Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Le Grand Rendez-vous Itélé, Europe 1, Le Parisien Aujourd'hui" le 6 novembre 2011, sur la crise de la dette dans la zone euro et le plan de sauvegarde de la Grèce, le sommet du G20, le nucléaire iranien, le dossier syrien, la Libye et la transition politique dans les pays du "printemps arabe".

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Média : Europe 1 - Itélé - Le Parisien

Texte intégral

(…)
Q - Lorsque l’on parle de nouveau grand domaine franco-allemand, est-ce que les Français comprennent ce que cela veut dire ? Est-ce que les Français comprennent qu’il faudra prendre des mesures très difficiles pour être au niveau de l’Allemagne ?
R - Ce n’est pas très difficile d’être au niveau de l’Allemagne. Nous avions un avantage de compétitivité il y a quelques années, nous l’avons perdu aujourd’hui. Nous sommes à peu près, en termes de coût horaire de travail, au niveau de l’Allemagne. Nous avons tous les moyens de relever le défi. Et la France est un pays puissant, un pays qui a des atouts, c’est la cinquième puissance économique du monde.
Q - Encore ? Toujours ?
R - Oui, toujours.
Quand on est autour de la table du G20, vous avez la Chine, le Brésil, l’Inde, mais il y a aussi la France et elle pèse de tout son poids, bien sûr en tant que Présidente du G20 mais aussi du fait de son économie. L’Union européenne est la première puissance économique du monde. Alors, arrêtons de voir tout en noir. Si nous ne prenons pas un certain nombre de mesures, oui, nous allons à la catastrophe, mais si nous les prenons, nous pouvons, j’en suis absolument convaincu, rebondir et repartir de l’avant.
Q - Vous êtes partisan d’une ligne plus radicale au niveau des mesures ?
R - Non, je n’ai pas dit cela. J’ai dit : il faut prendre des mesures pour respecter nos engagements.
(…)
Q - Vous avez assisté et vous avez participé à toutes les rencontres à Cannes, à tous les tête-à-tête. C’est un statut privilégié d’Alain Juppé. Vous pouvez dire la vérité. On attendait beaucoup du G20 de Cannes, peut-être beaucoup trop…
R - (…) Ce sommet a été utile. D’abord, quand nous sommes entrés en séance à Cannes, vous l’avez dit vous-même, l’Europe était au bord du gouffre ; nous avons appris, la veille, l’annonce par M. Papandréou d’un référendum qui remettait en cause tout le paquet que nous avions adopté le 27 octobre à Bruxelles pour sauvegarder la zone euro. La première chose qu’il a fallu que le président de la République fasse, en étroite liaison avec Mme Merkel, c’est traiter ce problème grec, en disant aux Grecs : vous êtes obligés d’infliger à votre population des mesures très dures et très impopulaires mais vous avez pris des engagements, il faut tenir ces engagements et nous ne vous donnerons pas davantage d’argent si vous ne tenez pas ces engagements.
Nous n’avons pas demandé aux Grecs de renoncer au référendum, nous leur avons dit : vous ne pouvez pas nous reporter au mois de février ou au mois de mars pour prendre vos décisions. Vous devez prendre vos décisions maintenant, c’est votre souveraineté ; si vous voulez faire un référendum, faites un référendum mais faites-le tout de suite et posez la bonne question. Et la bonne question, ce n’est pas : voulez-vous ou ne voulez-vous pas de l’argent européen ? La bonne question c’est de savoir, voulez-vous, oui ou non, rester dans l’euro avec les devoirs que cela comporte ?
Q - Vous confirmez qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont secoué M. Papandréou pour le retourner ? Vous a-t-il expliqué pourquoi il voulait un référendum ? Y a-t-il eu des menaces de coup d’État militaire, comme on l’a dit, en Grèce ?
