Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, avec France Info le 28 février 2012, sur la situation en Syrie et sur la campagne présidentielle.

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Média : France Info

Texte intégral

RAPHAËLLE DUCHEMIN Deux tentatives pour récupérer Edith BOUVIER, à Homs, en Syrie ; deux échecs. Pourquoi est-ce qu’on n’est pas en mesure aujourd’hui d’aller la chercher ?
 
GERARD LONGUET On est en mesure de l’exfiltrer. C’est une affaire difficile sur le terrain. Il y a un partage de responsabilités. Il y a eu en quelque sorte un passage de témoin, et dans ce passage de témoin il y a des maillons qui inspirent plus ou moins confiance, et c’est le problème que nous avons à gérer, l’inquiétude de la journaliste et l’engagement de notre ambassadeur et de son équipe pour la rassurer.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Hier matin, on a vu que Nicolas SARKOZY annonçait effectivement qu’une amorce de solution avait été trouvée.
 
GERARD LONGUET Oui, oui.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN C’est toujours le cas.
 
GERARD LONGUET Oui, le Quai d’Orsay fait un excellent travail, l’ambassadeur CHEVALLIER fait un excellent travail. Nous sommes sur le terrain. Il faut la convaincre et il faut convaincre certains des intermédiaires de tenir leur rôle en sécurisant chacun. Il y a le risque…il y a un manque de confiance et la crainte d’un règlement de comptes.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN On a vu que Alain JUPPÉ, pour parler de la Syrie plus généralement et de la situation là-bas, Alain JUPPÉ disait hier que le temps viendra pour le régime de rendre des comptes. Est-ce que d’après vous, Gérard LONGUET, ce temps n’est pas déjà venu ?
 
GERARD LONGUET Le temps est naturellement venu. Le compteur, en quelque sorte, des crimes, le compteur des atrocités tourne depuis maintenant plusieurs années, et en réalité dans la crise actuelle depuis plusieurs mois. Et ce que veut dire Alain JUPPÉ avec force, c’est que la démocratie mondiale, qui existe et qui s’exprime au Conseil de Sécurité des Nations unie, même si elle est pour l’instant bloquée, demandera des comptes, demandera la restitution en quelque sorte, et a disqualifié désormais dans sa quasi-totalité le régime de Bachar EL-ASSAD. Seules la Russie, et dans son sillage la Chine, mènent un combat d’arrière-garde qu’à mon avis leurs opinions respectives nationales ne soutiennent pas, et ce sera un problème pour les gouvernements chinois et russe.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Vous étiez en Libye il y a quelques jours, Gérard LONGUET. Le problème de la Syrie aussi n’est-ce pas finalement l’absence d’unité dans l’opposition ? Est-ce que ils sont capables de proposer un conseil national, comme ça été le cas en Libye ?
 
GERARD LONGUET Vous avez tout à fait raison. La force de l’opposition libyenne il y a un an tout juste, le 17 février, c’était un conseil national de transition qui a su rassembler des courants, des géographies, des traditions, des cultures, assez différentes et qui se sont rassemblées avec une idée simple : que KADHAFI s’en aille et s’en aille le plus vite possible. Et la France a joué un rôle qui est reconnu sur place en acceptant le CNT comme l’interlocuteur. Nous n’avons pas l’équivalent en Syrie parce que la situation syrienne est naturellement beaucoup plus complexe et que le régime de Bachar EL-ASSAD, comme celui de son père d’ailleurs, s’appuie sur un équilibre de minorités qui craignent d’avoir beaucoup à perdre. Nous avons le devoir de rassurer les uns et les autres, et d’ailleurs c’est exactement ce que dit la Ligue arabe, qui est dans cette affaire notre alliée, c’est que aucun Syrien ne doit avoir peur du départ de Bachar ELASSAD.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Quand le Premier ministre qatari dit ce matin, « il faut commencer à envisager d’armer la dissidence », c’est quelque chose qu’on peut, nous, entendre, ici, en France ?
 
GERARD LONGUET Non ! Non, non, non ! La France, je parlais tout à l’heure de démocratie mondiale, inscrit son action dans un cadre, ce sont les Nations unies, le Conseil de sécurité, dont nous sommes l’un des cinq membres permanents. Nous avons des obligations vis-à-vis de nos partenaires. Nous devons les convaincre, nous devons les mettre en face de leurs responsabilités, et en particulier pour notre alliée la Russie. La Russie est un allié, ce n’est pas un adversaire, mais elle est bloquée pour des raisons qui sont extrêmement ponctuelles, et nous avons à la débloquer. Armer, ce serait pousser à une guerre civile plus intense encore. Ce n’est pas notre responsabilité. Notre responsabilité c’est d’établir un ordre international. Bachar EL-ASSAD en tirera les conséquences, mais il faut d’abord cet ordre international. Sans solution politique, il n’y a pas de solution militaire. C’est le ministre de la Défense qui vous parle. L’armée est au service d’un projet politique, elle ne remplace pas un projet politique.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Alors, François HOLLANDE est revenu, hier soir, sur la participation de la France au commandement intégré de l’OTAN. « Mauvaise décision » a-t-il dit, prise par Nicolas SARKOZY, c’était en 2007. Il dit, « il ne faut pas en sortir », toutefois, mais, mais il faudra, s’il est élu en tout cas, « reposer les conditions à notre participation ».
 
