Texte intégral
L. Fabius
Europe 1 - 8h20
Le 3 mai 2001
J.-P. Elkabbach Votre lettre au Premier ministre, co-signée avec vos deux secrétaires d'Etat, sur l'écotaxe déclenche un tollé, en tout cas du côté des Verts : "pas de fiscalité verte, dites-vous, mais mieux vaut un contrat entre l'Etat et les entreprises qui polluent." Pourquoi vous y tenez tant?
- "Ce n'est pas comme ça que cela se pose. Qu'est-ce que l'écotaxe, ce qu'on appelle la TGAP, taxe générale sur les activités polluantes ? C'est une taxe qui a été votée en 1998-1999 et en l'an 2000, l'année dernière, j'ai fait voté en tant que ministre des Finances, dans un projet de loi de finances, une extension de l'écotaxe. Tout le monde était d'accord là-dessus dans la majorité : les socialistes, les communistes, les Verts, etc. Ensuite, les parlementaires de droite ont déféré cette taxe au Conseil constitutionnel qui a annulé. Ca, on oublie de le dire. Maintenant, nous sommes depuis le mois de janvier, avec les autres ministres, à la recherche d'une solution qui permette de conserver le principe de cette fiscalité écologique tout en trouvant des modalités qui soient, d'un point de vue environnemental, juridique et économique, bonnes. A partir de quoi, il se passe ce qu'il se passe toujours, toutes les semaines, entre les ministres et avec le Premier ministre, quand il y a une question à arbitrer - et L. Jospin veut le faire - : les ministres définissent leurs positions. Moi, j'ai défini ma position qui est une position extrêmement ouverte. D'autres ministres ont défini leurs positions et L. Jospin, au mois de juin ou mai, va arbitrer entre ces positions."
Dans quel sens vous attendez que le Premier ministre arbitre ?
- "Dans un sens qui permette à la fois de développer le respect de l'écologie, parce que c'est essentiel et qui respecte le droit, c'est-à-dire la décision du Conseil constitutionnel. Tout ça - vous me permettrez de le dire -, c'est un peu un clapotis dans un verre d'eau. J'ai l'impression que pour des raisons politiques, on est en train de chercher des sujets pour utiliser un petit peu l'environnement à des fins beaucoup plus politiques. Je crois que l'environnement est quelque chose de très sérieux. On a fait du très bon travail pour mettre en place une fiscalité écologique, on va continuer. Mais ne confondons pas le respect de l'environnement et l'électoralisme. Je dis cela parce que j'ai vu dans les journaux que tel ou tel responsable de l'opposition faisait de grandes déclarations sur l'environnement. La maison du Père est large : tant mieux. Mais l'environnement est un sujet sérieux qu'il faut traiter sérieusement."
On va décoder. Vous vous adressez d'abord à l'autre, ministre D. Voynet, qui ce matin, dans Les Echos, dit qu'elle ne veut pas reculer ou faire les frais de tel ou tel grand homme du Parti socialiste. Elle repousse vos mesures ?
- "Ce n'est certainement pas de moi dont il s'agit. Dominique est une amie et nous faisons partie de la même équipe gouvernementale. Il faut travailler ensemble. C'est ce que j'ai toujours fait."
Mais si on parlait vrai ? Elle attaque, elle n'est pas d'accord.
- "Pourquoi voulez-vous que je ne parle pas vrai ? C'est trop facile de dire ça, je dis ce que je pense : nous sommes dans une équipe gouvernementale, j'ai fait adopter avec Dominique et beaucoup d'autres collègues, sous l'autorité de L. Jospin, plusieurs mesures de fiscalité et on va continuer. Je respecte l'écologie. Point barre."
Quand vous dites "un leader de l'opposition", c'est le Président de la République ... ?
- ."..Non, c'est en général."
Parce qu'il va prononcer aujourd'hui, à Orléans, un discours que Le Figaro estime "fondateur" pour l'environnement. Il y a, par exemple, deux ou trois principes dont celui de responsabilité : "toute personne, toute collectivité publique ou privée consomme des ressources et pollue dans la limite des exigences de la solidarité, chacun y compris l'Etat doit en répondre selon la règle pollueur-payeur."