R - Il nous a simplement dit que sa population ne comprenait pas les mesures qui étaient imposées et qu’il avait besoin de leur donner la parole. Alors, il y a plusieurs façons de le faire : il y a le référendum, il est question d’élections anticipées, c’est aux Grecs d’en décider. Nous, nous avons tout simplement défendu les intérêts de l’Europe, de la France et des Allemands. On ne peut pas continuer à donner de l’argent européen si nos partenaires, en l’espèce les Grecs, ne tiennent pas leurs engagements.
Q - Est-ce que c’est valable pour le prochain gouvernement qui va se former ? «Vous ne respectez pas vos engagements, pas de sous.»
R - Bien entendu. Si vous avez bien écouté ce qu’a dit le président de la République. Il a dit : «nous disons à la majorité et à l’opposition… ». Et puis, nous avons aussi lancé un appel à l’unité des forces politiques grecques. Eh bien, tout ce que nous avons fait a abouti.
Q - Pour l’instant, le parti d’opposition grec, «Nouvelle démocratie», qui est la droite grecque, refuse un gouvernement d’union nationale, appelle à des élections anticipées et parle même de renégocier éventuellement l’accord parce qu’il ne veut pas faire de chèque en blanc.
R - Jusqu’à présent j’avais entendu l’opposition se dire prête à soutenir le plan. On verra. C’est aux Grecs de prendre leurs responsabilités.
Q - Est-ce que l’accord sera renégocié ?
R - Non. Les accords ne se renégocieront pas.
Q - Quelque soit le gouvernement ?
R - Absolument. Ce qui a été décidé le 27 octobre doit être mis en œuvre par tout le monde, non seulement par les Grecs mais par les autres.
Q - Mais est-ce que les peuples n’ont pas le droit d’être consultés ?
R - Si le peuple grec décide demain de sortir de l’euro, qui peut s’y opposer ? C’est simplement aux forces grecques d’expliquer à la population grecque les avantages et les inconvénients de la sortie de l’euro. Imaginons que la Grèce sorte de l’euro demain, il faut que les Grecs soient parfaitement conscients de ce qui va se passer.
Q - Lors du G20, l’Europe a affiché ses divisions et ses complexités. Si vous étiez Chinois ou Brésilien, diriez-vous que la zone euro est aujourd’hui encore crédible ?
R - Elle est crédible. Comme je le rappelais tout à l’heure, l’Europe est la première puissance économique du monde. Elle est en difficulté, elle n’est pas la seule. La zone euro est endettée, mais les Américains sont presque deux fois plus endettés que nous. Le Japon est également dans une situation très difficile et les pays émergents eux-mêmes ont des problèmes.
Ce qui est apparu très fortement au G20, c’est l’interdépendance ; nous sommes totalement interconnectés. Les Chinois ont intérêt à ce que l’Union européenne marche bien. Pourquoi étaient-ils inquiets au début du G20 ? Pourquoi nous ont-ils posé beaucoup de questions sur la façon dont nous allions sortir de la crise de la dette ? Parce qu’ils se sentent concernés ; parce que si les marchés européens faiblissent ou se ferment, c’est une catastrophe pour la Chine et on pourrait en dire autant pour les États-Unis.
Nous sommes dans un monde où tout est solidaire ; nous sommes sur le même navire, d’où l’importance du G20. Le G20, c’est quoi ? C’est 85 % de la richesse mondiale, 85 % de la production de l’économie mondiale représentée par 20 pays.
Q - Avec la capacité de faire passer des mesures contraignantes, parce que cela reste informel n’est-ce pas ?
R - C’est informel, mais ce sont des engagements qui sont tenus. Des progrès très importants ont été faits depuis les précédentes réunions du G20, sur la régulation financière par exemple, sur la lutte contre les paradis fiscaux. Il y a eu des progrès très concrets qui ont été faits.
Q - En lançant le G20, la Présidence française, Nicolas Sarkozy a parlé de refonder le capitalisme, de mettre en place un nouveau «Bretton Woods», de lutter contre les paradis fiscaux. Concrètement, le compte y est-il ? Qu’est-il sorti de ce G20 ?
