Déclaration de Mme Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé, sur les enjeux de la prévention dans le domaine de la santé et de l'accès aux soins médicaux, Paris le 14 février 2012.

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Mme Berra. Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental, Cher Jean-Paul, Messieurs les rapporteurs, Monsieur JeanClaude Etienne, Monsieur Christian Corne, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de m’avoir invitée à répondre à l’avis formulé par votre assemblée concernant les enjeux de la prévention en matière de santé, mais surtout je voudrais vous remercier pour la qualité, la grande qualité, et la pertinence de votre travail.
Force est de constater qu’il s’agit d’un secteur qui intéresse. Preuve en est les rapports rendus récemment sur la politique de prévention tant par la Cour des comptes que par la mission d’évaluation des comptes de la Sécurité sociale et l’Assemblée nationale.
Plusieurs constats sont partagés avec votre analyse :
- un pilotage interministériel insuffisant au niveau de la politique et des acteurs de la prévention ;
- une dépense mal connue ;
- une définition perfectible des orientations et des priorités ;
- une évaluation limitée.
Vous complétez cet état des lieux de la politique de prévention par des propositions ayant retenu toute mon attention car la prévention, dans notre système de soins, doit évidemment évoluer.
Aujourd’hui, notre système de soins est avant tout un système curatif et insuffisamment préventif. Pour autant, quand je regarde les indicateurs, l’état de santé de la population s’est amélioré ; progression continue de l’espérance de vie à la naissance, fort recul de la mortalité infantile depuis cinquante ans, diminution de la consommation d’alcool, mais il est vrai que notre mobilisation est encore indispensable pour faire progresser notre système sur des sujets que l’on peut identifier comme la mortalité prématurée - vingt pour cents des décès dont un tiers imputables aux tabac, alcool et autres conduites à risque - les maladies chroniques ou le surpoids ou l’obésité, ou encore les maladies liées au vieillissement.
C’est la raison pour laquelle, à mon arrivée au ministère de la Santé, j’ai lancé une réflexion pour définir une stratégie nationale de santé 2011-2015 permettant ainsi de disposer d’une vision commune et partagée des finalités de la politique de santé, fondée sur des axes stratégiques :
- prévenir et réduire les inégalités de santé dès les premiers âges de la vie ;
- anticiper et accompagner le vieillissement de la population ;
- maîtriser et réduire les risques pour la santé pour l’autonomie avec une attention particulière aux atteintes prématurées ou évitables ;
- se préparer à faire face aux crises sanitaires.
Élaborée en concertation avec les différentes partenaires institutionnels, les associations de malades ou usagers du système de santé, cette stratégie vient d’être saluée pour sa qualité et ses ambitions par la Conférence nationale de santé.
J’aurais souhaité que cette stratégie serve de base à une future loi de santé publique, à la suite de celle de 2004. Il est vrai, vous le constatez, que l’agenda parlementaire ne l’a pas permis, au regard d’autres priorités gouvernementales dictées par l’actualité. Je voudrais simplement souligner les gros chantiers que nous avons eus à conduire dès janvier dernier avec l’aboutissement qui a été la loi renforçant la sécurité du médicament suite à l’affaire du Mediator.
Néanmoins, des propositions pour une stratégie nationale existent et pourront servir de base à une future loi au cours du prochain quinquennat, comme vous le préconisez.
Dans le cadre de cette future loi, vous souhaitez un renforcement du volet prévention. Vos six recommandations pour hiérarchiser les objectifs et y associer des financements clairs sont en adéquation avec les orientations de la stratégie nationale. Si la loi de 2004 a constitué une avancée significative, la prochaine loi de santé publique devra permettre d’actualiser le tableau de bord des objectifs cibles en matière d’état de santé et de réduction des inégalités sociales, de santé notamment.
En termes de gouvernance, vous notez que la prévention en matière de santé ne relève pas de la seule sphère de la santé mais implique plus largement l’ensemble des politiques publiques : l’habitat, l’éducation nationale, le travail, l’emploi et bien sûr d’autres.
Je partage pleinement cette analyse. La santé a un rôle transversal que le gouvernement a anticipé en créant des instances et des dispositifs de coordination nationaux ou régionaux. La définition des objectifs de santé doit rester du ressort exclusif du ministère de la Santé.
Au plan national, le Comité national de santé publique, le CNSP, permet de coordonner l’action des différents départements ministériels en matière de sécurité sanitaire et de prévention. Eu égard au rôle majeur de la coordination, je vais veiller à ce que ce Comité soit renforcé dans sa dimension opérationnelle.
