Interview de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, à RTL le 23 mai 2012, sur la préparation de la conférence sociale du mois de juillet, le retour partiel à la retraite à 60 ans, la situation de la Grèce au sein de la zone euro, les rythmes scolaires, les tribunaux correctionnels pour mineurs et la haute fonction publique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE Bonjour Jean-Marc AYRAULT. Vous présentez ce matin en Conseil des ministres un calendrier social. De quoi s’agit-il ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Eh bien, c’est une nouvelle méthode que nous voulons mettre en oeuvre, vous savez que la démocratie sociale sera inscrite dans la réforme de la Constitution comme un élément au coeur de notre politique. Je présenterai donc au Conseil des ministres la manière dont nous allons procéder. Il n’est pas question de faire des shows et ce qu’on appelle le sommet social qui dure une heure ou deux où chacun s’exprime et en repart et il ne se passe rien, c’est une méthode qui doit s’inscrire dans la durée et que je veux préparer méticuleusement. C’est pour ça que le 29 mai, je vais recevoir avec les trois ministres – Michel SAPIN, Marisol TOURAINE et Marylise LEBRANCHU – qui sont concernés, parce qu’il y a aussi la Fonction publique, chaque organisation syndicale de salariés et chaque organisation patronale représentatives. Je vais écouter attentivement la manière dont ils voient l’instauration dans la durée de ce dialogue social et cette démocratie sociale. Ensuite, avec l’ensemble de ces organisations, il y aura une conférence de méthode, que je présiderai à Matignon, et qui définira exactement comment nous allons nous y prendre pour réunir la grande conférence sociale, qui aura lieu avant le 14 juillet, où là seront identifiés tous les chantiers. Bien entendu, il y a la question de l’emploi, il y a la question de la formation professionnelle, il y a la question du contrat de génération, il y a la question des salaires, dont le Smic, il y a la question aussi des conditions de travail, il y a la question de la retraite, il y a la question évidemment de l’égalité salariale hommes et femmes. Tous ces chantiers-là devront précisément faire l’objet d’une négociation en termes de méthode et de calendrier…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Mais c’est vous qui allez décider ou vous mettez tous ces chantiers-là en discussion pour aboutir à un résultat en coproduction avec les partenaires sociaux ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il y a des sujets qui feront l’objet de concertations et d’informations, d’autres qui feront l’objet de négociations entre partenaires sociaux, je prends l’exemple de l’égalité salariale hommes/femmes, mais avec un objectif dans le temps, parce que sinon, ça ne sert à rien, on peut parler, parler, parler, avec l’obligation de résultat, avec aussi, on mettra sur la table ce qu’on appelle les aides qui sont versées par l’Etat aux entreprises, la conditionnalité des aides, ça sera donnant/donnant, et puis, il y aura aussi des négociations tripartites, qui associeront à la fois le gouvernement, le patronat et les salariés, je pense à la question de la compétitivité des entreprises, comment faire pour que nos entreprises soient plus compétitives, et que les salariés y trouvent aussi leur compte, quelle est la part que le gouvernement et l’Etat mettront sur la table…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Donc premier rendez-vous le 29 mai…
 
JEAN-MARC AYRAULT Donc ce n’est pas un rendez-vous pour une fois, c’est une grande conférence qui aura lieu à l’Elysée, qui sera ouverte par le président de la République, conclue par le président de la République, mais selon l’accord qu’on passera, l’accord de méthode qu’on passera début juin, après les rencontres bilatérales, ça pourra durer plus qu’une journée, puisqu’on ouvrira des chantiers pour aboutir avec un calendrier précis…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Premier dossier : les retraites…
 
ALAIN DUHAMEL Oui, alors la question du retour à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes, donc 18-19 ans, qui ont leurs 41 trimestres, etc. –c’est une des plus sensibles – on ne connaît pas encore exactement très précisément les frontières, est-ce que, par exemple, on peut imaginer de prendre en compte les trimestres correspondant soit aux périodes de chômage, soit par exemple aux majorations pour maternité, est-ce que ça peut être pris en compte ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ça peut être pris en compte, c’est déjà pris en compte, puisque…
 
ALAIN DUHAMEL C’est-à-dire ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il existe déjà des dispositions concernant ce qu’on appelle les carrières longues, où sont pris en compte la maladie, les arrêts maladie, mais pour quatre trimestres, le service national et les congés maternité, pour un temps limité, pour quatre trimestres…
 
ALAIN DUHAMEL Et pour mes deux exemples…
 
JEAN-MARC AYRAULT Donc ça, ça existe déjà. Donc nous pouvons travailler sur cette base, et Marisol TOURAINE, la ministre des Affaires sociales et de la santé, va rencontrer, a commencé déjà à rencontrer d’ailleurs, les organisations syndicales pour leur dire : voilà le décret que nous présentons, parce que c’est un décret, ce n’est pas une loi, ça relève entièrement de la responsabilité du gouvernement, pour que très vite, et je souhaite, dans les trois semaines, l’engagement qui a été pris par le président de la République, François HOLLANDE, c’est-à-dire de corriger et de supprimer une injustice, pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, par exemple, des gens qui ont commencé à 18 ans, et qui ont leurs 41 années de cotisations, et qu’on oblige à travailler jusqu’à 43 ans de cotisations, donc pour que ces personnes puissent partir à la retraite.
 
