Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordée à des correspondants de medias des Balkans occidentaux, sur la présence économique française en Serbie et en Macédoine, les conclusions du Groupe de contact sur la situation dans les Balkans, l'aide économique européenne et américaine, le problème des minorités et l'intégration européenne de cette région, Paris le 12 avril 2001.

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Circonstance : Réunion du groupe de contact sur la Macédoine et les Balkans occidentaux à Paris le 11 avril 2001

Média : Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Q - La présence française à Belgrade aujourd'hui. Quand les gens reviennent de Belgrade, ils me disent tous "nous avons des commerciaux de toutes sortes de sociétés étrangères qui sont là, sauf des Français". Le MEDEF s'est déplacé avec une trentaine des plus grandes entreprises françaises à Belgrade en février, il en est résulté peu de choses. Il y a des gros contrats en négociation, notamment avec Aérospatiale, et on aimerait bien voir une transparence un peu plus grande. Par exemple, ce contrat avec Aérospatiale et des Airbus A319 va-t-il porter sur un achat pur et simple ou est-ce que des transferts de technologie auront lieu ? Nous avions même l'intention certains d'entre nous, de constituer un journal pour faire en sorte que cette transparence soit plus ouverte et donc, ne serait-ce que de ce point de vue, pourquoi la France est-elle si peu présente, alors que politiquement elle l'a été davantage que tout autre ?
Pourquoi économiquement aujourd'hui on ne trouve pas un volant d'activités commerciales aussi intense qu'avec l'Allemagne, l'Angleterre, la République tchèque, la Slovaquie, l'Italie surtout et les Etats-Unis avant la France ?
R - Je ne pense pas qu'il faille partir d'un a priori négatif, comme cela. Il y a une volonté française de développer la présence française sous tous ses aspects : politique, économique, culturel, avec la Yougoslavie depuis le changement politique à Belgrade. Cela se fait par étape, méthodiquement. Le point de départ est ce qu'il est. Le point de départ est hérité du passé pour des tas de raisons. Ce qui est clair, c'est que nous avons une volonté de développer la présence française ; c'est une des orientations indiquées à l'ambassadeur qui a été nommé là-bas.
Alors, vous devez savoir comment fonctionne l'économie française. Cela commence souvent en fait par les grandes entreprises ou des grands contrats, les autres viennent après. Chaque pays est comme il est. Il y a des pays dont la force ce sont les petites entreprises, nous aussi nous avons un tissu de petites et moyennes entreprises qui est extraordinairement performant et compétitif, mais qui se lance en général dans un second temps, c'est comme cela. Ne doutez pas du désir politique de conforter ce mouvement.
En ce qui concerne les grands contrats, il n'est pas question que j'en discute ici. Ce n'est pas à un ministre qu'il revient de se mêler de la façon dont Aérospatiale négocie ses affaires ; Aérospatiale est une entreprise tout à fait remarquable qui négocie au mieux, à sa façon, et ce genre d'affaire doit se juger sur la conclusion, pas en cours de route.
Enfin, retenons l'essentiel, c'est que la France encourage les entreprises françaises de quelque taille qu'elles soient d'ailleurs, à s'implanter plus en Yougoslavie. Cela dépend des besoins de la Yougoslavie. Cela dépend d'un travail qui doit être fait par le nouveau gouvernement serbe, pour définir les priorités, les orientations économiques, tout cela n'est pas tout à fait clair non plus. Cela ne peut pas se faire en un jour, cela dépend des liens de coopération qui s'établissent, des aides internationales qui sont là.
Enfin, il ne faut pas qu'il y ait de doute sur l'orientation.
Q - C'est une même analyse qui s'applique aussi pour la Macédoine ?
R - Je préfère faire une réponse un peu globale du même genre qui est que l'économie française est dans une phase de grand dynamisme, comme vous le savez. Mais il est vrai que souvent, les grandes entreprises cherchent d'abord les grands marchés, les grands contrats et dans l'héritage historique il y a des relations politiques et culturelles et intellectuelles, que l'on peut dire étroites, entre la France et les pays des Balkans - j'espère que le terme ne gêne personne -, cela existe, c'est fort, c'est vrai. Il n'y a pas une tradition économique aussi forte. Donc, il n'y a pas tellement d'entreprises qui ont des implantations récentes ou d'anciennes implantations qu'elles peuvent réveiller. C'est plus facile pour d'autres pays qui ont été présents depuis toujours. C'est plus un travail de construction qui relève du volontarisme.
Deuxième remarque : dans notre système en France, les pouvoirs politiques peuvent encourager, orienter, faciliter, suggérer, mais ne peuvent pas faire à la place des entreprises. Au bout du compte, ce n'est pas nous qui décidons un investissement. L'économie de marché compétitive, libérale, moderne, dynamique : ce n'est pas le ministère qui décide à quel endroit vont aller s'implanter les entreprises. Donc, cela dépend des capacités du marché. Sauf pour celles qui sont déjà là, qui se sont installées avant pour d'autres raisons. Il y a des endroits où ce sont des Allemands, d'autres endroits ce sont des Italiens, pour des raisons historiques variées.
Nous souhaitons renforcer cette présence, mais cela nous renvoie à la situation réelle des économies : l'économie serbe, l'économie albanaise, l'économie de Macédoine, etc... Donc, vous voyez il y a une sorte de dialectique entre les deux. L'orientation est celle-là, nous le disons chaque fois que nous avons des entretiens politiques, le relais est plus ou moins pris selon les cas par les entreprises qui font leurs propres calculs, qui ont leur propre raisonnement. Mais aucune entreprise française ne dit "cela ne m'intéresse pas, je n'irai jamais". Personne ne dit cela. Les entreprises françaises disent "je vais regarder".
