Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "BFM TV" le 5 février 2012, sur le rejet par la Chine et la Russie du projet de résolution sur la Syrie, l'Afghanistan, le Sénégal, l'Egypte, et les avancées de l'Union européenne dans la résolution de la crise de la zone euro.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Bonjour M. Juppé, concernant la Syrie, la Russie, suivie par la Chine, s’est opposée à un projet de résolution qui demandait une transition politique en Syrie en vue de négociations. Les massacres continuent dans ce pays. Qu’avez-vous envie de dire à MM. Medvedev et Poutine qui maintiennent leur veto ?
R - En paralysant le Conseil de sécurité par le veto russe suivit par la Chine, alors que treize pays sur quinze au Conseil de sécurité étaient prêts à approuver le projet de résolution, ils font peser sur les Nations unies et sur le Conseil de sécurité une sorte de tâche.
Parce que, ce qui se passe en Syrie est totalement inacceptable. Je le dis depuis des semaines et des semaines, les massacres continuent, jour après jour, on en est à plus de six mille morts, des enfants sont massacrés par centaines, il y a des milliers de prisonniers politiques, des réfugiés et le régime est décidé à poursuivre le bain de sang.
C’est la raison pour laquelle nous avons essayé de porter ce plan de la Ligue arabe qui, je crois était une initiative positive permettant de sortir de la crise par un plan de transition politique. Nous avons fait beaucoup de concessions, il faut bien dire les choses, pour que la résolution soit acceptable par la Russie. Nous avons dit - pas d’utilisation de la force, pas d’embargo sur les armes, pas de sanctions - et malgré cela, la Russie s’est entêtée dans son refus. Je le regrette très profondément.
Q - Vous dites pas d’utilisation de la force, mais beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi on n’utiliserait pas la force en Syrie alors qu’on l’a fait en Libye.
R - Je comprends que l’on se pose cette question même si parfois on nous a reproché d’être intervenus en Libye, la situation est extrêmement différente. D’abord, la première raison, on vient de la voir, c’est que l’intervention en Libye a été autorisée par une résolution du Conseil de sécurité. Nous n’allons pas faire usage de la force sur la scène mondiale si nous n’avons pas un mandat du Conseil de sécurité. Les conditions ne sont pas réunies.
De plus, le Conseil national de Transition en Libye était organisé, il était représentatif, il nous demandait d’intervenir. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas de l’opposition en Syrie.
Enfin, la réalité libyenne était très différente de la réalité syrienne. En Libye, il y avait une unité, une homogénéité de ce peuple qui se battait pour sa liberté. Vous savez que la Syrie est divisée entre communautés, les alaouites, les chrétiens, les sunnites, les chiites, et le risque de guerre civile entre les communautés est maximum.
Q - Le ministre turc des Affaires étrangères a parlé de crimes contre l’humanité en Syrie. Utiliseriez-vous ce terme ?
R - Pardon, mais je l’ai déjà dit. Je l’ai dit même au Conseil de sécurité et ce n’est pas simplement le ministre turc ou moi-même qui le dit, c’est le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies qui a diligenté une enquête et qui a parlé de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre.
Q - Le veto couvre un crime contre l’humanité ?
R - C’est la raison pour laquelle je pense que ce qui s’est passé sera très lourd pour l’image des Nations unies et pour leur rôle dans la paix et la sécurité du monde. Il ne faut pas croiser les bras, nous n’allons pas laisser tomber les Syriens.
Q - J’ai vu hier un communiqué de l’Élysée disant que la France proposait la création d’un groupe des amis du peuple syrien. Avec qui et pour que faire ?
R - Avec tous ceux qui veulent aider le peuple syrien et je vous ai dit qu’au Conseil de sécurité, nous étions treize sur quinze. Il y a tous les pays de la Ligue arabe puisque c’est la Ligue arabe qui a proposé ce plan de transition, prévoyant un transfert du pouvoir de Bachar Al-Assad qui aujourd’hui est incapable et disqualifié pour continuer à exercer le pouvoir bien entendu. Mais aussi, tous les pays qui voudront se joindre à nous pour essayer d’exercer une pression maximum sur la Syrie.
Q - Comment faire pression sur la Syrie ? On a l’impression que c’est absolument impossible de trouver une solution.