- "C'est ce que nous affirmons depuis déjà plusieurs années."
"Notre fiscalité, dira le Président de la République, d'après Le Figaro, doit faire toute sa place à l'écologie. Il ne s'agit pas de créer de nouveaux impôts "?
- "Très juste. C'est la raison pour laquelle les parlementaires de droite auraient été mieux inspirés de ne pas déférer l'écotaxe au Conseil constitutionnel."
Il propose de reprendre le débat sur la place de l'énergie nucléaire.
- "Le débat est toujours utile, mais là, il faut quand même entrer un petit peu dans les détails. Je reviens des Etats-Unis où j'ai discuté dans le cadre du G7 et du FMI, avec les Américains sur le protocole de Kyoto ; c'est une affaire sérieuse. Nous avons, nous les Français, ainsi que les Européens et d'autres, signé le protocole de Kyoto pour diminuer les gaz à effet de serre, c'est-à-dire le CO2, etc... Et puis voilà que les Américains disent maintenant : "Non, on ne va pas respecter le protocole de Kyoto." C'est une décision extrêmement grave. Il faut que les Européens fassent bloc, il faut que les Français soient au premier rang. Je sais que c'est la détermination de L. Jospin. Je souhaite que ce soit la détermination des autres responsables du pays parce qu'il n'est pas question de céder à je ne sais quel unilatéralisme qui viendrait au détriment de notre avenir et de celui de nos enfants."
Est-ce qu'aujourd'hui on peut être écologiste sans être Verts ?
- "Bien sûr que oui. L'écologie, c'est quelque chose de transversal. Cela fait déjà des années que j'ai parlé de ce qu'on appelle l'éco-développement, c'est-à-dire un développement qui soit à la fois économique et écologique. L'écologie et l'environnement, ce n'est heureusement la propriété de personne."
Vous étiez aux Etats-Unis et vous venez de rentrer : les marchés sont nerveux, instables, ils s'inquiètent. Il y a une impression de malaise et de flottement. Est-ce que cela va durer ?
- "Je suis revenu des Etats-Unis, où tous mes collègues du monde entier étaient réunis, avec une impression de confiance et de vigilance. Confiance, parce que pour ce qui concerne la France, les choses globalement - notamment sur le plan de l'emploi et du pouvoir d'achat - vont mieux. Confiance aussi pour ce qui concerne l'Europe, mais une grande vigilance parce que les Etats-Unis sont en ralentissement. Je ne pense pas que cela va se modifier tout de suite. Je sais qu'il y a des avis différents mais je suis très prudent. Vigilant, parce qu'au Japon et en Asie de façon générale, cela ne va pas bien. Et puis vigilant, parce qu'il y a cette volatilité des marchés dont vous avez rappelé l'existence. Il faut que chaque pays, chaque continent fasse le maximum. L'Europe, en ce moment, - et je touche du bois - fait mieux que les autres et la France, à l'intérieur de cela, fait assez bien. Mais je crois quand même qu'il faut rester attentif et ne pas crier victoire trop tôt."
C'est-à-dire que vous pensez qu'il peut y avoir des contrecoups sur l'économie française ? Dès cette année ?
- "Bien sûr. La France n'est pas à l'abri du reste du monde. On est dans une économie, comme on dit, "globalisée." J'ai d'ailleurs revu légèrement en baisse nos prévisions de croissance pour cette année."
A combien ?
- "A 2,9 %, alors qu'on était à 3,3 %. Malgré tout cela, la France - et quand les choses vont bien, il faut aussi le dire parce que c'est grâce aux Français - est le pays des grands pays du monde qui a la plus croissance la plus forte."
La croissance française fait même des envieux. Je lisais un journal anglais qui s'interrogeait : "il y a un soleil sur l'Europe." Il se demande aussi comment une politique économique si bizarre, pour ne pas dire si mauvaise, donne de bons résultats ?
