Texte intégral
Dans nos sociétés modernes où la vie, la liberté et le bien-être sont des valeurs suprêmes, le suicide apparaît comme un acte aussi inattendu quinsupportable pour les proches et pour la société entière.
De ce fait, longtemps tabou, le suicide restait enfoui dans le secret des familles et des proches ; laissées à eux mêmes, en plus de la douleur de la perte dun être cher, enfant, conjoint, parent, ami ou collègue, ils affrontaient seuls le fardeau du regret, de la culpabilité et parfois de la honte.
Encore aujourdhui, à lannonce dune tentative de suicide, lannonce du suicide dun proche ou dune connaissance, nous restons sans moyens. A la stupeur de navoir rien vu ou senti, le regret nous submerge de navoir pas été disponibles et attentifs, ou du moins pas suffisamment. Peut-être, aurions-nous pu faire quelque chose, sûrement dû le faire, mais cétait trop tard.
Or, loin dêtre un point aveugle, une fatalité en somme, le suicide est un acte complexe qui met en jeu divers facteurs individuels, familiaux et environnementaux. Le suicide ne survient quen apparence comme un coup de foudre pour rompre une vie singulière et un lien familial, amical ou social. Car le plus souvent, il est précédé par des signes précurseurs : mal-être, désocialisation, addictions, dépression, troubles psychiques, violences...
Ces signes là sont souvent trop emmêlés dans les gestes de la vie quotidienne ou trop ténus pour les percevoir et en juger le caractère dalerte, et les plus flagrants ne sont pas forcément les plus dangereux.
Ce nest pas un hasard si Emile Durkheim, père fondateur de la sociologie française, considérait le suicide comme une entrée privilégiée à létude du « fait social ». Parce que le suicide nous éclaire sur le type même dorganisation dune société, ses structures, ses normes et leur pression sur les individus. Parce que sa survenue, sa fréquence et sa variation ont à voir avec le degré dintégration des individus au sein des normes sociales et les formes de régulation des liens sociaux qui les insèrent.
Bien sur, si éradiquer totalement le suicide est sans doute hors de notre portée, il nest pas moins vrai que nous pouvons prévenir les risques car nous en connaissons mieux les mécanismes : pas seulement les causes lointaines de rupture des liaisons sociale et psychique, mais plus directement les facteurs de risques, les signes précurseurs, les facteurs précipitants.
Nous connaissons également les processus intégrateurs, les protections efficaces et les moyens de les préserver. Ce qui permet danticiper et de repérer le moment de cristallisation de la souffrance de la personne en crise suicidaire. Ainsi, nous pouvons agir pour limiter la probabilité dun suicide et donc le nombre de victimes.
La lutte contre le suicide, reconnue en France comme une priorité de santé publique à partir de la fin des années 1990, vise tout à la fois à prévenir le suicide et à soutenir les familles et les proches dans cette épreuve.
Avec environ 10 500 décès par an, la France fait partie des pays européens où lon meurt le plus par suicide. Mais on est loin des niveaux atteints par les ex Républiques soviétiques, le Japon et certains pays dEurope de lEst.
Après un pic au milieu des années 1980 où le nombre de décès par suicide dépasse les 12 500, ce chiffre est redescendu à 10 500 décès en 2009. Mais si lon sintéresse aux taux de décès par suicide, nous constatons quaprès une progression jusquau milieu des années 1980 (24,7 pour 100 000 habitants en 1985), ce taux est depuis en baisse continue, 16,2 en 2007 et 16,6 en 2009.
Cette baisse est de lordre de 1/3. Cette baisse des taux de suicide est plus marquée chez les 15-34 ans et les 60-84 ans. Les 35-54 ans ont quant à eux peu bénéficié de cette évolution, et lon note une légère recrudescence des suicides chez les hommes de 45-54 ans.
Sur plus de 30 ans, sagissant des enfants, pour les 10-14 ans, la situation reste stable avec un nombre de suicides compris entre 25 et 37 et un taux entre 0,5 et 1 pour 100 000 habitants. Les suicides denfants de moins de 10 ans restent également exceptionnels fort heureusement. Sil est légitime de se réjouir de cette baisse tendancielle, nous ne pouvons, nous ne devons pas tolérer que le suicide fasse toujours autant de victimes, qui sont trois fois plus nombreuses que celles des accidents de la route.
