Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la presse anglo-américaine le 5 avril 2012, sur les dossiers d'actualité internationale et européenne, notamment le nucléaire iranien, la Libye et la Syrie, le Mali, la crise dans la zone euro, et la Birmanie.

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Bonjour, merci de venir dialoguer avec moi dans cette période particulièrement dense en événements de toutes sortes, domestiques et internationaux.
Je ne vais pas vous faire une déclaration préalable, je répondrai simplement à vos questions.
Monsieur le Président, merci beaucoup pour cette introduction. (…) Je pense que la politique étrangère doit être un des éléments importants du choix que les peuples font lorsqu’ils choisissent leurs dirigeants.
Vous avez rappelé mon attachement au combat pour un nouveau modèle de développement - appelons-le durable - et pour la cause écologique. (…) Vous savez qu’il y a des rendez-vous importants, il y en a eu, il y en aura, notamment la Conférence de Rio+20.
Je ne reprendrai peut-être pas les thèmes que vous avez évoqués car ce serait un exposé introductif trop long, le Printemps arabe, l’Europe, les relations avec les États-Unis, la Grande-Bretagne. Je dirai juste peut-être un mot sur ces deux derniers points pour aller vite.
Avec la Grande-Bretagne, nos relations sont très bonnes, les relations entre le président Sarkozy et le Premier ministre Cameron sont excellentes sur le plan personnel. Comme toujours, nous avons des points d’accord et nous avons des divergences. Si nous étions d’accord sur tout, nous vivrions dans un monde idéal et ce n’est pas parce que nous avons des divergences que nos relations ne sont pas bonnes. Elles sont bonnes et assises sur un socle solide.
Nous avons fait ensemble l’opération de Libye, cela a créé entre nous un lien très fort bien sûr. Nous avons signé - c’était avant que je n’arrive ici - le Traité de Lancaster House qui est vraiment le socle d’une coopération en matière de défense extrêmement fructueuse. Et le dernier sommet franco-britannique qui s’est tenu à Paris a montré que l’on progressait dans la mise en œuvre de ce traité. Nous avons une même approche sur bien des sujets, sur l’attitude à avoir vis-à-vis de l’Iran, sur la crise en Syrie, sur le Proche-Orient, bref, il y a une grande convergence de vues.
Et puis, il y a des divergences, sur l’Europe en particulier. Ce n’est pas nouveau, cela existe depuis que le projet européen a été lancé. La Grande-Bretagne ne s’est pas associée au Traité à Vingt-Cinq, nous respectons bien sûr ces choix et nous parlons très librement de toutes ces questions.
Enfin, le dialogue entre nous est tout à fait constructif et positif.
Même chose avec les États-Unis, l’entente entre le président Obama et le président Sarkozy est bonne, j’avais pu en juger pendant toutes les réunions de l’année dernier, au G8 et au G20, y compris à Cannes le mois dernier. Les contacts sont extrêmement fréquents et, là encore, comme toujours, nous avons des points d’accord et nous avons des points de divergences qui peuvent exister. Je ne m’attarderai pas trop longtemps sur les convergences, on les voit bien : la crise iranienne, la crise syrienne, et sur un certain nombre de sujets de ce type.
En revanche, nous pouvons avoir des divergences d’approche, je pense en particulier à la façon de relancer les négociations entre Palestiniens et Israéliens pour sortir de l’impasse actuelle du processus de paix au Proche-Orient. Nous ne sommes pas exactement sur la même ligne. Là encore, c’est une situation qui n’est pas nouvelle et une situation qui est tout à fait normale. Je pourrai répondre à des questions plus précises sur tel ou tel aspect de ces relations bilatérales.
Je vous laisse maintenant le soin d’aborder les sujets qui vous paraissent prioritaires.
Q - Où en est-on à présent dans le dialogue avec l’Iran ? Dialogue-t-on entre les six pays car il y a beaucoup de spéculations ? Y aura-t-il une réunion le 14 avril et où ?
R - Vous savez, concernant l’actualité immédiate, quel jour, quel endroit, nous verrons. Ce n’est pas l’essentiel. Il y a des discussions qui sont en cours, la date des 13-14 avril est fixée. En revanche, sur le lieu, il y a encore des discussions. Je comprends que cela vous intéresse, c’est votre métier d’être dans l’actualité immédiate, mais nous trouverons bien un point de chute.
