, qui me l’a confirmé, il aurait traité le chef de l’Etat de « président en échec et de sale mec ». Vous avez déjà connu des campagnes aussi brutales ?
 
CLAUDE GUÉANT Je trouve que c’est tout à fait scandaleux. Quand on a des arguments à apporter dans le débat politique, on apporte des arguments, on n’insulte pas les gens, et les Français ont droit à un débat sur le fond…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais, vous ne vous êtes jamais privés de l’attaquer.
 
CLAUDE GUÉANT Mais je n’ai jamais insulté François HOLLANDE.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous, collectivement.
 
CLAUDE GUÉANT Personne n’a jamais insulté François HOLLANDE dans la majorité.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Alors, vous avez remarqué que sur le front il rejette déjà votre TVA. Est-ce qu’il faut s’attendre, Claude GUÉANT, à une éventuelle session extraordinaire du Parlement sur les questions sociales ?
 
CLAUDE GUÉANT Il est possible effectivement si l’ordre du jour ne permet pas la discussion d’une loi de Finances rectificative pour introduire la TVA anti-délocalisation, qu’il y ait une session qui suive celle de février.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Je peux vous poser des questions sur Karachi, rapidement ?
 
CLAUDE GUÉANT Oui, bien sûr.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Selon des procès-verbaux d’auditions qui circulent dans la presse, et d’abord dans LIBERATION d’avant-hier, Nicolas SARKOZY, ministre du Budget de 93 à 95, était, contrairement à ses propos, au courant des ventes d’armes au Pakistan. Est-ce qu’il savait ?
 
CLAUDE GUÉANT Nicolas SARKOZY était au courant des ventes d’armes au Pakistan, es-fonction. Cela étant, on essaie de le mettre en cause dans des montages financiers qui auraient abouti à des paiements de commissions.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais est-ce qu’il était d’accord avec l’accord sur les contrats d’armement ?
 
CLAUDE GUÉANT J’observe…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH …est-ce qu’il avait donné son accord ?
 
CLAUDE GUÉANT J’observe un procédé qui est tout à fait scandaleux parce que on part d’une hypothèse sans preuve émise lors d’un audition de justice, on en fait ensuite une affirmation, le journal en fait une affirmation, et quelques jours après à force d’être répétée ça devient une certitude. C’est un procédé qui est tout à fait inadmissible. Alors, sur le front maintenant, je connais ce dossier parce qu’alors que déjà il y avait une vague d’attaques contre le président et que j’étais son collaborateur à la fin de 2010, j’avais eu à regarder ce dossier et à répondre aux accusations. Le premier point c’est que Nicolas SARKOZY en tant que ministre du Budget a donné un avis défavorable à cette transaction.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et vous avez des preuves ?
 
CLAUDE GUÉANT Ben, ça figure effectivement dans les dossiers, c’est écrit. Il était défavorable parce qu’il considérait que le Pakistan était un pays insolvable. Ensuite, on lui reproche d’avoir donné une autorisation à un montage de commissions. Je rappelle que ce type d’autorisation a été supprimé en 1992 par le gouvernement socialiste et Nicolas SARKOZY n’est devenu ministre du Budget qu’en 1993. Ensuite, en ce qui concerne la déduction fiscale, parce qu’à l’époque les commissions étaient autorisées, étaient légales et pouvaient donner lieu à la déduction fiscale. La déduction a été décidée des mois et des mois après qu’il ait quitté le Ministère du Budget. Donc, il n’a rien à voir du tout avec cette affaire.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous continuez à dire comme lui que c’est une fable.
 
CLAUDE GUÉANT Mais c’est une fable, effectivement. Mais c’est pire qu’une fable parce que c’est un montage pour salir la réputation d’un homme.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Qui le fait le montage ? Qui fait l’exploitation politique, puisque vous dites un montage, il y a bien quelqu’un derrière ?
 
CLAUDE GUÉANT L’exploitation, il suffit d’entendre le Parti socialiste qui accuse, et il suffit de lire les journaux qui se font les propagandistes de cette thèse.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous voulez dire que la justice est évidemment indépendante mais qu’elle est en ce moment peut-être trop politisée ?
 
CLAUDE GUÉANT Non, je ne veux pas dire ça. Je veux dire que des éléments qui sont à la disposition de la justice sont utilisés et je dis faisons confiance à la justice, arrêtons de faire des procès sur la place publique, arrêtons de salir la réputation des gens à partir de rien du tout.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais pourquoi on ne lève pas totalement le secret-défense ?
 