Par ailleurs, des outils existent pour mieux prendre en compte la prévention. Ainsi, je peux vous citer le contrat État-UNCAM en cours de déploiement et les trois conventions d’objectifs et de gestion avec les régimes d’assurance maladie permettant l’identification et le suivi pluriannuel d’objectifs communs en matière de prévention (informations, vaccination, dépistage) et bien d’autres.
Au niveau régional, la loi hôpital, patient santé et territoire a aussi permis le renforcement de la prévention en l’inscrivant au coeur des missions des agences régionales de santé en complément du soin ou du médico-social. Ces agences disposent d’un pouvoir d’entraînement de leurs partenaires régionaux et locaux pour conduire des politiques intersectorielles. Ainsi, les commissions de coordination dans le domaine de la prévention ont été créées afin d’assurer la cohérence et la complémentarité des politiques publiques.
Votre proposition de sélectionner les objectifs annuels prioritaires en nombre limité retient mon attention. En effet, le lancement de nombreux plans de santé publique nous a permis de créer une dynamique et d’assurer la mise à niveau de notre système sur de nombreux sujets. Il faut désormais se donner une vision commune et partagée des finalités de la politique nationale de santé sur la base de ces objectifs annuels qui permettront de mieux coordonner les actions menées en matière de prévention.
Néanmoins, il ne me semble pas opportun que le comité d’animation des systèmes d’agence s’ouvre aux autres ministères ; en effet, le CASAR réunit les seules agences de sécurité sanitaire. S’il constitue un relais adapté pour diffuser auprès des agences nationales les objectifs fixés en matière de prévention, il ne peut constituer l’instance d’animation des autres ministères concernés par la mise en oeuvre de la stratégie nationale de prévention. En revanche, le comité national de santé publique a cette vocation de mise en cohérence interministérielle de l’action publique. Comme je vous l’ai dit, je veillerai à ce qu’il incarne véritablement cette instance opérationnelle.
Vous formulez deux autres objectifs pour une nouvelle politique de prévention en matière de santé sur laquelle je souhaite réagir. D’abord, vous proposez d’initier et de diffuser une culture collective de la prévention et d’accompagner son appropriation par chacun.
La prévention en matière de santé repose sur la sensibilisation et l’implication de chaque individu et ce à chaque étape de sa vie. Vous avez identifié les différents acteurs (PMI, écoles, médecine du travail, caisses de retraite et de santé), c’est par l’implication de chacun d’entre eux que le défi de la prévention continue pourra être relevé.
Dans le cadre de l’implication de chaque individu en matière de prévention, votre projet met également en avant les nombreux défis sanitaires que le ministère de la Santé doit relever, notamment celui de la lutte contre les addictions. La prévention des addictions est un sujet hétérogène aux nombreux objectifs, allant de la prévention primaire à la prévention quaternaire que vous évoquez en passant par le repérage précoce ou la réduction des risques.
La réalisation de ces actions certes relève des professionnels de santé mais implique aussi une culture partagée de la prévention à tous les âges et par tous, de l’individuel à l’interministériel. Le ministère de la Santé soutient et continuera à soutenir une production de données régulières d’observation et de recherche qui lui permet de suivre les évolutions des pratiques addictives. Nous développerons ainsi des stratégies de communication ciblées et adaptées vers les plus fragiles avec l’institut national de prévention et d’éducation pour la santé.
Je tiens à vous rassurer ici sur la volonté du gouvernement de maintenir les outils de surveillance indispensables pour le suivi de l’état de santé de la population que sont les registres.
Votre projet d’avis souligne un autre défi sanitaire : le contrôle des médicaments. Je veux rappeler que la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a permis de refondre le système de sécurité sanitaire et des produits de santé pour concilier à la fois sécurité des patients et accès aux thérapies.
Comme le montre votre projet d’avis, l’efficacité, l’innocuité mais aussi le bon usage des médicaments participe de la prévention sanitaire, c’est pourquoi l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui devient l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé évaluera les bénéfices et les risques des produits, surveillera le risque tout au long de leur cycle de vie et réalisera régulièrement des réévaluations des bénéfices et des risques.
Elle sera également dotée du pouvoir de prononcer les sanctions financières à l’encontre des industriels qui ne respectent pas la réglementation.
Enfin, pour restaurer la confiance dans les décisions prises, la transparence des liens entre les industriels et les experts sera assurée. C’est pourquoi il est désormais obligatoire de remplir une déclaration d’intérêt qui sera rendue publique.
