Texte intégral
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Q - Lorsque lon parle de nouveau grand domaine franco-allemand, est-ce que les Français comprennent ce que cela veut dire ? Est-ce que les Français comprennent quil faudra prendre des mesures très difficiles pour être au niveau de lAllemagne ?
R - Ce nest pas très difficile dêtre au niveau de lAllemagne. Nous avions un avantage de compétitivité il y a quelques années, nous lavons perdu aujourdhui. Nous sommes à peu près, en termes de coût horaire de travail, au niveau de lAllemagne. Nous avons tous les moyens de relever le défi. Et la France est un pays puissant, un pays qui a des atouts, cest la cinquième puissance économique du monde.
Q - Encore ? Toujours ?
R - Oui, toujours.
Quand on est autour de la table du G20, vous avez la Chine, le Brésil, lInde, mais il y a aussi la France et elle pèse de tout son poids, bien sûr en tant que Présidente du G20 mais aussi du fait de son économie. LUnion européenne est la première puissance économique du monde. Alors, arrêtons de voir tout en noir. Si nous ne prenons pas un certain nombre de mesures, oui, nous allons à la catastrophe, mais si nous les prenons, nous pouvons, jen suis absolument convaincu, rebondir et repartir de lavant.
Q - Vous êtes partisan dune ligne plus radicale au niveau des mesures ?
R - Non, je nai pas dit cela. Jai dit : il faut prendre des mesures pour respecter nos engagements.
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Q - Vous avez assisté et vous avez participé à toutes les rencontres à Cannes, à tous les tête-à-tête. Cest un statut privilégié dAlain Juppé. Vous pouvez dire la vérité. On attendait beaucoup du G20 de Cannes, peut-être beaucoup trop
R - ( ) Ce sommet a été utile. Dabord, quand nous sommes entrés en séance à Cannes, vous lavez dit vous-même, lEurope était au bord du gouffre ; nous avons appris, la veille, lannonce par M. Papandréou dun référendum qui remettait en cause tout le paquet que nous avions adopté le 27 octobre à Bruxelles pour sauvegarder la zone euro. La première chose quil a fallu que le président de la République fasse, en étroite liaison avec Mme Merkel, cest traiter ce problème grec, en disant aux Grecs : vous êtes obligés dinfliger à votre population des mesures très dures et très impopulaires mais vous avez pris des engagements, il faut tenir ces engagements et nous ne vous donnerons pas davantage dargent si vous ne tenez pas ces engagements.
Nous navons pas demandé aux Grecs de renoncer au référendum, nous leur avons dit : vous ne pouvez pas nous reporter au mois de février ou au mois de mars pour prendre vos décisions. Vous devez prendre vos décisions maintenant, cest votre souveraineté ; si vous voulez faire un référendum, faites un référendum mais faites-le tout de suite et posez la bonne question. Et la bonne question, ce nest pas : voulez-vous ou ne voulez-vous pas de largent européen ? La bonne question cest de savoir, voulez-vous, oui ou non, rester dans leuro avec les devoirs que cela comporte ?
Q - Vous confirmez quAngela Merkel et Nicolas Sarkozy ont secoué M. Papandréou pour le retourner ? Vous a-t-il expliqué pourquoi il voulait un référendum ? Y a-t-il eu des menaces de coup dÉtat militaire, comme on la dit, en Grèce ?
R - Il nous a simplement dit que sa population ne comprenait pas les mesures qui étaient imposées et quil avait besoin de leur donner la parole. Alors, il y a plusieurs façons de le faire : il y a le référendum, il est question délections anticipées, cest aux Grecs den décider. Nous, nous avons tout simplement défendu les intérêts de lEurope, de la France et des Allemands. On ne peut pas continuer à donner de largent européen si nos partenaires, en lespèce les Grecs, ne tiennent pas leurs engagements.
Q - Est-ce que cest valable pour le prochain gouvernement qui va se former ? «Vous ne respectez pas vos engagements, pas de sous.»
R - Bien entendu. Si vous avez bien écouté ce qua dit le président de la République. Il a dit : «nous disons à la majorité et à lopposition ». Et puis, nous avons aussi lancé un appel à lunité des forces politiques grecques. Eh bien, tout ce que nous avons fait a abouti.
Q - Pour linstant, le parti dopposition grec, «Nouvelle démocratie», qui est la droite grecque, refuse un gouvernement dunion nationale, appelle à des élections anticipées et parle même de renégocier éventuellement laccord parce quil ne veut pas faire de chèque en blanc.
R - Jusquà présent javais entendu lopposition se dire prête à soutenir le plan. On verra. Cest aux Grecs de prendre leurs responsabilités.
Q - Est-ce que laccord sera renégocié ?
R - Non. Les accords ne se renégocieront pas.
Q - Quelque soit le gouvernement ?
R - Absolument. Ce qui a été décidé le 27 octobre doit être mis en uvre par tout le monde, non seulement par les Grecs mais par les autres.
Q - Mais est-ce que les peuples nont pas le droit dêtre consultés ?
R - Si le peuple grec décide demain de sortir de leuro, qui peut sy opposer ? Cest simplement aux forces grecques dexpliquer à la population grecque les avantages et les inconvénients de la sortie de leuro. Imaginons que la Grèce sorte de leuro demain, il faut que les Grecs soient parfaitement conscients de ce qui va se passer.
Q - Lors du G20, lEurope a affiché ses divisions et ses complexités. Si vous étiez Chinois ou Brésilien, diriez-vous que la zone euro est aujourdhui encore crédible ?
R - Elle est crédible. Comme je le rappelais tout à lheure, lEurope est la première puissance économique du monde. Elle est en difficulté, elle nest pas la seule. La zone euro est endettée, mais les Américains sont presque deux fois plus endettés que nous. Le Japon est également dans une situation très difficile et les pays émergents eux-mêmes ont des problèmes.
Ce qui est apparu très fortement au G20, cest linterdépendance ; nous sommes totalement interconnectés. Les Chinois ont intérêt à ce que lUnion européenne marche bien. Pourquoi étaient-ils inquiets au début du G20 ? Pourquoi nous ont-ils posé beaucoup de questions sur la façon dont nous allions sortir de la crise de la dette ? Parce quils se sentent concernés ; parce que si les marchés européens faiblissent ou se ferment, cest une catastrophe pour la Chine et on pourrait en dire autant pour les États-Unis.
Nous sommes dans un monde où tout est solidaire ; nous sommes sur le même navire, doù limportance du G20. Le G20, cest quoi ? Cest 85 % de la richesse mondiale, 85 % de la production de léconomie mondiale représentée par 20 pays.