- "J'hasarde un pronostic vraiment très paradoxal : peut-être que la politique économique n'est pas si mauvaise que ça, dans la mesure où il y a quand même un million de chômeurs en moins depuis quatre ans, un pouvoir d'achat qui va augmenter et l'inflation la plus base d'Europe. Je reconnais que ce n'est pas la seule explication et que la conjoncture internationale a joué. Vous m'accorderez que si, quand cela allait bien partout, on disait que c'était à cause de l'environnement international ; quand cela va bien presque nulle part et que la France continue d'aller bien, on peut dire quand même qu'il y a une petite responsabilité intérieure."
Imputable à la fois au Gouvernement et aux chefs d'entreprise et aux Français qui travaillent.
- "Imputable d'abord aux Français. Mais si le Gouvernement ne fait pas trop d'erreur - je crois que c'est le cas -, on peut aussi de temps en temps dire les choses."
Face aux plans sociaux, comment vous répondez ? On ne voit pas les emplois nouveaux qui se créent mais on voit ceux qui se perdent, avec les douleurs que cela crée...
- "Pour toutes les personnes qui sont touchées, c'est un drame. Un drame local et un drame général. Vous avez vu les mesures que nous prenons. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus aucun licenciement parce qu'il y aussi des entreprises qui ont des difficultés. L'idée générale et même précise, c'est de faire qu'on responsabilise davantage les entrepreneurs sans pénaliser les entreprises. Il y a une raison qui fait que ces plans sociaux sont presque simultanés : je crois - c'est l'explication que je hasarde - qu'à cause des élections municipales, des plans sociaux ont été retardés et comme il y a des élections présidentielles dans très peu de temps, il y aussi des plans sociaux qui sont avancés. On est vraiment, de ce point de vue-là, dans le moment de la difficulté maximum. Il faut que le Gouvernement, pour autant qu'il le peut, soit vigilant au maximum et défende les salariés. C'est ce que nous faisons."
Quand vous êtes rentré des Etats-Unis après quatre ou cinq jours d'absence, vous avez trouvé quel climat en France ?
- "Un climat bizarre parce que là-bas, effectivement, tout le monde dit : " Ah la France ! Ah la France, vous êtes en tête, etc..." Et moi je leur dis : "Attention ! Ou alors écrivez-le et essayez d'en convaincre nos concitoyens." Il faut garder la tête froide. Il y a eu des améliorations mais il y a eu beaucoup de travail à faire. Il ne faudrait pas que le politique, l'atmosphère politique - parce qu'on voit bien les élections qui se profilent - perturbe complètement la réalité des débats de fond."
Mais il y a avait un débat à l'intérieur de la gauche : J.-P. Chevènement et même les Verts posent la question - peut-être meurtrière - : la gauche plurielle a-t-elle fait son temps ? Votre réponse ?
- "Non, la gauche plurielle, la majorité plurielle, c'est quelque chose qui, je crois, correspond à ce que souhaitent les Français. Il n'y a pas d'enrégimentement mais il faut quand même avoir une certaine unité. Dans "majorité plurielle", il y a "plurielle", c'est-à-dire qu'on peut s'exprimer de manières diverses, mais il y a "majorité", c'est-à-dire qu'à partie du moment où une décision est prise, il faut que tout le monde soit solidaire."
Récemment vous avez estimé "souhaitable" que le moment venu, L. Jospin se présente en 2002. "Souhaitable", parce que vous avez un doute sur ses intentions ?
- "Non, parce que l'un de vos collègues m'a posé la question : "est-ce que vous souhaitez ?" Et j'ai répondu "oui.""
De peur qu'on dise s'il n'y va pas, c'est vous ?
- "Non, parce que je réponds aux questions avec d'autres journalistes, comme avec vous."
Vous êtes au Gouvernement depuis un an : est-ce qu'il vaut mieux être dedans ou dehors ?
- "Dedans, parce qu'on est plus actif dedans."
Et cela se voit à l'action, même si on prend des coups.
- "De temps en temps, il y a des coups mais ce sont des pétales de roses."
Quel plaisir !
