Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, avec RMC le 27 janvier 2012, sur la situation en Afghanistan et sur l'élection présidentielle.

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Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN Question directe : l’Afghanistan, il y a huit jours, c’était vendredi dernier, quatre de nos soldats étaient tués en Afghanistan. Est-ce que la France va modifier son calendrier de retrait en Afghanistan ?
 
GERARD LONGUET La France appartient à une coalition, dans cette coalition la France va demander des précisions fortes. Nous avons depuis Lisbonne, c’est à dire depuis novembre 2010 une certitude, c’est que la coalition s’arrêtera d’opérer en Afghanistan en 2014. Nous avons deux ans devant nous pour organiser la transition totale comme nous l’avons obtenue déjà en partie.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Ca veut dire que la France n’a pas arrêté sa position ?
 
GERARD LONGUET Juste pour terminer cette annonce de transition a modifié le terrain sur place et on voit bien que les Taliban, qui ne sont plus capables de chasser KARZAI, qui ne sont plus capables d’affronter l’armée nationale afghane, utilisent des méthodes nouvelles et nous devons tenir compte de ces méthodes nouvelles. Et ce que la France va dire à ses alliés – et je le dirais début février à Bruxelles – c’est à dire : nous avons annoncé notre départ, il faut adapter notre dispositif à ce départ.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Et donc la France ne modifiera pas son calendrier de retrait en Afghanistan ?
 
GERARD LONGUET La France est engagée dans une coalition et elle fait bouger la coalition.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Non, mais je vous pose la question… vous ne m’avez pas répondu…
 
GERARD LONGUET Non, non, pour une raison très simple…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est-ce qu’elle va modifier son calendrier ?
 
GERARD LONGUET Eh bien je vous dis très clairement « la France a une parole », elle est membre d’une coalition, elle demande à cette coalition d’évoluer mais elle est solidaire de la décision et de sa parole.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Donc elle ne modifiera pas son calendrier.
 
GERARD LONGUET Sauf, si elle obtient …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Sauf si la coalition modifie son calendrier…
 
GERARD LONGUET Vous avez compris.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Bon. Donc comme la coalition et les Américains ont répété qu’ils ne modifieraient pas…
 
GERARD LONGUET Bon, les Américains découvrent que l’exercice du retrait, l’exercice de la transition doit être préparé, ce que nous disons maintenant depuis six mois. Ils vont donc nous accompagner j’en suis convaincu.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Quant on est actionnaire à 1% est-on en droit de prendre la parole ? C’est ce que disait le général DESPORTE. Vous avez lu cette déclaration.
 
GERARD LONGUET Oui, c’est une provocation parce que premièrement nous avons 4000 hommes engagés en Afghanistan, nous sommes le troisième sur 100 000, nous sommes le troisième contributeur après les Etats-Unis, la Grande Bretagne au niveau de l’Allemagne, au niveau des grandes nations européennes. Et juste un mot, je crois que les Européens regardent la France et quand la France prend une décision en Afghanistan y compris, les Européens nous suivent. C’est la raison pour laquelle le point de vue de la France au-delà de nos 4000 hommes est très important.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Aujourd’hui donc le président de la République ne va pas dire s’il modifiera son calendrier…
 
GERARD LONGUET Le président va demander à monsieur KARZAI un certain nombre … Constater à la fois que l’armée afghane existe, qu’elle se bat, que les Afghans meurent au combat pour défendre leur République à nos côtés, à nos côtés, parce qu’il y a les morts français, mais il y a les morts Afghans qui nous accompagnent, et qui combattent avec nous mais nous avons à consolider cette armée et nous avons en particulier à faire en sorte que les officiers, les sous officiers, que nous formons nous Français, et qui sont Afghans, soient à nos côtés et pas dispersés ailleurs.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Alors Gérard LONGUET, j’ai des questions précises parce que je pense à nos soldats qui sont là bas, vous aussi, évidemment…
 
GERARD LONGUET Dites….Nous y pensons tous et les Français pensent à leurs soldats, les soldats y sont sensibles.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Question : est-ce que les balles qui ont tué les soldats français il y a huit jours étaient des balles fournies par les alliés ?
 