R - Ce G20 a été très utile, on a progressé dans beaucoup de domaines avec même des percées. Je sais bien que ce mot est galvaudé, mais je n’hésiterais pas à le qualifier d’historique. Nous avons fait accepter par les 20 grands États du G20 l’idée que dans la mondialisation, il fallait des normes sociales ; un socle social, c’est le mot qui a été utilisé.
Vous savez que l’Organisation internationale du Travail a prévu un certain nombre de conventions internationales qui stipulent que l’on ne peut pas faire travailler les enfants, que l’on ne peut pas faire travailler les gens dans n’importe quelles conditions, qu’il faut un minimum de protection sociale. Jusqu’à présent, nos grands partenaires émergents disaient : «ne nous embêtez pas avec cela, nous voulons nous développer, on verra plus tard». Ils ont accepté cette idée qu’il fallait que tous les pays partagent ce socle social. C’est une percée importante, cela ne va pas changer les choses demain matin, il faudrait être naïf pour dire cela, mais c’est une direction très importante.
Je voudrais prendre un autre exemple : sur la contribution des banques, il y a eu un grand débat, on a demandé un rapport à Bill Gates sur la taxe sur les transactions financières. Il y a quand même eu un accord, y compris de la part des Américains. C’est la première fois qu’un président américain disait qu’il fallait que les banques contribuent. Chacun va le faire à sa manière : certains Européens, la France et l’Allemagne, sont attachés à la taxe sur les transactions financières ; les Britanniques pas du tout.
(…)
Q - François Hollande a dit que Nicolas Sarkozy a été l’animateur d’un Sommet sans vraiment de résultats…
R - D’abord, animer un Sommet où sont réunis les 20 plus grands chefs d’État et de gouvernement de la planète, c’est déjà un travail formidable et le président l’a fait de manière incontestée. Tout le monde a salué son leadership et, en plus, il a fait avancer les choses. S’il ne s’était pas engagé, comme il l’a fait, avec Mme Merkel le premier soir vis-à-vis de M. Papandreou, si on n’avait pas traité le problème italien comme il l’a fait avec la capacité d’initiative qui est la sienne, sans doute aurions-nous donné à l’ensemble de la planète un spectacle tout à fait délirant. Nous avons évité cela et on le doit en grande partie à Nicolas Sarkozy.
Q - Ah bon ? Parce que l’on dit que le vrai leadership, c’est surtout Mme Merkel ?
R - Bien sûr, en effet, en Allemagne on dit l’inverse. Il faut un peu relativiser.
Q - D’autres disent que c’est un diktat franco-allemand ?
R - Ce n’est pas un diktat. Là aussi, il faut de temps en temps tenir compte des réalités : la France et l’Allemagne, c’est 55 % de la richesse européenne ; il n’est donc pas tout à fait anormal que nous ayons notre mot à dire.
Par ailleurs, quand la France et l’Allemagne ne prennent pas conjointement des initiatives, tout le monde dit : «que font-ils ? Il n’y a pas d’impulsion franco-allemande». Il faut que nous le fassions, avec les autres bien entendu, cela se bâtit à plusieurs, à 17. On voit bien la direction qui est en train de s’esquisser. Je reviens à ce que je disais tout à l’heure, ce sera un des grands débats de l’an prochain, il faut que l’on aille - j’ai utilisé ce terme peut-être un peu audacieux - vers une euro fédération entre les 17 pays de l’Eurozone, avec une politique budgétaire plus intégrée. On est en train de le faire, avec une harmonisation fiscale ; vous avez parlé tout à l’heure de l’impôt franco-allemand sur les sociétés, c’est cela la bonne direction.
Q - Donc, au moins deux Europe ?
R - Sans doute. Avec tous ceux qui voudront, ce sera ouvert.
Q - L’Italie, c’est le prochain dossier brûlant avec une dette six fois supérieure à celle de la Grèce. Avez-vous confiance en Silvio Berlusconi ?
