Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur le bilan de ses trois années au ministère (organisation des filières, défense de la PAC, aide à l'exportation) et les défis à relever notamment en matière de régulation des marchés, Paris le 24 janvier 2012.

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Circonstance : Voeux aux représentants du monde agricole, à Paris le 24 janvier 2012

Texte intégral

Mesdames et messieurs les parlementaires, monsieur le secrétaire général du ministère de l’Agriculture, mesdames et messieurs les représentants du monde agricole, et surtout chers amis. Je suis très heureux de vous recevoir aujourd’hui Rue de Varenne, pour ma troisième cérémonie de vœux, cette fois-ci pour l’année 2012, qui est une année un petit peu particulière, j’aurai l’occasion d’y revenir. Je vais essayer de ne pas être trop long, c’est toujours des promesses que l’on fait en début de discours, mais quand je vois la qualité des buffets qui sont dressés à l’extérieur, je suppose que vous n’avez qu’une envie, c’est que le ministre fasse le plus court possible, et que vous puissiez vous précipiter vers les magnifiques produits agricoles que j’ai vus à l’extérieur. Mais comme je n’ai pas souvent l’occasion d’avoir autant d’amis de cette qualité autour de moi, je voudrais en profiter pour passer un certain nombre de messages sur l’agriculture et bien entendu, cher Louis GUEDON, la pêche française.
Depuis 3 ans que je suis ministre de l’Agriculture, nous avons fait, avec le président de la République, avec mes amis parlementaires, que je salue, des choix stratégiques pour l’agriculture française. Des choix qui sont nouveaux, des choix qui ont pu paraître parfois audacieux, mais des choix qui sont nécessaires. Et je suis convaincu que le jour où je fermerai la porte de la Rue de Varenne et que je quitterai ce ministère, nous pourrons nous dire que nous avons fait entrer définitivement l’agriculture française dans la mondialisation, dans la compétitivité, et que les choix que nous aurons fait tous ensemble, seront des choix irréversibles. Après 3 ans passés à la tête de ce ministère, l’agriculture n’aura plus le même visage, et l’agriculture sera plus forte, mieux à même d’affronter la concurrence européenne et la concurrence mondiale. C’était pour moi le défi à relever, et je crois que tous ensemble, avec les administrations auxquelles je rends hommage, avec les responsables syndicaux, avec les professionnels, avec les parlementaires qui ont joué un rôle déterminant avec l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous aurons réussi à relever ce défi.
Le premier choix courageux que nous avons fait, c’est celui de la compétitivité. La compétitivité c’était un mot tabou dans l’agriculture française, c’est devenu, aujourd’hui, une exigence pour chacune des exploitations agricoles, et je rends hommage à tous les paysans français qui ont su s’adapter à cette exigence de compétitivité. La compétitivité c’est la réduction du coût du travail, nous l’avons fait sur le travail occasionnel. A un moment où la France débat de la nécessité de réduire les charges sur le travail, les paysans français peuvent dire que, eux, ont fait cet allègement de charges, ont compris cette exigence, et que nous avons, ensemble, réduit le coût du travail occasionnel, qui a été abaissé, pour être très précis, de près de 13 euros à un peu plus de 9 euros de l’heure. Il en allait de la survie de milliers d’exploitations agricoles françaises. Et j’étais encore dans le Limousin, j’ai eu l’occasion de discuter avec des producteurs de pommes, qui m’ont redit à quel point il était essentiel qu’on réduise les charges qui pèsent sur le travail en France. Et j’appuie totalement l’initiative du président de la République, d’engager cette réduction des charges sur le travail, pour gagner en compétitivité et être tout simplement à la hauteur de nos concurrents européens. Je ne parle même pas du Brésil, de la Chine, de l’Inde, je vous parle de l’Allemagne, je vous parle de l’Espagne, je vous parle de l’Italie. Nous devons réduire les charges qui pèsent encore sur le travail, en particulier le travail agricole.