Pour en revenir aux fondamentaux, de quoi s’agit-il ? C’est que l’acquisition par l’Iran de l’arme atomique serait une catastrophe qui mettrait en cause non seulement la stabilité de la région mais la paix du monde. Il faut d’abord être d’accord sur ce principe. L’Iran en faisant cela violerait ses engagements internationaux puisqu’il est signataire du Traité de non-prolifération, il violerait toute une série de résolutions du Conseil de sécurité ou de l’AIEA. Nous faisons donc tout pour convaincre l’Iran de renoncer à ce programme nucléaire militaire qui entraînerait bien sûr des ripostes ailleurs et d’autres pays ne manqueraient pas de se lancer dans la même aventure.
On nous dit souvent que nous avons une politique de deux poids - deux mesures, qu’Israël a apparemment l’arme atomique et que nous n’avons pas réagi négativement. Je voudrais dire que l’on ne peut pas tout comparer, je n’ai pas observé qu’Israël se proposait d’éradiquer de la carte du monde l’Iran. Quand on entend M. Ahmadinejad, qui pourtant n’avait pas tout à fait conscience de cela, qui est considéré maintenant comme un leader modéré en Iran et qui se propose de rayer Israël de la carte, on ne peut donc pas mettre exactement les deux situations sur le même plan. Donc, pas d’arme atomique pour l’Iran.
Le deuxième élément est que nous avons la conviction que l’Iran est en train de se doter de l’arme atomique et la façon dont le régime se contorsionne pour refuser un véritable dialogue en transparence, la façon dont les derniers inspecteurs de l’AIEA se sont vus interdire certains sites montre que l’Iran ne coopère pas et a donc quelque chose à cacher. On n’enrichit pas de l’uranium à 20 % pour faire de la recherche médicale. Il y a quelque chose qui pose problème, nous avons la conviction que ce programme avance.
Comment le stopper ? Nous avons mis en œuvre, avec nos partenaires du 3+3, une stratégie de double voie en disant à l’Iran que nous sommes prêts à tout moment à engager le dialogue sans précondition. Il n’est pas question d’exiger au préalable la suspension des sanctions ou je ne sais quoi d’autre. On se met autour de la table et on discute du programme nucléaire. Il y a eu une petite avancée de la part de l’Iran dans la dernière lettre qui a été envoyée à Mme Ashton puisque l’on y dit très clairement que l’Iran est prêt à parler du nucléaire…
On va se mettre autour de la table et c’est ce que nous sommes en train de préparer pour le 13 et le 14 avril dans un lieu à déterminer. La France est d’avis, et tiendra fermement cette position, que cette discussion ne doit pas commencer par un geste d’ouverture unilatéral des Six, ce n’est pas en position de faiblesse qu’on entame une négociation, c’est à l’Iran de faire des gestes. Puis, après, on verra, en fonction de sa bonne volonté et de sa réelle coopération.
Pour arriver à ce résultat - et c’est le deuxième aspect -, nous pensons qu’il faut des sanctions fortes de façon à faire céder le régime iranien. La France a été, de ce point de vue, parmi les Vingt-Sept et ainsi que dans ses relations avec les États-Unis et d’autres pays, tout à fait en pointe pour adopter des sanctions extrêmement fortes, sans précédent comme l’avait dit le président de la République. Nous avons obtenu gain de cause au sein de l’Union européenne puisque l’embargo sur le pétrole et sur les transactions de la Banque centrale iranienne a été décidé et est en train de se mettre en place.
Et peut-être peut-on voir entre le durcissement des sanctions et le début d’ouverture de l’Iran à la négociation - la dernière lettre qui a été adressée à Mme Ashton - un lien de cause à effet.
Nous allons donc continuer sur cette ligne, avec beaucoup de détermination. Je crois pouvoir dire que, parmi les Six, nous sommes d’accord, avec - je parle très librement - un degré de détermination plus ou moins fort ; la France a un degré fort, d’autres un peu moins fort.
Q - Auriez-vous la gentillesse de faire une sorte de contraste entre la position française et la position américaine ? Comme je les entends actuellement, la France est très claire, pour une application totale du Traité de non-prolifération et une suite à la lettre des recommandations du Conseil de sécurité, c’est-à-dire zéro enrichissement.