GERARD LONGUET C’est en effet un acte terroriste…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est-ce que les balles étaient fournies par les alliés ?
 
GERARD LONGUET C’est un soldat qui avait revêtu taliban, sans doute manipulé par un réseau taliban venu du Pakistan, je le dis, lui-même venait du Pakistan, mais il avait revêtu l’uniforme afghan et comme cela est arrivé près d’une vingtaine de fois en 2011… c’était une balle, une arme afghane américaine, en l’occurrence.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Armes américaines et des balles fournies par les alliés…
 
GERARD LONGUET Et des armes et des balles, si vous voulez… Oui mais pas pour cela monsieur BOURDIN, vous le savez, et rappelez le.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Je vous pose la question.
 
GERARD LONGUET Non, non, il n’y a pas d’ambigüité…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Je vous pose la question, pas d’ambigüité, alors c’est clair. Je vais vous poser d’autres questions…
 
GERARD LONGUET Non mais je n’accepte pas l’idée… non, je n’accepte pas l’idée …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Laquelle ?
 
GERARD LONGUET Que ces balles aient été données par les alliés pour faire cela.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais pas pour faire cela, je vous pose la question simplement…
 
GERARD LONGUET Vous me rassurez. Vous me rassurez.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Je vous demandais simplement si les balles avaient été fournies par les alliés ?
 
GERARD LONGUET Pas pour cela, pour combattre…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Evidemment, heureusement.
 
GERARD LONGUET Oui. Je voudrais Jean-Jacques BOURDIN que vous vous souveniez que l’armée afghane …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN A aucun moment personne n’a pu pense que ces balles étaient fournies volontairement…
 
GERARD LONGUET Alors il vaut mieux le dire.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Heureusement que vous avez dit.
 
GERARD LONGUET Il vaut mieux le dire.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Allez. Je vous pose d’autres questions. Est-il vrai que les policiers et les soldats afghans sont de plus en plus nombreux à déserter l’armée afghane ?
 
GERARD LONGUET Le taux d’attrition c'est à dire le taux de déperdition est en effet de l’ordre de 20 à 25 %.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN 32 %.
 
GERARD LONGUET Ca dépend des théâtres d’opération. La troisième brigade avec laquelle nous travaillons le taux est de 22 % exactement.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est-ce que vous aviez lu le rapport de l’OTAN diffusé par le New York Times ?
 
GERARD LONGUET J’ai lu tous les rapports de l’OTAN y compris celui diffusé par le New York Times…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Qui a été caché pendant un certain temps.
 
GERARD LONGUET Non, ils ne sont pas cachés. Ce qui se passe… pas pour le ministre en tous les cas.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Pas peut-être pour le ministre mais pour le grand public. Il a fallu que le New York Times sorte ce rapport, vous le savez bien.
 
GERARD LONGUET Il appartient à l’armée américaine, il appartient à l’OTAN de respecter ses règles intérieures.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est-il vrai, Gérard LONGUET, que 9 soldats locaux sur 10 sont incapables de lire les instructions relatives à l’usage d’un fusil d’assaut.
 
GERARD LONGUET Le taux d’alphabétisation chez les soldats est en effet de… D’in-alphabétisation, les alphabètes, sont 70 %. C’est l’Afghanistan millénaire dont nous héritons. Nous n’avons pas choisi les Afghanistan (sic), nous n’avons pas choisi les traditions médiévales et parfois obscurantistes, nous avons en revanche des officiers qui sont - pour ceux que nous formons, qui savent lire, écrire et comprendre, et des sous officiers dont le taux d’alphabétisation est de l’ordre de 50 %. Mais vous voyez bien toute la difficulté … ils n’ont pas leur permis de conduire, mais ils ont tous leur portable téléphonique et ils entrent d’une certaine façon dans la modernité.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Quelles sont les ethnies majoritaires dans l’armée afghane ?
 
GERARD LONGUET Les pachtounes. Dans l’armée afghane absolument.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN 4 % des soldats afghans sont pachtounes.
 