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 3 mai 2001)
Europe 1 - 8h20
Le 3 mai 2001
J.-P. Elkabbach Votre lettre au Premier ministre, co-signée avec vos deux secrétaires d'Etat, sur l'écotaxe déclenche un tollé, en tout cas du côté des Verts : "pas de fiscalité verte, dites-vous, mais mieux vaut un contrat entre l'Etat et les entreprises qui polluent." Pourquoi vous y tenez tant?
- "Ce n'est pas comme ça que cela se pose. Qu'est-ce que l'écotaxe, ce qu'on appelle la TGAP, taxe générale sur les activités polluantes ? C'est une taxe qui a été votée en 1998-1999 et en l'an 2000, l'année dernière, j'ai fait voté en tant que ministre des Finances, dans un projet de loi de finances, une extension de l'écotaxe. Tout le monde était d'accord là-dessus dans la majorité : les socialistes, les communistes, les Verts, etc. Ensuite, les parlementaires de droite ont déféré cette taxe au Conseil constitutionnel qui a annulé. Ca, on oublie de le dire. Maintenant, nous sommes depuis le mois de janvier, avec les autres ministres, à la recherche d'une solution qui permette de conserver le principe de cette fiscalité écologique tout en trouvant des modalités qui soient, d'un point de vue environnemental, juridique et économique, bonnes. A partir de quoi, il se passe ce qu'il se passe toujours, toutes les semaines, entre les ministres et avec le Premier ministre, quand il y a une question à arbitrer - et L. Jospin veut le faire - : les ministres définissent leurs positions. Moi, j'ai défini ma position qui est une position extrêmement ouverte. D'autres ministres ont défini leurs positions et L. Jospin, au mois de juin ou mai, va arbitrer entre ces positions."
Dans quel sens vous attendez que le Premier ministre arbitre ?
- "Dans un sens qui permette à la fois de développer le respect de l'écologie, parce que c'est essentiel et qui respecte le droit, c'est-à-dire la décision du Conseil constitutionnel. Tout ça - vous me permettrez de le dire -, c'est un peu un clapotis dans un verre d'eau. J'ai l'impression que pour des raisons politiques, on est en train de chercher des sujets pour utiliser un petit peu l'environnement à des fins beaucoup plus politiques. Je crois que l'environnement est quelque chose de très sérieux. On a fait du très bon travail pour mettre en place une fiscalité écologique, on va continuer. Mais ne confondons pas le respect de l'environnement et l'électoralisme. Je dis cela parce que j'ai vu dans les journaux que tel ou tel responsable de l'opposition faisait de grandes déclarations sur l'environnement. La maison du Père est large : tant mieux. Mais l'environnement est un sujet sérieux qu'il faut traiter sérieusement."
On va décoder. Vous vous adressez d'abord à l'autre, ministre D. Voynet, qui ce matin, dans Les Echos, dit qu'elle ne veut pas reculer ou faire les frais de tel ou tel grand homme du Parti socialiste. Elle repousse vos mesures ?
- "Ce n'est certainement pas de moi dont il s'agit. Dominique est une amie et nous faisons partie de la même équipe gouvernementale. Il faut travailler ensemble. C'est ce que j'ai toujours fait."
Mais si on parlait vrai ? Elle attaque, elle n'est pas d'accord.
- "Pourquoi voulez-vous que je ne parle pas vrai ? C'est trop facile de dire ça, je dis ce que je pense : nous sommes dans une équipe gouvernementale, j'ai fait adopter avec Dominique et beaucoup d'autres collègues, sous l'autorité de L. Jospin, plusieurs mesures de fiscalité et on va continuer. Je respecte l'écologie. Point barre."
Quand vous dites "un leader de l'opposition", c'est le Président de la République ... ?
- ."..Non, c'est en général."
Parce qu'il va prononcer aujourd'hui, à Orléans, un discours que Le Figaro estime "fondateur" pour l'environnement. Il y a, par exemple, deux ou trois principes dont celui de responsabilité : "toute personne, toute collectivité publique ou privée consomme des ressources et pollue dans la limite des exigences de la solidarité, chacun y compris l'Etat doit en répondre selon la règle pollueur-payeur."