Q - Les conclusions du Groupe de contact sur la Bosnie, à mon estimation, sont très timides. Est-ce que vous pouvez dire quelles sont les prises de position de la France en face des derniers événements qu'ont provoqué les nationalistes croates ?
R - D'abord, il est vrai que dans le communiqué du Groupe de contact, que vous avez, les uns et les autres, nous avons beaucoup travaillé sur le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine pour différentes raisons, donc nous avons moins développé la partie Bosnie, mais nous en avons parlé aussi et notre position est tout à fait claire en ce qui concerne le respect des Accords de Dayton.
Mais nous avons quand même dit que nous condamnions vigoureusement ceux qui violent la constitution. Cela c'est clair et en ce qui concerne les prises de position de certains croates, auxquels vous faites allusion, nous avons condamné cette démarche qui est tout à fait contraire à Dayton et nous avons apporté notre soutien à M. Petritsch dans les décisions qu'il a prises. Mais, nous avons aussi hier, condamné très fortement toutes les actions de ceux qui s'en prennent à la présence internationale, c'est pour cela que nous avons parlé des incidents de Mostar.
La position est donc très claire, il n'y a pas de position française particulière. La position de la France est comme celle de l'Allemagne, de l'Italie, de la Grande Bretagne, des Etats-Unis, j'ai d'ailleurs été pendant les réunions hier, constamment frappé par la cohésion des membres du Groupe de contact.
Q - Un soldat russe a été tué hier au Kosovo ?
R - Deux, je crois.
Q - Pensez-vous que la présence de M. Solana en Macédoine favorise le dialogue ?
R - Nous pensons que l'action centrale, c'est évidemment celle des responsables macédoniens eux-mêmes. C'est en Macédoine que cela se passe. Donc c'est à eux d'avoir le courage politique de mener à bien ce dialogue qui est important. Il faut bien faire la séparation en disant : les extrémistes qui peuvent devenir terroristes en fait doivent être isolés. C'est inacceptable ; c'est mauvais pour tout le monde. Il n'y a aucune cause politique que l'on peut défendre sérieusement par ces moyens.
Mais, il peut y avoir des problèmes politiques sérieux, posés de façon légitime par les Albanais de Macédoine, il faut que cela soit traité politiquement et nous avons tous, les Européens, les Américains, la Russie dans le Groupe de contact, encouragé les autorités de Macédoine à avoir ce dialogue. Ce n'est pas facile. Mais il faut qu'ils aient ce dialogue.
C'est d'abord leurs responsabilités, comme je vous le disais, mais nous voulons appuyer cela et c'est la mission qui a été confiée à Javier Solana, notamment.
Alors s'il y a d'autres initiatives, elles sont les bienvenues si elles viennent conforter l'action de Javier Solana, mais je ne crois pas que cela soit l'intérêt de qui que ce soit d'avoir deux ou trois initiatives concurrentes ; cela n'a pas d'intérêt, cela va créer la confusion, c'est déjà assez compliqué comme cela. Puisque cette initiative européenne, qui a été faite la première, qui a été très bien reçue, d'ailleurs, par tout le monde, que les Européens ont une position, un vrai engagement, une grande cohésion, qu'en plus on a vu qu'il y avait identité de vues entre les Européens, les Américains et même les Russes dans le Groupe de contact, il n'y a pas de nécessité de créer des mécanismes concurrents. Par contre, soutenir cette démarche, oui, si c'est un appui.
Q - Nous avons l'impression que sur le terrain, depuis trois ans maintenant, qu'il y a un désaccord entre l'Europe et les Américains ?
R - Je voudrais relativiser la première partie de ce que vous avez dit parce ce que je ne pense pas que l'on puisse parler de vrai désaccord dans les dernières années, sinon nous n'aurions pas pu agir ensemble. S'il y avait eu des vrais désaccords : il 'n'y aurait jamais eu de résolution 1244, elle n'existerait pas ; la KFOR n'existerait pas, la SFOR, la MINUK non plus et l'on n'aurait pas pu faire le Sommet de Zagreb, donc il y a quand même eu un accord.
Il y a 10 ans quand la désintégration de la Yougoslavie a commencé, personne n'était d'accord avec personne au sein de la Yougoslavie et dans la communauté internationale, il y avait un très grande variété d'opinions très contradictoires entre elles, pas uniquement en Europe, d'ailleurs partout. Cela c'était il y a dix ans. Si vous comparez la situation d'il y a 10 ans et la situation maintenant, vous voyez évidemment la différence, c'est qu'il y a quand même une politique, des principes, des points de repère ; je ne dis pas que tout est réglé bien sûr, que l'on a toujours exactement la même nuance dans les positions, mais je dis que sur les points fondamentaux, il y a une vraie cohésion. Vous lisez le communiqué du Groupe de contact, où sont les divergences ? Il n'y a pas de divergence à ce stade. Simplement, vous parliez des deux ou trois dernières années, c'est vrai qu'il y a des discussions, qui sont des discussions légitimes, quelle position adopte-t-on par rapport à la question des élections au Kosovo ? Quel calendrier, dans quelles conditions, par rapport aux aspirations de M. Djukanovic, ou à tel ou tel événement en Bosnie ? C'est normal qu'il y ait une discussion.