R - L’Italie est une économie puissante, la Grèce est économiquement un petit pays. C’est un grand pays pour d’autres raisons mais, économiquement, c’est un petit pays. L’Italie est un grand pays avec une économie forte et des entreprises puissantes. C’est la réalité mais l’Italie à un problème de crédibilité. Il y a un problème de confiance.
Q - Est-ce l’Italie qui a un problème de crédibilité, ou son chef de gouvernement ?
R- Il faut lutter contre cette défiance et c’est la raison pour laquelle, après les discussions que nous avons eues, le chef du gouvernement italien nous a dit qu’il avait fait adopter un programme de réformes validé par le Conseil européen. Il a même poursuivi en disant : «pour vous rassurer sur la façon dont ce programme sera appliqué, j’accepte, je demande même un processus de surveillance par la Commission européenne et par le FMI». Je pense que c’est de nature à calmer les marchés.
Q - Franchement, il vous rassure ?
R - Il faudra être vigilant.
Q - C’est-à-dire, envoyer le FMI ?
R - S’assurer, comme cela a été décidé, que sur la base des rapports du FMI les réformes seront faites.
Q - On a noté que les États-Unis, à travers la présence de Barak Obama, s’intéressent à l’Europe et qu’ils ne sont pas non plus dans la meilleure forme. Barak Obama a semblé jouer le jeu de ce Sommet, en particulier avec Nicolas Sarkozy lors de leur interview à la télévision. Pour l’opposition, c’est de la communication électoraliste. N’en ont-ils pas fait trop tous les deux ?
R - (…) Il est tout à fait normal qu’au terme d’un G20, le président du G20 - je vous rappelle que la France présidait le G20 et c’est donc Nicolas Sarkozy qui présidait le G20 - puisse s’exprimer en présence de notre principal partenaire. (…) Il faut faire la part de la courtoisie diplomatique, mais ce qui m’intéresse, surtout, après ce que j’ai entendu pendant trois jours à Cannes, c’est le message qui a été envoyé : les États-Unis et l’Europe marchent ensemble et c’est absolument capital comme réponse.
Q - Vous voulez dire que cela donne confiance ?
R - Cela donne confiance même si cela boîte peut-être. Il faut se remettre sur nos deux pieds, et ce message-là était absolument capital. Si on avait laissé entendre, de la moindre façon que ce soit, qu’il y avait des désaccords profonds entre l’Europe et les États-Unis, alors cela repartait pour un tour. Je voudrais dire aussi, à propos du G20 - j’ai parlé du socle social, j’ai parlé de la contribution des banques -, que l’on a également envoyé un message très fort en disant que tous les pays du G20 sont d’accord pour développer des plans d’action en faveur de la croissance et de l’emploi. Les États-Unis ont fait des annonces ; la Chine a fait des annonces en expliquant qu’elle allait réorienter son modèle de croissance vers la consommation ; l’Europe a annoncé son plan. Là aussi, nous avons bien travaillé, je crois, pour les économies mondiales.
(…)
Q - En Israël, le débat monte sur la nécessité de frapper ou non de façon préventive les sites nucléaires iraniens. Nicolas Sarkozy a dit que si l’existence d’Israël était menacée, la France ne resterait pas les bras croisés. Qu’est ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire ce que cela veut dire. Si Israël est attaqué, la France se rangera à ses côtés pour assurer sa sécurité, comme nous l’avons toujours dit. Que se passe-t-il vis-à-vis de l’Iran ? L’Iran se comporte mal ; nous avons la conviction - et le prochain rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique ira vraisemblablement dans ce sens - que son programme de développement de l’énergie nucléaire poursuit des objectifs militaires et qu’il se prépare donc à avoir une bombe. Ce n’est pas acceptable. D’abord, ce n’est pas conforme aux traités internationaux et, ensuite, ce serait une menace déstabilisant l’ensemble de la région et au delà. Nous disons à l’Iran que nous ne l’accepterons pas.