Q - Avec la capacité de faire passer des mesures contraignantes, parce que cela reste informel nest-ce pas ?
R - Cest informel, mais ce sont des engagements qui sont tenus. Des progrès très importants ont été faits depuis les précédentes réunions du G20, sur la régulation financière par exemple, sur la lutte contre les paradis fiscaux. Il y a eu des progrès très concrets qui ont été faits.
Q - En lançant le G20, la Présidence française, Nicolas Sarkozy a parlé de refonder le capitalisme, de mettre en place un nouveau «Bretton Woods», de lutter contre les paradis fiscaux. Concrètement, le compte y est-il ? Quest-il sorti de ce G20 ?
R - Ce G20 a été très utile, on a progressé dans beaucoup de domaines avec même des percées. Je sais bien que ce mot est galvaudé, mais je nhésiterais pas à le qualifier dhistorique. Nous avons fait accepter par les 20 grands États du G20 lidée que dans la mondialisation, il fallait des normes sociales ; un socle social, cest le mot qui a été utilisé.
Vous savez que lOrganisation internationale du Travail a prévu un certain nombre de conventions internationales qui stipulent que lon ne peut pas faire travailler les enfants, que lon ne peut pas faire travailler les gens dans nimporte quelles conditions, quil faut un minimum de protection sociale. Jusquà présent, nos grands partenaires émergents disaient : «ne nous embêtez pas avec cela, nous voulons nous développer, on verra plus tard». Ils ont accepté cette idée quil fallait que tous les pays partagent ce socle social. Cest une percée importante, cela ne va pas changer les choses demain matin, il faudrait être naïf pour dire cela, mais cest une direction très importante.
Je voudrais prendre un autre exemple : sur la contribution des banques, il y a eu un grand débat, on a demandé un rapport à Bill Gates sur la taxe sur les transactions financières. Il y a quand même eu un accord, y compris de la part des Américains. Cest la première fois quun président américain disait quil fallait que les banques contribuent. Chacun va le faire à sa manière : certains Européens, la France et lAllemagne, sont attachés à la taxe sur les transactions financières ; les Britanniques pas du tout.
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Q - François Hollande a dit que Nicolas Sarkozy a été lanimateur dun Sommet sans vraiment de résultats
R - Dabord, animer un Sommet où sont réunis les 20 plus grands chefs dÉtat et de gouvernement de la planète, cest déjà un travail formidable et le président la fait de manière incontestée. Tout le monde a salué son leadership et, en plus, il a fait avancer les choses. Sil ne sétait pas engagé, comme il la fait, avec Mme Merkel le premier soir vis-à-vis de M. Papandreou, si on navait pas traité le problème italien comme il la fait avec la capacité dinitiative qui est la sienne, sans doute aurions-nous donné à lensemble de la planète un spectacle tout à fait délirant. Nous avons évité cela et on le doit en grande partie à Nicolas Sarkozy.
Q - Ah bon ? Parce que lon dit que le vrai leadership, cest surtout Mme Merkel ?
R - Bien sûr, en effet, en Allemagne on dit linverse. Il faut un peu relativiser.
Q - Dautres disent que cest un diktat franco-allemand ?
R - Ce nest pas un diktat. Là aussi, il faut de temps en temps tenir compte des réalités : la France et lAllemagne, cest 55 % de la richesse européenne ; il nest donc pas tout à fait anormal que nous ayons notre mot à dire.
Par ailleurs, quand la France et lAllemagne ne prennent pas conjointement des initiatives, tout le monde dit : «que font-ils ? Il ny a pas dimpulsion franco-allemande». Il faut que nous le fassions, avec les autres bien entendu, cela se bâtit à plusieurs, à 17. On voit bien la direction qui est en train de sesquisser. Je reviens à ce que je disais tout à lheure, ce sera un des grands débats de lan prochain, il faut que lon aille - jai utilisé ce terme peut-être un peu audacieux - vers une euro fédération entre les 17 pays de lEurozone, avec une politique budgétaire plus intégrée. On est en train de le faire, avec une harmonisation fiscale ; vous avez parlé tout à lheure de limpôt franco-allemand sur les sociétés, cest cela la bonne direction.
Q - Donc, au moins deux Europe ?
R - Sans doute. Avec tous ceux qui voudront, ce sera ouvert.
Q - LItalie, cest le prochain dossier brûlant avec une dette six fois supérieure à celle de la Grèce. Avez-vous confiance en Silvio Berlusconi ?
R - LItalie est une économie puissante, la Grèce est économiquement un petit pays. Cest un grand pays pour dautres raisons mais, économiquement, cest un petit pays. LItalie est un grand pays avec une économie forte et des entreprises puissantes. Cest la réalité mais lItalie à un problème de crédibilité. Il y a un problème de confiance.
Q - Est-ce lItalie qui a un problème de crédibilité, ou son chef de gouvernement ?
R- Il faut lutter contre cette défiance et cest la raison pour laquelle, après les discussions que nous avons eues, le chef du gouvernement italien nous a dit quil avait fait adopter un programme de réformes validé par le Conseil européen. Il a même poursuivi en disant : «pour vous rassurer sur la façon dont ce programme sera appliqué, jaccepte, je demande même un processus de surveillance par la Commission européenne et par le FMI». Je pense que cest de nature à calmer les marchés.
Q - Franchement, il vous rassure ?
R - Il faudra être vigilant.
Q - Cest-à-dire, envoyer le FMI ?
R - Sassurer, comme cela a été décidé, que sur la base des rapports du FMI les réformes seront faites.
Q - On a noté que les États-Unis, à travers la présence de Barak Obama, sintéressent à lEurope et quils ne sont pas non plus dans la meilleure forme. Barak Obama a semblé jouer le jeu de ce Sommet, en particulier avec Nicolas Sarkozy lors de leur interview à la télévision. Pour lopposition, cest de la communication électoraliste. Nen ont-ils pas fait trop tous les deux ?
R - ( ) Il est tout à fait normal quau terme dun G20, le président du G20 - je vous rappelle que la France présidait le G20 et cest donc Nicolas Sarkozy qui présidait le G20 - puisse sexprimer en présence de notre principal partenaire. ( ) Il faut faire la part de la courtoisie diplomatique, mais ce qui mintéresse, surtout, après ce que jai entendu pendant trois jours à Cannes, cest le message qui a été envoyé : les États-Unis et lEurope marchent ensemble et cest absolument capital comme réponse.
Q - Vous voulez dire que cela donne confiance ?
