Texte intégral
Q - À Bruxelles, 25 des 27 dirigeants européens ont adopté, hier, deux traités. Est-ce que cela signifie qu’à cause de la crise, l’Europe est en train, forcée par justement la nécessité de répondre à la crise, de s’organiser politiquement ?
R - Oui.
Q - Monétairement et économiquement ?
R - Oui, et cet accord est formidable. Je le dis parce que je pense profondément que c’est la vérité. Il y a en effet deux accords. Il y a d’abord la mise en place de ce que j’appellerais le Fonds monétaire européen.
Q - C’est-à-dire ce qu’on appelle le Mécanisme européen de stabilité - le MES.
R - Exactement. C’est une sorte de pare-feu alimenté de 500 milliards d’euros, qui nous permettra de faire face s’il y a une crise en urgence. C’est très important.
Q - Il sera applicable à partir de quand ?
R - Il sera signé dans les prochains jours, ratifié par le Parlement français au mois de mars, et il entrera en vigueur le 1er juillet prochain, comme tout le monde le souhaite.
Q - 500 milliards qui pourraient devenir 750 ?
R - Ils peuvent être abondés. Il y a notamment des reliquats dans le Fonds européen de stabilité qui existe à l’heure actuelle.
Le deuxième traité est également capital, c’est le traité sur l’union monétaire. Il comporte trois volets : un volet sur la discipline budgétaire - on ne peut pas faire plus de déficit que ce qui était inscrit dans le traité, sous peine de sanctions ; un volet gouvernance - c’est capital, c’est l’idée française qui a prévalu, il y aura un gouvernement économique avec des réunions régulières des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, un président de la zone euro, et un contrôle démocratique des parlements nationaux ; et puis, enfin, le troisième volet, c’est un engagement pour soutenir la croissance et la compétitivité.
J’ajoute un autre aspect de la réunion d’hier soir : les chefs d’État et de gouvernement se sont mis aussi d’accord pour un programme de soutien à la croissance avec, premièrement, un encouragement à l’emploi des jeunes par l’alternance et l’apprentissage, notamment ; deuxièmement, l’encouragement aux PME par la Banque européenne d’investissement ; troisièmement, l’achèvement du marché unique.
Vous voyez qu’il y a là une panoplie absolument complète.
Q - C’est-à-dire qu’on essaie de conjuguer ou de marier l’austérité nécessaire parce qu’il faut réduire les déficits, et enfin on s’occupe de la croissance, de l’emploi.
R - La discipline budgétaire et le soutien à la croissance : il y a donc les deux volets. Et si aujourd’hui la crise financière, on le voit sur les marchés, est à peu près stabilisée, c’est grâce à ces décisions tout à fait capitales.
Q - Alors, ce traité, le deuxième, lui, sera signé par le président de la République Nicolas Sarkozy mais pas ratifié par le Parlement.
R - Il sera signé dans le courant du mois de février ou au début du mois de mars. Nous n’aurons sans doute pas les délais pour le faire ratifier par le Parlement, mais la signature du président de la République engage naturellement la France.
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Q - Les marchés peuvent-ils être un peu plus confiants ce matin ?
R - Je le pense, mais vous savez que les marchés réagissent de façon plus passionnelle qu’objective. Aujourd’hui, les pays mettent en uvre des réformes importantes. La France en 2011 va faire mieux en termes de déficit public que ce qui était prévu. L’Italie fait des choses très courageuses, de même que l’Espagne et le Portugal. Nous sommes donc sur la voie du redressement.
Q - Deux éléments supplémentaires, Alain Juppé. L’Allemagne, est-ce que c’est mieux que les autres ou c’est comme les autres ?
R - L’Allemagne fait aujourd’hui mieux que les autres en termes de croissance et en termes de chômage
Q - Non mais, est-ce que c’est elle qui gagne à Bruxelles ?
R - C’est encore une idée, répétée sans cesse, mais qui est une erreur. Il y a eu mouvement des deux côtés. Le gouvernement économique, par exemple, c’est une idée française. La discipline budgétaire, c’était plutôt une idée allemande. Et finalement, on se retrouve sur un compromis qui est extrêmement riche, porteur.
Q - Et la mise sous tutelle de la Grèce qui a été repoussée, c’était une idée d’un ministre allemand ?
R - Je pense qu’il s’agit sans doute de rumeurs. Il n’est pas question de mettre sous tutelle qui que ce soit ; il est simplement question d’obtenir que chaque pays respecte les engagements qu’il prend. La Grèce doit respecter ses engagements.
Q - Tout à l’heure, vous prenez l’avion pour vous rendre à New York, au Conseil de sécurité des Nations unies. En Syrie, il y a encore eu une centaine de morts, dont 55 civils hier. Le Conseil de sécurité va se prononcer enfin sur une résolution préparée par les Marocains au nom de la Ligue arabe, avec à sa tête l’Émir du Qatar. Est-ce que cette fois, face à cette répression, ça peut bouger, ça va bouger ?
R - Je n’en suis pas sûr, hélas ! Ce qui se passe en Syrie est un véritable scandale, je le dis depuis des mois. La «boucherie» a continué malgré la présence des observateurs de la Ligue arabe qui viennent d’ailleurs de suspendre leur mission. Il y a des dizaines, des centaines de morts toutes les semaines. Ce n’est pas acceptable. Alors, que se passe-t-il au Conseil de sécurité des Nations unies ? Nous sommes bloqués par un certain nombre de pays, et principalement par la Russie qui fait opposition à toute résolution.
Q - Peut-on échapper au veto de la Russie ?
R - Ce qui a bougé et ce qui a changé, c’est la Ligue arabe. La Ligue arabe a fait un plan qui prévoit une transition politique et la mise à l’écart de Bachar El Assad qui a perdu toute sa légitimité. Je vais à New York pour peser le maximum possible, avec tous nos alliés, avec les pays arabes, pour qu’on arrête cette violence et ce massacre.
Q - Est-ce que le Conseil de sécurité pourrait un jour décider le recours à la force, même si la Syrie n’est pas la Libye ?
R - La situation est très différente - vous avez raison de le dire - de ce qui s’est passé en Libye. Par exemple, en Syrie, vous avez des communautés qui sont antagonistes et toute intervention extérieure pourrait mener à une guerre civile.
Q - Donc, c’est plutôt non
R - Je crois que c’est un plan de transition politique. C’est d’abord l’arrêt des combats, le retour des troupes dans les casernes, une transition politique avec la mise à l’écart de Bachar El Assad.
Q - Réclamez-vous toujours, avant la fin 2012, le départ de Bachar El Assad ?
R - Ce président a du sang sur les mains ; il n’est pas possible qu’il continue à assumer les responsabilités souveraines de ce pays.
Q - Vous dites qu’il n’y a pas de recours à la force, mais est-ce que la Grande-Bretagne et la France ont déjà envoyé sur place - c’est difficile peut-être alors à le reconnaître - des commandos de forces spéciales ?
R - Absolument pas !
Q - Mais vous donnez des armes ?
R - Absolument pas !
Q - Et alors d’où vient cette armée syrienne libre qui est composée, paraît-il, de déserteurs et de miliciens ?
R - Ce sont des déserteurs
Q - Qui leur donne des armes ?
R - Ce sont des déserteurs, comme vous le savez, et malheureusement le trafic d’armes est quasiment universel.
Q - Alain Juppé, on voit que vous
R - Je dis «malheureusement» parce que nous ne sommes pas favorables à la violence. Nous n’avons cessé de le dire, c’est un règlement politique pacifique de la crise que nous souhaitons.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2012