Il y a donc une discussion au sein de la communauté internationale, mais cela ne veut pas dire que cela oppose des blocs et les positions évoluent en plus, donc ce ne sont pas des désaccords, c'est une variété d'opinions, avant que les politiques aient été mises en cohérence. Mais nous avons toujours gardé ces dernières années, - notamment au sein du Groupe de contact, qui s'est révélé être l'instrument le plus efficace à cet égard - une capacité de remettre en cohérence des politiques qui pouvaient comporter des nuances entre elles.
Par exemple, sur le Kosovo : prenons un exemple important, dont on a parlé hier. Sur le Kosovo, certains disaient qu'il fallait faire des élections tout de suite, même si elles n'étaient pas vraiment préparées ; d'autres disaient qu'il ne fallait même pas parler d'élections, parce que c'était un facteur de complications ; des discussions ont eu lieu avec les uns et les autres et vous avez le résultat, c'est que l'on vous parle de perspectives d'élections générales au Kosovo "cette année".
C'est la synthèse de tout le monde : ce texte engage les Russes, comme les Américains, comme les Européens. Et après, on énumère tout ce qui doit être fait pour que ces élections se fassent dans des conditions correctes.
Aujourd'hui vous avez une vraie cohérence sur ce point sensible.
Sur la question du Monténégro, tout le monde sait bien ce que dit le président Djukanovic, on le sait, on le lit, on l'entend mais le point de vue des six pays du Groupe de contact et leurs préférences, c'est que nous soutenons un Monténégro démocratique dans une Yougoslavie démocratique. On sait bien ce que dit Djukanovic, mais nous ce qui nous paraît le mieux, c'est quand même cela, on l'a dit, on s'est exprimé avec clarté, c'est pour cela que l'on a insisté sur la reprise rapide du dialogue entre Belgrade et Podgorica.
Finalement, à l'heure actuelle, je ne vois pas de désaccord important.
Q - Que penseriez-vous d'un Monténégro autonome militairement ?
R - D'abord, c'est à eux d'en débattre. Nous, en tant que communauté internationale, nous nous sommes exprimés pour un certain nombre de raisons tenant aux conséquences de ces évolutions, nous ne pouvons pas soutenir la démarche du Monténégro vers l'indépendance. Après toutes les formules d'autonomie, même très poussées, sont tout à fait acceptables et cela dépend des négociations ; dès lors que ce ne sont pas des démarches unilatérales, et qu'à un moment donné, il y a une vraie discussion entre les Serbes et les Monténégrins, je pense que l'on peut dire que toutes formules acceptées par les deux à l'issue d'un dialogue véritable seraient bien acceptées par la communauté internationale.
Par contre, on ne peut pas soutenir toutes les décisions unilatérales, brutales, parce que l'on sait très bien que cela va réveiller des mécanismes. Une décision unilatérale va entraîner une décision unilatérale à un autre endroit et petit à petit on va se retrouver devant des problèmes que l'on ne peut pas résoudre, qui font régresser la région. Depuis quelques années, on a commencé à s'en sortir.
Q - inaudible
R - Alors justement l'approche est tout à fait différente parce qu'en 1991 on n'a pas d'équivalent des dirigeants que nous avons dans la région ; il y a quand même des gens qui ne raisonnent plus du tout de la même façon, ce n'est pas la même mentalité, ils n'ont pas les mêmes obsessions, les mêmes méthodes. Au départ, vous avez une communauté internationale qui a construit petit à petit son unité d'approche. Le Groupe de contact a été créé en 1993 et c'est une date très importante, pas forcément dans l'histoire de la région, mais dans l'histoire des positions de la communauté internationale sur la région.
Q - Et si M. Djukanovic n'entend pas votre message ? Quelle sera la réponse ?
R - On verra. Il n'a pas dit exactement ce qu'il ferait après ses élections, ou après son référendum, on n'est pas obligé de dire exactement ce que nous ferons dans une situation que nous ne connaissons pas encore. Nous avons cherché à être à la fois d'être constructif et franc et nous avons dit ce que nous pensions aujourd'hui.
Alors, on a bien dit qu'un tel processus, le processus du Monténégro démocratique dans la Yougoslavie démocratique, qui exclut toute action unilatérale, permettra à la communauté internationale de poursuivre son appui.
Q - Si cela ne se passe pas comme cela ?
R - Cela nous pose un problème. Et le problème s'il se présente on le tranchera, on le traitera.
Q - inaudible.
R - D'abord il y a des élections pour commencer après il y a peut être un référendum, on verra. Je ne peux pas aller au-delà des prises de position d'aujourd'hui.
Q - inaudible
R - Qu'est ce qui pourrait aider ?
Q -... Et si l'indépendance était un facteur de stabilité au lieu de l'inverse ?
R - On peut défendre ce point de vue, mais les six pays représentés hier ne le pensent pas. Et il n'y a pas de différence entre eux. Il n'y a aucune différence entre les Etats-Unis, la Russie, la France, l'Allemagne là dessus. Aucun pays ne pense que ce soit un élément de renforcement de l'instabilité. On n'est pas obligé de soutenir n'importe quelle évolution, mais on n'est pas obligé de soutenir n'importe quoi. Nous sommes libres de notre soutien quand même.
Q - Quel rôle peut jouer, selon vous, l'Albanie dans la situation actuelle ? Quelle est votre position ?