Premièrement, nous avons proposé un dialogue avec l’Iran, mais l’Iran nie que son programme nucléaire ait des fins militaires ; mettons-nous autour de la table et apportons des preuves. Deuxièmement, nous avons pris des sanctions que nous ne cessons de compléter ; nous pouvons encore les durcir pour faire pression sur l’Iran. Nous allons continuer dans cette voie parce qu’une intervention pourrait créer une situation totalement déstabilisatrice dans la région. Il faut tout faire pour éviter l’irréparable.
Q - Et si Israël frappe de façon préventive, quelle sera la position de la France ?
R - Vous connaissez ma position, je souhaite que nous n’en arrivions pas là.
Q - La France a récemment voté pour l’admission de la Palestine, qui n’est pas encore un État, à l’Unesco ; dans quelques jours lors du vote au Conseil de sécurité des Nations unies, est-ce que la France va voter dans cette logique et cohérence ?
R - Notre logique n’est pas tout à fait la vôtre. Nous avons une position tout à fait cohérente. Au Conseil de sécurité, les Palestiniens vont dans l’impasse, ils n’obtiendront pas satisfaction ; il y aura un veto américain, il a été annoncé. Nous leur disons : «ne faites pas ça. À quoi cela vous mène ?» ; et nous n’allons rien faire pour les y encourager. C’est la raison pour laquelle nous avons annoncé que nous nous abstiendrons.
Mais, d’un autre côté, nous pensons qu’il faut progresser dans la reconnaissance du statut d’État vis-à-vis de l’Autorité palestinienne ; cela fait des décennies que nous le leur promettons. Nous leur avons donc proposé de passer par l’Assemblée générale, où l’on peut avoir une large majorité reconnaissant à la Palestine non pas la qualité d’État membre des Nations unies mais la qualité d’État non-membre observateur ; ce qui serait déjà un pas en avant. C’est dans la même logique qu’à l’Assemblée générale de l’UNESCO nous avons voté pour l’entrée de la Palestine.
Q - Vous avez noté qu’Israël et les États-Unis ont décidé de couper les vivres de l’UNESCO. Demandez-vous le retrait ou la suspension des représailles contre l’UNESCO ?
R - Bien sûr, je peux très bien le demander mais, comme vous le savez, cela n’aboutira à rien. Le Congrès américain a voté une loi et il l’appliquera. Naturellement, nous regrettons cette décision et, en tout cas, il faut sortir du statu quo. Nous pressons les deux parties pour qu’elles reviennent à la table des négociations. Nous constatons également que toutes les initiatives qui ont été prises jusqu’à présent ne l’ont pas permis. D’où la proposition que nous avons faite- je n’a pas le temps de rentrer dans le détail - d’une résolution à l’Assemblée générale qui pourrait ouvrir la voie à ce retour aux négociations. Je crois que, là encore, la diplomatie française est en initiative.
Q - Le Premier ministre israélien n’en veut pas, il autorise au contraire la création de logements dans les colonies…
R - Ce n’est pas une raison pour renoncer.
Q - Puisqu’on parle d’aides versées, conditionnées à des évolutions, est-ce que, après le vote en Tunisie et l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda, l’aide promise à Deauville dans le cadre du Partenariat est maintenue par la France ?
R - Bien sûr. Vous savez, nous sommes là dans une situation tout à fait extraordinaire. Il y a encore trois ou six mois, on reprochait à la France de ne pas être suffisamment allante dans le soutien au Printemps arabes et, maintenant, on nous dit : «vous avez ouvert la boîte de Pandore, c’est la catastrophe». Gardons un peu de sang-froid et un peu de perspective, on sait bien qu’aucune révolution ne se passe dans le calme complet ; chez nous non plus cela n’a pas été le cas…
Il va certes y avoir des difficultés, mais il faut faire confiance. J’écoute le discours du parti Ennahda qui est en tête aux élections tunisiennes et que dit-il ? Il dit : «nous voulons un pays qui fait référence à l’Islam mais qui respecte les principes démocratiques. En particulier, nous nous engageons à ne pas dégrader le statut de la femme et même à l’améliorer».
