Déclaration de Mme Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé, sur la prévention du suicide, notamment chez les adolescents et la prise en charge des personnes ayant fait une tentative de suicide, Paris le 7 février 2012.

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Circonstance : 16èmes journées nationales pour la prévention du suicide à Paris le 7 février 2012

Texte intégral


Dans nos sociétés modernes où la vie, la liberté et le bien-être sont des valeurs suprêmes, le suicide apparaît comme un acte aussi inattendu qu’insupportable pour les proches et pour la société entière.
De ce fait, longtemps tabou, le suicide restait enfoui dans le secret des familles et des proches ; laissées à eux mêmes, en plus de la douleur de la perte d’un être cher, enfant, conjoint, parent, ami ou collègue, ils affrontaient seuls le fardeau du regret, de la culpabilité et parfois de la honte.
Encore aujourd’hui, à l’annonce d’une tentative de suicide, l’annonce du suicide d’un proche ou d’une connaissance, nous restons sans moyens. A la stupeur de n’avoir rien vu ou senti, le regret nous submerge de n’avoir pas été disponibles et attentifs, ou du moins pas suffisamment. Peut-être, aurions-nous pu faire quelque chose, sûrement dû le faire, mais c’était trop tard.
Or, loin d’être un point aveugle, une fatalité en somme, le suicide est un acte complexe qui met en jeu divers facteurs individuels, familiaux et environnementaux. Le suicide ne survient qu’en apparence comme un coup de foudre pour rompre une vie singulière et un lien familial, amical ou social. Car le plus souvent, il est précédé par des signes précurseurs : mal-être, désocialisation, addictions, dépression, troubles psychiques, violences...
Ces signes là sont souvent trop emmêlés dans les gestes de la vie quotidienne ou trop ténus pour les percevoir et en juger le caractère d’alerte, et les plus flagrants ne sont pas forcément les plus dangereux.
Ce n’est pas un hasard si Emile Durkheim, père fondateur de la sociologie française, considérait le suicide comme une entrée privilégiée à l’étude du « fait social ». Parce que le suicide nous éclaire sur le type même d’organisation d’une société, ses structures, ses normes et leur pression sur les individus. Parce que sa survenue, sa fréquence et sa variation ont à voir avec le degré d’intégration des individus au sein des normes sociales et les formes de régulation des liens sociaux qui les insèrent.
Bien sur, si éradiquer totalement le suicide est sans doute hors de notre portée, il n’est pas moins vrai que nous pouvons prévenir les risques car nous en connaissons mieux les mécanismes : pas seulement les causes lointaines de rupture des liaisons sociale et psychique, mais plus directement les facteurs de risques, les signes précurseurs, les facteurs précipitants.
Nous connaissons également les processus intégrateurs, les protections efficaces et les moyens de les préserver. Ce qui permet d’anticiper et de repérer le moment de cristallisation de la souffrance de la personne en crise suicidaire. Ainsi, nous pouvons agir pour limiter la probabilité d’un suicide et donc le nombre de victimes.
La lutte contre le suicide, reconnue en France comme une priorité de santé publique à partir de la fin des années 1990, vise tout à la fois à prévenir le suicide et à soutenir les familles et les proches dans cette épreuve.
Avec environ 10 500 décès par an, la France fait partie des pays européens où l’on meurt le plus par suicide. Mais on est loin des niveaux atteints par les ex Républiques soviétiques, le Japon et certains pays d’Europe de l’Est.
Après un pic au milieu des années 1980 où le nombre de décès par suicide dépasse les 12 500, ce chiffre est redescendu à 10 500 décès en 2009. Mais si l’on s’intéresse aux taux de décès par suicide, nous constatons qu’après une progression jusqu’au milieu des années 1980 (24,7 pour 100 000 habitants en 1985), ce taux est depuis en baisse continue, 16,2 en 2007 et 16,6 en 2009.
Cette baisse est de l’ordre de 1/3. Cette baisse des taux de suicide est plus marquée chez les 15-34 ans et les 60-84 ans. Les 35-54 ans ont quant à eux peu bénéficié de cette évolution, et l’on note une légère recrudescence des suicides chez les hommes de 45-54 ans.