Cest pourquoi, jai voulu lancer un nouveau programme de lutte contre le suicide et lui imprimer une ambition plus grande en matière de prévention, de prise en charge des tentatives de suicide et de soutien à lentourage familial.
Ce programme a été construit sur la base dévaluations des différents plans et rapports sur le sujet.
Comme je le disais il y a un instant, parce que le suicide fait intervenir différents facteurs de risques et instances dorganisation de notre société, jai voulu mobiliser autour de cette ambition, les différents ministères concernés. Cétait là une attente forte des professionnels et des associations, elle me paraissait indispensable.
Ainsi, le nouveau plan, piloté par mon ministère, est construit en partenariat avec six autres ministères : Education nationale, Jeunesse et vie associative, Recherche et enseignement supérieur, Travail et emploi, Justice et Libertés, Solidarités et cohésion sociale, Agriculture et aménagement du territoire.
Dans cette logique partenariale, le nouveau plan est structuré autour de 6 axes cohérents, que vous connaissez, qui se déclinent en 49 actions concrètes (pilotées chacune par un ministère en lien avec les autres ministères concernés) :
Jai installé un comité de suivi qui réunit toutes les directions centrales et agence nationales concernées. Ce comité préparera les éléments pour le comité de pilotage qui réunira en mars prochain les associations de prévention du suicide et celles qui oeuvrent dans le champ de la jeunesse. Lobjectif est de sassurer du suivi et de la bonne marche de la mise en oeuvre du programme.
Je disais tout à lheure que le suicide nétait pas une fatalité. Cest pourquoi, il est indispensable daméliorer létat de nos connaissances. Cest là lun des axes majeurs du programme national de lutte contre le suicide. Lobjectif est dorganiser la transmission des données des instituts médico-légaux au Centre dépidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) afin daméliorer la qualité des données en population générale et ciblant particulièrement des populations à risque et des lieux de vie spécifiques (adolescents, personnes âgées, détenus, minorités sexuelles, certaines catégories socioprofessionnelles ).
Je citerais deux conventions signées entre lInstitut national de Veille sanitaire (InVS) dune part et dautre part, la Mutualité sociale agricole et la Direction de ladministration pénitentiaire pour la collecte de données pour mieux évaluer les risques de suicide chez les assurés agricoles et les détenus. A ce titre, des résultats publiés récemment par lInVS (BEH décembre 2010) font avancer notre connaissance dans ce domaine. Dautres études sont prévues sur certains milieux et activités professionnels...
La recherche scientifique nous permettra de mieux comprendre les processus à loeuvre dans la survenue des suicides, mais aussi leurs contextes et ce qui les précèdent, cest-à-dire les tentatives de suicide, les pensées de suicide, les troubles psychiques, les addictions, lisolement ou la pression du milieu dactivité ou des lieux de vie...
Cela nous permettra de mieux ajuster nos orientations, identifier les meilleurs leviers, adapter nos moyens et nos outils daction, et ainsi améliorer notre programme de lutte contre le suicide.
Le périmètre interministériel de ce programme national permet de traiter le problème du suicide en termes de prévention mais aussi de prise en charge des personnes ayant fait une tentative ainsi que leurs proches.
I) La prévention est en première ligne.
Outre les campagnes dinformation en direction du grand public, il sagit de mieux cibler les populations à risque et dans leurs lieux de vie, de scolarité et dactivité. Lune des mesures phares est celle qui sadresse aux adolescents et aux jeunes là où ils sont, en famille, dans les écoles, les universités, les lieux dactivité physiques et de loisirs, mais aussi dans les réseaux de sociabilité numériques. Ainsi, un Kit dinformation est mis à disposition des modérateurs des forums des discussions sur le web afin de prévenir les situations à risque.
A contrario, les sites web qui font lapologie du suicide peuvent être signalés sur le portail gouvernemental (www.internet-signalement.gouv.fr). Après enquête judiciaire, ces sites incriminés peuvent être interdits et leurs responsables poursuivis pour délit pénal de provocation au suicide.
