Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien "Nice Matin" le 4 novembre 2011 à Cannes, sur le plan de sauvegarde pour la Grèce, la crise de la zone euro, le G20 et la présidence française, le plan de rigueur pour la France et la Libye.

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Média : Le Var Nice matin - Nice matin

Texte intégral

Q - Georges Papandréou pourrait renoncer à son referendum et son opposition décide de soutenir le plan de sauvegarde. Tout est donc réglé ?
R - Mercredi, le président de la République, la chancelière allemande, les représentants des institutions européennes et Mme Lagarde ont lancé un appel à l’unité nationale en Grèce. Cet appel a été entendu et l’objectif est atteint. Ce qui nous inquiétait c’était que la mise en œuvre de ces décisions, absolument indispensables pour la stabilisation de la zone euro, ne soit retardée jusqu’à un possible referendum. Apparemment le calendrier a été modifié. Je n’ai pas de jugement à porter sur le choix des forces politiques grecques. La seule chose qui nous importait c’est que les engagements que suppose l’appartenance à la zone euro soient tenus et de ce point de vue là, le langage très ferme tenu avant-hier par la France et l’Allemagne a été entendu.
Q - Ce revirement est-il le fruit de la pression franco-allemande ?
R - Le message a été très clair : l’Europe ne pourrait pas verser la sixième tranche d’aide à la Grèce de 8 milliards d’euros si la mise en œuvre des décisions du 27 octobre était suspendue. C’est peut-être un élément qui a pesé dans la balance.
Q - Cet épisode laissera-t-il des traces au sein de l’Union européenne ?
R - Je pense que nous allons surmonter cette épreuve. Mais dire que tout est réglé pour autant, certainement pas. Il faut aussi que l’ensemble de la zone euro accélère les décisions des 26 et 27 octobre. Et que nous mettions un coup d’accélérateur au Fonds européen de stabilité financière (FESF).
Q - Pour éviter le risque de contagion à d’autres pays comme l’Italie ou l’Espagne ?
R - Exactement. Ce risque existe mais nous sommes décidés à dresser des pare-feux pour éviter cet effet de contagion. Cela passe notamment par un effet de levier important du FESF de façon à ce que l’on puisse dissuader tous ceux qui douteraient de la stabilité de la zone euro et de notre détermination à la défendre.
Q - Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’il aurait mieux valu laisser les Grecs sortir de la zone euro ?
R - Nous avons tout fait pour éviter que la Grèce ne sorte pas. Pour une raison morale, d’abord, car nous sommes solidaires les uns des autres. Ensuite car nous pensons que cela aurait été une très mauvaise chose pour la Grèce et son peuple dont nous comprenons les difficultés. Enfin c’est notre propre intérêt car nos banques ont accepté d’effacer 50 % de leurs créances sur la Grèce et que si celle-ci fait défaut, cela sera 100 %...
Q - La réforme du système monétaire international est un des objectifs de ce G20. Le FMI doit-il, comme le suggère Barack Obama, jouer un rôle de soutien plus important ?
R - Nous soutenons l’idée d’accroître la surveillance du FMI sur les différents pays et de lui donner des moyens supplémentaires en renforçant notamment les droits de tirage spéciaux. Nous travaillons pour que cela soit acté dans le communiqué final.
Q - La taxe sur les transactions financières a-t-elle des chances de voir le jour ?
R - Elle est sur la bonne voie. Nous avons consacré ce jeudi une séance de travail au développement. Nous avons entendu le rapport de Bill Gates qui a fait beaucoup de propositions très intéressantes. Il présente un panel de financements innovants : une taxe sur le tabac, sur les transports maritimes et une taxe sur les transactions financières en faveur de laquelle la France milite. Cette taxe peut être extrêmement utile : le rapport de la commission européenne a montré qu’on pouvait effectivement taxer les transactions entre les établissements financiers.
Q - C’est donc une bonne idée ?