Sur plus de 30 ans, s’agissant des enfants, pour les 10-14 ans, la situation reste stable avec un nombre de suicides compris entre 25 et 37 et un taux entre 0,5 et 1 pour 100 000 habitants. Les suicides d’enfants de moins de 10 ans restent également exceptionnels fort heureusement. S’il est légitime de se réjouir de cette baisse tendancielle, nous ne pouvons, nous ne devons pas tolérer que le suicide fasse toujours autant de victimes, qui sont trois fois plus nombreuses que celles des accidents de la route.
C’est pourquoi, j’ai voulu lancer un nouveau programme de lutte contre le suicide et lui imprimer une ambition plus grande en matière de prévention, de prise en charge des tentatives de suicide et de soutien à l’entourage familial.
Ce programme a été construit sur la base d’évaluations des différents plans et rapports sur le sujet.
Comme je le disais il y a un instant, parce que le suicide fait intervenir différents facteurs de risques et instances d’organisation de notre société, j’ai voulu mobiliser autour de cette ambition, les différents ministères concernés. C’était là une attente forte des professionnels et des associations, elle me paraissait indispensable.
Ainsi, le nouveau plan, piloté par mon ministère, est construit en partenariat avec six autres ministères : Education nationale, Jeunesse et vie associative, Recherche et enseignement supérieur, Travail et emploi, Justice et Libertés, Solidarités et cohésion sociale, Agriculture et aménagement du territoire.
Dans cette logique partenariale, le nouveau plan est structuré autour de 6 axes cohérents, que vous connaissez, qui se déclinent en 49 actions concrètes (pilotées chacune par un ministère en lien avec les autres ministères concernés) :
J’ai installé un comité de suivi qui réunit toutes les directions centrales et agence nationales concernées. Ce comité préparera les éléments pour le comité de pilotage qui réunira en mars prochain les associations de prévention du suicide et celles qui oeuvrent dans le champ de la jeunesse. L’objectif est de s’assurer du suivi et de la bonne marche de la mise en oeuvre du programme.
Je disais tout à l’heure que le suicide n’était pas une fatalité. C’est pourquoi, il est indispensable d’améliorer l’état de nos connaissances. C’est là l’un des axes majeurs du programme national de lutte contre le suicide. L’objectif est d’organiser la transmission des données des instituts médico-légaux au Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) afin d’améliorer la qualité des données en population générale et ciblant particulièrement des populations à risque et des lieux de vie spécifiques (adolescents, personnes âgées, détenus, minorités sexuelles, certaines catégories socioprofessionnelles…).
Je citerais deux conventions signées entre l’Institut national de Veille sanitaire (InVS) d’une part et d’autre part, la Mutualité sociale agricole et la Direction de l’administration pénitentiaire pour la collecte de données pour mieux évaluer les risques de suicide chez les assurés agricoles et les détenus. A ce titre, des résultats publiés récemment par l’InVS (BEH décembre 2010) font avancer notre connaissance dans ce domaine. D’autres études sont prévues sur certains milieux et activités professionnels...
La recherche scientifique nous permettra de mieux comprendre les processus à l’oeuvre dans la survenue des suicides, mais aussi leurs contextes et ce qui les précèdent, c’est-à-dire les tentatives de suicide, les pensées de suicide, les troubles psychiques, les addictions, l’isolement ou la pression du milieu d’activité ou des lieux de vie...
Cela nous permettra de mieux ajuster nos orientations, identifier les meilleurs leviers, adapter nos moyens et nos outils d’action, et ainsi améliorer notre programme de lutte contre le suicide.
Le périmètre interministériel de ce programme national permet de traiter le problème du suicide en termes de prévention mais aussi de prise en charge des personnes ayant fait une tentative ainsi que leurs proches.
I) La prévention est en première ligne.
Outre les campagnes d’information en direction du grand public, il s’agit de mieux cibler les populations à risque et dans leurs lieux de vie, de scolarité et d’activité. L’une des mesures phares est celle qui s’adresse aux adolescents et aux jeunes là où ils sont, en famille, dans les écoles, les universités, les lieux d’activité physiques et de loisirs, mais aussi dans les réseaux de sociabilité numériques. Ainsi, un Kit d’information est mis à disposition des modérateurs des forums des discussions sur le web afin de prévenir les situations à risque.
A contrario, les sites web qui font l’apologie du suicide peuvent être signalés sur le portail gouvernemental (www.internet-signalement.gouv.fr). Après enquête judiciaire, ces sites incriminés peuvent être interdits et leurs responsables poursuivis pour délit pénal de provocation au suicide.