ALAIN DUHAMEL Mais est-ce qu’on peut prendre en compte les trimestres correspondant à des périodes de chômage ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Je viens de vous dire qu’il y a déjà une référence, et tout ça va faire partie d’une concertation, le gouvernement tranchera. Et je prendrai mes responsabilités au vu aussi du coût, parce que nous avons évalué dans le projet de François HOLLANDE le coût de cette mesure à un milliard d’euros. Et nous l’avons financé par une augmentation des cotisations salariales et patronales de la cotisation retraite. Donc il faut rester dans l’épure, il ne s’agit pas d’augmenter le coût de cette mesure. Alors, on va regarder ce qui rentre dans l’enveloppe, et c’est à ce sujet qu’il va y avoir concertation…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Excusez-moi, vous dites dans trois semaines, vous souhaitez que ce décret soit pris…
 
JEAN-MARC AYRAULT Je souhaite que…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Avant mi-juin…
 
JEAN-MARC AYRAULT Au Conseil des ministres, je souhaite que… on s’est donné un délai, il faut la consultation, il y a aussi la Caisse nationale d’assurance vieillesse à consulter, au-delà des organisations syndicales. Donc tout ça est en cours pour que cette mesure – qui est très attendue par, je dirais, les dizaines de milliers de Français qui sont concernées – puisse être mise en oeuvre très rapidement, on dit autour de 100.000 personnes pour la première année, c’est un chiffre très important…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Dans trois semaines, dites-vous, le décret ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Oui, c’est ce que je souhaite, c’est ce que j’ai demandé à Marisol TOURAINE de préparer, j’espère que nous y parviendrons, parce que ce gouvernement, le gouvernement que je dirige, veut agir concrètement, c’est comme la mesure que nous allons prendre à peu près dans la même période, l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire pour cinq millions d’enfants.
 
ALAIN DUHAMEL Laurence PARISOT, la présidente du MEDEF, ce matin, lance, au fond, un cri d’alarme en disant : mais en ce qui concerne les régimes complémentaires…
 
JEAN-MARC AYRAULT Je comprends…
 
ALAIN DUHAMEL I l n’y a pas de financement prévu, donc en clair, ça veut dire, ça voudrait dire diminuer…
 
JEAN-MARC AYRAULT Non, je pense qu’il ne faut pas dramatiser…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Ou augmenter les cotisations…
 
ALAIN DUHAMEL Non, elle a dit qu’elle ne voulait pas…
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez, nous avons pris un engagement, c’est le président de la République qui l’a pris, il sera tenu. Donc ça, c’est le vote des Français…
 
ALAIN DUHAMEL Oui, mais les complémentaires, c’est autre chose.
 
JEAN-MARC AYRAULT Nous allons organiser cette concertation, je recevrai le 29, je vous l’ai dit, sur l’ensemble des questions, les partenaires sociaux, donc je recevrai aussi madame PARISOT, et qui dira son point de vue. On est dans un dialogue, on n’est pas dans l’ignorance du point de vue des autres. Et donc j’écouterai ce que dira madame PARISOT attentivement. Je comprends, ça vaut d’ailleurs pour le salaire, je comprends qu’il faut des mesures à la fois de justice, ça vaut pour le Smic, parce qu’il n’y a pas eu de rattrapage depuis quatre ans, donc il faudra une mesure, mais en même temps, je comprends aussi les difficultés des entreprises, notamment des petites et moyennes entreprises. Il y a des difficultés dans certains secteurs particulièrement, il faut y être attentif. Nous ferons les choses dans le dialogue, dans la concertation, mais à la fois basés sur la justice, mais aussi l’esprit de responsabilité.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Sur les régimes complémentaires, vous considérez qu’elle a raison de vous alerter ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Je vais discuter avec elle, elle a raison d’alerter, c’est son devoir, après, la conclusion, en tout cas, je vous le répète, c’est vrai que cette décision, cet engagement sera respecté.
 
ALAIN DUHAMEL Alors, sur un autre sujet…
 
JEAN-MARC AYRAULT Alors, ça ne veut pas dire qu’on aura traité la question des retraites dans son ensemble, je renvoie à la conférence sociale…
 
ALAIN DUHAMEL Oui, oui, ça doit revenir après…
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est le chantier qu’il faudra ouvrir, il y a la question de la pénibilité, du financement, et ça se fera dans la négociation.
 