En revanche, la semaine dernière, un personnage à Washington - un grand officier qui n’occupe pas de poste dans l’Administration, mais il parle pour elle - disait, ce que nous savons tous ici un peu, que la position des États-Unis est de restreindre l’enrichissement au-delà de 20 % mais en même temps, offrant à l’Iran la possibilité d’enrichir à 3,5 %. En même temps ce personnage disait que sur la durée des négociations, cela n’allait pas durer le temps d’une nuit. En disant cela, il confirmait l’idée que M. Obama veut continuer dans ces négociations jusqu’au jour des élections aux États-Unis. Je n’ai pas entendu, dans les voyages récents aux États-Unis, une seule voix qui contredisait cette idée.
R - La position de la France, Cher Monsieur, je vous l’ai indiqué. Notre objectif est que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire. Je n’entrerai pas dans la question de savoir si c’est 20 %, 3,5 %. Si un certain degré d’enrichissement permet d’avoir des implications civiles, rien ne s’oppose à ce que l’Iran se dote effectivement d’une énergie nucléaire à vocation civile. Après, il appartiendra aux négociateurs d’entrer dans le détail des choses. Mais, pour moi, l’objectif est tout à fait clair.
Quelle est la stratégie américaine ? C’est aux Américains qu’il faut le demander. J’ai bien conscience que tout ne va pas se régler les 13 et le 14 avril. La France ne demande pas une réunion, il y en aura d’autres, il y aura un processus qui va s’engager. Je ne suis pas obligé de me caler exactement sur le calendrier électoral américain dans ce processus. C’est la volonté américaine, nous verrons bien comment la négociation s’enclenche.
Il y a un élément dont on n’a absolument pas parlé, je n’en ai pas parlé moi-même, c’est qu’il y a une autre option bien sûr, c’est l’option militaire d’Israël. Vous allez me demander si j’y crois ou si je n’y crois pas, je n’ai pas d’élément pour répondre à cette question. Je sais que la question est examinée par le gouvernement israélien qui a encore des divergences d’appréciations entre les différents responsables israéliens sur ce problème. Mais cette option existe et je pense qu’il faut tout faire pour l’éviter parce que si elle se déclenchait, je ne sais pas bien quelle pourrait être ensuite la riposte iranienne et la spirale qui pourrait nous conduire vers une situation tout à fait catastrophique.
Pour éviter cela, j’en reviens à ce que j’ai dit : des sanctions fortes et une négociation forte avec l’Iran. Après, je ne vais pas vous faire ici le déroulement de la négociation avant qu’elle ne soit engagée. Nous verrons.
Q - Quelle est la différence entre la Syrie et la Libye dans les options de la mise en place de la politique française ? Où en est-on dans les négociations avec les Émirats pour le Rafale ?
R - Sur ce dernier point, la négociation continue.
Libye-Syrie, il y a un point commun dans l’attitude de la France sur ces deux dossiers. Notre préoccupation est de permettre aux peuples de cette région et donc au peuple libyen et au peuple syrien de s’exprimer librement, d’accéder à la démocratie, de choisir eux-mêmes leurs dirigeants dans des élections libres et de bénéficier d’un État de droit reconnaissant les droits de la personne humaine, les droits de l’Homme ; les droits de la Femme, les droits des minorités, des minorités chrétiennes. Voilà l’objectif qui est le même en Libye et en Syrie.
Cela dit, les situations, elles, sont extrêmement différentes. D’abord, le contexte géopolitique. En Libye, nous avons obtenu un feu vert du Conseil de sécurité et donc nous sommes intervenus sous mandat international avec la résolution 1973 que vous connaissez bien, ce qui n’est pas le cas en Syrie où les Russes et les Chinois se sont opposés à toute résolution de ce type permettant une intervention militaire.
J’ajouterai une deuxième différence qui est que même si les conditions avaient été réunies pour avoir une résolution au Conseil de sécurité, je ne suis pas sûr qu’une intervention militaire du type de celle que nous avons menée en Libye aurait été possible parce que le peuple syrien n’est pas le peuple libyen. Le peuple libyen n’est pas marqué par ces différences de communautés que l’on trouve en Syrie. 95 % des Libyens sont des sunnites malikites. Il y a, certes, des tendances séparatistes entre l’est et l’ouest, c’est bien sûr compliqué mais cela n’a rien à voir avec la situation en Syrie où l’on a des communautés qui sont prêtes à en découdre. Il y a les alaouites au pouvoir, des sunnites, des chiites, des chrétiens qui représentent plus de 10 % de la population, des kurdes et les risques de guerre civile, si nous entrons dans un processus militaire, sont est extrêmement élevé.