Deuxième choix que nous avons fait, la réduction des coûts énergétiques. Je pourrais citer beaucoup de décisions qui ont été prises, qui sont parfois oubliées, mais le plan de performance énergétique, c’est cette majorité qui l’a voulu, c’est cette majorité qui l’a mise en place. Le développement de la méthanisation, c’est cette majorité qui l’a voulu, c’est cette majorité qui l’a mise en place. Il m’est apparu très rapidement, en voyageant très souvent, comme vous le savez, en Allemagne, que nous ne pouvions pas continuer à avoir des tarifs de rachat du biogaz, pour la méthanisation, très en deçà de ce que pratiquent les Allemands, qu’on ne pouvait pas accepter qu’il y ait 4000 unités de méthanisation en activité en Allemagne, quand il y en avait à peine une dizaine en France. Là encore, compétitivité, c’est une exigence absolue. Et je souhaite qu’en matière de méthanisation, nous parvenions, dans les 10 ans, à faire sortir de terre plus de 1000 unités de méthanisation en France, pour rattraper notre retard par rapport à l’Allemagne, sur ce dossier.
La compétitivité c’est aussi l’organisation des filières, et des interprofessions, alors ça c’est un vaste sujet l’organisation des filières, j’aurai l’occasion de revenir dessus. Il faut que nous travaillions ensemble. Avant tous les problèmes techniques, avant tous les problèmes économiques, il y a en France une difficulté culturelle, nous ne savons pas travailler ensemble. Nous dressons des murs les uns entre les autres, entre les industriels, entre les grands distributeurs, entre les producteurs, nous sommes tous dans la même barque, les murs doivent tomber, et nous devons travailler ensemble, et les filières, de ce point de vue là, ont accompli, depuis 3 ans, sous notre impulsion, un travail de réorganisation qui est absolument décisif. Et je constate que ce sont les filières qui ont le plus avancé dans leur réorganisation, qui ont aujourd’hui les meilleurs résultats économiques, j’espère que cela pourra servir de modèle pour tous. Prenez l’exemple, que je prends souvent, de la viticulture dans le Languedoc-Roussillon. Les viticulteurs de Languedoc-Roussillon ont fait un travail exceptionnel, ils ont consenti des sacrifices personnels humains extraordinairement importants, pour arracher leurs vignes, pour gagner en qualité, pour exporter, mais ils ont su dans le même temps réorganiser les filières, ils ont su limiter le nombre d’interprofessions pour être plus compétitifs. Eh bien ce que les viticulteurs du Languedoc ont réussi à faire, d’autres filières commencent également à le faire, mais je souhaite que ça serve de modèle pour l’agriculture française dans son ensemble. Et vous me permettrez de penser que ça pourrait servir de modèle à l’économie française dans son ensemble. Nous sommes tous dans le même bateau. On ne doit pas lutter les uns contre les autres, on doit être solidaire les uns des autres, c’est une des voies de redressement de l’économie française.
Je pourrais aussi citer la filière du bois, la réorganisation que nous avons, avec cette majorité, engagée sur la forêt privée. Je pense à la participation des communes forestières, je pense au travail, tout à fait remarquable, qui a été engagé par l’ONF pour mieux valoriser le bois, qui est une des très belles filières industrielles et agricoles de la France. Là aussi, quand on s’organise, les résultats viennent.
J’aurai pu citer également des points plus techniques, mais qui sont essentiels, parce qu’il n’y a pas de détail dans l’agriculture française, la réforme des systèmes de cotations, l’audit que nous avons engagé sur les abattoirs parce que nous savons qu’il faudra réformer aussi notre outil industriel, notamment en matière d’abattage, si nous voulons être toujours plus comp??titifs. Ces choix ont été faits, ces choix ont été assumés depuis 3 ans.
Je termine sur ces choix de compétitivité, par un point qui me tient particulièrement à cœur, parce qu’il a été au cœur de nos débats sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ce sont les contrats. Les contrats je ne les ai jamais vendus comme la solution miracle aux difficultés de l’agriculture française, mais les contrats c’est une garantie de visibilité et de stabilité pour les producteurs. Et moi ce que je porte au fond de moi comme l’exigence, c’est d’avoir des paysans français correctement rémunérés, qui ont devant eux le minimum de visibilité nécessaire pour investir dans des conditions de sécurité acceptables. Vous ne ferez pas venir un jeune de 20, de 22 ou de 23 ans sur une exploitation, vous ne lui ferez pas investir sur cette exploitation, financer sa remise aux normes, si vous ne pouvez pas lui dire que sur 4 ans, sur 5 ans, il a un minimum de visibilité sur son revenu, c’est indispensable. Je ne mésestime pas les difficultés qui se posent dans cette révolution que représentent les contrats, je dis simplement que nous sommes en train d’y arriver, notamment dans la filière laitière, où DANONE a déjà mis en place des contrats avec les producteurs, où j’ai déjà participé à la signature du premier contrat, et on doit progresser, car les contrats c’est la stabilité, et la stabilité c’est ce que souhaitent des producteurs qui sont exposés à un nombre de risques, climatiques, environnementaux, sanitaires, absolument considérables. La responsabilité politique aujourd’hui c’est de mettre de la stabilité là où il y a de l’instabilité. C’est de mettre de la sécurité et de la protection là où il y a de l’insécurité et du risque. Les contrats, de mon point de vue, répondent à cette exigence.