GERARD LONGUET C’est totalement faux. Dans …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN 5 %.
 
GERARD LONGUET C’est totalement faux.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais Gérard LONGUET…
 
GERARD LONGUET C’est totalement faux. C’est totalement faux…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous savez ce qu’on va faire…
 
GERARD LONGUET Vous êtes le bienvenu en Afghanistan, vous êtes le bienvenu à Kaboul Jean-Jacques BOURDIN…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous savez ce qu’on va faire…
 
GERARD LONGUET Et nous allons ensemble, avec le général NEZZAR, passer en revue les troupes de la troisième brigade avec laquelle nous travaillons.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais vous vous trompez.
 
GERARD LONGUET Je ne me trompe absolument pas. Le général NEZZAR est ouzbek, ses cadres sont..
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Nous allons sur la place publique confronter nos points de vue. Vous dites que les Pachtounes sont majoritaires dans l’armée afghane…
 
GERARD LONGUET Je dis que les Pachtounes sont à proportion de leur population. 4 %.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Moi je vous dis non, les Pachtounes…
 
GERARD LONGUET Vous avez dit 4 %.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN  Mettons 5. Je vous dis non les Pachtounes ne sont pas majoritaires dans l’armée afghane. Ce qui pose problème et je vais vous dire pourquoi…
 
GERARD LONGUET En dessous de 40 % je vous présente mes excuses. Jean- Jacques BOURDIN, arrêtons nous. En dessous de 40 % de Pachtounes je vous présente mes excuses.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Eh bien ça me fera plaisir.
 
GERARD LONGUET Au-delà, c’est vous qui les présentez.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Quelles sont les ethnies qui sont majoritaires alors ?
 
GERARD LONGUET Vous avez un encadrement tadjik important, vous avez des Ouzbek importants, vous avez réintroduit dans l’armée ce qui n’existait pas avant, des Hazara, et vous avez des pachtounes …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Qui sont chiites…
 
GERARD LONGUET Absolument. Mais bon…C’est le creuset, et le creuset de la nation afghane aujourd’hui c’est en effet l’armée parce que nous avons des régiments mixtes. Il n’y a pas de régiment pachtoune, de régime tadjik, il y a un mélange, il y a une fusion, il y a un creuset à travers l’armée afghane. Nous en parlons d’expérience puisque nous formons chaque année les officiers et les sous officiers …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Je dis ça parce que l’armée afghane…
 
GERARD LONGUET …. Et nous savons d’où ils viennent.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Je vous pose cette question tout simplement parce qu’une grande partie de l’Afghanistan est pachtoune, vous le savez bien, et notamment toute la région de Kandahar…
 
GERARD LONGUET Pas tout à fait la moitié, ou la moitié ; En tous les cas c’est tout le sud.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN J’ai dit une grande partie …
 
GERARD LONGUET Vous avez raison, c’est tout le sud. Dont est originaire monsieur KARZAI, le président KARZAI.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, oui, et dont le frère était trafiquant on le sait.
 
GERARD LONGUET Personne n’est responsable de sa famille.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui d’accord. Mais enfin monsieur LONGUET, je vous dis ça parce que vous savez très bien que dans tout ce grand sud qui est l’endroit le plus difficile à pacifier, vous le savez bien, il y a …
 
GERARD LONGUET Et l’est, tout ce qui est proche du Pakistan. Pourquoi ? Parce que vous savez bien que les Talibans sont soutenus par des réseaux installés au Pakistan.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais Gérard LONGUET, si je vous pose la question c’est parce que là bas cette armée composée de Tadjik ou d’Hazara …
 
GERARD LONGUET Et de Pachtounes.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Et de Pachtounes, très peu…
 
GERARD LONGUET Non…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est très mal reçue dans le sud de l’Afghanistan, malheureusement. Et ça contribue à la difficulté et qu’il y a à pacifier cette région, vous le savez bien Gérard LONGUET…
 
GERARD LONGUET Je vais être modeste, je sais de quoi je parle et je connais la Kapisa et la Surobi parce que la France y est impliquée.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous n’êtes jamais allé à Kandahar ?
 