R - Nous avons moins parlé de l'Albanie, parce que l'Albanie posait moins de problèmes hier.
Q - Quel est le facteur qui peut aider ?
R - Dans la réunion d'hier, nous nous sommes concentrés sur les problèmes immédiats ou qui peuvent surgir dans les semaines ou dans les mois qui viennent, ce n'est pas le cas de l'Albanie. Mais tout le monde a en tête l'importance de l'Albanie et nous savons bien que l'Albanie est dans une position stratégique, et que l'attitude du gouvernement albanais exerce une influence positive ou négative, selon les cas, sur différents sujets. Depuis quelques semaines, l'avis général des gouvernements occidentaux, c'est que le gouvernement albanais a eu une attitude responsable et donc positive à propos des événements de Macédoine et le gouvernement albanais a eu du mérite parce que l'opinion publique albanaise était - je dirais- partagée à ce propos.
Nous avons traité le cas albanais lors du Sommet de Zagreb comme nous avons présenté cette orientation générale qui est que, tous les pays de la région ont vocation à conclure un accord de stabilisation et d'association et après cela dépend d'un certain nombre de critères précis : économique, juridique, etc. mais c'est une orientation générale. Il est donc clair que l'on ne peut pas aller vers une stabilisation et un progrès de l'ensemble de la région sans l'Albanie, tout se tient.
C'est pour cela que dans la politique européenne ces dernières années, et notamment pendant la présidence française, nous avons accompagné comme vous l'avez vu le changement à Belgrade et soutenu M. Kostunica tout de suite. Nous avons aussi organisé ce Sommet de Zagreb et nous avons cherché à concilier deux choses : avoir une approche d'ensemble, parce que tous les problèmes sont liés et si nous avons un drame dans un des pays, il se répercute automatiquement sur les voisins, et en même temps avoir une approche au cas par cas ; parce que chaque pays est particulier, et doit être aidé et encouragé en fonction de sa situation réelle et non pas de façon stéréotypée.
Alors c'est cela que l'on a cherché à mélanger à Zagreb et l'on verra si nous avons trouvé le bon équilibre.
Q - Vous venez de mentionner M. Kostunica, il a lancé un cri d'alarme dans une récente déclaration dans la presse, il se sent isolé, sa position s'affaiblit. L'aide semble bloquée. Quel est le jeu de l'Europe et des Etats-Unis dans ce contexte ?
R - La politique européenne est tout à fait claire par rapport à la Yougoslavie et la première façon d'aider la Yougoslavie, cela a été de comprendre qu'avec l'héritage terrible du passé, la Yougoslavie avait besoin d'un certain temps pour régler les problèmes, franchir les étapes, bâtir et renforcer sa démocratie et comme le dit M. Kostunica lui-même, il veut réapprendre au peuple serbe ce qu'est la légalité, un concept qui avait perdu tout sens. Il veut le montrer par ses décisions, par la rigueur de ses décisions et des procédures - cela peut paraître un peu formaliste- mais il y a une dimension pédagogique et politique qui est très importante.
L'Europe est très positive, parce qu'elle comprend cela, et c'est l'Europe qui a donné le ton. La politique actuelle qui est suivie a été formulée par l'Europe sous la présidence française, elle a recueilli l'accord de tous les partenaires de la France et puis auprès de tout le monde, puisque vous retrouvez encore cette tonalité dans le texte du Groupe de contact et ce sont les Etats-Unis - je ne parle pas du Congrès, le Congrès américain c'est autre chose, ils sont tout à fait autonomes- et quand on réunit les gouvernements, ils sont sur cette ligne que nous avons formulée en septembre-octobre dernier. Maintenant, il est évident qu'aucun problème ne se résout de façon magique, en un mois ou deux. Il peut y avoir en effet, une attente de l'opinion serbe très forte à un moment donné, qui est déçue parce que les choses n'ont pas changé en trois semaines, en deux mois, donc c'est certainement un moment difficile. C'est difficile pour le président Kostunica, mais c'est forcément difficile aussi pour le gouvernement de M. Djindjic par rapport à cela.
Nous devons faire preuve d'intelligence et de compréhension en ce qui concerne l'application par la Yougoslavie de ses engagements internationaux, notamment en matière de justice, c'est l'objectif, - nous le rappelons -, c'est clair, il faut traiter cela avec intelligence, mais en même temps, nous devons tenir - nous les Européens- nos engagements de Zagreb, par rapport à la Yougoslavie. La France est vigilante sur ce point et nous disons régulièrement, au sein des instances européennes, qu'à Zagreb de vrais engagements politiques, économiques et moraux en quelque sorte ont été pris.
Mais je lance un appel aux journalistes dont le métier est d'expliquer les choses compliquées aux opinions, il faut expliquer que cela ne se fait pas en une minute. C'est très compliqué, il y a toute une transformation, une sorte de révolution des mentalités politiques à réaliser ; les mentalités démocratiques : il faut quand même changer les choses, il faut les enraciner, après il faut reconstruire un pays moderne, différent, c'est un travail, il y en a pour un certain temps et personne n'a de solution plus rapide et plus magique.
Sur ces différents sujets dont vous m'avez parlé, je ne sens pas d'antagonisme entre les Européens et les Américains, en tous cas pas avec le gouvernement américain, peut-être avec d'autres groupes mais pas avec le gouvernement américain.
Q - Y compris dans les solutions prévues en cas d'indépendance du Monténégro et dont on ne veut pas parler ?