GERARD LONGUET Très honnêtement, il est à côté du sujet. Il y a cette démocratie mondiale qui se met en place. L’OTAN avec vingt-huit pays, dont les Etats-Unis, mais également la France, est un acteur majeur de la sécurité en Europe, tout au large de l’Europe. Nous sommes par exemple en effet en Afghanistan, nous avons conduit l’affaire libyenne, il y a une solidarité pour la sécurité des bateaux dans l’Océan Indien. La France a toute sa place à l’intérieur de l’OTAN, et depuis que nous y sommes, nous sommes, allez, soyons…un peu de cocorico ce matin, le deuxième partenaire de l’OTAN, celui vers lequel les regards se retournent.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Donc, pas besoin de renégocier quoi que ce soit ?
 
GERARD LONGUET Mais pas du tout ! On est… en permanence, il faut défendre nos intérêts, vous savez c’est une bataille de tous les instants, chaque poste, chaque responsabilité et chaque implantation fait l’objet d’une foire d’empoigne à vingt-huit. Et les Américains ne demandent qu’une seule chose, ils demandent que les Européens s’organisent. Et nous, nous y sommes pour que les Européens s’organisent.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Alors, il n’a pas parlé que de l’OTAN hier soir, François HOLLANDE. Il a aussi parlé des impôts. Visiblement, il a choisi de taper un petit peu plus fort au portemonnaie des plus riches avec l’instauration, c’est ce qu’il a annoncé, d’une nouvelle tranche d’imposition à 75 % pour ceux qui gagnent plus d’un million d’euros par an. Votre réaction ?
 
GERARD LONGUET Mais, ma réaction c’est que c’est de l’improvisation totale, parce que dans le programme socialiste, on avait bien compris qu’il y avait une tranche à 45 % dès 150 000 €, mais quelle progression entre 150 et un million, parce que c’est la vraie question ? La vraie question c’est de savoir quel est le régime de fiscalité pour l’ensemble ? Des gens à un million d’euros, il y en a, tant mieux pour eux. C’est une infime minorité. Les cadres supérieurs…
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Mais ça peut rapporter gros, non ?
 
GERARD LONGUET Pardonnez-moi…oui, ça peut aussi décourager beaucoup, vous savez. Quand vous avez des sièges sociaux d’entreprises industrielles qui peuvent aller indifféremment en France, à Bruxelles, ou à Londres, la fiscalité ça compte. Or, moi, je préfère avoir un acheteur dans l’automobile qui soit à Paris, plutôt qu’il soit à Genève ou à Bruxelles. Et monsieur HOLLANDE devrait réfléchir. Nous avons besoin de matières grises en France, nous avons besoin de décideurs. Si on les taxe, ils s’en fichent, ils iront ailleurs et les décisions ne seront plus prises en France. C’est quand même assez paradoxal le même jour d’avoir des socialistes qui nous disent « on va faire une loi pour que les décisions économiques soient prises en France », et décourager les décideurs économiques de rester en France.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Un mot sur les sondages. Les courbes ne se croisent toujours pas. C’est pourtant ce qu’espérait l’équipe de Nicolas SARKOZY, évidemment.
 
GERARD LONGUET Tous les candidats espèrent être devant, surtout d’ailleurs au moment du résultat, pas tellement dans les sondages.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Oui. Alors, pour l’instant en tout cas, au premier tour, l’écart se resserre entre Nicolas SARKOZY et François HOLLANDE, mais c’est toujours le candidat socialiste qui est donné vainqueur au second tour : 58 - 42. Vous pensez que ça peut encore s’inverser ?
 
GERARD LONGUET Ah, complètement ! Complètement ! Je constate que chacun dans son camp est en train de revenir à son véritable poids. Et HOLLANDE diminue, et Nicolas SARKOZY s’élargit. Ce qui est en cause c’est le deuxième tour, mais le deuxième tour, je vais dire une banalité, c’est après le premier tour, et les comportements changent. Ce que les Français, certains d’entre eux, et en particulier dans ma famille politique, à droite, demandent à Nicolas SARKOZY, bon, allez, c’est de souffrir un petit peu parce que une responsabilité ça coûte et il y a un effort.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN C’est-à-dire ?
 
GERARD LONGUET Eh bien, cet effort du candidat qui se bat est en train de dégeler ceux qui avaient une attitude un petit peu prudente.
 
RAPHAËLLE DUCHEMIN Il dit « quelque chose est en train de se passer ». Qu’est-ce qui se passe, exactement, Gérard LONGUET ?
 
GERARD LONGUET Quelque chose est en train de passer…Eh bien, tout simplement, le regard de ceux qui lui en fait confiance en 2007, qui ont pu être étonnés ou inquiétés ou parfois surpris par telle ou telle démarche, se disent après tout, mais sur l’essentiel c’est quand même lui qui est dans la bonne direction. Et cet effort, ce parcours, qui est un parcours difficile, qui est un parcours éprouvant, il le franchit avec énergie. Et ceux qui l’ont soutenu en 2007 retrouvent l’homme qu’ils ont aimé à cette époque et ils retrouvent son formidable potentiel avec un petit peu d’expérience, et sur certains sujets suffisamment d’autocritique pour qu’on puisse, allez, avoir un avenir plus détendu.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 13 mars 2012