R - Non, ce n’est pas impossible et je ne peux pas admettre que ce soit impossible. Nous allons continuer, d’abord nous allons aider l’opposition syrienne à se structurer, à s’organiser. Nous les recevons, nous allons essayer de les aider. Ensuite, l’Europe va encore durcir les sanctions qui sont imposées au régime syrien et nous allons essayer de faire monter cette pression internationale. Il y a bien un moment où le régime sera obligé de constater qu’il est totalement isolé et qu’il ne peut pas continuer.
Q - Comment ce groupe va-t-il se manifester ?
R - Le président de la République prendra des initiatives je pense dans les prochains jours pour essayer de réunir tous ceux qui considèrent que la situation actuelle est absolument intolérable.
J’ai utilisé des mots très forts, je pense que ce qui est en train de se passer aujourd’hui est un véritable scandale ; c’est un scandale de laisser ce dictateur continuer à massacrer sa population alors qu’il y avait là un début de solution dans l’initiative de la Ligue arabe.
Q - Les Tunisiens demandent à tous les pays d’expulser les ambassadeurs syriens. Qu’en pensez-vous ?
R - C’est une question à laquelle nous allons réfléchir avec nos partenaires.
Q - C’est donc possible ?
R - C’est possible bien entendu. Il faut bien mesurer les conséquences parce que notre ambassade aujourd’hui à Damas joue aussi un rôle humanitaire dans les contacts avec la population. Il faut bien mesurer qui une telle décision pénaliserait le plus.
Q - Un autre pays qui attire l’attention, c’est l’Égypte. Il y a un an, il y avait un gros espoir sur le printemps arabe et puis on a l’impression que ce printemps est vraiment dans un hiver absolu. L’armée égyptienne détient toujours le pouvoir, elle est maintenant soupçonnée d’avoir organisé les massacres à Port Saïd. Là encore, comment peut-on agir ?
R - Je ne serai pas aussi pessimiste que vous. D’abord, bien sûr, ce massacre est épouvantable et je pense aux familles et aux blessés. Je n’entrerai pas dans la question de savoir s’il y a eu manipulation ou pas, j’espère que des enquêtes seront faites en ce sens. Mais enfin, des élections ont eu lieu en Égypte, elles ont donné un résultat qui a permis de constituer un gouvernement. Il faut maintenant que le processus se poursuive, que les militaires transfèrent le pouvoir aux autorités civiles, que la Constitution soit élaborée qu’un Président soit élu. La feuille de route est tracée.
Q - Il faut la faire respecter ?
R - En effet, mais je crois qu’il y a une forte volonté. Il n’y a pas de processus révolutionnaire qui se passe facilement et rapidement. Nous en avons fait aussi l’expérience chez nous, dans notre pays. Ce qui m’inquiète au moins autant que les tensions politiques aujourd’hui, c’est le risque d’effondrement de l’économie égyptienne. Le tourisme joue un rôle très important dans cette économie et naturellement, il n’y a plus de tourisme en Égypte.
Nous avons mis au point et c’est également une proposition du président Sarkozy, dans le cadre du G8, ce que nous avons appelé le Partenariat de Deauville, pour aider précisément la Tunisie, le Maroc et surtout l’Égypte à faire face à leurs difficultés économiques. Il faut absolument que ce plan se mette en place le plus vite possible.
Q - Et cela ne peut fonctionner que dans le calme ?
R - Et oui et avec un gouvernement qui soit capable de répondre aux propositions que nous lui faisons. Ce n’est pas le cas aujourd???hui mais il faut tenir bon.
Q - En Afghanistan, Nicolas Sarkozy a annoncé une accélération des modalités de retrait des soldats français qui seront plus nombreux à partir en 2013 qu’il n’était prévu au départ, même si un certain nombre resteront, comme prévu jusqu’en 2014. Les Américains semblent se caler d’ailleurs sur ce même rythme. N’est-ce pas la reconnaissance que, finalement, cette guerre on ne peut pas la gagner, que les Taliban vont sans doute reprendre le pouvoir avec l’appui du Pakistan. Bref, que nous n’avons pas abouti politiquement au résultat que l’on espérait. Finalement, ne serait-il pas mieux d’accélérer encore le processus de retrait ?
R - Non. Je ne dresserai pas ce constat de faillite, nous sommes dans la stratégie que nous avions définie en novembre 2010 à Lisbonne.