CLAUDE GUÉANT Mais c’est levé.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Toutes les pièces.
 
CLAUDE GUÉANT Mais c’est levé. Jean-Pierre ELKABBACH, on m’a reproché de ne pas lever le secret-défense. Depuis l’été dernier, le Ministère de l’Intérieur a donné au juge 33 pièces exactement, c’est-à-dire des pièces qui étaient classifiées secret défense, qui ont donc été données après avis de la commission nationale compétente. Tous ces avis ont été suivis d’effets. Et j’ai aussi donné des pièces qui n’étaient pas classifiées.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc, on ne protège personne.
 
CLAUDE GUÉANT On ne protège personne. Le gouvernement est entièrement à la disposition de la justice. Et ce qui est dit sur cette non-communication est encore un autre scandale parce que ce n’est pas vrai.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Encore un mot, le Ministère du Budget aurait donné à l’époque son accord à la création d’une société HEINE, de Luxembourg, qui avait pour objet, à l’époque, de recevoir des commissions et éventuellement de redistribuer les rétro-commissions. Là aussi vous dites c’est une fable ?
 
CLAUDE GUÉANT Mais, j’ai répondu, Jean-Pierre ELKABBACH, que ce type d’autorisation avait été supprimée, alors je ne vois pas pourquoi ça aurait été donnée.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH L’ancien ministre du Budget, aujourd’hui président de la République, veut-il vraiment toute la vérité ? Est-ce qu’il la favorisera, monsieur GUÉANT ?
 
CLAUDE GUÉANT Mais bien entendu ! Le président de la République est le responsable de nos institutions, et il a toujours fait en sorte que la justice puisse travailler sereinement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Alors, vous êtes candidat à Boulogne, député.
 
CLAUDE GUÉANT Oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que c’est vraiment définitif ?
 
CLAUDE GUÉANT Oui, bien sûr.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui ?
 
CLAUDE GUÉANT J’ai présenté plus exactement ma candidature à l’investiture dans mon parti pour la 9e circonscription des Hauts de Seine.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH L’actuel député, Pierre-Christophe BAGUET, expliquait à Thierry GUERRIER qu’il était venu vous offrir spontanément, comme ça, comme un grand, sa circonscription. Et ça, c’est la vérité ?
 
CLAUDE GUÉANT Ben oui…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous pensez que c’est crédible ?
 
CLAUDE GUÉANT Mais écoutez, c’est l’absolue vérité. Il le dit, moi je le dis, je l’ai vécu avec lui, et c’est l’absolue vérité. Il est venu effectivement un peu avant Noël me dire, « écoute, je veux me retirer, je propose que tu puisses envisager ta candidature ». Je dois dire que je n’ai pas répondu tout de suite favorablement, j’étais un peu surpris, et j’avais d’autres perspectives, et puis il se trouve que Boulogne est une ville avec laquelle j’ai une histoire personnelle puisque j’y ai vécu longtemps, et je souhaitais être candidat pour accompagner l’action du président de la République, et ça me semble naturel que j’aille vers une circonscription avec laquelle j’ai des affinités particulières.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous recevrez celui qui est un peu votre dissident, Thierry SOLÈRE, vous le recevez cet après-midi.
 
CLAUDE GUÉANT C’est exact.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui. Vous le prendrez comme suppléant ? Non ?
 
CLAUDE GUÉANT Ce n’est pas à l’ordre du jour.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Bon, dernière question : au fond, pourquoi votre candidature ? Est-ce que c’est le signe que vous, Claude GUÉANT, vous ne croyez déjà plus à la victoire de Nicolas SARKOZY et que vous pensez à l’Assemblée nationale comme un abri ?
 
CLAUDE GUÉANT Non, c’est tout le contraire, Jean-Pierre ELKABBACH. Il se trouve que Nicolas SARKOZY en me nommant au gouvernement au mois de mars dernier m’a jeté dans le bain politique. Je suis depuis un acteur dans le débat politique, et je veux continuer à être auprès de lui avec la légitimité supplémentaire qu’apporte le suffrage universel.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc, ce n’est pas un abri, c’est un tremplin.
 
CLAUDE GUÉANT C’est tout le contraire.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Pour rester à la Place Beauvau, c’est ça.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 20 janvier 2012