R - Cela donne confiance même si cela boîte peut-être. Il faut se remettre sur nos deux pieds, et ce message-là était absolument capital. Si on avait laissé entendre, de la moindre façon que ce soit, quil y avait des désaccords profonds entre lEurope et les États-Unis, alors cela repartait pour un tour. Je voudrais dire aussi, à propos du G20 - jai parlé du socle social, jai parlé de la contribution des banques -, que lon a également envoyé un message très fort en disant que tous les pays du G20 sont daccord pour développer des plans daction en faveur de la croissance et de lemploi. Les États-Unis ont fait des annonces ; la Chine a fait des annonces en expliquant quelle allait réorienter son modèle de croissance vers la consommation ; lEurope a annoncé son plan. Là aussi, nous avons bien travaillé, je crois, pour les économies mondiales.
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Q - En Israël, le débat monte sur la nécessité de frapper ou non de façon préventive les sites nucléaires iraniens. Nicolas Sarkozy a dit que si lexistence dIsraël était menacée, la France ne resterait pas les bras croisés. Quest ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire ce que cela veut dire. Si Israël est attaqué, la France se rangera à ses côtés pour assurer sa sécurité, comme nous lavons toujours dit. Que se passe-t-il vis-à-vis de lIran ? LIran se comporte mal ; nous avons la conviction - et le prochain rapport de lAgence internationale de lénergie atomique ira vraisemblablement dans ce sens - que son programme de développement de lénergie nucléaire poursuit des objectifs militaires et quil se prépare donc à avoir une bombe. Ce nest pas acceptable. Dabord, ce nest pas conforme aux traités internationaux et, ensuite, ce serait une menace déstabilisant lensemble de la région et au delà. Nous disons à lIran que nous ne laccepterons pas.
Premièrement, nous avons proposé un dialogue avec lIran, mais lIran nie que son programme nucléaire ait des fins militaires ; mettons-nous autour de la table et apportons des preuves. Deuxièmement, nous avons pris des sanctions que nous ne cessons de compléter ; nous pouvons encore les durcir pour faire pression sur lIran. Nous allons continuer dans cette voie parce quune intervention pourrait créer une situation totalement déstabilisatrice dans la région. Il faut tout faire pour éviter lirréparable.
Q - Et si Israël frappe de façon préventive, quelle sera la position de la France ?
R - Vous connaissez ma position, je souhaite que nous nen arrivions pas là.
Q - La France a récemment voté pour ladmission de la Palestine, qui nest pas encore un État, à lUnesco ; dans quelques jours lors du vote au Conseil de sécurité des Nations unies, est-ce que la France va voter dans cette logique et cohérence ?
R - Notre logique nest pas tout à fait la vôtre. Nous avons une position tout à fait cohérente. Au Conseil de sécurité, les Palestiniens vont dans limpasse, ils nobtiendront pas satisfaction ; il y aura un veto américain, il a été annoncé. Nous leur disons : «ne faites pas ça. À quoi cela vous mène ?» ; et nous nallons rien faire pour les y encourager. Cest la raison pour laquelle nous avons annoncé que nous nous abstiendrons.
Mais, dun autre côté, nous pensons quil faut progresser dans la reconnaissance du statut dÉtat vis-à-vis de lAutorité palestinienne ; cela fait des décennies que nous le leur promettons. Nous leur avons donc proposé de passer par lAssemblée générale, où lon peut avoir une large majorité reconnaissant à la Palestine non pas la qualité dÉtat membre des Nations unies mais la qualité dÉtat non-membre observateur ; ce qui serait déjà un pas en avant. Cest dans la même logique quà lAssemblée générale de lUNESCO nous avons voté pour lentrée de la Palestine.
Q - Vous avez noté quIsraël et les États-Unis ont décidé de couper les vivres de lUNESCO. Demandez-vous le retrait ou la suspension des représailles contre lUNESCO ?
R - Bien sûr, je peux très bien le demander mais, comme vous le savez, cela naboutira à rien. Le Congrès américain a voté une loi et il lappliquera. Naturellement, nous regrettons cette décision et, en tout cas, il faut sortir du statu quo. Nous pressons les deux parties pour quelles reviennent à la table des négociations. Nous constatons également que toutes les initiatives qui ont été prises jusquà présent ne lont pas permis. Doù la proposition que nous avons faite- je na pas le temps de rentrer dans le détail - dune résolution à lAssemblée générale qui pourrait ouvrir la voie à ce retour aux négociations. Je crois que, là encore, la diplomatie française est en initiative.
Q - Le Premier ministre israélien nen veut pas, il autorise au contraire la création de logements dans les colonies
R - Ce nest pas une raison pour renoncer.
Q - Puisquon parle daides versées, conditionnées à des évolutions, est-ce que, après le vote en Tunisie et larrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda, laide promise à Deauville dans le cadre du Partenariat est maintenue par la France ?
R - Bien sûr. Vous savez, nous sommes là dans une situation tout à fait extraordinaire. Il y a encore trois ou six mois, on reprochait à la France de ne pas être suffisamment allante dans le soutien au Printemps arabes et, maintenant, on nous dit : «vous avez ouvert la boîte de Pandore, cest la catastrophe». Gardons un peu de sang-froid et un peu de perspective, on sait bien quaucune révolution ne se passe dans le calme complet ; chez nous non plus cela na pas été le cas
Il va certes y avoir des difficultés, mais il faut faire confiance. Jécoute le discours du parti Ennahda qui est en tête aux élections tunisiennes et que dit-il ? Il dit : «nous voulons un pays qui fait référence à lIslam mais qui respecte les principes démocratiques. En particulier, nous nous engageons à ne pas dégrader le statut de la femme et même à laméliorer».
Q - Et vous les croyez ?
R - Pourquoi ne les croirais-je pas ?
Q - Parce quon a compris quil y avait un double langage
R - Ne faisons pas ce genre de parallèle abusif. Je fais confiance à ceux qui disent cela. Je vais aller les voir, je vais aller parler avec eux, on va travailler avec eux. Partir du principe - et cest une idée qui est très profondément ancrée chez nous, peut-être parce quil y a un défaut de dialogue - que Islam et démocratie sont incompatibles, cest quelque chose dextraordinaire. Il est vrai quen France nous avons une vision de la laïcité très marquée, mais il y a de nombreux pays où on fait référence à la religion dans la vie publique.
La reine dAngleterre est chef de léglise anglicane, cest une référence à la religion.
Il nest pas du tout en dehors de nos vues et de nos principes quun État musulman puisse faire référence à lIslam. Quest ce qui vous permet de dire aujourdhui que, depuis la chute de Ben Ali, il y a une islamisation de la société tunisienne ? Quest ce qui vous permet de le dire ?