Qu’avions-nous dit ? Que nous allions transférer progressivement la responsabilité d’assurer la sécurité dans les différentes régions de l’Afghanistan à l’armée afghane. Cette armée n’existait pas vraiment et depuis plusieurs années, nous essayons de la former et nous y consacrons du temps et de l’énergie. C’est parfois aussi risqué parce que c’est dans un contexte extrêmement dangereux. C’est cela que nous sommes en train de continuer.
Nous avons commencé le retrait, je voudrais insister sur ce point. Les troupes françaises ont commencé à se retirer, il y a déjà quatre cents soldats qui sont rentrés en France et d’ici l’année 2012, il y en aura un millier supplémentaire.
Ce qui est très important, c’est que nous avons obtenu, lorsque le président Karzaï, le président afghan est venu à Paris il y a quelques jours : nous avons obtenu que la dernière région dans laquelle se trouvent des forces de combat françaises, qui s’appelle la Kapisa, celle où nous avons eu, hélas, beaucoup de victimes et encore récemment, que cette région soit transférée, à partir du mois de mars prochain à l’armée afghane, tout au long de l’année 2012 et 2013. C’est cela qui a permis au président de la République de dire que le retrait des forces combattantes devrait être achevé à la fin de 2013. Nous garderons des troupes pour assurer la formation de l’armée afghane.
Voilà le processus, je constate effectivement que les Américains sont prêts à se caler sur ce calendrier. Est-ce à dire que nous renonçons à nos objectifs ? Non, les discussions se déroulent aussi entre le gouvernement afghan et les Taliban. Vous savez sans doute qu’à Doha au Qatar, un bureau qui permet des contacts a été constitué. Nous continuons à travailler bien sûr avec les pays de la région. L’objectif est toujours le même. Je pense qu’accélérer encore serait alors non plus un retour en bon ordre, mais une retraite déshonorante pour l’armée française.
Q - Dans un communiqué, vous avez évoqué les élections présidentielles au Sénégal qui doivent se dérouler le 26 février. Le président Wade veut se représenter, il a été autorisé par le Conseil constitutionnel sénégalais à se représenter alors que normalement, il ne pouvait effectuer que deux mandats. Aujourd’hui, l’opposition a organisé une manifestation pour exiger qu’il ne participe pas à l’élection.
Nous les Français, peut-on donner des conseils à un pays que l’on a autrefois colonisé ?
R - On nous a reproché pendant bien des années, cela s’appelait paraît-il, la Françafrique, de nous mêler des élections dans les pays africains et de choisir les candidats. Ce temps est terminé. C’est aux Sénégalais de choisir leur futur président. Il y a une tradition démocratique là-bas au Sénégal, le président Wade en sait quelque chose d’ailleurs. Simplement, ce que nous disons, c’est que ces élections doivent se faire de manière transparente et loyale. De ce point de vue, il faut que toutes les sensibilités puissent concourir. Il semble qu’il y ait problème puisqu’il y a des manifestations.
Q - Y compris avec le chanteur Youssoune Dour ?
R - C’est aux institutions sénégalaises d’en décider mais je pense que toutes les sensibilités doivent être représentées. Apparemment, cela ne se passe pas très bien puisqu’il y a des manifestations violentes dans les rues. Nous appelons au calme et, à partir de là, c’est aux Sénégalais de choisir leur futur président. J’ai dit aussi qu’il y a un moment où la relève de génération devait se faire, mais ce sont les Sénégalais qui doivent en décider.
Q - Ce n’est pas un conseil de l’ancien colonisateur qui risque d’être mal pris ?
R - Pas du tout, notre seul conseil est de dire : élections loyales et transparentes et c’est aux Sénégalais de choisir.
Q - Un mot de l’Europe car vous êtes aussi chargé de l’Europe. (…) Le Traité qui vient d’être mis au point entre Européens. (…)
R - (…) Vous avez sans doute observé que les marchés se sont calmés parce qu’ils voient d’une part que les principaux pays mettent en place des plans pour réduire leurs déficits budgétaires et que d’autre part, ce qui a été inscrit dans ces traités puisqu’il y en a deux, est extrêmement important pour stabiliser les marchés. (…)
Q - La signature du président engage la France, c’est incontestable mais justement, la question posée est de savoir s’il y a une légitimité institutionnelle oui mais morale à engager son pays à si brève échéance d’une élection présidentielle qui peut donner lieu à un vote des Français qui soit contraire à ces décision ?