GERARD LONGUET Je ne suis pas allé à Kandahar…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous n’êtes jamais allé dans le sud.
 
GERARD LONGUET Parce que ce n’est pas de la responsabilité de l’armée française et permettez moi de vous dire que je reste auprès de mes hommes et là où ils interviennent.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Dernière question sur l’Afghanistan, on va passer à autre chose, il est 8h43, mais est-il vrai que 69 % de la population n’a toujours pas accès à l’eau potable ?
 
GERARD LONGUET Sans doute.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est-il vrai qu’un enfant sur cinq meurt avant l’âge de 5 ans en Afghanistan ?
 
GERARD LONGUET Je ne le pense plus parce que nous avons fait, alors ça c’est le travail de dix ans de coalition, un formidable travail de santé, avec les Afghans, avec les médecins afghans, avec les médecins que nous avons formés aussi d’ailleurs, et un travail d’alphabétisation des enfants, de scolarisation des enfants et de scolarisation des jeunes filles. Mais permettez moi de vous dire que nous ne rattraperons pas avec les moyens dont on dispose en quelques années plusieurs siècles, allez, de traditionalisme fermé sur lui-même.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Est-il vrai que le ministre de l’Economie estime comme les femmes ne peuvent fréquenter ensemble l’université ?
 
GERARD LONGUET S’il le pense c’est une erreur de sa part mais nous ne sommes pas là pour remplacer les Afghans. Les Afghans ont leur vie, nous sommes là pour leur éviter d’être divisés par une guerre civile animée de l’extérieur.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Ca sera ma dernière question : faut-il dialoguer avec les Talibans ?
 
GERARD LONGUET Oui naturellement. Il faut dialoguer avec les gens de bonne volonté, et c’est la raison…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Les Américains le font au Qatar, vous confirmez ?
 
GERARD LONGUET Ce n’est pas les Américains qui le font, ce sont tout le monde…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Ce sont les alliés.
 
GERARD LONGUET Ce sont les alliés.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Donc nous négocions avec les Talibans ?
 
GERARD LONGUET Nous parlons avec ceux des Talibans qui acceptent de parler. Moi j’ai relu un …
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Donc ça c’est la première fois que je l’entends, c’est très bien. Pourquoi pas.
 
GERARD LONGUET J’ai relu un texte formidable, c'est celui … « La paix des braves » du général DE GAULLE. Si on l’avait écouté, c’était à l’automne 60, je crois que beaucoup de choses auraient changé dans cette malheureuse terre d’Algérie de l’époque.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Bien, Gérard LONGUET est avec nous ce matin. Nous allons quitter l’Afghanistan, et nous allons parler eh bien de politique.
 
GERARD LONGUET Par exemple.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN De politique intérieure, de présidentielle. Gérard LONGUET, la présidentielle. Comment expliquez-vous que François HOLLANDE soit en tête dans les sondages ?
 
GERARD LONGUET Oh, il y a… Il y a dans tous les pays européens confrontés à la crise une interrogation sur peut-on faire autrement. Il n’est pas complètement anormal qu’après avoir gagné 95, 2002 et 2007 les Français – la droite soit un petit peu…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Il y a une aspiration au changement, Gérard LONGUET ?
 
GERARD LONGUET Il y a une interrogation sur une autre façon de conduire. Ce n’est pas complètement anormal. C’est d’ailleurs le rôle des élections d’ouvrir le débat. Si les élections n’ouvraient pas un débat, à quoi serviraient-elles ?
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Bien. Gérard LONGUET, la croissance opium de tous les candidats. Alors je ne vous entends pas – je les entends tous me parler de croissance.
 
GERARD LONGUET En oubliant simplement les conditions de la croissance.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui.
 
GERARD LONGUET Les conditions de la croissance, et c’est là où je pense très, très… Vous savez, sur François HOLLANDE, moi j’ai regardé le débat hier…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui.
 
