Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur la construction de l'identité sociale et sexuelle, la diversité et la discrimination, Paris le 14 novembre 2011.

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Circonstance : Ouverture du Forum Diversité 2011 à Paris le 14 novembre 2011

Texte intégral


Monsieur le président, cher Mondher Abdennadher,
Monsieur le vice-président, cher François-Xavier Sambucy de Sorgue,
Chers amis,

Cette année encore, je me réjouis d’être à vos côtés pour ce moment privilégié que constitue le Forum Diversité. A chaque fois, à la lecture de votre programme, je suis frappée par le fait que vous ne vous enfermez jamais dans une approche cloisonnée, unilatérale.
Vous ne vous sentez pas les dépositaires exclusifs d’un concept dont vous feriez, année après année, une « boutique ». Bien au contraire, vos diverses tables rondes témoignent, par le foisonnement des thèmes que vous y abordez- la démocratie, l’identité, le genre, l’altérité, l’appartenance, la pluralité - de votre volonté d’enrichir sans cesse vos approches. Dans votre rôle de passeurs, vous privilégiez cette écoute sans apriori, ce dialogue sans formatage. Je crois que c’est cette liberté qui me fait revenir, chaque année, au Forum Diversité, car il ne vous aura pas échappé que tout au long de mon parcours politique, je me suis toujours montrée plutôt rétive à tous les enfermements, idéologiques et intellectuels !
Dans mes actuelles fonctions ministérielles, j’ai la responsabilité de très nombreux sujets, qui avaient du reste déjà depuis longtemps caractérisé mon engagement politique : les personnes handicapées, les droits des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre la pauvreté, la petite enfance… Chacun de ces sujets relève naturellement d’une problématique qui lui est propre, et de modalités spécifiques de l’action publique. Mais dans le même temps, il est indispensable de privilégier une approche transversale, tant on constate qu’au-delà de la diversité des situations de vulnérabilité, les mêmes mécanismes d’exclusion, de discrimination et de déqualification sont à l’œuvre.
Avec bien souvent des phénomènes cumulatifs inquiétants : ce n’est pas un hasard par exemple si, lorsqu’il y a régression démocratique ou crise économique dans un pays, les femmes en sont les premières victimes. A contrario, tout ce qui contribue à améliorer la place des femmes dans la société se fait au bénéfice de tous. Autre illustration : le combat pour l’accessibilité, quel enjeu dans une société qui vieillit !
S’ouvrir des perspectives plus riches suppose également de renouveler profondément les façons de penser notre monde et de trouver de nouvelles grilles de lecture de celui-ci.
Cela passe par la lutte contre les stéréotypes, la déconstruction de certaines représentations trop ancrées, le refus du conformisme de pensée.
Dans vos travaux sur la construction de l’identité, vous aborderez à n’en pas douter la question du genre. On a beaucoup polémiqué récemment sur cette question, à tort à mon sens : il ne s’agit pas de nier la différence. Mais ma conviction est que le concept de genre est un prisme d’analyse de la société extrêmement fructueux. Les rapports sociaux de sexe sont naturellement une dimension centrale de toute société.
Le concept de genre permet de mieux comprendre les rapports de force à l’œuvre entre les hommes et les femmes, et ainsi de remédier aux inégalités de droits et de ressources que ces rapports de force produisent.
Il y a quelques mois, j’ai installé une Commission sur l’image des femmes dans les médias, pour tenter de remédier aux stéréotypes persistants dans la sphère médiatique. On constate en effet que le décalage est grand entre la pluralité des rôles remplis par les femmes dans la réalité, et les représentations médiatiques très réductrices qui en sont faites, les rôles sociaux peu valorisants auxquels elles sont bornées. Aujourd’hui, les téléspectateurs se sont accoutumés à cette relative invisibilité des femmes : infléchir la donne, c’est aussi permettre une prise de conscience de l’ensemble de la société, quitte à bousculer un peu le paysage audiovisuel dans son ronron bien installé.

Je crois d’ailleurs que ce constat est valable pour la société dans son ensemble. L’« entre-soi » est tellement plus confortable, plus rassurant ! Les prétextes les plus fallacieux existent pour tenter de justifier l’absence des femmes, ou des personnes issues de l’immigration, ou des personnes handicapées…, de telle ou telle sphère politique, professionnelle, civile :
Moi qui suis une pionnière de la parité en politique, que n’ai-je entendu sur l’absence de vivier. On m’objectait : « je ne trouverai jamais de femmes pour constituer une liste ». Outre que cela était faux, je demandais à mon collègue de s’interroger sur sa prétendue incapacité à mobiliser ce qui représentait quand même 50 % de son électorat !
A l’association Tolède, au travers de vos travaux sur la diversité, vous vous inscrivez dans ce même refus des approches réductrices, de cette logique d’assignation qui bride les êtres, les renvoie à des compétences supposées et dénie le plus souvent leur légitimité là où se joue le véritable exercice des responsabilités, là où se nouent les vrais enjeux.
Je voudrais enfin revenir sur cette belle notion d’altérité que contient le titre du Forum cette année, cette reconnaissance de l’autre dans sa différence, dans son univers propre.
Ancienne ministre de la santé, je suis très sensible à cette dimension. En effet, au-delà du soin objectivé, du regard qui pointe et qui diagnostique pour relier l’individu à un référentiel universel, il y a un autre regard, ouvert, attentif à la singularité d’un être : c’est ce regard qui permet la rencontre. Le terme « hôpital » contient « hospitalité » : nous sommes tous appelés, dans nos différentes fonctions sociales, à développer ces qualités d’hospitalité. Elles consistent à porter attention à autrui, dans l’historicité de son existence, mais aussi à savoir se mettre, le cas échéant, à la place de l’autre, dans sa différence, ses forces et ses vulnérabilités. Je fais mienne la phrase du philosophe Paul Ricœur : « L’égalité n’est rétablie que par l’aveu partagé de la fragilité ».
En cela, promouvoir la diversité est à la fois une démarche politique et une nécessité démocratique, mais aussi une préoccupation éthique. Dans ces temps de crise, propices au repli sur soi, il faut redire que la diversité nous est indispensable, vitale même, car elle nous permet de comprendre le monde où nous vivons dans sa complexité et sa richesse. On aurait bien tort de penser qu’avec la crise, cet impératif de diversité doit être mis en sourdine : au contraire, nous aurons besoin plus que jamais de réconcilier les individus, de faire émerger les talents, de trouver de nouvelles voies de prospérité.
J’irai même plus loin, quitte à faire un peu de provocation : la période difficile que nous traversons, notamment sur le plan économique, mettra peut-être fin à l’exercice d’une diversité cosmétique, où l’on brandit quelques figures alibis pour se donner bonne conscience à peu de frais, en perpétuant en réalité les discriminations. Je crois que la tolérance des citoyens pour ce genre de pratiques a considérablement baissé. Ils sont de moins en moins dupes de certaines supercheries. Souhaitons que, dans l’adversité, notre niveau d’exigence collective ne fasse que croitre. Je sais en tout cas que vous y apportez une contribution de tout premier ordre.

Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 22 novembre 2011