Voilà pourquoi il n’y a pas eu en Syrie, une intervention du même type qu’en Libye, à l’initiative de l’OTAN.
J’ajoute une dernière chose, c’est qu’en Libye, à l’origine de l’opération, les pays arabes soutenaient l’intervention et c’est même une résolution présentée par le Liban, la résolution 1973, qui a été présentée par le Conseil de sécurité.
Aujourd’hui où en est-on ? J’ai la conviction, je le disais tout à l’heure, que le régime ne pourra pas se maintenir indéfiniment au pouvoir. Quand on a massacré 10.000 de ses citoyens, des centaines d’enfants, torturé des hommes et des femmes de tous âges, poursuivi jusque dans les hôpitaux des opposants ou des supposés tels pour les achever, cela se paie un jour ou l’autre. On est dans un monde où cela ne peut pas indéfiniment continuer. Le problème est le délai et c’est à cela que nous sommes aujourd’hui confrontés. Nous avons soutenu le plan de la Ligue arabe, nous avons obtenu une résolution à l’Assemblée générale votée par 137 États je crois, nous avons constitué le Groupe des amis de la Syrie qui, à Istanbul, a regroupé plus de 80 délégations et qui a exercé une pression très forte sur le régime. Nous soutenons la mission de Kofi Annan. Il y a donc tout un processus en cours de déroulement aujourd’hui.
Peut-on être optimiste ? Je ne le suis pas parce que je pense que Bachar Al-Assad nous trompe. Il feint d’accepter les demandes de Kofi Annan et notamment le plan en six points et dans le même temps, il continue d’utiliser la force avec une bienveillante indifférence des pays qui le soutiennent. On peut s’en sortir en fixant d’abord une limite de temps à la mission de Kofi Annan.
Nous avons tous dit qu’en Syrie, il n’était pas question de laisser traîner des semaines et des semaines. La date butoir qui est, je crois, le 10 avril pour le régime syrien et dans les 48 heures, la cessation des hostilités pour tous ceux qui se défendent, plus l’aide humanitaire et un processus politique, car pour nous, c’est absolument indissociable.
Si ce calendrier est respecté, il faudra déployer très vite une mission d’observateurs des Nations unies, le Secrétaire général travaille en ce moment pour s’assurer, là aussi, que l’on ne nous trompe pas. Je pense que si nous parvenons à avoir 250 observateurs des Nations Unies sur le terrain, le libre accès des médias internationaux, l’accès de l’aide humanitaire, les choses vont changer profondément.
C’est la raison pour laquelle Bachar freine des quatre fers car il se rend bien compte que cela va changer complètement l’équilibre des forces. Si nous n’arrivons pas à cela d’ici le 10 avril, j’ai indiqué qu’il faudrait revenir au Conseil de sécurité et étudier toutes les options. Nous ne pourrons pas indéfiniment laisser ceux qui se battent pour la liberté se faire massacrer par le régime syrien.
La thèse selon laquelle ce régime est victime d’attaques terroristes qui le déstabilisent ne tient pas la route cinq minutes. L’initiative de la répression, c’est le régime qui en porte la responsabilité. Ensuite, face à cela, il y a des gens qui essaient de se défendre, on ne peut pas du tout les mettre sur le même plan.
Q - La France est-elle prête à fournir des armes à l’armée libre syrienne ?
R - En l’état, non, je vous l’ai dit. Il y a un embargo international sur les armes et la France respecte les embargos internationaux.
Q - Vous étiez à Istanbul le week-end dernier pour le dossier syrien et, au passage, vous êtes parti au Sénégal à Dakar pour discuter du problème du Mali entre autres. Jusqu’où la France est-elle prête à aller au Mali ? Car la situation se dégrade sérieusement avec des violences, des viols, des villages des meurtres maintenant par les Touareg. Ceux-ci seraient infiltrés sérieusement par des extrémistes islamistes, l’AQMI qui ont menacé plusieurs fois la France et qui ont mis certaines menaces à exécution. Jusqu’où pouvez-vous aller quand tout le pays risque de basculer et aussi pour prévenir un effet domine dans la région ?
