Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la lutte contre le trafic de drogue, le dossier nucléaire iranien et la situation en Syrie, Vienne le 16 février 2012.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 3ème conférence ministérielle du Pacte de Paris à Vienne le 16 février 2012

Texte intégral

Un mot sur la raison de ma présence ici, à savoir la réunion dite du Pacte de Paris. Vous vous souvenez que c’est une initiative que nous avions prise en 2003, que nos amis russes ont relayée. C’est une initiative utile, des progrès ont été réalisés mais une nouvelle impulsion politique était nécessaire, et c’est l’objet de la réunion d’aujourd’hui.
Je me réjouis donc que l’ensemble des participants ait pu se retrouver sur la même volonté de lutter contre ce fléau que constitue le trafic de drogue.
Un mot ensuite sur l’Iran. Mme Ashton a reçu de son interlocuteur iranien M. Jalili une réponse à sa lettre d’octobre de l’année dernière, cette lettre a été mise en circulation. À nos yeux elle reste encore ambigüe, mais elle constitue vraisemblablement un début d’ouverture de la part de l’Iran qui se dit prêt à parler de son programme nucléaire.
Nous aurons l’occasion de tester la sincérité de l’Iran à l’occasion de la mission des inspecteurs de l’Agence internationale de l’Énergie atomique qui se rendra sur place le 20 et le 21 février prochains. Si l’Iran montre qu’il est vraiment disposé à discuter, à montrer à la fois ses sites et ses documents, je pense que les conditions pourraient être, à ce moment-là, réunies pour reprendre des discussions. Il était fait état dans lettre de M. Jalili d’une procédure étape par étape : pour la France la première étape ne saurait être la levée des sanctions à titre de précondition. Il revient à l’Iran de faire le premier la démonstration de sa bonne volonté.
Enfin, le troisième sujet dont je voudrais vous parler, c’est la Syrie bien sûr. J’ai eu un long entretien avec Sergueï Lavrov ce matin. Nous avons constaté que nous étions en désaccord sur l’analyse de la situation. Pour moi les choses sont claires : c’est un régime tyrannique, qui réprime un mouvement populaire d’aspiration à la liberté et à la démocratie.
La plupart des manifestants se battent à mains nues, certains groupes se sont armés, mais c’est le résultat de l’obstination de Bachar El Assad à refuser le dialogue, et on ne peut reprocher à personne de se défendre et de défendre les populations civiles.
Notre deuxième désaccord porte sur la résolution au Conseil de sécurité qui a fait l’objet d’un veto russe : l’argument selon lequel on pourrait se retrouver dans une situation à la libyenne est un mauvais prétexte, et je l’ai redit à Sergueï Lavrov, car il est clairement indiqué dans cette résolution qu’il n’y aura pas d’option militaire.
Alors aujourd’hui, où en sommes-nous ? Nous pouvons peut-être nous retrouver sur un objectif de très court terme qui est l’arrêt des massacres. Il faut tout faire pour que la violence cesse, et qu’une aide humanitaire importante soit apportée à la population syrienne, qui est dans une situation épouvantable. J’ai rencontré à Paris, il y a 48 H, des ONG qui essaient de travailler en Syrie, et qui m’ont décrit des scènes horribles, à Homs ou ailleurs.
Nous sommes donc prêts à travailler à New York à un projet de résolution qui s’inspirerait des propositions de la Ligue arabe : arrêt des violences, bien sûr, aide humanitaire aussi. J’ai cru comprendre que l’idée que j’avais lancée de «corridor humanitaire» n’était pas aussi inadaptée que cela. J’en ai reparlé avec le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, qui est tout à fait prêt aussi à travailler dans cette perspective.
Mais, nous ne sommes pas naïfs, et pour nous, il n’est pas question d’accepter le statu quo politique en Syrie.
C’est la raison pour laquelle nous voulons continuer à travailler avec la Ligue arabe pour la mise en œuvre de son plan de transition politique, dont les Russes ne contestent pas d’ailleurs, si j’ai bien compris, la logique, et qui consiste à transférer le pouvoir au vice-président syrien, à constituer un gouvernement de réconciliation nationale et à préparer des élections libres.
Il va de soi que la proposition de référendum qui vient d’être faite par Bachar El Assad est une farce supplémentaire !. Comment peut-on proposer un référendum le 26 février alors qu’on continue à tirer au canon sur des populations innocentes dans certaines villes syriennes ?