Le deuxième choix que nous avons fait depuis 3 ans, sur lequel je n’ai jamais dévié d’un pouce, pas plus que sur le choix de la compétitivité, c’est le choix européen. Le choix européen ça a consisté d’abord à dire la vérité aux producteurs, en leur rappelant qu’on ne peut pas à la fois profiter des aides européennes sur le terrain, dans nos régions et dans nos départements, et dans le même temps tricher avec ces mêmes aides européennes, en acceptant de distribuer des aides illégales sur le terrain à un certain nombre de producteurs. Tout cela a bien failli me coûter mon poste dans les premières semaines de ministre de l’Agriculture, ça aurait été dommage, vous l’avouerez, mais je ne regrette pas d’avoir fait ce choix-là, même s’il y a pu y avoir ici ou là des maladresses dans les expressions. Je pense que pour les agriculteurs français, réconcilier ce qui est fait à l’échelle nationale et ce qui est décidé à l’échelle européenne, c’est le choix courageux et c’est le seul choix qui vaille. Ceux qui aujourd’hui tapent à bras raccourci sur l’Europe, ne devraient jamais oublier qu’il n’y a pas d’agriculture française sans le soutien de la Politique Agricole Commune.
Sur cette Politique Agricole Commune, et dans le choix que nous avons fait, il y a une chose dont cette majorité, dont le président de la République, dont nous tous ici nous pouvons être fiers, c’est d’avoir sauvé le budget de la Politique Agricole Commune, car il en allait de la survie des paysans français. Lorsque je suis arrivé ici, en juillet 2009, la proposition de la Commission Européenne était de baisser le budget de la PAC de 30 à 40%. Après 1 an de négociation avec les Allemands nous avons eu une position commune franco-allemande sur le maintien du budget de la PAC. Après 2 ans de négociation, avec la Commission Européenne, au plus haut niveau, entre José-Manuel BARROSO et le président de la République Nicolas SARKOZY, nous avons obtenu le maintien du budget de la PAC. C’est un acquis majeur, un acquis essentiel, pour tous les paysans français pour les années à venir. Et je tiens à redire que qui que ce soit qui me succédera, ici, il aura un devoir, c’est de garantir que ce résultat qui a été obtenu par cette majorité, ne soit jamais remis en cause. Il ne faut même pas accepter d’entrer dans une négociation sur le montant du budget de la PAC. Nous avons obtenu sa sécurisation à l’euro près, nous devons l’assurer jusqu’au bout de la négociation.
Nous avons aussi obtenu, en matière européenne, une régulation des marchés, là aussi ce n’était pas gagné d’avance. Je me souviens de débats avec Marianne FISCHER-BOEL, qui m’expliquait que les marchés c’étaient cette espèce de main invisible qui répartissait correctement les richesses, et qu’à partir du moment où il y avait une crise, il fallait laisser les marchés fonctionner et que ça permettrait de séparer le bon grain de l’ivraie. Idiotie et scandale intellectuel, je n’hésite pas à le dire. Eh bien contre cette idiotie, et contre ce scandale intellectuel qui consiste à croire qu’en matière agricole les marchés font la pluie et le beau temps de manière positive, nous avons commencé à mettre en place une régulation. Nous avons obtenu le paquet lait, nous sommes en train d’obtenir, sur la viticulture, un renversement sur les droits de plantation pour rétablir ces droits de plantation qui sont indispensables aux viticulteurs et à la qualité des vins français. Je ne céderai pas un pouce sur cette idée de régulation des marchés qui me paraît indispensable.