R - Vous disiez que j’étais allé d’Istanbul, à Dakar. Ma venue à Dakar avait un objectif à l’origine, c’était de participer à l’investiture du nouveau président du Sénégal, Macky Sall. Je voudrais en dire un mot car, quand on regarde la scène internationale, on se dit que partout il y a des cieux extrêmement encombrés par des de nuages lourds, mais il y a de temps en temps des petits morceaux de ciel bleu. Et ce qui s’est passé au Sénégal est un morceau de ciel bleu. Voilà un pays qui a donné un magnifique exemple de maturité démocratique. Ce n’est pas la première fois. Déjà quand M. Wade est arrivé au pouvoir, c’était dans le cadre d’élections démocratiques, là il y a eu des élections transparentes. Il y a eu quelques violences au départ mais les appels au calme ont été entendus. Il y a eu une forte participation, le résultat était absolument clair et le président Wade a immédiatement tirer la leçon de ces résultats en saluant la victoire de son concurrent et en se retirant du pouvoir.
Voilà un bel exemple qui montre que l’Afrique aussi peut accueillir des régimes démocratiques. Nous allons maintenant aider le Sénégal qui doit relever bien des défis économiques et sociaux en particulier.
Un autre petit coin de ciel bleu, je le signale au passage, c’est la victoire écrasante de la LND en Birmanie. Là aussi, il semble que l’on progresse sur la voie de la démocratie et de la liberté.
Pour en revenir au Mali, la situation est extrêmement grave et elle est un risque de contagion sur les pays voisins. Je l’ai mesuré au cours de cette réunion de la CEDEAO présidée par le président Ouattara où plusieurs chefs d’État ont fait part de leur très grande inquiétude au Niger, en Mauritanie et cela va au-delà, jusqu’au Nigeria bien entendu.
Que s’est-il passé au Mali ? Il y a des décennies que se pose dans la région sahélienne et en particulier au nord du Mali la question touareg. Voilà des populations dont le niveau de développement est très faible qui se sont rebellées à plusieurs reprises contre les pouvoirs des États dans lesquels ils se déplacent. Ceci a d’ailleurs donné lieu à des accords signés à Alger en 2006 qui prévoyaient le développement du nord Mali précisément pour essayer de réduire les occasions de conflits entre les Touaregs et Bamako. Malheureusement, ces accords n’ont pas été appliqués, nous avons mis en garde à de très nombreuses reprises les autorités de Bamako et le président Amadou Toumani Touré contre la dégradation de la situation. M. de Raincourt y est allé plusieurs fois. J’y suis moi-même allé plusieurs fois, j’étais il y a un mois à Bamako où j’ai rencontré le président qui m’a tenu un discours totalement lénifiant : «Tout va bien, la situation est sous contrôle, j’ai fait pour le nord des efforts considérables» et on a vu le résultat.
Il faut bien situer les responsabilités. À cette histoire ancienne s’est ajoutée une histoire plus récente qui est le renforcement d’AQMI du fait de ce qui s’est passé en Libye et qui est incontestable. Il y a des gens qui sont arrivés de Libye au Sahel, il y a des armes surtout qui sont arrivées et ceci a renforcé l’AQMI.
On assiste aujourd’hui à une compétition au nord Mali entre un mouvement touareg qui n’a pas d’autre objectif que l’indépendance ou l’autonomie du nord Mali, ce que l’on appelle l’Azawad c’est le MNLA, le Mouvement de Libération de l’Azawad qui vient de dire d’ailleurs qu’ils arrêtaient leur offensive militaire, qu’ils respectaient un cessez-le-feu parce qu’ils avaient atteints leurs objectifs à savoir, contrôler le nord du Mali.
Il y a une deuxième tendance qui, elle, est infiltrée par AQMI, qui est une expression d’AQMI, qui a un autre objectif qui est d’instaurer un régime islamiste sur l’ensemble du Mali et, au-delà, sur l’ensemble du Sahel.
Face à cette situation, que faut-il faire ?
D’abord, et là je dois dire que la réaction de l’Union africaine et de la CEDEAO a été immédiate et très claire, refuser d’accepter le coup d’État et exiger le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali. Cela pour les Africains, c’est très important. J’ai entendu les chefs d’État de la CEDEAO le dire : «Nous ne pouvons plus donner le spectacle à l’Afrique de coups d’État qui renversent des régimes constitutionnels, il faut revenir à l’ordre constitutionnel car c’est un symbole très fort.» Pour arriver à cela, il y a actuellement une mission de médiation qui est menée par le président du Burkina Faso M. Blaise Compaoré qui essaie de convaincre les mutins, la junte de quitter le pouvoir, de rétablir la Constitution, ce qu’ils ont d’ailleurs accepté il y a quelques jours sans en tirer vraiment les conclusions et puis de désigner une personnalité. Si M. Amadou Toumani Touré se retire, ce peut être le président de l’Assemblée nationale ou quelqu’un d’autre qui, ensuite, enclenche le processus électoral et permet de désigner, dans des élections transparentes, un responsable légitime. C’est en cours et, sans être trop optimiste, je pense que M. Compaoré est en mesure d’obtenir un résultat.