Et donc nous allons continuer à travailler à soutenir ce plan de la Ligue arabe, et ce sera l’un des objectifs de la réunion du Groupe des amis du peuple syrien à Tunis, idée lancée par le président Sarkozy et que la Ligue arabe a faite sienne. Nous préparons cette réunion de Tunis avec nos partenaires pour envoyer un message fort de soutien, je le répète, à cette transition politique, en espérant que la pression sur ceux qui bloquent toute décision du Conseil de sécurité et sur le régime syrien lui-même pourra faire évoluer les choses. Voilà où nous en sommes sur ce que j’hésite à qualifier de «dossier syrien», parce que c’est d’abord une tragédie humaine syrienne.
Q - Y a-t-il la possibilité d’envisager que la France fasse cavalier seul en ce qui concerne l’aide humanitaire par exemple ?
R - Non, il n’est pas question de faire cavalier seul. Nous essayons déjà d’aider les populations syriennes, et c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas fermé notre ambassade. J’ai rappelé notre ambassadeur en consultation mais l’ambassade reste ouverte parce qu’elle est un point de contact pour les populations en difficulté. En revanche, il est clair que l’aide humanitaire ne peut se concevoir que dans un cadre multinational, et sous mandat des Nations unies. C’est la raison pour laquelle j’ai évoqué cette possible résolution. Nous y participerions bien sûr dans cette hypothèse-là.
Q - L’envoi du vice-Premier ministre des Affaires étrangères, je crois chinois, est-ce que pour vous c’est une manœuvre dilatoire, ou bien est-ce que ça peut apporter peut-être une pression supplémentaire, ou un résultat ?
R - Toutes les pressions sont bienvenues, même si vous imaginez qu’il est difficile pour la France de considérer qu’un ministre chinois puisse exprimer sa position.
Ce à quoi nous sommes prêts en revanche, c’est à la désignation d’un envoyé spécial des Nations unies en liaison avec la Ligue arabe, qui pourrait jouer ce rôle d’intermédiaire, et si M. Ban Ki-moon décidait de s’orienter dans cette direction, nous le soutiendrons bien sûr.
Q - Sur le Pacte de Paris, comment est-ce que vous expliquez le fait qu’il n’y ait pas encore eu d’avancées, et en quoi la déclaration de Vienne pourrait améliorer la situation ?
R - Il y eu des avancées. La production d’opiacés en Afghanistan fluctue : il y a des périodes où elle a diminué, et aujourd’hui elle est plutôt en croissance, le ministre afghan nous a expliqué que plusieurs régions étaient désormais «poppy free», je ne suis pas allé vérifier la liste exacte des provinces, mais il y a des progrès et il y a surtout une forte mobilisation internationale et en particulier une dynamique qui s’est créée entre le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan, ce qui n’était pas évident ; c’est un combat de très longue durée.
Nulle part au monde n’est-on arrivé à stopper ces trafics, qui mettent en cause des sommes faramineuses, du jour au lendemain, il faudra du temps, beaucoup de temps mais je pense que ce processus est tout à fait utile, et vous avez vu qu’il a rassemblé un grand nombre de responsables européens et extra-européens.
Q - Est-ce vous pensez que c’est possible de ramener la Russie vers justement le Groupe des amis de la Syrie, de les associer d’une manière ou d’une autre ? Ce serait un point d’ancrage pour avancer.
R - Tout dépend de la Russie. Si la Russie est prête à soutenir activement la mise en œuvre des plans de la Ligue arabe, ce qui constitue l’objectif de la réunion du Groupe des amis du peuple syrien, il n’y a aucune raison de ne pas l’associer. Si la Russie est prête à travailler avec nous au Conseil de sécurité pour une résolution équilibrée sur l’aide humanitaire, elle est la bienvenue.
Q - Et-ce que c’est quelque chose que vous avez abordé avec M. Lavrov ?
R - Oui, bien sûr, je crois même qu’il a expliqué tout à l’heure dans son point de presse qu’il n’était pas hostile à participer à un tel travail, et M. Ban Ki-moon a indiqué qu’il devait rencontrer Sergueï Lavrov cet après-midi et qu’il lui en parlerait.
Q - Vous a-t-il parlé d’un envoyé spécial ?
R - Je ne sais pas, je dis ce que m’a dit M. Ban Ki-moon.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2012