Enfin, troisième exemple que je veux citer sur l’Europe, et je salue la présence du président des Restos du Cœur ici, Olivier BERTHE, c’est ce que nous avons obtenu sur l’aide aux plus démunis. Ça peut vous paraître un sujet accessoire, c’était, pour moi, un combat moral essentiel. En pleine période de crise, voir l’Union Européenne, supprimer les crédits aux plus démunis, j’ai voulu dire haut et fort « non, jamais, et pas avec moi. » Et on s’est battu. On s’est battu contre l’avis de beaucoup d’Etats européens, on s’est battu avec l’Allemagne qui ne concevait pas que l’Union Européenne puisse continuer à financer un programme dont je reconnais qu’elle ne bénéficie pas. On s’est battu avec l’aide des parlementaires, et on s’est battu avec l’aide des associations, et je tiens à rendre hommage à leur sens des responsabilités sur la manière dont on a conduit cette négociation. Eh bien nous avons réussi à obtenir, contre toutes les évaluations faites par nos amis diplomates, le maintien de cette aide aux plus démunis, à l’échelle européenne, jusqu’en 2014, et je souhaite que dès maintenant nous commencions à réfléchir sur les modalités de financement après 2014, pour garantir là aussi la stabilité des ressources financières d’associations aussi remarquables que les Restos du Cœur qui en pleine période de crise apportent le soutien aux plus démunis, ça me paraît absolument indispensable. Mais là encore, évitons les grandes paroles, évitons les grandes déclarations définitives sur les antennes ou sur les ondes, ce qui compte c’est le résultat. Et c’est en faisant le choix européen, c’est en négociant, c’est en allant à Berlin, c’est en expliquant nos arguments, c’est en prenant le temps de convaincre, qu’on arrive aux résultats. Monter sur son tonneau et faire de grandes déclarations, ça ne change rien au résultat final. Or aujourd’hui l’exigence politique ce n’est pas les déclarations, ce sont les résultats, c’est ce qu’on peut dire les yeux dans les yeux aux Français dont on a la responsabilité. Et de ce point de vue je suis fier de pouvoir dire les yeux dans les yeux du président des Restos du Cœur, que ces financements sont sécurisés jusqu’en 2014, et qu’on fera le nécessaire pour trouver des solutions pour après 2014.
Le troisième choix que nous avons fait, avec le président de la République, avec cette majorité, c’est le choix du monde, c’est le choix de l’exportation, c’est le choix de l’ouverture vers les marchés qui sont aujourd’hui porteurs de croissance. Nous l’avons fait, je le dis devant Dominique LANGLOIS, devant Pierre CHEVALIER, sur un sujet qui me tenait particulièrement à cœur, qui était l’élevage bovin. Nous avons les meilleures bêtes bovines au monde, la meilleure génétique, la meilleure production, et nous avons, j’ose dire nous avions, une situation dramatique pour les éleveurs bovins en France. Cherchez l’erreur. Comment peut-on avoir autant d’atouts dans les mains, et ne pas arriver à les valoriser pour les producteurs ? C’est parce que nous n’avions pas fait, jusqu’à présent, les bons choix économiques. Eh bien en mettant en place un GIE à l’exportation, en ouvrant les marchés, en Russie, en Turquie, en Afrique du Nord, nous avons réussi à favoriser l’exportation, et enfin à faire remonter les prix pour que les producteurs aient, sur le terrain, le revenu de leur travail. Je ne dis pas que tout est résolu, je sais très bien que les coûts de production restent élevés pour les producteurs bovins, j’étais encore dans le Limousin hier, je vois Pierre CHEVALIER, et je sais que ça reste difficile, simplement cette voie de l’exportation, de la mise en place du GIE Export, tout cela donne des résultats, fait monter les prix, améliore le revenu des producteurs, c’est le choix à faire, et c’est le choix à poursuivre.