R - Non, parce qu'il n'y a pas de plan caché. Il y a un certain nombre d'hypothèses, et on ne peut pas en parler maintenant parce que personne ne connaît ces hypothèses, personne ne sait sous quelle forme les choses se réaliseraient ou pas, ce n'est jamais aussi simple que ce que l'on croit. C'est pour cela qu'hier nous nous sommes arrêtés tous les six à un message aux dirigeants du Monténégro le plus clair possible. Nous avons dit que nous souhaitions aider.
Q - Comment voyez-vous les négociations de l'UCPMB avec le gouvernement serbe ?
R - C'est un autre volet de l'affaire, nous soutenons tout à fait les efforts en faveur d'un règlement pacifique, durable de cette crise de Serbie du sud. Nous l'encourageons, nous soutenons la mise en oeuvre des mesures de confiance qui sont dans le plan "Covic".
Voilà, ce n'est pas nous qui pouvons faire la négociation, nous soutenons ce plan.
Q - La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance dans son rapport sur la Macédoine a soulevé un paradoxe : les droits accordés aux minorités creusent les inégalités....
R - Le problème est que ce paradoxe ne justifie pas le statu quo. Personne ne souhaite fragiliser la Macédoine, personne ne souhaite cela et par exemple, aucun gouvernement européen, aucun groupe, aucun comité - je crois- ne défend l'idée d'une fédéralisation de la Macédoine parce que c'est vraiment mettre le doigt dans un engrenage, qui change complètement la situation dans toute la région.
Par contre sur le plan des droits, et des possibilités culturelles, d'enseignement linguistique, il y a évidemment une marge. C'est aux Macédoniens dans le dialogue démocratique et politique entre eux, de voir où est le bon équilibre. Jusqu'à un certain point, cela permettra à la communauté albanaise de Macédoine de se sentir mieux en Macédoine et donc d'être moins sensible à certains arguments extrémistes, mais à un moment donné, en effet, cela peut créer un problème, on n'en est pas là quand même en Macédoine, il y a une marge à notre avis.
Q - Est-ce que vous aviez évoqué dans la réunion du Groupe de contact, également quand vous étiez conseiller du président Mitterrand, la possibilité ........
R - Dans mes souvenirs personnels, on n'a pas eu des discussions sur ce point. C'est un problème qui peut être posé, parce qu'après tout, la question des droits des minorités se pose dans beaucoup d'endroits ; il n'y a pas de raisons de les poser uniquement à propos de la Macédoine, on s'occupe de la Macédoine parce qu'il y a eu une crise, il y a une menace, il y a un risque pour toute la région. La plupart des Albanais sont tout à fait raisonnables et ne souhaitent pas du tout employer des moyens extrémistes et la plupart des Albanais eux-mêmes voient bien que cela serait dangereux pour tout le monde.
On s'est tous occupés en priorité de cette question du sud de la Serbie et de la frontière avec la Macédoine. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes ailleurs. Cette question des minorités, pour que les minorités se sentent bien traitées sur un pied d'égalité, qu'il n'y ait pas d'inquiétudes, de peur, que chacun puisse s'exprimer dans son identité, c'est un problème qui est toujours à perfectionner partout.
Q - Sur la minorité croate en Bosnie, comment l'Europe peut-elle intervenir..... ?
R - Ce n'est pas que l'Europe, c'est tout le monde. Dans tous ces pays, il y a des gens responsables au premier chef. L'Europe intervient, agit, mais souvent avec les Etats-Unis, même avec la Russie, avec d'autres pays, il ne faut pas déresponsabiliser les responsables. La question de la Bosnie est très compliquée, mais est-ce qu'il y a une autre solution que les Accords de Dayton ? Personne ne la voit. Ce ne sont certainement pas les quelques groupes croates d'Herzégovine qui ont trouvé une meilleure solution pour tout le monde. Ils suivent des intérêts particuliers, des calculs particuliers qui ne sont même plus encouragés par la Croatie. Ce sont des politiques que l'on ne peut que désapprouver. Cela ne règle rien, cela complique tout, c'est dangereux, c'est une vision vraiment archaïque en plus des problèmes identitaires, cela correspond à aucune approche moderne de la vie en société, des rapports entre les peuples. La création d'économies modernes dans tous ces pays seraient beaucoup plus importantes, personne n'a manifesté la moindre indulgence par rapport à cela.
Q - Comment encourager une autre vision..... ?
R - C'est ce que l'on fait sans arrêt, c'est ce que l'on fait toute la journée depuis des années. C'est ce que font toutes les organisations internationales qui sont en Bosnie depuis des années, encourager une autre vision comme vous dites. Chaque fois que des hommes politiques dans un camp ou dans un autre ont une approche un peu plus moderne, on les encourage. Les élections en novembre en Bosnie, ont fait apparaître au niveau de l'ensemble de la Bosnie des nouvelles générations de dirigeants politiques qui ont une mentalité tout à fait différente. J'ai été à Sarajevo il y a quelques semaines, cela m'a frappé, mais évidemment dans chaque entité on a gardé une mentalité étroite, nationaliste. C'est le cas dans l'économie aussi ; tout cela est bien compliqué, mais il ne semble pas qu'il y ait une autre politique que celle que nous suivons, même si elle est très laborieuse.
Q - Comment la France voit le procès de M. Milosevic ? Est-ce qu'il va être jugé à Belgrade ou à La Haye ?