Dautres actions ont été lancées par léducation nationale :
- une circulaire du 15 décembre dernier : repérage des signes dalerte de mal être chez les jeunes
- un référentiel de formation à destination des personnels de léducation nationale
- une campagne de sensibilisation contre le harcèlement à lécole
Jai également souhaité évaluer les pratiques et limpact de la téléphonie sociale dans la prévention du suicide et le soutien aux proches. Car, dans notre société moderne, où les moyens de communication semblent être à la portée de tout le monde, les difficultés de communication humaine, lisolement et le sentiment de solitude, nen restent pas moins prégnants, voire sont croissants. Aussi, je suis persuadée que les dispositifs à distance, notamment téléphoniques, disponibles sur une large plage dhoraire, animés par des écoutants professionnels et des bénévoles, respectant lanonymat des appelants, sont un moyen puissant découte, de sociabilité, de prévention des suicides et de soutien aux personnes en risque et aux proches des victimes.
A ce titre, je salue 2 actions : la création dun numéro dappel (numéro Cristal) par Mutualité sociale agricole dédié à ses assurés en situation de détresse, et la mutualisation des ressources des associations de prévention, en particulier, leur téléphonie sociale grâce aux transferts des appels vers les numéros disponibles du réseau.
II) La formation des professionnels médecins et non médecins qui interviennent auprès des publics les plus vulnérables me paraît également un levier essentiel.
Quil sagisse des personnels de lEducation nationale, de ladministration pénitentiaire, des établissements daccueil pour personnes âgées, lobjectif est de les sensibiliser sur les situations à risque, de mieux détecter les signes précurseurs et prévenir les crises suicidaires.
Des guides dinformation et outils pédagogiques ont été diffusés, par exemple sur le lien entre les comportements homophobes et le risque de suicide chez les homosexuels, en particulier les plus jeunes, ou comme la détresse chez les personnes sourdes et malentendantes.
Je citerai également les recommandations de la Haute autorité de santé en matière de repérage et de prise en charge de la dépression chez les adolescents. Dans le secteur médicosocial, lANESM prévoit dintégrer dans ses recommandations sur la « qualité de vie en Ehpad », des préconisations du Rapport que javais commandé en 2010 au Pr Soubrier, membre Expert du Réseau International de lOMS.
Enfin, je voudrais terminer mes propos en évoquant deux points nouveaux :
III) Prise en charge des suicidants
Il sagit dabord, de renforcer nos capacités de prise en charge des personnes ayant fait une tentative de suicide parce que la tentative de suicide est le plus important des facteurs de suicide connus. On estime que 10 à 15% des suicidants décèdent par suicide, tandis que près de la moitié des suicidés ont réalisé une ou plusieurs tentatives avant leur décès.
La mesure prise sarticule autour de trois axes cohérents et dynamiques. Il sagit de renforcer les liens entre structures durgence et services de psychiatrie comme le prévoient les dispositions du code de santé publique.
Enfin, et je sais que cest lun des axes de vos travaux lors de cette Journée nationale, il sagit de décliner les axes et les mesures du programme de lutte contre le suicide sur lensemble du territoire national et en prenant en considération des situations en régions. Cest là le rôle des agences régionales de santé qui doivent définir un objectif territorial avec lintégration dun indicateur de réduction du taux de suicide dans les contrats pluriannuels dobjectifs et de moyens (CPOM) et de suivi dans leur programme de santé mentale (PRS). Des rencontres bi-annuelles animées par la Direction générale de santé (DGS) permettront de sassurer de la bonne articulation entre le niveau national et le niveau régional.
Pour conclure, je voudrais saluer le travail mené par les professionnels, les associations et leurs bénévoles qui agissent au quotidien que ce soit dans le domaine de la prévention, de laccompagnement social et psychosocial des suicidants ou du soutien aux familles et proches éprouvés par une tentative de suicide ou endeuillés. Je voudrais également, toutes et tous, vous remercier pour votre engagement et votre persévérance dans vos actions.
Je suis certaine que vos efforts ne sont et ne seront jamais vains, car chaque vie humaine sauvée est un immense bienfait qui rend meilleure notre société, cest ce qui nous rend dignes de notre humanité.
Merci.
Source http://www.infosuicide.org, le 1er mars 2012