Enfin, toujours sur ce choix du monde, je rappelle que nous avons réussi à faire prendre conscience aux 20 pays les plus puissants de la planète, que la question de l’alimentation mondiale était probablement une des questions les plus stratégiques du 21ème siècle. On ne sait pas comment nourrir la population dans les 10, 20 ou 30 prochaines années. On ne sait pas comment faire pour produire plus, tout en produisant mieux, c’est-à-dire en respectant les sols, en respectant l’environnement, en respectant la propriété des terres dans les pays en développement. On ne sait pas, encore, comment stabiliser les prix pour éviter des variations de 100, 200 ou 300%, qui déstabilisent les producteurs. Eh bien en mettant l’agriculture au cœur du G20, à l’initiative du président de la République, nous avons réussi à obtenir des résultats concrets, il y aura enfin de la transparence sur ces marchés, il y aura enfin le début d’une organisation et d’une lutte contre la spéculation sur les marchés de matières premières agricoles. Il y aura enfin un système d’alerte, il y aura enfin une limitation des restrictions à l’exportation pour que lorsqu’un pays développé décide de limiter ses exportations, eh bien les pays les plus pauvres ne soient pas les premiers à en souffrir. Tout cela, nous ne sommes pas au bout du chemin, tout n’est pas encore achevé, mais nous avons progressé, et surtout nous avons enfin fait prendre conscience de la gravité de ce sujet, nourrir la planète, aux yeux des plus grandes puissances mondiales, je crois que là aussi c’est un des choix importants que nous avons fait et qui sur 3 ans a donné des résultats.
Alors, ces choix stratégiques, choix de la compétitivité, choix de l’Europe, choix du monde, je vous le disais, ils donnent aujourd’hui, en ce début d’année 2012, des résultats, et ces résultats je voudrais évidemment les attribuer d’abord aux agriculteurs et aux pêcheurs eux-mêmes, car ce sont eux qui ont fait le travail, en priorité, eux qui se sont réorganisés, je voudrais saluer les professionnels, qui se sont tous engagés pour participer à ces débats, pour permettre de faire bouger les lignes, et puis vous me permettrez quand même, même si ce n’est pas l’usage dans des vœux, de rendre hommage aussi à la qualité de l’administration du ministère de l’Agriculture, le secrétaire général, Jean-Marie AURAND, sait tout le respect et l’admiration que je porte au personnel du ministère de l’Agriculture, et puis de manière plus personnelle, à l’ensemble de mon cabinet, mon directeur de cabinet doit être ici, Jean-Marc, en ton nom c’est tout mon cabinet que je veux saluer, car il ne compte pas ses heures de travail et il fait, là aussi, un travail tout à fait remarquable au service des agriculteurs et des pêcheurs français.
Ces résultats c’est d’abord la prise de conscience en France de ce que l’agriculture est un secteur stratégique, que derrière l’agriculture il y a la qualité de notre alimentation, que derrière l’alimentation il y a ce programme national pour l’alimentation que nous avons mis en place, il y a des nouvelles règles nutritionnelles, il y a le développement des circuits courts, il y a la possibilité, désormais, pour les collectivités locales de s’affranchir de la règle du mieux-disant, pour aller chercher des produits locaux, même s’ils sont un peu plus chers, parce que je dois dire que la première fois que j’ai visité une cantine scolaire en Normandie et que je me suis aperçu qu’en Normandie on ne consommait que des pommes du Chili parce qu’elles étaient moins chères que les pommes normandes, je me suis dit on va prendre le temps qu’il faut, on va y mettre l’énergie nécessaire, mais on va changer ça. Et on a changé ça. On permet, aujourd’hui, aux appels d’offre dans les cantines scolaires, de s’affranchir pour 20% de leurs volumes, de la règle du prix, pour préférer un produit de proximité. Je vais vous dire, là aussi je parle pour mes successeurs, je crois que si on arrivait à 50% ce serait une bonne chose et ça permettrait de valoriser davantage les circuits courts et les produits locaux.
Je pense que nous avons aussi ouvert des débats sur l’aménagement du territoire, nous avons fait prendre conscience, avec la taxe sur les transactions sur les terres agricoles et sur la spéculation sur les terres agricoles, avec l’Observatoire des prix agricoles, de la nécessité absolue qu’il y a à préserver les terres agricoles en France. On ne peut pas se dire une grande puissance agricole et de l’autre côté laisser partir des milliers d’hectares de terres agricoles chaque année. Il est impératif de protéger ces terres et de défendre les terres agricoles, là aussi nous avons pris des décisions dans ce domaine, et nous avons ouvert le débat. Nous avons fait prendre conscience aussi, je le dis devant Jean-Marie BINETRUY qui est élu d’une zone de montagne, de ce que l’agriculture française n’avait pas vocation à se concentrer dans certains points du territoire, mais qu’elle participait de l’aménagement du territoire et qu’elle devait être présente partout, dans les zones de plaine, dans les zones de piémont, dans les zones de montagne, parce qu’agriculture veut dire emploi, agriculture veut dire activité, et pour vous dire le fond de ma pensée, agriculture veut dire vie. Là où il y a de l’agriculture, il y a de la vie, et c’est pour ça qu’il faut protéger l’agriculture partout sur les territoires français.