Q - Et vous les croyez ?
R - Pourquoi ne les croirais-je pas ?
Q - Parce qu’on a compris qu’il y avait un double langage…
R - Ne faisons pas ce genre de parallèle abusif. Je fais confiance à ceux qui disent cela. Je vais aller les voir, je vais aller parler avec eux, on va travailler avec eux. Partir du principe - et c’est une idée qui est très profondément ancrée chez nous, peut-être parce qu’il y a un défaut de dialogue - que Islam et démocratie sont incompatibles, c’est quelque chose d’extraordinaire. Il est vrai qu’en France nous avons une vision de la laïcité très marquée, mais il y a de nombreux pays où on fait référence à la religion dans la vie publique.
La reine d’Angleterre est chef de l’église anglicane, c’est une référence à la religion.
Il n’est pas du tout en dehors de nos vues et de nos principes qu’un État musulman puisse faire référence à l’Islam. Qu’est ce qui vous permet de dire aujourd’hui que, depuis la chute de Ben Ali, il y a une islamisation de la société tunisienne ? Qu’est ce qui vous permet de le dire ?
Q - Parce que votre ambassadeur, Boris Boillon, vous le raconte et vous le dit…
R - Pas du tout, il me dit justement le contraire ; il me dit que les responsables d’Ennahda ont un discours qui mérite d’être entendu. Nous allons donc continuer à parler avec eux. Nous dirons : «attention, nous sommes vigilants sur un certain nombre de principes démocratiques». Je pense qu’il faut être optimiste et confiant dans l’avenir.
Q - Sans être optimiste, on peut même penser que la théocratie est soluble dans la démocratie à terme…
R - Il faut alors interrompre nos relations avec la Turquie au motif qu’en Turquie un parti islamique est au gouvernement…
Q - Il faut voir ce qui est en train de se passer avec toute lucidité, mais lorsque vous dites que la France sera vigilante sur le respect des droits de l’Homme, ceux de la Femme… est-ce qu’on va le faire mieux que du temps de Ben Ali, parce qu’on était vigilant et il s’est produit des choses…
R - Oui, mais on a eu tort, on l’a reconnu d’ailleurs. On s’est laissé intoxiquer pendant de longues années précisément par des dictateurs qui nous disaient un peu ce que j’entends dire aujourd’hui : «nous sommes le meilleur rempart contre l’islamisme…»
Q - Donc ? Vous croyez dans l’évolution pragmatique et politique de l’Islam au pouvoir. Est-ce que le Hamas dans la bande de Gaza peut suivre cette évolution, maintenant qu’il a libéré Gilad Shalit ? C’est aussi une évolution que vous appelez de vos vœux ou que vous constatez ?
R - Je ne la constate pas car nous avons demandé au Hamas d’accepter un certain nombre de principes, en particulier le renoncement à la violence et au terrorisme, la reconnaissance de l’État d’Israël et cela n’a pas été suivi d’effet.
Q - Sur le dossier syrien, est-ce qu’il n’y pas une faillite de la communauté internationale ?
R - Absolument. Il y a une faillite du Conseil de sécurité. La France a pris une position extrêmement claire. Dès le début, nous avons dit : «c’est inacceptable». On ne peut pas tirer au canon sur une population qui veut tout simplement s’exprimer et conquérir des libertés démocratiques.
Nous avons été suivis et accompagnés par l’ensemble de nos partenaires européens. L’Europe a pris des sanctions qui sont durcies petit à petit et qui gênent le régime syrien. Mais nous n’avons pas été suivis au Conseil de sécurité parce qu’un certain nombre de puissances y sont opposées.
Nous continuons. Différentes initiatives ont été prises pour essayer d’amener Bachar el Assad au dialogue. Vous avez vu la dernière initiative de la Ligue arabe : M. Bachar el Assad accepte le plan de cette organisation qui prévoit, entre autre, l’arrêt de la répression et, le lendemain, il massacre encore des dizaines de personnes dans la rue.