R - Il faudra ensuite discuter de l’utilisation des fonds. Un certain nombre de pays sont déterminés à aller de l’avant : la France et l’Allemagne, plusieurs autres européens à l’exception de la Grande-Bretagne qui a toujours manifesté ses objections. Des pays comme le Brésil ou l’Argentine ont pris clairement position pour cette taxe et le président des États-Unis a indiqué qu’il était ouvert à l’idée qu’il y ait une contribution des établissements financiers à la résolution de la crise. On progresse.
Q - Les Français sont inquiets. Pour les rassurer, vous leur dites «nous savons où nous allons et c’est avec Nicolas Sarkozy» ?
R - Oui, nous savons où nous allons : stopper l’endettement et réduire les déficits étape par étape pour retrouver l’équilibre en 2016.
Q - Barack Obama a salué le leadership de Nicolas Sarkozy. Vous êtes d’accord avec lui ?
R - Il n’est pas le seul à saluer ce leadership. On voit bien que le président est à la manœuvre, à la fois en Europe et au niveau mondial.
Q - La France préside le G20. Que restera-t-il de cette présidence ?
R - Des mesures précises : le renforcement du FMI, la taxe sur les transactions financières, des projets d’infrastructures prioritaires dans les pays en développement. Nous avons également amené les pays du G20 à accepter l’idée d’un socle social minimal que tout le monde doit respecter. Il y a un certain nombre de règles sociales qui sont adoptées par tout le monde. C’est une petite révolution. Au niveau agricole, citons également toutes les mesures pour soutenir la production.
Q - C’est assez inhabituel, vous êtes le seul ministre des Affaires étrangères du G20 présent à ce sommet. Quel rôle jouez-vous ?
R - D’abord, je suis ministre des Affaires étrangères et européennes. À Cannes, nous parlons beaucoup d’Europe, il est normal que je sois associé à tout cela. Ensuite, le président souhaitait que je sois là pour prendre mon avis.
(…)
Q - On a beaucoup dit que Nicolas Sarkozy avait abîmé l’image de la France. Ça vous choque ?
R - C’est inexact. C’est radicalement faux. Dans le monde arabe par exemple. Aux États-Unis, la France est considérée comme un allié, certes qui défend ses intérêts, mais fidèle et sûr. En Europe, le leadership de Nicolas Sarkozy est incontestable.
(…)
Q - Les Français sont-ils vraiment prêts à supporter un nouveau plan de rigueur ?
R - Certains pays européens sont obligés de prendre des mesures qui n’ont rien à voir avec celles qui ont été prises en France. Le gouvernement protège les citoyens et continuera de le faire. Personne ne pourra échapper à la nécessité de stopper la spirale du surendettement. Les Français peuvent le comprendre : c’est ce qui se passe quand des ménages sont surendettés. Quand vous êtes surendettés, on ne vous prête plus. La France a son triple A et elle va le défendre, mais il est impératif que nous stoppions cette spirale. Nous nous sommes fixés une ligne très claire avec un objectif de retour à l’équilibre en 2016. Dans la mesure où la croissance n’est pas là et où nous avons dû revoir nos prévisions de 1,75 à 1 %, il faut compenser ce manque-à-gagner.
Q - Cela se traduira de quelle manière ?
R - Le gouvernement y travaille. Les décisions seront prises la semaine prochaine. Elles seront prises dans un grand souci de justice de façon à répartir les efforts équitablement pour qu’ils ne soient pas supportés par les plus modestes.
Q - 10 000 missiles sol-air ont disparu des entrepôts de l’Otan en Lybie. Avez-vous plus de détails ?
R - Non. Mais nous sommes très préoccupés. Nous savons que certaines armes chimiques sont sous contrôle mais d’autres et notamment des missiles sol-air se sont évaporés en direction du Sahel. C’est une raison supplémentaire pour renforcer notre coopération dans cette région.
Q - Un mot sur les polémiques concernant la position de la France dans les printemps arabes ?
R - D’un côté on nous a reproché d’avoir trop tardé à défendre les printemps arabes et aujourd’hui on nous reproche d’avoir pris des risques mal calculés en ouvrant la boîte de Pandore. Il n’y a pas de révolutions qui se passent comme un long fleuve tranquille. Il va y avoir des difficultés, des extrémismes, mais il faut faire confiance. Il y a des interlocuteurs modérés avec qui nous pouvons dialoguer et pour qui l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011