Ces résultats ce n’est pas simplement cette prise de conscience, ce n’est pas simplement la mise en place de ce grand débat sur l’avenir de l’agriculture française et du lien entre agriculture et alimentation, c’est aussi des résultats économiques. Nous sommes une grande puissance agricole mondiale et nous avons vocation à le rester. Nous en avons souvent discuté avec les responsables syndicaux que je vois ici, dans un moment où la crise économique frappe l’Europe toute entière, et frappe durement la France, quel est le seul secteur qui enregistre aujourd’hui des excédents commerciaux en forte croissance, qui continue à représenter des centaines de milliers d’emplois, qui ne connaît pas la crise de manière aussi dure que d’autres secteurs, qui arrive à prendre des parts de marché à l’exportation, c’est l’agriculture. Eh bien quand on a un secteur économique qui marche, permettez-moi de vous dire que c’est le bon sens de le soutenir, de le défendre, et de lui permettre de rapporter encore plus d’emplois et de richesses à la nation. Je rappelle que l’industrie agroalimentaire aujourd’hui, c’est plus de 400 000 emplois, c’est des milliards d’euros d’excédent sur notre balance commerciale, là aussi hommage soit rendu à la qualité de notre industrie agroalimentaire qui permet de valoriser les produits français, c’est un atout majeur pour notre économie. Ces résultats économiques ils se traduisent, mais pas suffisamment encore, dans les revenus des paysans. 2009 a été une année catastrophique pour le revenu des paysans, 2010 a été une année de reprise, 2011 une année de stabilisation, mais je constate qu’en 2011 les points positifs que nous avons pu enregistrer sur les prix, ont malheureusement été quasiment effacés par l’augmentation des coûts de production et par certaines catastrophes que nous avons connues comme la sécheresse, donc il faut continuer à s’accrocher pour améliorer encore le revenu des paysans, c’est la priorité absolue. Le paysan français, comme le pêcheur français, doit avoir des revenus décents.
Enfin je tiens à dire, sur le point des résultats, que nous ne resterons une grande puissance agricole, et nous ne continuerons à avoir cette influence agricole en Europe et dans le monde, qui est respectée, jusqu’au fin fond de la Chine, que si nous sommes capables de continuer à innover et à soutenir la recherche agricole. Ne sombrons pas dans l’obscurantisme sur ce sujet. Nous avons besoin d’innovation et de recherche. Alors je ne vais pas soulever ce soir les sujets qui fâchent, car sinon ça pourrait gâcher la soirée, donc je vais prendre un sujet qui est hors débat, qui au moins ne prête pas à la controverse, la question à laquelle je suis très attaché, de l’ostréiculture française et des huîtres. Il y a une surmortalité des huîtres qui touche tout le littoral français, si vous ne faites pas de recherche, si vous n’améliorez pas la bio-résistance des huîtres, si vous n’avez pas l’IFREMER, si vous n’avez pas les chercheurs, eh bien il n’y a plus d’ostréiculture, en France, dans quelques années. Alors avant de condamner la recherche en agriculture, avant de repousser toute innovation, avant de repousser toute recherche sur les biotechnologies, regardons aussi ce que ça nous rapporte, regardons aussi à quel point ça nous protège, et regardons aussi à quel point ça nous attire le respect des autres puissances agricoles mondiales. Sur ce point de vue je tiens à saluer là aussi le travail qui est fait par les instituts de recherche qui sont sous ma tutelle, et à dire à quel point je suis fier de l’enseignement agricole français, qui est un enseignement de très grande qualité, et là aussi, en période de crise, dont je constate très simplement qu’il assure un taux d’emploi de quasiment 9 élèves sur 10 à la sortie, j’aimerai que ce soit le cas de tous les autres instituts d’enseignement en France.
Enfin, sur ces résultats, tous ceux qui connaissent un tout petit peu l’Europe, savent que désormais la France est à nouveau la puissance qui donne le la en Europe, sur les questions agricoles. Tant mieux. Et ça doit rester le cas, car nous avons vocation à rester la première puissance agricole européenne.