GERARD LONGUET Une partie seulement puisque j’avais une obligation professionnelle. J’ai d’abord trouvé que c’était deux hommes de qualité.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous parlez d’Alain JUPPÉ et de François HOLLANDE, oui.
 
GERARD LONGUET D’Alain JUPPÉ et de François HOLLANDE, et c’est plutôt une chance dans un pays d’avoir des hommes politiques de qualité. On critique assez facilement les hommes politiques : les deux ont oublié d’être cons, ce qui est quand même un atout pour le pays. J’ajoute qu’ils ont débattu, c'est-à-dire ce n’était pas l’injure, c’était un vrai débat avec pour moi une sorte de frustration cependant de la part de François…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Laquelle ?
 
GERARD LONGUET Moi j’aurais aimé dire à François HOLLANDE que profondément il se trompait d’adversaire. La finance n’est pas l’adversaire de la France et n’est pas l’adversaire du développement, elle n’est pas l’adversaire de la croissance. Vous savez, dans toutes les familles il y a des brebis galeuses, mais la finance, l’investissement, c’est exactement ce dont on a besoin.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous ne faites pas de différence entre la finance et l’investissement, Gérard LONGUET ?
 
GERARD LONGUET Ah non ! Non, non ! Parce que si vous voulez, c’est un même ensemble : les gens qui collectent de l’épargne pour investir, ça s’appelle des financiers. Mais dans les financiers, il y en a qui sont très malins et très perso et il y en a qui sont de long terme et qui investissent sur la recherche, sur la conquête de marchés extérieurs, sur de nouvelles technologies ou tout simplement sur des infrastructures. Or, ce dont nous avons besoin dans notre pays pour l’emploi – parce que tout le monde est pour l’emploi, oui, en oubliant deux choses. C’est que pour l’emploi il faut : 1/ des financements car les machines-outils ça coûte cher, les études de marché ça coûte cher, la conquête de marchés extérieurs ça coûte cher ; il faut des capitaux, il faut des financements, article 1. Et deuxièmement, il faut un coût du travail qui soit compétitif et là, on n’en a pas beaucoup parlé dans les deux cas.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Alors le coût du travail, oui. On n’en a pas beaucoup parlé, un tout petit peu, de la fameuse TVA qu’on a appelée…
 
GERARD LONGUET Un petit peu parlé du coût du travail. Mais sur le rôle du capital, si vous voulez. Moi je suis libéral ; en économie, le rôle du capital est indispensable. Aujourd'hui un emploi d’ouvrier c’est possible. Moi je vois chez moi, il y a des gens qui… On embauche dans la mécanique fine par exemple pour l’aéronautique. Mais il faut 200, 300, 400 000 euros par emploi. C'est-à-dire d’ailleurs – ce n’est plus un tournevis : c’est des machines-outils numériques, et l’ouvrier c’est un bac + 2 qui a au moins un BTS. Eh bien ça demande de l’argent en formation, ça demande de l’argent en outils et ça demande de l’argent en études de marché. Et on attaque la finance alors que justement on a besoin de la finance. On a besoin de la finance française et j’ajoute, on a besoin de la finance étrangère. On a besoin que les capitaux viennent plutôt chez nous qu’ailleurs et on fait quoi ? On les fait fuir. Eh bien François HOLLANDE se trompe d’adversaire.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous pensez que François HOLLANDE fait fuir les plus riches ? Il risque de faire fuir les plus riches ?
 
GERARD LONGUET Les riches, vous savez…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Non mais je vous…
 
GERARD LONGUET Jean-Jacques BOURDIN, les riches ils s’organisent, ils survivent. Ce n’est pas… Le problème des personnes ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est où met-on son argent pour le faire fructifier et on ne le mettra pas en France si on cogne sur tout ce qui rapporte un peu d’argent.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, et si on augmente les impôts.
 
GERARD LONGUET Par exemple des grandes entreprises. On parle des grandes entreprises.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Et des plus riches, quoi.
 
GERARD LONGUET Non mais ce n’est pas les personnes !
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais non, mais attendez !
 
GERARD LONGUET Ce sont les entreprises qui créent les emplois.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Les entreprises, on est d’accord.
 