- "C'est ce que nous affirmons depuis déjà plusieurs années."
"Notre fiscalité, dira le Président de la République, d'après Le Figaro, doit faire toute sa place à l'écologie. Il ne s'agit pas de créer de nouveaux impôts "?
- "Très juste. C'est la raison pour laquelle les parlementaires de droite auraient été mieux inspirés de ne pas déférer l'écotaxe au Conseil constitutionnel."
Il propose de reprendre le débat sur la place de l'énergie nucléaire.
- "Le débat est toujours utile, mais là, il faut quand même entrer un petit peu dans les détails. Je reviens des Etats-Unis où j'ai discuté dans le cadre du G7 et du FMI, avec les Américains sur le protocole de Kyoto ; c'est une affaire sérieuse. Nous avons, nous les Français, ainsi que les Européens et d'autres, signé le protocole de Kyoto pour diminuer les gaz à effet de serre, c'est-à-dire le CO2, etc... Et puis voilà que les Américains disent maintenant : "Non, on ne va pas respecter le protocole de Kyoto." C'est une décision extrêmement grave. Il faut que les Européens fassent bloc, il faut que les Français soient au premier rang. Je sais que c'est la détermination de L. Jospin. Je souhaite que ce soit la détermination des autres responsables du pays parce qu'il n'est pas question de céder à je ne sais quel unilatéralisme qui viendrait au détriment de notre avenir et de celui de nos enfants."
Est-ce qu'aujourd'hui on peut être écologiste sans être Verts ?
- "Bien sûr que oui. L'écologie, c'est quelque chose de transversal. Cela fait déjà des années que j'ai parlé de ce qu'on appelle l'éco-développement, c'est-à-dire un développement qui soit à la fois économique et écologique. L'écologie et l'environnement, ce n'est heureusement la propriété de personne."
Vous étiez aux Etats-Unis et vous venez de rentrer : les marchés sont nerveux, instables, ils s'inquiètent. Il y a une impression de malaise et de flottement. Est-ce que cela va durer ?
- "Je suis revenu des Etats-Unis, où tous mes collègues du monde entier étaient réunis, avec une impression de confiance et de vigilance. Confiance, parce que pour ce qui concerne la France, les choses globalement - notamment sur le plan de l'emploi et du pouvoir d'achat - vont mieux. Confiance aussi pour ce qui concerne l'Europe, mais une grande vigilance parce que les Etats-Unis sont en ralentissement. Je ne pense pas que cela va se modifier tout de suite. Je sais qu'il y a des avis différents mais je suis très prudent. Vigilant, parce qu'au Japon et en Asie de façon générale, cela ne va pas bien. Et puis vigilant, parce qu'il y a cette volatilité des marchés dont vous avez rappelé l'existence. Il faut que chaque pays, chaque continent fasse le maximum. L'Europe, en ce moment, - et je touche du bois - fait mieux que les autres et la France, à l'intérieur de cela, fait assez bien. Mais je crois quand même qu'il faut rester attentif et ne pas crier victoire trop tôt."
C'est-à-dire que vous pensez qu'il peut y avoir des contrecoups sur l'économie française ? Dès cette année ?
- "Bien sûr. La France n'est pas à l'abri du reste du monde. On est dans une économie, comme on dit, "globalisée." J'ai d'ailleurs revu légèrement en baisse nos prévisions de croissance pour cette année."
A combien ?
- "A 2,9 %, alors qu'on était à 3,3 %. Malgré tout cela, la France - et quand les choses vont bien, il faut aussi le dire parce que c'est grâce aux Français - est le pays des grands pays du monde qui a la plus croissance la plus forte."
La croissance française fait même des envieux. Je lisais un journal anglais qui s'interrogeait : "il y a un soleil sur l'Europe." Il se demande aussi comment une politique économique si bizarre, pour ne pas dire si mauvaise, donne de bons résultats ?