Alors vous me permettrez de terminer en disant qu’il reste des choses à faire, et je redis suffisamment souvent dans mes interventions politiques à quel point je crois à un discours de sincérité, et à quel point je crois aussi à un discours d’humilité, pour vous dire que malgré la fierté que nous pouvons tous avoir, d’avoir fait passer à l’agriculture française un cap très important, qui est le cap de la compétitivité, de la modernité, de l’ouverture au monde, de la réorganisation, eh bien oui il reste des choses à faire, et il nous reste des choses à accomplir. Sur 3 mois, ça va faire court, mais je dis quand même ce que je souhaiterai voir progresser pour être tout à fait satisfait.
La première chose qui doit progresser, c’est un message que je passais en introduction, c’est que le monde agricole doit être un monde rassemblé. La question n’est plus de nous diviser les uns les autres, la question est de nous rassembler pour faire face à nos concurrents qui ne nous feront aucun cadeau, ni nos concurrents européens, ni nos concurrents venus des pays émergents. Ne cédons pas à cette facilité d’opposer les uns aux autres, d’opposer par exemple l’agriculture biologique aux grandes cultures, comme si on ne pouvait pas à la fois avoir une agriculture biologique puissante, que je soutiens, et en même temps continuer à exporter nos produits vers les marchés extérieurs qui rapportent de la richesse et des emplois au pays. Pourquoi est-ce qu’à chaque fois que l’on parle du bio, on l’oppose aux grandes cultures, et qu’à chaque fois qu’on parle de grandes cultures, on l’oppose au bio ? Ça n’a aucun sens. Il y a de la place pour tout le monde. Cessons d’opposer l’agriculture de proximité, les circuits courts et l’exportation, comme si l’avenir de la culture française ne pouvait reposer que sur les circuits courts ou que sur l’exportation, alors qu’il est évident que l’avenir de l’agriculture française repose aussi bien sur le développement des circuits courts que sur le maintien de filières exportatrices puissantes, les deux ne sont pas incompatibles, il y a de la place pour tout le monde. Arrêtons d’opposer les producteurs, les industriels et la grande distribution, alors que chacun a besoin de chaque maillon de la filière. Et si j’ai voulu mettre en place un observatoire des prix et des marges, dont j’ai vu le représentant, Philippe CHALMIN, dans la salle, si j’ai voulu renforcer cet observatoire, c’est bien parce qu’en mettant de la transparence sur la formation du prix, qu’on évitera ces oppositions stériles entre les différents acteurs de la filière. N’opposons pas non plus les filières entre elles, les grandes cultures d’un côté, les éleveurs de l’autre, essayons au contraire, comme l’a proposé Xavier BEULIN, et je salue toute l’énergie qu’il a mis à avancer dans cette direction-là, essayons au contraire de mettre en place des contrats interfilières pour sécuriser un prix d’approvisionnement sur l’alimentation animale qui soit stable pour les éleveurs. Il faut de la solidarité là où il y a eu trop de querelles. Il faut du travail en commun là où il y a eu trop de divisions. Et il faut du rassemblement et de l’unité là où il y a eu trop de murs dressés entre les différentes parties de l’agriculture française. J’en suis profondément convaincu. Et c’est un message essentiel à mes yeux. N’opposons pas non plus les syndicats agricoles les uns aux autres. Je suis le premier ministre de l’Agriculture à avoir participé à chaque congrès de chaque organisation syndicale représentative du monde agricole. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu. Je serai aller faire des fréquentations très douteuses je ne sais trop où, je n’aurai pas eu moins de critiques, mais c’est le rôle du ministre de l’Agriculture d’être au service de tous les paysans, et c’est le rôle du ministre de l’Agriculture d’écouter tous les représentants du monde agricole. Et je continue à penser, même si cela doit rester un choix libre et indépendant des interprofessions, que les interprofessions auraient tout intérêt à travailler avec l’ensemble des représentants du monde agricole. Je le dis comme je le pense. Réunissons-nous, ne nous divisons pas, faisons preuve de sens de responsabilités plutôt que de nous opposer les uns aux autres, cela me paraît essentiel.