R - C’est une question que l’on nous objecte quoi que nous fassions. J’en arrive à la conclusion que six mois avant les élections, le gouvernement devrait se mettre au chômage. Eh bien non. Nous allons continuer à travailler et cela aurait été une très lourde responsabilité historique que de ne pas prendre des décisions à la fin du mois de janvier. Tout le monde attendait cette décision, y compris ces fameux marchés. (…)
J’ajoute que l’un de ces deux traités, le mécanisme européen de stabilité, très important, cinq cents milliards d’euros pour servir de pare-feu en cas de nouvelle crise, celui-là sera signé et ratifié par le parlement français au mois de mars.
Q - Une dernière chose avant de passer à la deuxième partie de l’émission, Mme Merkel va donner une interview conjointe avec le président de la République demain. On nous parle toujours de l’exemple allemand. (…) Ne croyez-vous pas que les Français en ont un peu assez d’entendre toujours parler de l’Allemagne, du modèle allemand et qu’ils n’aient pas envie de se dire : «et nous alors, n’est-on pas bon à quelque chose ?»
R - Il n’y a pas d’avenir pour notre pays si l’Europe «se casse la figure.» L’Europe ne continuera à progresser que s’il y a une étroite entente entre la France et l’Allemagne. C’est le fond du problème, alors ne ramenons pas tout cela à des considérations électorales.
Q - Oui mais là, c’est le modèle ?
R - C’est un modèle qui a ses faiblesses. En 2009 la récession en Allemagne a été plus forte que chez nous et dans les perspectives d’avenir, l’Allemagne n’a pas que des atouts.
Q - On a l’impression que le mot d’ordre, c’est «copions l’Allemagne».
R - Pas du tout. Dans vingt ou trente ans, la France aura plus d’habitants que l’Allemagne car cette dernière est en déclin démographique. Tout n’est pas aussi merveilleux de l’autre côté du Rhin. La seule chose qui marque la différence, c’est que l’Allemagne a eu le courage de faire les réformes structurelles avant nous (…). Elle a fait sa réforme des retraites avant nous, elle a fait sa réforme du marché du travail avant nous, ce qui la met aujourd’hui dans une meilleure position que nous. Ne caricaturons pas non plus, la dette allemande est supérieure à 80 % de son PIB et la France doit être à 85 %.
Q - On ne marche donc pas au pas allemand ?
R - Non, on marche à notre propre pas et dans les traités qui ont été signés, il y a beaucoup d’idées françaises. Il y a quelques idées allemandes et il y a des idées françaises. Nous nous sommes rapprochés les uns des autres.
Demain, la déclaration dont vous parlez va se tenir à l’occasion du Conseil des ministres franco-allemand. Toute une série de ministres, moi-même avec mon homologue allemand, nous allons nous rencontrer pour prendre toute une série d’initiatives dans le domaine de la recherche, dans le domaine spatial et de la sécurité pour montrer que cette entente franco-allemande est extrêmement solide et cruciale pour notre avenir.
(…)
Q - (À propos de la construction européenne)
R - En ce qui concerne la nécessité d’aller plus loin dans l’intégration européenne, je vous rejoins totalement et ce sera vraisemblablement l’un des acquis de cette crise. Nous sommes allés trop loin pour ne pas aller plus loin. La question de la souveraineté est une fausse question. Depuis le début de la construction européenne, nous avons accepté des délégations de souveraineté. La première de ces délégations a consisté à laisser gérer la Politique agricole commune par Bruxelles. La politique commerciale, lorsque nous négocions avec l’Organisation mondiale du commerce fait l’objet d’un transfert de souveraineté. Il en faudra d’autres et demain, au Conseil des ministres franco-allemand, nous allons progresser dans l’élaboration d’un impôt franco-allemand sur les sociétés qui sera harmonisé entre nos deux pays. Nous allons dans cette direction, c’est long, c’est difficile.
L’Europe allemande, c’est vraiment le slogan que j’entends depuis des mois et qui ne correspond en rien à la réalité.
Ce qui me renforce dans ce sentiment, c’est que j’ai assisté à l’entretien entre Gerhard Schroeder et Nicolas Sarkozy et M. Schroeder nous a expliqué que ce n’était absolument pas son analyse et qu’il y avait même de bons esprits en Allemagne pour considérer que la France avait réussi à convaincre la chancelière de la nécessité d’un gouvernement économique de la zone euro.