- "J'hasarde un pronostic vraiment très paradoxal : peut-être que la politique économique n'est pas si mauvaise que ça, dans la mesure où il y a quand même un million de chômeurs en moins depuis quatre ans, un pouvoir d'achat qui va augmenter et l'inflation la plus base d'Europe. Je reconnais que ce n'est pas la seule explication et que la conjoncture internationale a joué. Vous m'accorderez que si, quand cela allait bien partout, on disait que c'était à cause de l'environnement international ; quand cela va bien presque nulle part et que la France continue d'aller bien, on peut dire quand même qu'il y a une petite responsabilité intérieure."
Imputable à la fois au Gouvernement et aux chefs d'entreprise et aux Français qui travaillent.
- "Imputable d'abord aux Français. Mais si le Gouvernement ne fait pas trop d'erreur - je crois que c'est le cas -, on peut aussi de temps en temps dire les choses."
Face aux plans sociaux, comment vous répondez ? On ne voit pas les emplois nouveaux qui se créent mais on voit ceux qui se perdent, avec les douleurs que cela crée...
- "Pour toutes les personnes qui sont touchées, c'est un drame. Un drame local et un drame général. Vous avez vu les mesures que nous prenons. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus aucun licenciement parce qu'il y aussi des entreprises qui ont des difficultés. L'idée générale et même précise, c'est de faire qu'on responsabilise davantage les entrepreneurs sans pénaliser les entreprises. Il y a une raison qui fait que ces plans sociaux sont presque simultanés : je crois - c'est l'explication que je hasarde - qu'à cause des élections municipales, des plans sociaux ont été retardés et comme il y a des élections présidentielles dans très peu de temps, il y aussi des plans sociaux qui sont avancés. On est vraiment, de ce point de vue-là, dans le moment de la difficulté maximum. Il faut que le Gouvernement, pour autant qu'il le peut, soit vigilant au maximum et défende les salariés. C'est ce que nous faisons."
Quand vous êtes rentré des Etats-Unis après quatre ou cinq jours d'absence, vous avez trouvé quel climat en France ?
- "Un climat bizarre parce que là-bas, effectivement, tout le monde dit : " Ah la France ! Ah la France, vous êtes en tête, etc..." Et moi je leur dis : "Attention ! Ou alors écrivez-le et essayez d'en convaincre nos concitoyens." Il faut garder la tête froide. Il y a eu des améliorations mais il y a eu beaucoup de travail à faire. Il ne faudrait pas que le politique, l'atmosphère politique - parce qu'on voit bien les élections qui se profilent - perturbe complètement la réalité des débats de fond."
Mais il y a avait un débat à l'intérieur de la gauche : J.-P. Chevènement et même les Verts posent la question - peut-être meurtrière - : la gauche plurielle a-t-elle fait son temps ? Votre réponse ?
- "Non, la gauche plurielle, la majorité plurielle, c'est quelque chose qui, je crois, correspond à ce que souhaitent les Français. Il n'y a pas d'enrégimentement mais il faut quand même avoir une certaine unité. Dans "majorité plurielle", il y a "plurielle", c'est-à-dire qu'on peut s'exprimer de manières diverses, mais il y a "majorité", c'est-à-dire qu'à partie du moment où une décision est prise, il faut que tout le monde soit solidaire."
Récemment vous avez estimé "souhaitable" que le moment venu, L. Jospin se présente en 2002. "Souhaitable", parce que vous avez un doute sur ses intentions ?
- "Non, parce que l'un de vos collègues m'a posé la question : "est-ce que vous souhaitez ?" Et j'ai répondu "oui.""
De peur qu'on dise s'il n'y va pas, c'est vous ?
- "Non, parce que je réponds aux questions avec d'autres journalistes, comme avec vous."
Vous êtes au Gouvernement depuis un an : est-ce qu'il vaut mieux être dedans ou dehors ?
- "Dedans, parce qu'on est plus actif dedans."
Et cela se voit à l'action, même si on prend des coups.
- "De temps en temps, il y a des coups mais ce sont des pétales de roses."
Quel plaisir !
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 3 mai 2001)