Deuxièmement, il y a l’aspect militaire. La CEDEAO a pris une position extrêmement forte et ferme en manifestant son intention de déployer sa force en attente. Ils ont deux bataillons qui représentent à peu près 3.000 hommes et leur idée serait de les déployer sur le terrain pour stopper l’avance d’AQMI et rétablir l’ordre constitutionnel.
Tout le monde a soutenu l’initiative de la CEDEAO. Je l’ai dit, les Américains étaient aussi représentés au cours de ce Sommet à Dakar c’est la raison pour laquelle nous avons fait voter au Conseil de sécurité une déclaration présidentielle pour soutenir l’Union africaine et la CEDEAO.
Maintenant, la CEDEAO est-elle en mesure de passer à l’acte ? C’est compliqué parce que le délai de déploiement de leurs forces en attente est long.
Nous avons donc dit que la France, ainsi que les États-Unis je pense, était prête à aider à ce déploiement. Non pas en envoyant un corps expéditionnaire au Sahel - il y a parfois des questions qui nous sont posées tout à fait surréalistes, la France ne va pas envoyer des troupes, je pense qu’on ne serait pas accueilli à bras ouverts, ni par l’Algérie ni par qui que ce soit -, en revanche, on est prêts, en termes de logistique, à aider. Nous le faisons depuis très longtemps.
Il faut bien voir aussi - et ce sera mon dernier point - que la réponse est d’abord la réponse des États de la région. C’est bien gentil de se tourner toujours vers la France ou vers l’Occident, c’est aux États de la région de combattre AQMI. Il y en a qui le font. La Mauritanie le fait et elle a marqué des points. Nous l’y aidons depuis très longtemps. Nous formons des forces de sécurité mauritaniennes pour qu’elles se battent. Le Niger, sous l’impulsion du président Issoufou, le fait. Le Mali ne l’a pas fait et on a vu le résultat.
Nous souhaitons vraiment qu’il y ait une coopération régionale entre l’Algérie, les pays de la CEDEAO jusqu’au Nigeria, la Mauritanie, pour mettre au point une stratégie de lutte contre le péril terroriste dans cette région du Sahel.
Désolé, j’ai été un peu long mais je voulais remettre en perspective cette question du Mali qui est extrêmement préoccupante.
Q - Vous dites qu’il n’y aura pas d’intervention par la force mais si cette idée de coopération régionale ne fonctionne pas, c’est une question sécuritaire qui préoccupe tout le monde ?
R - Toujours dans cette position que je comprends bien. Si ce que vous faites ne marche pas, que ferez-vous ? Je suis dans une disposition d’esprit différente, je pense que ce que nous sommes en train de faire va fonctionner.
(…)
Q - Monsieur le Ministre, sur la question de l’Europe et de la zone euro, pensez-vous que la crise est vraiment finie ou est-il possible que le (inaudible) est une sorte de narcotique pour le patient qui reste malade ? Qu’en pensez-vous ?
R - La crise n’est pas finie, mais l’Europe n’est pas aussi malade qu’on veut bien le dire et d’autres feraient bien de se soigner aussi, parce que l’Europe n’est pas le seul endroit où il y a des déficits.
La crise n’est pas finie, bien évidemment, parce que certains pays sont encore dans des situations extrêmement fragiles : tout le monde a la Grèce en tête, l’Espagne qui a beaucoup de mal, l’Italie qui fait des réformes courageuses. La France n’est pas dans la même situation mais, globalement, les choses progressent dans la bonne direction. Voilà, ce n’est pas intégralement réglé et si on fait des bêtises, tout cela peut à nouveau se dégrader très vite.
Dans le blog dont je vous parlais, je parlais de «chemin de crête», nous sommes sur le chemin de crête et, sur le chemin de crête, il ne faut faire ni un pas à gauche, ni un pas à droite car on risque de chuter.