Q - Là, il n’y aura pas de frappes aériennes…
R - Tout d’abord, la situation n’est pas comparable avec celle de la Libye et, surtout, jamais la France ne s’engagera dans une opération militaire s’il n’y a pas de mandat des Nations unies. Or, il est évident aujourd’hui qu’il n’y aura pas de mandat de cette organisation…
Q - C’est donc le peuple syrien qui doit se débarrasser de son dictateur ?
R - Nous pouvons aider l’opposition. Nous parlons avec elle et nous essayons de les aider à s’organiser, à se structurer. Je pense que l’on n’a plus rien à attendre de ce régime et, malgré ses annonces régulières, il ne s’engagera pas dans un programme de réformes. L’opposition a bien compris qu’il n’y avait pas d’issue ; cela va être long et difficile. Je regrette beaucoup ce qui se passe et ce n’est pas à l’honneur des Nations unies.
Q - En Libye, on dit qu’il y a tout un arsenal d’armes modernes et de missiles qui auraient disparu, est-ce que vous le confirmez ?
R - Il y a des armes sous contrôle - des armes chimiques ou des armes bactériologiques - mais il est vrai qu’il y a des missiles sol-air qui sont partis de Libye ; je ne peux pas vous confirmer le chiffre. Nous essayons de renforcer la coopération internationale autour du Sahel avec les pays du Sahel, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger, le Mali pour essayer de mieux contrôler la situation. Il est vrai que la situation présente des risques.
Q - Est-ce qu’il y a un danger d’approvisionnement des terroristes ?
R - Il y a une menace terroriste très forte dans cette région. Vous savez que nous y avons encore quatre otages que nous essayons de faire libérer.
Q - Est-ce qu’on peut envisager de récupérer ces armes ?
R - Si nous pouvons, nous les récupérerons, c’est certain. Il appartient surtout aux pays de la région de s’organiser. La France n’est pas présente militairement au Sahel, sinon par des moyens d’observation.
(…)
Q - Après cette semaine au G20, marquée par la présence de tous les chefs d’État, lequel vous a le plus impressionné ?
R - Chacun a joué son rôle et je peux vous dire que, pour moi, cela a été un moment très fort. Ils ont tous une personnalité forte, très différente ; la présidente argentine n’est pas le président de Chine ou le président indien, chacun a sa personnalité…
Q - Le président chinois Hu Jintao parle ou, comme d’habitude, lit-il des notes préparées à Pékin ?
R - Cela s’est fait pendant un certain temps dans la diplomatie chinoise. Aujourd’hui, le dialogue est beaucoup plus direct, beaucoup plus franc. Ces discussions ont été tout à fait passionnantes sur toute une série de sujets. On en a évoqué quelques uns ; il y en a beaucoup d’autres. On a beaucoup parlé d’agriculture aussi, de la nécessité de développer la production agricole pour lutter contre des phénomènes abominables comme la famine dans la Corne de l’Afrique, et beaucoup d’autres choses.
Q - Et comment faut-il faire pour que ce G20 adopte des mesures applicables et appliquées ? Faut-il un secrétariat général par exemple ?
R - Je crois que c’est une instance utile. Il y a quelques instants, on se demandait si le G20 servait à quelque chose et là vous me dites : est-ce que le G20 n’a pas pris le pouvoir ?
Le G20 est utile, ce n’est pas un directoire. On a eu un débat sur la gouvernance. M. Cameron a présenté un rapport ; il a été question effectivement d’un secrétariat, on s’est orienté vers une formule souple. Il ne s’agit de créer une nouvelle organisation mais ce qui est utile, c’est de suivre les décisions du G20. Il ne s’agit pas d’avancer des décisions, il faut les suivre. Vous savez que la prochaine présidence sera mexicaine et il faudrait qu’entre la Présidence française et la Présidence mexicaine il y ait une troïka. Cette troïka serait composée, par exemple, de la présidence en exercice, de la présidence précédente et de la présidence suivante, pour assurer précisément la cohérence.
(…).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011