R - La France a la même vision que ses partenaires. Il y a une position homogène des pays européens et des autres. Nous pensons que la nouvelle Yougoslavie démocratique doit respecter ses engagements internationaux, nous pensons que cela va être de plus en plus évident pour l'opinion publique même pour ceux qui étaient hostiles à cette démarche de justice.
Nous ne sommes pas du tout opposés à ce qu'il y ait une "commission vérité", d'abord c'est aux Yougoslaves de le décider, ce n'est pas à nous de le décider à leur place, mais nous ne sommes pas du tout opposés à cela, c'est très important que les gens acceptent de redécouvrir en quelque sorte ce qui s'est passé ces dernières années. Un jugement en Serbie, c'est la décision qui a été prise par les..., c'est le droit tout à fait légitime des autorités yougoslaves de mener cela, nous, nous continuons à dire que le processus doit être mené à son terme, mais nous faisons confiance aux nouvelles autorités démocratiques aussi bien au président Kostunica qu'à M. Djindjic, nous leur faisons confiance pour trouver la bonne solution. Ce n'est donc pas à nous d'imposer notre solution ; notre orientation générale est connue, nos souhaits sont clairs mais nous voulons les respecter, leur faire confiance pour trouver la meilleure façon de faire.
Q - Est ce que la France s'associerait à cet exercice que serait la "commission vérité" ?
R - Personne ne nous a rien demandé ; elle n'existe même pas.
Q - Du point de vue géographique, nous sommes tous en Europe, cela s'est passé en Europe, nous sommes tous concernés.
R - Oui, mais je ne peux pas répondre à une question qui n'est pas posée sur un sujet aussi sensible. Je veux d'abord qu'à Belgrade on se mette d'accord sur : qu'est ce qu'est cette commission ? Sur quoi travaille-t-elle ? Sur quelle période ? Que couvre-t-elle comme période historique et comme champ géographique ? Est-ce qu'il y en a d'autres ? Est-ce qu'elles travaillent ensemble ? Et puis à ce moment-là si les responsables de ces commissions veulent associer d'une façon ou d'une autre, d'autres partenaires, d'autres pays, on verra, mais c'est purement hypothétique.
Q - Votre opinion personnelle sur l'avenir de tous ces pays par rapport à leur intégration dans l'Union européenne, à quel terme ?
R - Les pays démocratiques d'Europe ont vocation à entrer un jour dans l'Union européenne, c'est le Traité de Rome. La base même. Après il faut remplir les conditions concrètes et c'est un long processus, vous le voyez bien par rapport à tous les pays qui vont des pays Baltes à d'autres, à tous les pays candidats actuels. Les régimes communistes se sont écroulés maintenant il y a plus de 10 ans, et le chemin que parcourent ces pays, comme la Pologne, la Hongrie, les autres en matière de réformes, c'est un chemin très dur, indispensable, parce qu'entrer dans l'Union européenne, cela suppose de respecter des règles qui sont terribles, des règles de concurrence, une organisation administrative, une législation, des problèmes de budget, de politique commune, il y a des contraintes terribles et donc on ne peut pas faire rentrer n'importe quelle économie dans l'Union européenne, si cette économie n'est pas préparée, elle est détruite dans le choc. Il y a tout un phénomène de préparation.
Vous pouvez bien voir compte tenu de la situation réelle de vos pays, vous le savez bien d'ailleurs, vous voyez bien qu'il y a un temps de préparation. Mais la perspective existe, elle est réelle, nous l'avons dit à Zagreb d'ailleurs et comme on ne veut pas simplement dire à long terme nous ne savons pas quand, c'est une possibilité, comme nous voulons être plus concrets, plus constructifs, nous avons inventé le processus des Accords de stabilisation et d'association, c'est une façon d'avancer sur bien des choses.
Mais il y a un point important à ce sujet, je vous le redis, parce qu'à Zagreb déjà l'on en avait parlé, on avait vu qu'il y avait peut être une divergence d'approche.
Du point de vue de l'Union européenne, il faut renforcer la coopération régionale, du point de vue de vos pays, les pays sont tous réticents parce qu'ils ont peur que ce soit un prétexte, c'est une erreur. Aucune forme de coopération régionale, ne ralentira la progression vers l'Union européenne, aucune. Au contraire, l'absence de coopération régionale sera un handicap, non pas parce que c'est un nouveau critère que j'ai inventé, il n'y a pas de nouvelles conditionnalités sur ce plan, mais sur le plan de la réalité économique, tout simplement.
Pour pouvoir entrer dans l'Union européenne un jour, il faut avoir développé des économies qui sont beaucoup plus fortes, beaucoup plus compétitives, vous n'y arriverez pas s'il n'y a pas une coopération régionale plus forte. C'est un besoin évident. Donc, il faut dépasser cette peur, il y a beaucoup de pays qui disent : "on ne peut pas revenir dans l'ancienne Yougoslavie".
Il y a beaucoup de réactions de ce type, il y a un malentendu sur ce plan. Nous encourageons la coopération régionale, pas de n'importe quel pays avec n'importe quel pays, il y a des logiques géographiques en même temps, de proximité, des complémentarités économiques. Nous l'encourageons, ce n'est pas une ruse, ce n'est pas une façon d'écarter les demandes de ces pays, c'est un véritable atout pour développer une économie moderne dans l'ensemble des Balkans pour préparer le moment où ces différents pays pourront songer à une véritable candidature en bonne et due forme.