On a fait un pas de géant dans le dernier accord, ce qui s’est passé le 9 décembre, c’est que la chancelière et le président français, chacun faisant un pas en avant, sont arrivés à cet accord qui a permis la signature des deux Traités que vous connaissez. Les eurobonds, je suis pour, à la fin du processus, lorsque l’on aura un vrai gouvernement économique et que l’on aura assaini la situation de la zone euro, alors il faudra faire des eurobonds.
Pourquoi voulez-vous qu’aujourd’hui l’Allemagne accepte de mutualiser la dette grecque et de payer sa propre dette beaucoup plus chère qu’elle ne le fait aujourd’hui.
Vous avez dit que la Banque centrale avait joué un rôle déterminant et je partage tout à fait votre point de vue. C’est en très grande partie grâce au résultat de la ténacité de Nicolas Sarkozy.
Q - (À propos des euro-obligations et d’une possibilité d’Europe fédérale)
R - Je vous ai dit qu’aujourd’hui les conditions n’étaient pas réunies pour que les pays de la zone euro tombent d’accord pour créer des eurobonds. Vous avez dit que la Banque centrale a joué un rôle déterminant et je partage votre point de vue, c’est en très grande partie le résultat de la ténacité de Nicolas Sarkozy. À Strasbourg la chancelière et le Président se sont mis d’accord pour ne plus donner d’instructions à la Banque centrale, ni dans un sens, ni dans l’autre.
Mme Merkel est tombée d’accord pour dire qu’elle ne donnerait pas à la Banque centrale d’injonction de ne pas faire, le déclenchement de la Banque centrale c’est le résultat d’un accord franco-allemand, alors nous dire que nous sommes sur le siège arrière, j’entends dire ça de façon polémique, ce n’est pas la réalité, et enfin je terminerai par là, au dernier Conseil européen informel qui s’est tenu à la fin du mois de janvier il y a eu un certain nombre de propositions de la France et de l’Allemagne pour passer au troisième chapitre, au troisième étage, et là vous avez tout à fait raison je vous rejoins, qui est l’étage de la croissance, avec des mesures pour les PME, mobilisation de la Banque européenne d’investissement accomplissement du Marché unique, mesures sur l’éducation et la formation des jeunes, donc nous avons aussi cette préoccupation.
Q - L’Europe avance quand la France et l’Allemagne avancent d’un même pas et pour qu’elles avancent d’un même pas il faut que l’Allemagne et/ou la France fassent des propositions. La France depuis cinq ans, je dirais même depuis plus longtemps, ne fait plus de propositions, rien n’avance.
Il n’y a aucune proposition nouvelle, tout le monde le sait aucune zone monétaire n’existe si elle n’a pas un gouvernement.
R - Quelles sont les propositions nouvelles faites par l’Allemagne ? La discipline budgétaire. Quelle est la proposition nouvelle faite par la France ? Le gouvernement économique.
Q - C’est une coordination de politiques d’austérité.
R - Pas du tout, le gouvernement économique va se réunir précisément pour mettre en œuvre les propositions en faveur de la compétitivité et de la croissance avec les moyens que vous avez évoqué : les fonds qui sont aujourd’hui inutilisés et peut être des fonds nouveaux. Nous allons mettre en place une taxe sur les transactions financières qui pourra peut être servir à ça.
Q - Cette taxe est française, elle n’est pas européenne.
R - Vous savez très bien que ce n’est pas vrai, la taxe sera à l’origine française et très rapidement elle sera européenne. Vous savez très bien que l’Allemagne est d’accord pour la taxe sur les transactions financières, la chancelière l’a dit, l’Italie est d’accord, l’Espagne est d’accord, la Commission a fait une proposition et la taxe sur les transactions financières se fera.
Q - C’est nouveau pour moi d’apprendre que cette taxe sera affectée, au budget européen…
R - Je n’ai pas dit ça, elle pourrait l’être en partie, on verra, la question de l’affectation n’est pas réglée.
Q - pourtant vous avez dit que ça servirait à financer la croissance…
R - Et c’est une grande victoire française que d’avoir fait accepter la taxe sur les transactions financières. Le président de la République s’est battu pour la taxe sur les transactions financières. Il est arrivé à obtenir l’accord de l’Allemagne.
Q - (journaliste) Êtes-vous optimiste sur la survie de l’euro ?