Q - Parce que votre ambassadeur, Boris Boillon, vous le raconte et vous le dit
R - Pas du tout, il me dit justement le contraire ; il me dit que les responsables dEnnahda ont un discours qui mérite dêtre entendu. Nous allons donc continuer à parler avec eux. Nous dirons : «attention, nous sommes vigilants sur un certain nombre de principes démocratiques». Je pense quil faut être optimiste et confiant dans lavenir.
Q - Sans être optimiste, on peut même penser que la théocratie est soluble dans la démocratie à terme
R - Il faut alors interrompre nos relations avec la Turquie au motif quen Turquie un parti islamique est au gouvernement
Q - Il faut voir ce qui est en train de se passer avec toute lucidité, mais lorsque vous dites que la France sera vigilante sur le respect des droits de lHomme, ceux de la Femme est-ce quon va le faire mieux que du temps de Ben Ali, parce quon était vigilant et il sest produit des choses
R - Oui, mais on a eu tort, on la reconnu dailleurs. On sest laissé intoxiquer pendant de longues années précisément par des dictateurs qui nous disaient un peu ce que jentends dire aujourdhui : «nous sommes le meilleur rempart contre lislamisme »
Q - Donc ? Vous croyez dans lévolution pragmatique et politique de lIslam au pouvoir. Est-ce que le Hamas dans la bande de Gaza peut suivre cette évolution, maintenant quil a libéré Gilad Shalit ? Cest aussi une évolution que vous appelez de vos vux ou que vous constatez ?
R - Je ne la constate pas car nous avons demandé au Hamas daccepter un certain nombre de principes, en particulier le renoncement à la violence et au terrorisme, la reconnaissance de lÉtat dIsraël et cela na pas été suivi deffet.
Q - Sur le dossier syrien, est-ce quil ny pas une faillite de la communauté internationale ?
R - Absolument. Il y a une faillite du Conseil de sécurité. La France a pris une position extrêmement claire. Dès le début, nous avons dit : «cest inacceptable». On ne peut pas tirer au canon sur une population qui veut tout simplement sexprimer et conquérir des libertés démocratiques.
Nous avons été suivis et accompagnés par lensemble de nos partenaires européens. LEurope a pris des sanctions qui sont durcies petit à petit et qui gênent le régime syrien. Mais nous navons pas été suivis au Conseil de sécurité parce quun certain nombre de puissances y sont opposées.
Nous continuons. Différentes initiatives ont été prises pour essayer damener Bachar el Assad au dialogue. Vous avez vu la dernière initiative de la Ligue arabe : M. Bachar el Assad accepte le plan de cette organisation qui prévoit, entre autre, larrêt de la répression et, le lendemain, il massacre encore des dizaines de personnes dans la rue.
Q - Là, il ny aura pas de frappes aériennes
R - Tout dabord, la situation nest pas comparable avec celle de la Libye et, surtout, jamais la France ne sengagera dans une opération militaire sil ny a pas de mandat des Nations unies. Or, il est évident aujourdhui quil ny aura pas de mandat de cette organisation
Q - Cest donc le peuple syrien qui doit se débarrasser de son dictateur ?
R - Nous pouvons aider lopposition. Nous parlons avec elle et nous essayons de les aider à sorganiser, à se structurer. Je pense que lon na plus rien à attendre de ce régime et, malgré ses annonces régulières, il ne sengagera pas dans un programme de réformes. Lopposition a bien compris quil ny avait pas dissue ; cela va être long et difficile. Je regrette beaucoup ce qui se passe et ce nest pas à lhonneur des Nations unies.
Q - En Libye, on dit quil y a tout un arsenal darmes modernes et de missiles qui auraient disparu, est-ce que vous le confirmez ?
R - Il y a des armes sous contrôle - des armes chimiques ou des armes bactériologiques - mais il est vrai quil y a des missiles sol-air qui sont partis de Libye ; je ne peux pas vous confirmer le chiffre. Nous essayons de renforcer la coopération internationale autour du Sahel avec les pays du Sahel, lAlgérie, la Mauritanie, le Niger, le Mali pour essayer de mieux contrôler la situation. Il est vrai que la situation présente des risques.
Q - Est-ce quil y a un danger dapprovisionnement des terroristes ?
R - Il y a une menace terroriste très forte dans cette région. Vous savez que nous y avons encore quatre otages que nous essayons de faire libérer.
Q - Est-ce quon peut envisager de récupérer ces armes ?
R - Si nous pouvons, nous les récupérerons, cest certain. Il appartient surtout aux pays de la région de sorganiser. La France nest pas présente militairement au Sahel, sinon par des moyens dobservation.
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Q - Après cette semaine au G20, marquée par la présence de tous les chefs dÉtat, lequel vous a le plus impressionné ?
R - Chacun a joué son rôle et je peux vous dire que, pour moi, cela a été un moment très fort. Ils ont tous une personnalité forte, très différente ; la présidente argentine nest pas le président de Chine ou le président indien, chacun a sa personnalité
Q - Le président chinois Hu Jintao parle ou, comme dhabitude, lit-il des notes préparées à Pékin ?
R - Cela sest fait pendant un certain temps dans la diplomatie chinoise. Aujourdhui, le dialogue est beaucoup plus direct, beaucoup plus franc. Ces discussions ont été tout à fait passionnantes sur toute une série de sujets. On en a évoqué quelques uns ; il y en a beaucoup dautres. On a beaucoup parlé dagriculture aussi, de la nécessité de développer la production agricole pour lutter contre des phénomènes abominables comme la famine dans la Corne de lAfrique, et beaucoup dautres choses.
Q - Et comment faut-il faire pour que ce G20 adopte des mesures applicables et appliquées ? Faut-il un secrétariat général par exemple ?
R - Je crois que cest une instance utile. Il y a quelques instants, on se demandait si le G20 servait à quelque chose et là vous me dites : est-ce que le G20 na pas pris le pouvoir ?
Le G20 est utile, ce nest pas un directoire. On a eu un débat sur la gouvernance. M. Cameron a présenté un rapport ; il a été question effectivement dun secrétariat, on sest orienté vers une formule souple. Il ne sagit de créer une nouvelle organisation mais ce qui est utile, cest de suivre les décisions du G20. Il ne sagit pas davancer des décisions, il faut les suivre. Vous savez que la prochaine présidence sera mexicaine et il faudrait quentre la Présidence française et la Présidence mexicaine il y ait une troïka. Cette troïka serait composée, par exemple, de la présidence en exercice, de la présidence précédente et de la présidence suivante, pour assurer précisément la cohérence.
( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011
Q - Lorsque lon parle de nouveau grand domaine franco-allemand, est-ce que les Français comprennent ce que cela veut dire ? Est-ce que les Français comprennent quil faudra prendre des mesures très difficiles pour être au niveau de lAllemagne ?
R - Ce nest pas très difficile dêtre au niveau de lAllemagne. Nous avions un avantage de compétitivité il y a quelques années, nous lavons perdu aujourdhui. Nous sommes à peu près, en termes de coût horaire de travail, au niveau de lAllemagne. Nous avons tous les moyens de relever le défi. Et la France est un pays puissant, un pays qui a des atouts, cest la cinquième puissance économique du monde.
Q - Encore ? Toujours ?
R - Oui, toujours.
Quand on est autour de la table du G20, vous avez la Chine, le Brésil, lInde, mais il y a aussi la France et elle pèse de tout son poids, bien sûr en tant que Présidente du G20 mais aussi du fait de son économie. LUnion européenne est la première puissance économique du monde. Alors, arrêtons de voir tout en noir. Si nous ne prenons pas un certain nombre de mesures, oui, nous allons à la catastrophe, mais si nous les prenons, nous pouvons, jen suis absolument convaincu, rebondir et repartir de lavant.
Q - Vous êtes partisan dune ligne plus radicale au niveau des mesures ?
R - Non, je nai pas dit cela. Jai dit : il faut prendre des mesures pour respecter nos engagements.
( )
Q - Vous avez assisté et vous avez participé à toutes les rencontres à Cannes, à tous les tête-à-tête. Cest un statut privilégié dAlain Juppé. Vous pouvez dire la vérité. On attendait beaucoup du G20 de Cannes, peut-être beaucoup trop
R - ( ) Ce sommet a été utile. Dabord, quand nous sommes entrés en séance à Cannes, vous lavez dit vous-même, lEurope était au bord du gouffre ; nous avons appris, la veille, lannonce par M. Papandréou dun référendum qui remettait en cause tout le paquet que nous avions adopté le 27 octobre à Bruxelles pour sauvegarder la zone euro. La première chose quil a fallu que le président de la République fasse, en étroite liaison avec Mme Merkel, cest traiter ce problème grec, en disant aux Grecs : vous êtes obligés dinfliger à votre population des mesures très dures et très impopulaires mais vous avez pris des engagements, il faut tenir ces engagements et nous ne vous donnerons pas davantage dargent si vous ne tenez pas ces engagements.
Nous navons pas demandé aux Grecs de renoncer au référendum, nous leur avons dit : vous ne pouvez pas nous reporter au mois de février ou au mois de mars pour prendre vos décisions. Vous devez prendre vos décisions maintenant, cest votre souveraineté ; si vous voulez faire un référendum, faites un référendum mais faites-le tout de suite et posez la bonne question. Et la bonne question, ce nest pas : voulez-vous ou ne voulez-vous pas de largent européen ? La bonne question cest de savoir, voulez-vous, oui ou non, rester dans leuro avec les devoirs que cela comporte ?
Q - Vous confirmez quAngela Merkel et Nicolas Sarkozy ont secoué M. Papandréou pour le retourner ? Vous a-t-il expliqué pourquoi il voulait un référendum ? Y a-t-il eu des menaces de coup dÉtat militaire, comme on la dit, en Grèce ?
R - Il nous a simplement dit que sa population ne comprenait pas les mesures qui étaient imposées et quil avait besoin de leur donner la parole. Alors, il y a plusieurs façons de le faire : il y a le référendum, il est question délections anticipées, cest aux Grecs den décider. Nous, nous avons tout simplement défendu les intérêts de lEurope, de la France et des Allemands. On ne peut pas continuer à donner de largent européen si nos partenaires, en lespèce les Grecs, ne tiennent pas leurs engagements.
Q - Est-ce que cest valable pour le prochain gouvernement qui va se former ? «Vous ne respectez pas vos engagements, pas de sous.»
R - Bien entendu. Si vous avez bien écouté ce qua dit le président de la République. Il a dit : «nous disons à la majorité et à lopposition ». Et puis, nous avons aussi lancé un appel à lunité des forces politiques grecques. Eh bien, tout ce que nous avons fait a abouti.
Q - Pour linstant, le parti dopposition grec, «Nouvelle démocratie», qui est la droite grecque, refuse un gouvernement dunion nationale, appelle à des élections anticipées et parle même de renégocier éventuellement laccord parce quil ne veut pas faire de chèque en blanc.
R - Jusquà présent javais entendu lopposition se dire prête à soutenir le plan. On verra. Cest aux Grecs de prendre leurs responsabilités.
Q - Est-ce que laccord sera renégocié ?
R - Non. Les accords ne se renégocieront pas.
Q - Quelque soit le gouvernement ?
R - Absolument. Ce qui a été décidé le 27 octobre doit être mis en uvre par tout le monde, non seulement par les Grecs mais par les autres.
Q - Mais est-ce que les peuples nont pas le droit dêtre consultés ?
R - Si le peuple grec décide demain de sortir de leuro, qui peut sy opposer ? Cest simplement aux forces grecques dexpliquer à la population grecque les avantages et les inconvénients de la sortie de leuro. Imaginons que la Grèce sorte de leuro demain, il faut que les Grecs soient parfaitement conscients de ce qui va se passer.
Q - Lors du G20, lEurope a affiché ses divisions et ses complexités. Si vous étiez Chinois ou Brésilien, diriez-vous que la zone euro est aujourdhui encore crédible ?
R - Elle est crédible. Comme je le rappelais tout à lheure, lEurope est la première puissance économique du monde. Elle est en difficulté, elle nest pas la seule. La zone euro est endettée, mais les Américains sont presque deux fois plus endettés que nous. Le Japon est également dans une situation très difficile et les pays émergents eux-mêmes ont des problèmes.
Ce qui est apparu très fortement au G20, cest linterdépendance ; nous sommes totalement interconnectés. Les Chinois ont intérêt à ce que lUnion européenne marche bien. Pourquoi étaient-ils inquiets au début du G20 ? Pourquoi nous ont-ils posé beaucoup de questions sur la façon dont nous allions sortir de la crise de la dette ? Parce quils se sentent concernés ; parce que si les marchés européens faiblissent ou se ferment, cest une catastrophe pour la Chine et on pourrait en dire autant pour les États-Unis.
Nous sommes dans un monde où tout est solidaire ; nous sommes sur le même navire, doù limportance du G20. Le G20, cest quoi ? Cest 85 % de la richesse mondiale, 85 % de la production de léconomie mondiale représentée par 20 pays.