D’autres actions ont été lancées par l’éducation nationale :
- une circulaire du 15 décembre dernier : repérage des signes d’alerte de mal être chez les jeunes
- un référentiel de formation à destination des personnels de l’éducation nationale
- une campagne de sensibilisation contre le harcèlement à l’école
J’ai également souhaité évaluer les pratiques et l’impact de la téléphonie sociale dans la prévention du suicide et le soutien aux proches. Car, dans notre société moderne, où les moyens de communication semblent être à la portée de tout le monde, les difficultés de communication humaine, l’isolement et le sentiment de solitude, n’en restent pas moins prégnants, voire sont croissants. Aussi, je suis persuadée que les dispositifs à distance, notamment téléphoniques, disponibles sur une large plage d’horaire, animés par des écoutants professionnels et des bénévoles, respectant l’anonymat des appelants, sont un moyen puissant d’écoute, de sociabilité, de prévention des suicides et de soutien aux personnes en risque et aux proches des victimes.
A ce titre, je salue 2 actions : la création d’un numéro d’appel (numéro Cristal) par Mutualité sociale agricole dédié à ses assurés en situation de détresse, et la mutualisation des ressources des associations de prévention, en particulier, leur téléphonie sociale grâce aux transferts des appels vers les numéros disponibles du réseau.
II) La formation des professionnels médecins et non médecins qui interviennent auprès des publics les plus vulnérables me paraît également un levier essentiel.
Qu’il s’agisse des personnels de l’Education nationale, de l’administration pénitentiaire, des établissements d’accueil pour personnes âgées, l’objectif est de les sensibiliser sur les situations à risque, de mieux détecter les signes précurseurs et prévenir les crises suicidaires.
Des guides d’information et outils pédagogiques ont été diffusés, par exemple sur le lien entre les comportements homophobes et le risque de suicide chez les homosexuels, en particulier les plus jeunes, ou comme la détresse chez les personnes sourdes et malentendantes.
Je citerai également les recommandations de la Haute autorité de santé en matière de repérage et de prise en charge de la dépression chez les adolescents. Dans le secteur médicosocial, l’ANESM prévoit d’intégrer dans ses recommandations sur la « qualité de vie en Ehpad », des préconisations du Rapport que j’avais commandé en 2010 au Pr Soubrier, membre Expert du Réseau International de l’OMS.
Enfin, je voudrais terminer mes propos en évoquant deux points nouveaux :
III) Prise en charge des suicidants
Il s’agit d’abord, de renforcer nos capacités de prise en charge des personnes ayant fait une tentative de suicide parce que la tentative de suicide est le plus important des facteurs de suicide connus. On estime que 10 à 15% des suicidants décèdent par suicide, tandis que près de la moitié des suicidés ont réalisé une ou plusieurs tentatives avant leur décès.
La mesure prise s’articule autour de trois axes cohérents et dynamiques. Il s’agit de renforcer les liens entre structures d’urgence et services de psychiatrie comme le prévoient les dispositions du code de santé publique.
Enfin, et je sais que c’est l’un des axes de vos travaux lors de cette Journée nationale, il s’agit de décliner les axes et les mesures du programme de lutte contre le suicide sur l’ensemble du territoire national et en prenant en considération des situations en régions. C’est là le rôle des agences régionales de santé qui doivent définir un objectif territorial avec l’intégration d’un indicateur de réduction du taux de suicide dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et de suivi dans leur programme de santé mentale (PRS). Des rencontres bi-annuelles animées par la Direction générale de santé (DGS) permettront de s’assurer de la bonne articulation entre le niveau national et le niveau régional.
Pour conclure, je voudrais saluer le travail mené par les professionnels, les associations et leurs bénévoles qui agissent au quotidien que ce soit dans le domaine de la prévention, de l’accompagnement social et psychosocial des suicidants ou du soutien aux familles et proches éprouvés par une tentative de suicide ou endeuillés. Je voudrais également, toutes et tous, vous remercier pour votre engagement et votre persévérance dans vos actions.
Je suis certaine que vos efforts ne sont et ne seront jamais vains, car chaque vie humaine sauvée est un immense bienfait qui rend meilleure notre société, c’est ce qui nous rend dignes de notre humanité.
Merci.
Source http://www.infosuicide.org, le 1er mars 2012