Q - (J. Attali) La Banque centrale est seul à avoir fait son travail. Elle a sauvé l’euro provisoirement ; si dans les six mois qui viennent il n’y a pas véritablement une action européenne concertée, d’abord franco-allemande pour mettre en place un budget fédéral, l’euro disparaitra. Aucune zone monétaire n’existe sans pouvoir politique, ça n’existe pas dans l’histoire humaine.
Lorsque nous avons fait l’euro, j’étais un des premiers rédacteurs des prolégomènes du Traité de Maastricht. Nous savions bien que si l’euro n’était pas accompagné d’un ministre des Finances dans les dix ans à venir, l’euro disparaitrait.
R - Pourquoi ne l’avez-vous pas fait M. Attali, pourquoi le Traité de Maastricht a été totalement silencieux sur les mécanismes de la gouvernance de la zone euro, c’est une grave lacune, on s’en aperçoit aujourd’hui d’ailleurs, c’est ça qui manque.
Q - Les mécanismes que vous être en train de mettre en place ne font que répéter ce qu’il ya dans le Traité de Maastricht.
R - Nous ne les répétons pas, ils n’ont jamais été prévus, le gouvernement économique de la zone euro n’était pas prévu dans le Traité de Maastricht. C’est à cause de ces lacunes que nous en sommes là où nous en sommes aujourd’hui.
Q - Les lacunes sont encore là vous ne faites que répéter ce qui est dit dans le Traité de Maastricht, rien de plus alors qu’il faut passer maintenant à l’étape fédérale.
R - Alors vous devriez vous en réjouir puisque vous en êtes l’auteur. Quand vous me dites que seule la banque centrale a fait son travail, mais les États ont fait leur travail, la France est en train de faire son travail.
Q - Nous n’avons fait en termes diplomatiques aucune proposition pour accélérer l’intégration européenne.
R - Nous avons obtenu la création d’un Conseil européen de la zone euro avec un président du conseil de la zone euro, Mme Merkel s’est ralliée à cette idée, elle a même été jusqu’à demander en période de crise une réunion mensuelle du Conseil européen.
Q - De quels moyens dispose t-il ? Il n’a aucun moyen.
R - Tout le monde considère que les résultats du 30 janvier à Bruxelles sont des bons résultats. (…)
Q - (journaliste) La France est un des pays au monde qui dépense le plus d’argent pour entretenir ses forces de défense, notamment les forces nucléaires. Est-ce que ça vaut encore la peine dans le monde d’aujourd’hui d’entretenir ces forces nucléaires ? Et surtout, compte tenu des conditions budgétaires qui sont les nôtres, est-ce qu’on a les moyens de continuer à les entretenir ?
Q - (J. Attali) Allons-nous dans les cinq ans qui viennent nous donner les moyens de commencer le renouvellement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins puisque c’est au cours du prochain mandat que doit être décidé la mise en place des sous-marins qui ne rentreront en service qu’en 2030, mais si on ne le fait pas maintenant on ne les aura jamais.
Donc, je suis pour, je pense qu’il faut le faire, parce que je pense que les sous-marins lanceurs d’engins sont une arme indétectable à long terme, mais enfin il faut savoir que le programme a coûté 15 milliards et que ces quinze milliards on pourrait les affecter à autre chose.
Certains disent qu’il faut uniquement la composante aérienne, je ne le crois pas. Je pense par ailleurs qu’il faut prendre acte du fait qu’on a fait une certaine erreur considérable aux cours des cinq dernières années, mais qui n’était pas une erreur politique, c’est sans doute une erreur plus technique que politique, c’est de ne pas nous doter de drones suffisamment. Nous n’avons pas de drones du tout, alors que c’est vraiment l’arme fondamentale. Nous en avons acheté quelque uns, nous continuons à nous de doter très peu de ces armes, or c’est sans doute un des choix majeurs. Allons-nous nous doter encore de l’arme nucléaire pour rester une grande puissance, allons-nous nous doter de drones au détriment de quels autres équipements et allons-nous continuer ce bouclier anti-missiles qui pour la France ne représente qu’une menace à sa propre capacité de dissuasion ?
R - Sur la première question, bien entendu tant pour moi que pour le président de la République, et le gouvernement tout entier, la dissuasion est un point absolument fondamental, non seulement pour la défense de nos intérêts vitaux mais aussi pour l’influence et le rayonnement de la France.