Q - Avec la capacité de faire passer des mesures contraignantes, parce que cela reste informel nest-ce pas ?
R - Cest informel, mais ce sont des engagements qui sont tenus. Des progrès très importants ont été faits depuis les précédentes réunions du G20, sur la régulation financière par exemple, sur la lutte contre les paradis fiscaux. Il y a eu des progrès très concrets qui ont été faits.
Q - En lançant le G20, la Présidence française, Nicolas Sarkozy a parlé de refonder le capitalisme, de mettre en place un nouveau «Bretton Woods», de lutter contre les paradis fiscaux. Concrètement, le compte y est-il ? Quest-il sorti de ce G20 ?
R - Ce G20 a été très utile, on a progressé dans beaucoup de domaines avec même des percées. Je sais bien que ce mot est galvaudé, mais je nhésiterais pas à le qualifier dhistorique. Nous avons fait accepter par les 20 grands États du G20 lidée que dans la mondialisation, il fallait des normes sociales ; un socle social, cest le mot qui a été utilisé.
Vous savez que lOrganisation internationale du Travail a prévu un certain nombre de conventions internationales qui stipulent que lon ne peut pas faire travailler les enfants, que lon ne peut pas faire travailler les gens dans nimporte quelles conditions, quil faut un minimum de protection sociale. Jusquà présent, nos grands partenaires émergents disaient : «ne nous embêtez pas avec cela, nous voulons nous développer, on verra plus tard». Ils ont accepté cette idée quil fallait que tous les pays partagent ce socle social. Cest une percée importante, cela ne va pas changer les choses demain matin, il faudrait être naïf pour dire cela, mais cest une direction très importante.
Je voudrais prendre un autre exemple : sur la contribution des banques, il y a eu un grand débat, on a demandé un rapport à Bill Gates sur la taxe sur les transactions financières. Il y a quand même eu un accord, y compris de la part des Américains. Cest la première fois quun président américain disait quil fallait que les banques contribuent. Chacun va le faire à sa manière : certains Européens, la France et lAllemagne, sont attachés à la taxe sur les transactions financières ; les Britanniques pas du tout.
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Q - François Hollande a dit que Nicolas Sarkozy a été lanimateur dun Sommet sans vraiment de résultats
R - Dabord, animer un Sommet où sont réunis les 20 plus grands chefs dÉtat et de gouvernement de la planète, cest déjà un travail formidable et le président la fait de manière incontestée. Tout le monde a salué son leadership et, en plus, il a fait avancer les choses. Sil ne sétait pas engagé, comme il la fait, avec Mme Merkel le premier soir vis-à-vis de M. Papandreou, si on navait pas traité le problème italien comme il la fait avec la capacité dinitiative qui est la sienne, sans doute aurions-nous donné à lensemble de la planète un spectacle tout à fait délirant. Nous avons évité cela et on le doit en grande partie à Nicolas Sarkozy.
Q - Ah bon ? Parce que lon dit que le vrai leadership, cest surtout Mme Merkel ?
R - Bien sûr, en effet, en Allemagne on dit linverse. Il faut un peu relativiser.
Q - Dautres disent que cest un diktat franco-allemand ?
R - Ce nest pas un diktat. Là aussi, il faut de temps en temps tenir compte des réalités : la France et lAllemagne, cest 55 % de la richesse européenne ; il nest donc pas tout à fait anormal que nous ayons notre mot à dire.
Par ailleurs, quand la France et lAllemagne ne prennent pas conjointement des initiatives, tout le monde dit : «que font-ils ? Il ny a pas dimpulsion franco-allemande». Il faut que nous le fassions, avec les autres bien entendu, cela se bâtit à plusieurs, à 17. On voit bien la direction qui est en train de sesquisser. Je reviens à ce que je disais tout à lheure, ce sera un des grands débats de lan prochain, il faut que lon aille - jai utilisé ce terme peut-être un peu audacieux - vers une euro fédération entre les 17 pays de lEurozone, avec une politique budgétaire plus intégrée. On est en train de le faire, avec une harmonisation fiscale ; vous avez parlé tout à lheure de limpôt franco-allemand sur les sociétés, cest cela la bonne direction.
Q - Donc, au moins deux Europe ?
R - Sans doute. Avec tous ceux qui voudront, ce sera ouvert.
Q - LItalie, cest le prochain dossier brûlant avec une dette six fois supérieure à celle de la Grèce. Avez-vous confiance en Silvio Berlusconi ?
R - LItalie est une économie puissante, la Grèce est économiquement un petit pays. Cest un grand pays pour dautres raisons mais, économiquement, cest un petit pays. LItalie est un grand pays avec une économie forte et des entreprises puissantes. Cest la réalité mais lItalie à un problème de crédibilité. Il y a un problème de confiance.
Q - Est-ce lItalie qui a un problème de crédibilité, ou son chef de gouvernement ?
R- Il faut lutter contre cette défiance et cest la raison pour laquelle, après les discussions que nous avons eues, le chef du gouvernement italien nous a dit quil avait fait adopter un programme de réformes validé par le Conseil européen. Il a même poursuivi en disant : «pour vous rassurer sur la façon dont ce programme sera appliqué, jaccepte, je demande même un processus de surveillance par la Commission européenne et par le FMI». Je pense que cest de nature à calmer les marchés.
Q - Franchement, il vous rassure ?
R - Il faudra être vigilant.
Q - Cest-à-dire, envoyer le FMI ?
R - Sassurer, comme cela a été décidé, que sur la base des rapports du FMI les réformes seront faites.
Q - On a noté que les États-Unis, à travers la présence de Barak Obama, sintéressent à lEurope et quils ne sont pas non plus dans la meilleure forme. Barak Obama a semblé jouer le jeu de ce Sommet, en particulier avec Nicolas Sarkozy lors de leur interview à la télévision. Pour lopposition, cest de la communication électoraliste. Nen ont-ils pas fait trop tous les deux ?
R - ( ) Il est tout à fait normal quau terme dun G20, le président du G20 - je vous rappelle que la France présidait le G20 et cest donc Nicolas Sarkozy qui présidait le G20 - puisse sexprimer en présence de notre principal partenaire. ( ) Il faut faire la part de la courtoisie diplomatique, mais ce qui mintéresse, surtout, après ce que jai entendu pendant trois jours à Cannes, cest le message qui a été envoyé : les États-Unis et lEurope marchent ensemble et cest absolument capital comme réponse.
Q - Vous voulez dire que cela donne confiance ?