GERARD LONGUET Regardez, quand AIRBUS a un marché mondial…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais ce sont les personnes qui accumulent les richesses, pardon Gérard LONGUET.
 
GERARD LONGUET Quand AIRBUS a un marché mondial… Oui, les personnes c’est les actionnaires… Qui est actionnaire d’AIRBUS ?
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Je me fais l’avocat du diable volontairement.
 
GERARD LONGUET Non mais c’est pas des personnes. Bon d’accord, il y a madame BETTENCOURT quelque part. Bon. Mais il y a surtout des dizaines…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Il a fallu qu’il y ait un scandale pour qu’on s’aperçoive qu’elle avait de l’argent en Suisse, pardon.
 
GERARD LONGUET Des dizaines de millions d’actionnaires français, étrangers, américains, qui se disent : « AIRBUS est une bonne boîte. » Si on cogne sur AIRBUS, que va faire AIRBUS ? Ils vont créer aux États-Unis, ils vont créer en Chine des emplois et ils ne les feront plus à Toulouse et c’est exactement la question qui se pose.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais c’est ce que fait RENAULT, pardon.
 
GERARD LONGUET Eh bien tant mieux !
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Créer des emplois à l’étranger au loin.
 
GERARD LONGUET Mais c’est bien ! C’est bien ! Mais les deux, les deux ! Parce que quand RENAULT crée des usines en Roumanie et en Russie…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Et au Maroc.
 
GERARD LONGUET Et au Maroc, à Tanger, ce sont des ingénieurs qui les conçoivent à Paris et nous devenons alors, à partir de la France, à partir de ce centre de recherche d’Elancourt je crois pour RENAULT, nous devenons le cerveau d’un réseau mondial. Moi ce que je propose à la France, moi ce que j’aurais aimé entendre dire dans un débat comme ça, c’est que la France peut, sur le terrain économique, gagner des batailles mondiales. La mondialisation, ce n’est pas attendre des coups, ce n’est pas se refermer : c’est à partir de la France, utiliser nos atouts. Nos atouts…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Alors la TVA…
 
GERARD LONGUET Attendez, pardonnez-moi, juste un mot.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, un mot. Allez !
 
GERARD LONGUET Nos atouts, ce n’est pas les bas salaires. Nos atouts, c’est l’intelligence et l’intelligence ça demande de l’argent parce qu’il faut la former et il faut lui donner de la trésorerie pour qu’elle travaille.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Gérard LONGUET, la TVA qu’on appellera sociale ou autre, peu importe.
 
GERARD LONGUET Emploi, on va l’appeler emploi.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Emploi, allez : TVA emploi ! Deux points, ça vous va ou pas ?
 
GERARD LONGUET Je vais vous dire…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Franchement, soyons francs.
 
GERARD LONGUET Oui. Oui.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Ça vous va, deux points ?
 
GERARD LONGUET À condition que ce soit pour alléger la charge de travail.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous auriez aimé plus ?
 
GERARD LONGUET Je vais vous dire…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Ou moins ?
 
GERARD LONGUET Non, parce qu’il ne faut pas casser la croi… - il ne faut pas casser la conso.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Donc vous auriez aimé moins.
 
ERARD LONGUET Deux c’est bien. Non, deux c’est bien.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Uniquement pour les entreprises, baisse des charges : on est bien d’accord ?
 
GERARD LONGUET Oui.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Pas pour les salariés ?
 
GERARD LONGUET La vérité, c’est qu’il faut élargir le revenu des salariés en élargissant le nombre d’emplois, et après les revenus monteront. Les revenus individuels monteront mais d’abord les revenus collectifs.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Alors on va s’engager, vous allez vous engager. C’est la dernière question. Est-ce que vous vous engagez à regretter les propos que vous avez tenus à l’encontre de François HOLLANDE en le comparant au capitaine du Costa Concordia ?
 
GERARD LONGUET Je le regrette d’autant plus que je ne l’ai pas comparé mais qu’il y avait maladresse de ma part, je le reconnais.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 30 janvier 2012