Donc, nous sommes tout à fait déterminés à faire en sorte non seulement qu’elle se maintienne mais se modernise. Je ne pense pas que l’urgence absolue aujourd’hui soit de lancer un nouveau programme de SNLE (le sous-marin nucléaire lanceur d’engins), ils ont intégralement été renouvelés depuis 1997, nous en avons quatre qui sont modernes, il faudra bien sûr les renouveler le moment venu, mais ce n’est pas une décision pour demain. Je vous donne mon sentiment. Et nous avons les moyens de le faire.
Je dis au passage aussi que nous avons complètement rénové notre défense nationale sur les fondements du Livre blanc qui a été publié, vous le savez, en 2008. C’est 54 000 postes pour la Défense nationale que nous sommes en train de supprimer avec 11 bases aériennes etc…
Donc on fait un effort considérable qui nous permet de redimensionner notre force globale et donc de maintenir à l’état de suffisance notre force de dissuasion. Deuxièmement, les drones oui, et vous savez très bien que nous avons signé avec le Royaume-Uni un traité à Lancaster House, en novembre 2010 et un des éléments de ce traité c’est notamment la mise au point d’un drone de nouvelle génération, d’un drone de combat avec les Britanniques, nous en avons effectivement besoin, c’est vrai qu’aujourd’hui c’est une carence. Troisièmement, sur le bouclier anti-missiles. (…)
Nous avons été acteurs puisque c’est le président de la République qui a proposé à l’ensemble de nos partenaires, le gel des avoirs de la Banque centrale et l’embargo pétrolier. C’est une idée française et j’en ai la preuve puisqu’il y a une lettre du président de la République. Cette idée a donc été adoptée par les Vingt-sept, non sans mal mais nous l’avons adoptée, les Américains et le congrès américain l’ont adoptée aussi. Comme vous le savez, nous avons des réticences japonaises et coréennes sur l’embargo pétrolier.
Nous en sommes là. Ce sont des sanctions rudes, sans précédent. La voie de la négociation avec l’Iran est toujours ouverte. Est-ce de nature à éviter la conflagration ? Je l’espère de tout cœur et nous allons «mettre le paquet» pour faire respecter ces sanctions. Je ne crois pas pour ma part à l’impact de cet embargo sur les prix du pétrole parce qu’il y a d’autres pays qui sont prêts à faire monter leur production.
Q - Finalement, c’est l’absence de l’Europe dans de grands projets dans le domaine de l’énergie mais dans d’autres également. N’y a-t-il pas finalement un moteur qui manque ?
R - Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai dit sur l’Europe. Elle est présente dans beaucoup d’autres projets. Naturellement, je rejoins Jacques Attali, nous ne sommes pas suffisamment bons en ce qui concerne la politique énergétique européenne tout simplement parce qu’il faut quand même le signaler, nous avons des divergences fondamentales sur le mix énergétique du futur. L’Allemagne vient de prendre une décision sur l’énergie nucléaire qui n’est pas la nôtre et qui n’est pas celle d’ailleurs de beaucoup d’autres pays européens. Il y a des divisions de fond.
Sur les grands axes qu’a tracés Jacques Attali, je suis évidemment d’accord d’abord sur les économies d’énergie mais on passe son temps à faire cela ! À tous les niveaux.
Q - Il faut se donner les moyens de le financer.
R - Mais on le finance. C’est à tous les niveaux, y compris au niveau des villes, c’est un sujet que je connais bien. Je crois que c’est l’un des éléments essentiels. On peut faire trente à trente-cinq pour cent d’économie d’énergie.
De plus, il faut financer la recherche. Vous me parlez des eurobonds, puis-je vous parler du programme d’investissement d’avenir ?
La France investit aujourd’hui trente-cinq milliards dans la recherche et dans l’innovation.
Q - Les eurobonds, c’est un programme seulement à l’échelle européenne.
R - C’est une conception des eurobonds qui n’a pas grand chose à voir avec celle que l’on utilise. Ce n’est pas pour financer la dette.
Et bien sûr, il faut faire des grands projets de recherche. Quel est aujourd’hui l’un des programmes internationaux qui n’est pas européen c’est vrai, il est international puisque le Japon y participe. Le plus gigantesque, c’est ITER qui sera peut-être l’énergie de 2050 je veux bien le reconnaître, mais qui est un effort de recherche colossale de plusieurs dizaines de milliards de dollars.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2012