R - Cela donne confiance même si cela boîte peut-être. Il faut se remettre sur nos deux pieds, et ce message-là était absolument capital. Si on avait laissé entendre, de la moindre façon que ce soit, quil y avait des désaccords profonds entre lEurope et les États-Unis, alors cela repartait pour un tour. Je voudrais dire aussi, à propos du G20 - jai parlé du socle social, jai parlé de la contribution des banques -, que lon a également envoyé un message très fort en disant que tous les pays du G20 sont daccord pour développer des plans daction en faveur de la croissance et de lemploi. Les États-Unis ont fait des annonces ; la Chine a fait des annonces en expliquant quelle allait réorienter son modèle de croissance vers la consommation ; lEurope a annoncé son plan. Là aussi, nous avons bien travaillé, je crois, pour les économies mondiales.
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Q - En Israël, le débat monte sur la nécessité de frapper ou non de façon préventive les sites nucléaires iraniens. Nicolas Sarkozy a dit que si lexistence dIsraël était menacée, la France ne resterait pas les bras croisés. Quest ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire ce que cela veut dire. Si Israël est attaqué, la France se rangera à ses côtés pour assurer sa sécurité, comme nous lavons toujours dit. Que se passe-t-il vis-à-vis de lIran ? LIran se comporte mal ; nous avons la conviction - et le prochain rapport de lAgence internationale de lénergie atomique ira vraisemblablement dans ce sens - que son programme de développement de lénergie nucléaire poursuit des objectifs militaires et quil se prépare donc à avoir une bombe. Ce nest pas acceptable. Dabord, ce nest pas conforme aux traités internationaux et, ensuite, ce serait une menace déstabilisant lensemble de la région et au delà. Nous disons à lIran que nous ne laccepterons pas.
Premièrement, nous avons proposé un dialogue avec lIran, mais lIran nie que son programme nucléaire ait des fins militaires ; mettons-nous autour de la table et apportons des preuves. Deuxièmement, nous avons pris des sanctions que nous ne cessons de compléter ; nous pouvons encore les durcir pour faire pression sur lIran. Nous allons continuer dans cette voie parce quune intervention pourrait créer une situation totalement déstabilisatrice dans la région. Il faut tout faire pour éviter lirréparable.
Q - Et si Israël frappe de façon préventive, quelle sera la position de la France ?
R - Vous connaissez ma position, je souhaite que nous nen arrivions pas là.
Q - La France a récemment voté pour ladmission de la Palestine, qui nest pas encore un État, à lUnesco ; dans quelques jours lors du vote au Conseil de sécurité des Nations unies, est-ce que la France va voter dans cette logique et cohérence ?
R - Notre logique nest pas tout à fait la vôtre. Nous avons une position tout à fait cohérente. Au Conseil de sécurité, les Palestiniens vont dans limpasse, ils nobtiendront pas satisfaction ; il y aura un veto américain, il a été annoncé. Nous leur disons : «ne faites pas ça. À quoi cela vous mène ?» ; et nous nallons rien faire pour les y encourager. Cest la raison pour laquelle nous avons annoncé que nous nous abstiendrons.
Mais, dun autre côté, nous pensons quil faut progresser dans la reconnaissance du statut dÉtat vis-à-vis de lAutorité palestinienne ; cela fait des décennies que nous le leur promettons. Nous leur avons donc proposé de passer par lAssemblée générale, où lon peut avoir une large majorité reconnaissant à la Palestine non pas la qualité dÉtat membre des Nations unies mais la qualité dÉtat non-membre observateur ; ce qui serait déjà un pas en avant. Cest dans la même logique quà lAssemblée générale de lUNESCO nous avons voté pour lentrée de la Palestine.
Q - Vous avez noté quIsraël et les États-Unis ont décidé de couper les vivres de lUNESCO. Demandez-vous le retrait ou la suspension des représailles contre lUNESCO ?
R - Bien sûr, je peux très bien le demander mais, comme vous le savez, cela naboutira à rien. Le Congrès américain a voté une loi et il lappliquera. Naturellement, nous regrettons cette décision et, en tout cas, il faut sortir du statu quo. Nous pressons les deux parties pour quelles reviennent à la table des négociations. Nous constatons également que toutes les initiatives qui ont été prises jusquà présent ne lont pas permis. Doù la proposition que nous avons faite- je na pas le temps de rentrer dans le détail - dune résolution à lAssemblée générale qui pourrait ouvrir la voie à ce retour aux négociations. Je crois que, là encore, la diplomatie française est en initiative.
Q - Le Premier ministre israélien nen veut pas, il autorise au contraire la création de logements dans les colonies
R - Ce nest pas une raison pour renoncer.
Q - Puisquon parle daides versées, conditionnées à des évolutions, est-ce que, après le vote en Tunisie et larrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda, laide promise à Deauville dans le cadre du Partenariat est maintenue par la France ?
R - Bien sûr. Vous savez, nous sommes là dans une situation tout à fait extraordinaire. Il y a encore trois ou six mois, on reprochait à la France de ne pas être suffisamment allante dans le soutien au Printemps arabes et, maintenant, on nous dit : «vous avez ouvert la boîte de Pandore, cest la catastrophe». Gardons un peu de sang-froid et un peu de perspective, on sait bien quaucune révolution ne se passe dans le calme complet ; chez nous non plus cela na pas été le cas
Il va certes y avoir des difficultés, mais il faut faire confiance. Jécoute le discours du parti Ennahda qui est en tête aux élections tunisiennes et que dit-il ? Il dit : «nous voulons un pays qui fait référence à lIslam mais qui respecte les principes démocratiques. En particulier, nous nous engageons à ne pas dégrader le statut de la femme et même à laméliorer».
Q - Et vous les croyez ?
R - Pourquoi ne les croirais-je pas ?
Q - Parce quon a compris quil y avait un double langage
R - Ne faisons pas ce genre de parallèle abusif. Je fais confiance à ceux qui disent cela. Je vais aller les voir, je vais aller parler avec eux, on va travailler avec eux. Partir du principe - et cest une idée qui est très profondément ancrée chez nous, peut-être parce quil y a un défaut de dialogue - que Islam et démocratie sont incompatibles, cest quelque chose dextraordinaire. Il est vrai quen France nous avons une vision de la laïcité très marquée, mais il y a de nombreux pays où on fait référence à la religion dans la vie publique.
La reine dAngleterre est chef de léglise anglicane, cest une référence à la religion.
Il nest pas du tout en dehors de nos vues et de nos principes quun État musulman puisse faire référence à lIslam. Quest ce qui vous permet de dire aujourdhui que, depuis la chute de Ben Ali, il y a une islamisation de la société tunisienne ? Quest ce qui vous permet de le dire ?