S’agissant de la surconsommation de médicaments, sachez que c’est une préoccupation constante du ministre de la Santé. La France est le premier consommateur européen de médicaments sur l’ensemble des classes thérapeutiques. Ceci a été montré par l’étude de la DRES en 2010. Avec Xavier Bertrand, nous lançons le 5 mars 2012 une campagne nationale de sensibilisation sur le bon usage du médicament afin de changer le rapport que les Français ont avec le médicament.
Le deuxième objectif sur lequel je souhaite réagir est la mise en oeuvre de nouvelles approche en matière de en prévention et de santé publique. Les campagnes d’information sont primordiales pour relayer les messages de santé publique. Votre projet préconise à ce titre de renforcer l’efficacité de la diffusion de ces messages. Comme vous le soulignez, il est désormais avéré que l’information de la population ne permet pas à elle seule de faire évoluer les comportements individuels ou collectifs même si elle y contribue.
Il est également montré que l’information sans accompagnement ni outils de communication adaptés aux populations concernées creuse l’inégalité sociale de santé et bénéficie davantage aux catégories socioprofessionnelles plus à même de les mettre en pratique et qui ont déjà un meilleur état de santé.
Compte tenu de ces constats, j’ai souhaité que dans le contrat d’objectifs et de performance 2012-2014, l’INPES et la DGS se fixent un objectif d’amélioration de l’efficacité des actions de communication ainsi que plusieurs campagnes. Je peux citer en exemple : la nutrition, l’alcool ou le tabac. Ces campagnes vont être évaluées pour en tirer les enseignements et mesurer l’évolution des attitudes favorables à la santé.
Votre proposition de développer, au travers d’une charte, l’élaboration de bonnes pratiques pour diffuser des messages dans des campagnes d’information est intéressante. Cette charte pourrait être préparée par l’INPES, en concertation avec les experts du Haut Conseil de santé publique.
Au-delà de l’information et de la communication, vous soulignez également que la prévention repose aussi sur la promotion par la collectivité des conditions de vie telle que l’importance de l’habitat et du cadre de vie. Outre les risques physiques qu’il peut faire peser sur les occupants comme le plomb ou les chutes à domicile (il ne faut pas oublier que nous avons une population de plus en plus vieillissante), je rappelle que lorsque l’habitat est insalubre, il est facteur de détérioration de la santé et de la vie sociale pour ses occupants. C’est pourquoi la lutte contre l’habitat indigne est une priorité gouvernementale.
Je tiens dans ce cadre a souligné le rôle primordial des agences régionales de santé au travers de la conduite du volet coercitif que représente les procédures d’insalubrité. En plus de cette approche, les contrats locaux de santé permettent un travail des collectivités territoriales sur le continuum entre le monde du soin et celui du logement.
Je partage votre point de vue sur le fait que l’urbanisme et la rénovation énergétique des bâtiments doivent intégrer l’approche sanitaire. Il s’agit d’une opportunité pour appréhender le problème de la qualité de l’air intérieur. Je compte reprendre dans un décret les règles générales d’hygiène de l’habitat, intégrées auparavant dans les règlements sanitaires départementaux.
Enfin, je souhaiterais terminer sur les questions de l’évaluation des politiques de prévention. C’est une question centrale que soulève votre assemblée. Je souhaite que les efforts entrepris pour développer l’évaluation des politiques publiques et des programmes de santé soient poursuivis pour aider à choisir les stratégies les plus appropriées et tester leur mise en oeuvre.
D’ores et déjà, cette question de l’évaluation est prise en compte dans le pilotage des plans de santé publique, comme dans le cadre du plan Alzheimer, du plan maladies rares, du plan VIH ou du plan de lutte contre l’obésité, tant à travers les tableaux de bord permettant de disposer d’évaluations intermédiaires pertinentes, que grâce à une gouvernance rénovée avec la mise en place, non seulement des comités de suivi et, dorénavant, des comités de suivi et de prospectives afin d’être en mesure de réajuster en cours de route les actions jugées inadaptées.
C’est un pas très important dans la bonne marche et le bon déploiement des plans de santé publique.
Mesdames et Messieurs, la politique de prévention constitue à mes yeux un des points majeurs d’évolution à venir de notre système de santé. Vous en avez dessiné les contours dans votre rapport. Vous contribuez ainsi aux avancées à venir. Si nous souhaitons que la prévention évolue dans notre pays, nous devons aussi, comme vous le proposez, sortir la prévention du seul domaine sanitaire et l’inscrire dans la vie quotidienne de chacun de nos compatriotes comme acte simple, non pas contraignant, mais au contraire comme un facteur de qualité de vie sur le long terme. Je vous remercie.
Source http://www.lecese.fr, le 21 février 2012