Q - Il faut des moyens pour mettre en marche l'économie, la reconstruction... Est-ce que l'on prépare une sorte de Plan Marshall pour les investissements dans la région ?
R - Beaucoup de choses se font puisqu'à partir du moment où nous avons décidé au niveau européen de lever les sanctions par exemple, aussitôt la Commission européenne a envoyé très vite une mission pour examiner les besoins et pour connaître les besoins de l'économie yougoslave, il faut un gouvernement yougoslave ou serbe qui soit capable de connaître la situation de l'économie. Alors depuis que le gouvernement existe, c'est à dire depuis janvier, le gouvernement travaille, il n'a pas tous les éléments encore. Donc, tout ce qui peut être apporté par l'Union européenne, par le pacte de stabilité, par la BERD, par je ne sais pas qui, par les institutions financières internationales, tout cela dépend aussi de la bonne connaissance de la situation économique et des politiques économiques qui sont adoptées par les différents pays. On ne peut pas apporté de l'aide comme cela, parce que vous savez bien que cela ne sert à rien.
Q- En a-t-on l'intention ?
R - Bien sûr, sinon on ne ferait pas tout cela. Si l'on n'avait pas cette intention pourquoi aurait-on fait Zagreb ? On n'a pas inventé le pacte de stabilité pour faire semblant de faire un pacte de stabilité, on n'a pas créé le Sommet de Zagreb pour faire semblant d'avoir une politique dans la région.
Si l'on n'avait pas l'intention de faire tout cela, on n'aurait rien fait, on aurait dit "c'est très bien vous êtes libérés des despotes d'avant, maintenant débrouillez-vous tous seul".
Tout le monde est conscient en Europe que cette région fait partie de l'Europe, c'est une région qui a vocation à devenir un jour une partie de l'Europe comme les autres, qui aura gardé sa personnalité, son identité, sa culture, mais qui devra être comme le reste. C'est un processus de rapprochement, de modernisation qui est très compliqué, mais nous sommes tous engagés dans cette stratégie à long terme, l'on ne va pas changer d'avis tous les trois ans, c'est un engagement de longue durée.
C'est moi qui ai inventé la formule "européaniser les Balkans". La première fois que la formule apparaît, c'est dans mon livre sur Mitterrand.
Q - Qui est-ce qui a dit : "on va balkaniser l'Europe" ?
R - Oui, pourquoi pas. D'ailleurs, c'est plus vieux que le livre parce que c'est une expression que j'avais eue en discutant sur le lac de Constance avec M. Bitterlich qui était à l'époque le conseiller de M. Kohl. Cela remonte à plusieurs années avant, en 1992 ou 1993, c'était une vision à long terme. Ce n'est pas une formule que l'on invente pour un programme de trois ans.
Q - Et vous personnellement, est- ce que vous voyez la Yougoslavie et la Macédoine en Europe, dans combien de temps ? 10 ans, 15 ans ?
R - Je n'en sais rien, vous savez bien qu'à l'heure actuelle quand on nous demande de fixer des dates, pour l'entrée de la Pologne, de la Hongrie, on répond que ce n'est pas raisonnable, ce n'est pas dans très longtemps, mais que cela ne sert à rien de fixer une date artificielle, parce que les négociations sont sérieuses, qu'elles reposent sur des critères techniques. Quand elles seront terminées, tant mieux, et quand on sera six mois avant la fin, la Commission nous dira, - on a presque terminé les négociations, ils peuvent entrer -, et nous disons que l'on ne peut pas le dire à l'avance de façon rhétorique.
Je ne peux pas répondre à votre question, ce qui est important c'est que le cap soit clair et puis cela ne règle aucun problème quotidien, d'inventer une date qui serait loin et qui serait même peut-être hypothétique et puis certains trouveraient que cela n'est pas encourageant.
Q - Sur un sujet autre, Belgrade est entre Rome et Athènes, donc c'est le cur de l'ancienne Europe, il y a eu des bombardements, de la pollution, où en est la réflexion aujourd'hui sur les réparations de ces dommages ? Sans entrer dans le détail juridique sur qui en est responsable, la réalité sur le terrain, la pollution est gravissime, on a là bas l'équivalent de Tchernobyl......
R - Mais cela est pris en compte dans les études de la Commission, d'après ce que m'a dit.
Q - Mais concrètement, est-ce qu'on a un calendrier d'activités, d'examens, les générations futures sont affectées par cela.
R - D'après ce que m'a dit M. Patten, cela fait partie du programme de l'Union européenne qui a été discuté par plusieurs missions de la Commission déjà et qui aujourd'hui fait l'objet d'une discussion entre le gouvernement de M. Djindjic et la Commission, c'est un des volets, je n'ai pas de détails supplémentaires à ce stade. L'aide à la coopération économique est quelque chose qui est très urgent, comme était urgent la question des ponts, du dégagement de la circulation sur le Danube, pour remettre en marche l'économie. Il est évident que c'est un problème à traiter.

Q - En ce qui concerne le Kosovo, avec les élections dans la logique de l'indépendance, est-ce que les Américains vont bloquer la frontière avec la Macédoine pour arrêter la violence ?
R - Les Américains ont accepté que des éléments américains de la KFOR aillent plus près de la frontière entre la Macédoine et le Kosovo et soient beaucoup plus rigoureux. Ils l'ont été. Ils se sont quand même engagés beaucoup plus. D'autre part, les américains ont souscrit au texte d'hier, sans problème, cela s'est passé facilement.