Q - Parce que votre ambassadeur, Boris Boillon, vous le raconte et vous le dit
R - Pas du tout, il me dit justement le contraire ; il me dit que les responsables dEnnahda ont un discours qui mérite dêtre entendu. Nous allons donc continuer à parler avec eux. Nous dirons : «attention, nous sommes vigilants sur un certain nombre de principes démocratiques». Je pense quil faut être optimiste et confiant dans lavenir.
Q - Sans être optimiste, on peut même penser que la théocratie est soluble dans la démocratie à terme
R - Il faut alors interrompre nos relations avec la Turquie au motif quen Turquie un parti islamique est au gouvernement
Q - Il faut voir ce qui est en train de se passer avec toute lucidité, mais lorsque vous dites que la France sera vigilante sur le respect des droits de lHomme, ceux de la Femme est-ce quon va le faire mieux que du temps de Ben Ali, parce quon était vigilant et il sest produit des choses
R - Oui, mais on a eu tort, on la reconnu dailleurs. On sest laissé intoxiquer pendant de longues années précisément par des dictateurs qui nous disaient un peu ce que jentends dire aujourdhui : «nous sommes le meilleur rempart contre lislamisme »
Q - Donc ? Vous croyez dans lévolution pragmatique et politique de lIslam au pouvoir. Est-ce que le Hamas dans la bande de Gaza peut suivre cette évolution, maintenant quil a libéré Gilad Shalit ? Cest aussi une évolution que vous appelez de vos vux ou que vous constatez ?
R - Je ne la constate pas car nous avons demandé au Hamas daccepter un certain nombre de principes, en particulier le renoncement à la violence et au terrorisme, la reconnaissance de lÉtat dIsraël et cela na pas été suivi deffet.
Q - Sur le dossier syrien, est-ce quil ny pas une faillite de la communauté internationale ?
R - Absolument. Il y a une faillite du Conseil de sécurité. La France a pris une position extrêmement claire. Dès le début, nous avons dit : «cest inacceptable». On ne peut pas tirer au canon sur une population qui veut tout simplement sexprimer et conquérir des libertés démocratiques.
Nous avons été suivis et accompagnés par lensemble de nos partenaires européens. LEurope a pris des sanctions qui sont durcies petit à petit et qui gênent le régime syrien. Mais nous navons pas été suivis au Conseil de sécurité parce quun certain nombre de puissances y sont opposées.
Nous continuons. Différentes initiatives ont été prises pour essayer damener Bachar el Assad au dialogue. Vous avez vu la dernière initiative de la Ligue arabe : M. Bachar el Assad accepte le plan de cette organisation qui prévoit, entre autre, larrêt de la répression et, le lendemain, il massacre encore des dizaines de personnes dans la rue.
Q - Là, il ny aura pas de frappes aériennes
R - Tout dabord, la situation nest pas comparable avec celle de la Libye et, surtout, jamais la France ne sengagera dans une opération militaire sil ny a pas de mandat des Nations unies. Or, il est évident aujourdhui quil ny aura pas de mandat de cette organisation
Q - Cest donc le peuple syrien qui doit se débarrasser de son dictateur ?
R - Nous pouvons aider lopposition. Nous parlons avec elle et nous essayons de les aider à sorganiser, à se structurer. Je pense que lon na plus rien à attendre de ce régime et, malgré ses annonces régulières, il ne sengagera pas dans un programme de réformes. Lopposition a bien compris quil ny avait pas dissue ; cela va être long et difficile. Je regrette beaucoup ce qui se passe et ce nest pas à lhonneur des Nations unies.
Q - En Libye, on dit quil y a tout un arsenal darmes modernes et de missiles qui auraient disparu, est-ce que vous le confirmez ?
R - Il y a des armes sous contrôle - des armes chimiques ou des armes bactériologiques - mais il est vrai quil y a des missiles sol-air qui sont partis de Libye ; je ne peux pas vous confirmer le chiffre. Nous essayons de renforcer la coopération internationale autour du Sahel avec les pays du Sahel, lAlgérie, la Mauritanie, le Niger, le Mali pour essayer de mieux contrôler la situation. Il est vrai que la situation présente des risques.
Q - Est-ce quil y a un danger dapprovisionnement des terroristes ?
R - Il y a une menace terroriste très forte dans cette région. Vous savez que nous y avons encore quatre otages que nous essayons de faire libérer.
Q - Est-ce quon peut envisager de récupérer ces armes ?
R - Si nous pouvons, nous les récupérerons, cest certain. Il appartient surtout aux pays de la région de sorganiser. La France nest pas présente militairement au Sahel, sinon par des moyens dobservation.
( )
Q - Après cette semaine au G20, marquée par la présence de tous les chefs dÉtat, lequel vous a le plus impressionné ?
R - Chacun a joué son rôle et je peux vous dire que, pour moi, cela a été un moment très fort. Ils ont tous une personnalité forte, très différente ; la présidente argentine nest pas le président de Chine ou le président indien, chacun a sa personnalité
Q - Le président chinois Hu Jintao parle ou, comme dhabitude, lit-il des notes préparées à Pékin ?
R - Cela sest fait pendant un certain temps dans la diplomatie chinoise. Aujourdhui, le dialogue est beaucoup plus direct, beaucoup plus franc. Ces discussions ont été tout à fait passionnantes sur toute une série de sujets. On en a évoqué quelques uns ; il y en a beaucoup dautres. On a beaucoup parlé dagriculture aussi, de la nécessité de développer la production agricole pour lutter contre des phénomènes abominables comme la famine dans la Corne de lAfrique, et beaucoup dautres choses.
Q - Et comment faut-il faire pour que ce G20 adopte des mesures applicables et appliquées ? Faut-il un secrétariat général par exemple ?
R - Je crois que cest une instance utile. Il y a quelques instants, on se demandait si le G20 servait à quelque chose et là vous me dites : est-ce que le G20 na pas pris le pouvoir ?
Le G20 est utile, ce nest pas un directoire. On a eu un débat sur la gouvernance. M. Cameron a présenté un rapport ; il a été question effectivement dun secrétariat, on sest orienté vers une formule souple. Il ne sagit de créer une nouvelle organisation mais ce qui est utile, cest de suivre les décisions du G20. Il ne sagit pas davancer des décisions, il faut les suivre. Vous savez que la prochaine présidence sera mexicaine et il faudrait quentre la Présidence française et la Présidence mexicaine il y ait une troïka. Cette troïka serait composée, par exemple, de la présidence en exercice, de la présidence précédente et de la présidence suivante, pour assurer précisément la cohérence.
( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011