La deuxième chose sur laquelle il nous reste des progrès à faire, c’est sur la simplification des règles. Là-dessus, soyons clairs, soyons honnêtes, le compte n’y est pas. Et je comprends le ras-le-bol des producteurs sur le terrain, qui me disent que dans une situation économique difficile, on vient les embêter pour un centimètre carré de prairie qui a été retourné, on vient les embêter pour un millimètre d’eau qui ne correspond pas aux normes de l’Agence de l’eau, on vient systématiquement les critiquer, on ne reconnait pas les efforts qui ont été faits, on ne simplifie pas leur vie quotidienne, on ne les aide pas à produire dans de bonnes conditions. Il est impératif, et cette fois-ci ce n’est pas à reporter dans les 3 mois, que dans les jours et dans les semaines à venir, nous obtenions des résultats sur l’allègement de certaines contraintes et surtout sur la simplification de la mise en œuvre de ces règles, car ce sont moins les règles qui posent problème, que la mise en œuvre tatillonne et parfois suspicieuse de ces règles sur le terrain. Je passerai le message aux DRAAF et aux DREAL, que je réunirai dans les prochains jours, pour leur demander de respecter ces orientations qui sont celles fixées à Pamiers par le président de la République, et sur lesquelles je me bats depuis désormais 3 ans, oui à la conjugaison entre environnement et agriculture, chacun sait que c’est l’avenir de notre agriculture qui est en jeu, mais les règles environnementales nous devons les appliquer avec le minimum de bon sens que les producteurs sont en droit d’attendre de leur administration.
La troisième chose pour laquelle il reste du travail à faire, et j’en termine par-là, c’est évidemment sur l’Europe, nous avons sécurisé le budget de la Politique Agricole Commune, je l’ai dit, mais il faut que sur la régulation nous obtenions que tous les marchés soient régulés. Pas simplement le marché du lait, pas simplement la viticulture sur laquelle nous sommes en passe, je pense, d’emporter le combat, mais sur tous les marchés il faut de la régulation, parce que régulation veut dire sécurité et régulation veut dire amélioration des performances des paysans qui, avec la sécurité suffisante, seront encore plus efficaces qu’ils ne l’ont été par le passé. Et puis il faudra mener la bataille du verdissement, car le verdissement tel qu’il est proposé aujourd’hui ne convient pas et il reste un travail important à faire.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter, vous voyez que comme de bien entendu je n’ai pas tenu mes promesses sur un discours court, mais c’étaient des choses qui me tenaient à cœur, d’autant plus à cœur que j’ai entamé, comme vous le savez, un tour de la France rurale depuis le début du mois de janvier, c’est pour moi un immense plaisir de circuler dans toutes les exploitations rurales de France, dans tous les départements, et d’écouter ce que les producteurs ont à dire sur le terrain. Et je crois qu’il est essentiel d’écouter davantage, de prendre davantage de temps, avec les producteurs sur le terrain, pour comprendre leurs difficultés, et y apporter les meilleures réponses. L’agriculture m’a appris une chose, c’est que les grandes réformes, les caps que l’on peut fixer, c’est affaire de temps. Il ne s’agit pas de changer de pied d’un jour à l’autre, il s’agit de fixer un cap et de s’y tenir, quels que soient les obstacles, sur un temps long, pour obtenir des résultats qui soient des résultats durables.
Et vous me permettrez de terminer avec une touche un peu plus personnelle. Dans quelques jours nous aurons le Salon de l’agriculture, ce sera mon troisième Salon de l’agriculture, le premier je l’ai fait avec Jean-Michel LEMETAYER, je m’en souviens, dans des conditions parfois un petit peu agitées, ensuite nous l’avons fait avec d’autres personnes, ce sera probablement mon dernier Salon de l’agriculture comme ministre de l’Agriculture, et je peux vous dire que où que je sois après le mois de mai 2012, chaque année j’irai au Salon de l’agriculture, chaque année je retrouverai les agriculteurs avec à la fois une immense fierté et un immense plaisir. Vous avez vu entrer dans ce ministère il y a 3 ans, un jeune technocrate, qui avait je crois encore ses lunettes, un peu coincé, un peu raide parfois dans son expression et dans son contact, j’ai été totalement transformé par ce poste, et totalement transformé par les paysans français. Et je voudrais les en remercier, les paysans français c’est de l’humanité, c’est de la générosité, c’est de la vie, c’est tout ce qu’ils m’ont donné au cours de ces trois années, ils doivent savoir qu’ils ont un ministre de l’Agriculture qui n’est plus le même aujourd’hui, très différent de ce qu’il était il y a 3 ans quand il a franchi, avec beaucoup de fierté, les portes de la Rue de Varenne. Très bonne année à tous.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 7 février 2012