Mais je pense que les perspectives sont bonnes, je pense que maintenant le «pare-feu» du mécanisme européen de stabilité est à un bon niveau, avec 800 milliards d’euros. Je pense que toutes les procédures qui se mettent en place, le «six pack», le semestre européen, le nouveau traité, tout cela va nous permettre de bien maîtriser la cohérence des politiques budgétaires entre les Vingt-Cinq. Il n’y avait pas de gouvernement économique dans le Traité de Maastricht et c’était une faute tout à fait évidente. La Banque centrale joue son rôle sans qu’on lui donne d’injonctions, elle fait ce qu’elle a à faire et c’est très bien comme ça. Il y a donc toute une série d’éléments qui me permettent de dire qu’on va dans la bonne direction.
Par ailleurs, notre environnement international n’est pas mauvais. La création d’emplois aux États-Unis redémarre, les perspectives de croissance sont plutôt positives, les pays émergents vont continuer à croître. Et je ne serais pas surpris qu’au second semestre de cette année, la croissance en Europe redémarre un peu.
On n’est pas sortis de la crise, mais cela va dans la bonne direction et il faut donc conforter ce que l’on a fait. Et je ne pense pas que ce que l’on est en train de faire soit un simple narcotique pour le malade. Je ne pense pas que les Grecs ressentent cela comme un narcotique, c’est plutôt comme une potion extrêmement amère. Ils ont fait des bêtises, c’est clair, il faut les rectifier, on les aide massivement mais il faut qu’ils tiennent bon. Et de même pour les Espagnols. On va continuer sur cette ligne-là pour essayer de s’en sortir.
Nous sommes, tous ensemble, la première puissance économique du monde. Nous sommes la deuxième ou troisième puissance commerciale. L’Europe a une capacité de recherche et d’innovation tout à fait considérable. Elle a des ressources humaines de qualité, même si dans certains pays la démographie baisse - ce n’est pas le cas en France, nous avons cet atout d’une démographie positive -, nous avons des universités excellentes, nous avons des centres de recherche excellents, nous avons une capacité d’innovation excellente, l’Europe a des atouts formidables.
Simplement, elle est confrontée à un déclin relatif. Ce qui se passe, c’est que l’Europe a été le centre du monde pendant deux siècles, on s’était habitué à cela, c’était très confortable. Nous ne sommes plus le centre du monde, c’est cela qui est nouveau. Parce qu’il y a d’autres pôles de puissances dans le monde. Il faut donc que nous nous adaptions à cette nouvelle configuration de la planète. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes condamnés à un déclin absolu. Il y a un réajustement et le réajustement se fera : je vous parlais de mon contact avec des industriels dans cette région de Savoie, il y en avait un qui avait une usine en Chine, il m’a dit : «je suis en Chine depuis trois ou quatre ans, les salaires en Chine ont augmenté de 30 % en deux ou trois ans, au rythme de 15 % par an, et les charges sociales en Chine sont en train d’exploser parce que les Chinois ont envie de retraites et de protection sociale».
Donc, le monde va se rééquilibrer petit à petit. Les pays émergents vont aussi avoir des conditions de production nouvelles. Vous allez me dire qu’il y en a d’autres qui vont émerger à leur tour. Nous sommes dans un processus de transition qui fait que le monde change et que l’Europe a toutes ses chances à l’avenir.
Q - Sur la Birmanie. Pensez-vous que le temps est venu de lever les sanctions et que c’est peut-être un petit peu tôt encore parce que le processus démocratique vient juste de commencer ?
R - Je pense bien évidemment qu’il faut faire un geste. Quand j’avais Aung San Suu Kyi il y a deux mois, avant les élections, on nous avait dit : attendons de voir si les élections se passent bien et après il faudra envoyer un signal.
Je crois qu’on peut dire que les élections se sont bien passées et je compte proposer à Bruxelles, à nos partenaires, de faire un geste pour un premier allègement des sanctions.
Parce que l’on dit toujours que les sanctions ne servent à rien. Dans le cas de la Birmanie, la Birmanie s’est rendue compte qu’à force d’être isolée du monde extérieur, elle était dans les mains de la Chine et elle a cherché d’autres partenaires. Et c’est cela qui explique en grande partie l’évolution du régime.
Q - Sur l’Irlande. Comment devrait réagir l’Union européenne si les Irlandais disent «non» le 31 mai dans leur référendum sur le pacte fiscal ?
R - On verra.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2012