Je n'ai noté ces dernières semaines dans les pays du Groupe de contact, aucune ambiguïté sur ces points. Personne ne pense que l'indépendance du Kosovo serait la bonne solution, que l'indépendance du Monténégro serait la bonne solution, ce n'est pas une position française que j'exprime.
Je constate qu'aucun des membres du Groupe de contact, ni les Etats-Unis, ni la Grande Bretagne, ni l'Allemagne ne pensent cela.
Q - Mais est-ce que les élections ne conduisent pas immédiatement à l'indépendance ?
R - Non, les élections c'est dans le cadre de la résolution 1244, où il a été dit que d'abord par des élections municipales, puis dans des élections qui concernent l'ensemble du Kosovo, il faut donner des bases démocratiques à la gestion de l'autonomie substantielle du Kosovo. Ce n'est pas un détournement de la 1244. Et d'ailleurs, le travail sur le cadre juridique de l'autonomie substantielle est très important et c'est précisément parce que M. Haekkerup a pu avancer, sur la mise au point du cadre juridique de l'autonomie substantielle, que nous avons pu dire dans le texte, nous avons pu parlé de la perspective des élections dans l'année, parce qu'il faut que ce cadre soit fixé.
Le pouvoir de l'Assemblée qui découlera de ces élections, ne permet pas de proclamer l'indépendance. Nous ne le souhaitons pas, nous savons bien que les Albanais du Kosovo le souhaitent, nous savons bien aussi que cela pose des problèmes insolubles après.
Il y a des aspirations qui sont contradictoires. Nous ne sommes pas aveugles aux aspirations. Simplement nous voyons bien selon la façon dont on traite les aspirations, on arrive en gros à trouver des solutions et à améliorer les choses petit à petit ou alors au contraire, on recrée des confrontations, on ne veut pas créer des confrontations.
Il n'y a pas d'ambiguïté.
Q - Que pensez-vous du rapport des chercheurs, MM. Rupnik et Goldstone, qui proposent une indépendance conditionnelle du Kosovo ?
R - Ils n'ont pas les mêmes responsabilités. Les ministres des Affaires étrangères, les diplomates ont des responsabilités, chaque fois qu'ils disent quelque chose, cela a des conséquences concrètes, c'est pour cela que nous sommes obligés de faire attention à chaque mot, en fait. C'est le problème du sens des responsabilités. On ne peut pas dire que cela nous paraît la bonne solution, on dit résolution 1244, maintien des frontières, etc.
Q - Même après les élections générales, la force multinationale va-t-elle rester ?
R - Cette question pour le moment n'est pas posée puisque pour que les forces puissent se retirer, il faudrait que la situation soit considérée comme tout à fait stabilisée, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Là aussi, c'est un engagement de longue durée. Hier Colin Powell nous a bien dit qu'il n'y avait pas de projet américain de retrait, peut-être une diminution du niveau à tel ou tel endroit, pas de retrait au sens fort du terme.
Q - Selon certaines rumeurs en Macédoine, l'UCK préparerait une action. Dans ce cas-là y aurait-il une intervention de la communauté internationale ?
R - Sur des rumeurs qui sont des hypothèses, vous préjugez de la communauté internationale sur ce qu'elle a fait ces derniers jours. Dans l'affaire de la Macédoine, la mobilisation a été rapide, nette, la convergence politique totale, maintenant s'il y a de nouveaux éléments, on verra.
Q - En Yougoslavie, on peut espérer un changement en ce qui concerne les visas.....
R - C'est une procédure Schengen. Nous n'avons pas de décision autonome là-dessus.
Q - Dernière impression pour clore. Quand vous avez atterri à Belgrade après avoir quand même fait la guerre à la Yougoslavie, vous avez pensé à quoi ?
R - Je n'ai pas eu le sentiment de faire la guerre à la Yougoslavie, jamais.
Q - 80 000 tonnes de bombes ?
R - Ce n'est pas comme cela qu'on l'a vécu. Nous avons eu le sentiment, les uns et les autres, tous les Européens, tous les alliés, c'est l'unanimité complète là-dessus, d'être obligés d'employer ces moyens pour faire reculer ce régime.
Pour la distinction entre le régime et le pays était très claire dans notre tête.
Q - Mais sur un plan personnel, qu'est-ce que vous avez ressenti ?
R - Pendant l'affaire du Kosovo, j'ai fait mon devoir et j'ai été vraiment consterné que la Yougoslavie, de l'époque, ne soit pas capable de saisir la chance d'une solution à Rambouillet. C'était absolument consternant, c'était une attitude désespérante.
Après nous avons fait notre devoir, ce n'est pas forcément agréable, mais c'était notre devoir, on n'avait pas le choix. J'étais très content d'aller personnellement à Belgrade parce qu'une page était tournée et que c'était l'espoir d'un nouveau chapitre et que nous savions bien que le nouveau chapitre à Belgrade, cela voulait dire des conséquences positives pour toute la région.
Car tout ce que nous avions déjà élaboré pour qu'il y ait une politique sur l'ensemble de la région, le pacte de stabilité dont je vous parlais, d'autres projets y compris économiques, tout cela ne fonctionnait pas bien tant que l'on restait avec l'ancien régime. C'était donc une espérance qui allait bien au-delà du changement démocratique pour le peuple serbe, pour la Yougoslavie, cela rouvrait une perspective d'ensemble et en fait, nous en sommes là maintenant et l'on travaille sur cette vision générale qui concerne tout le monde.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 avril 2001)