ALAIN DUHAMEL Alors sur un autre sujet, il y a ce soir un dîner très important des chefs d’Etat et de gouvernement à Bruxelles, la question qui va venir forcément, c’est : est-ce qu’on est prêt à tout, quel que soit le coût, pour que la Grèce reste au sein de l’euro, même si aujourd’hui, tous les partis grecs récusent le mémorandum européen ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez, ça fait deux ans et demi que cette question de la Grèce est posée, quand on voit que dans cette période, la richesse nationale grecque a baissé de 15%, 15 points, c’est énorme ! Mais… donc, il faut aider la Grèce. Et la Grèce doit aussi faire un pas, prendre sa part du chemin, elle le prend déjà beaucoup, pour les Grecs, c’est difficile. Mais je pense que les réformes qui sont nécessaires, je pense à la réforme fiscale, il n’est pas normal que, il y ait moins de rentrées fiscales en Grèce maintenant qu’il y en avait il y a un an, il n’est pas acceptable que les Grecs les plus riches soient, je dirais, épargnés par l’effort, il n’est pas normal que les Grecs les plus riches investissent de l’argent dans l’immobilier à Londres ou à Paris ; donc il y a des choses à changer en Grèce. Et en même temps, il faut aider la Grèce, et c’est ce qui se fait par les engagements financiers, mais la rencontre qui a eu lieu à Berlin, entre François HOLLANDE et madame MERKEL, a posé la question d’un geste supplémentaire pour aider les Grecs à se redresser économiquement. Donc il y a la possibilité, je pense par exemple à l’utilisation des fonds structurels, de façon ciblée…
 
ALAIN DUHAMEL Européens, oui…
 
JEAN-MARC AYRAULT Européens, pour que l’économie reparte, parce qu’il faut donner des perspectives aux Grecs. Je crois sincèrement que la grande majorité du peuple grec, les enquêtes d’opinion en tout cas le montrent, souhaite rester dans l’euro, souhaite rester non seulement dans l’Europe, dans l’euro. Il faut donc les aider, et là, il va y avoir un vote très important le 17 juin, qui est le choix des parlementaires. Et donc il est important que les Grecs aient toutes les cartes en main pour faire le choix qui sera le leur d’ancrer durablement leur pays dans l’euro, et c’est aussi à nous de tendre la main, de faire les gestes nécessaires parce que la sortie de l’euro serait une catastrophe pour les Grecs eux-mêmes, d’abord pour les Grecs, et brutalement pour les Grecs. Et puis, ça peut être aussi un effet tache d’huile pour d’autres pays. Donc c’est l’intérêt des Grecs, c’est l’intérêt des Européens que cette question soit abordée avec beaucoup d’esprit de responsabilité, mais aussi de justice et de solidarité…
 
ALAIN DUHAMEL Et c’est l’intérêt des Allemands…
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est l’intérêt des Allemands aussi, c’est l’intérêt de toute l’Europe. Et donc ces questions seront abordées en toute franchise, elles le seront par le président de la République François HOLLANDE ce soir, au dîner qui est un sommet informel, qui n’était pas prévu, et qui a comme objet central de créer les conditions de la relance de la croissance en Europe, c’est-à-dire sortir de cette logique uniquement financière et d’austérité et qui conduit dans le mur. Donc là, celui qui a posé la question, le premier, c’est François HOLLANDE, pendant la campagne des présidentielles, on disait : mais il ne pourra rien faire, il est à côté de la plaque, maintenant, tout le monde parle de la croissance, tout le monde parle de la croissance en Europe, tout le monde parle de la croissance dans le monde, c’était le cas au G8, même la Chine dit : il faut des initiatives de croissance. Donc on est bien au coeur des questions. Le président du gouvernement italien, Mario MONTI, dit : on ne peut pas continuer comme ça.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Alors, initiatives de croissance, c’est une chose, mais il y a aussi des déficits à traiter, dans tous les cas de figure, même si la croissance n’est pas autant au rendez-vous que cela avait été annoncé, en 2013, la France respectera l’engagement de réduire ses déficits à 3% du PIB…
 
JEAN-MARC AYRAULT Eh bien, nous agissons en conséquence, nous agissons en conséquence. Toutes les mesures…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Et l’objectif de 3% sera de toutes les façons respecté ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Toutes les mesures qui sont prises aujourd’hui – je le citais tout à l’heure sur la retraite – sont financées, elles sont financées, soit par des économies, soit par des recettes nouvelles. Donc il ne s’agit pas de dégrader les comptes publics. Simplement, je vais vous dire quelque chose, Jean-Michel APHATIE, je ne connais pas encore exactement la situation du pays, c’est pour cela que j’ai demandé au premier président de la Cour des comptes de me transmettre un rapport sur l’exécution du budget 2012, la Loi de Finances 2012…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous redoutez quelque chose ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Et également sur les perspectives de croissance réelle, c’est-à-dire quelle est la réalité économique, financière de notre pays, et au vu de ce résultat, alors, eh bien, vous me réinviterez et je vous dirai où nous en sommes. Mais en tout cas…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous redoutez quelque chose dans les comptes publics, vous pensez qu’on vous a caché quelque chose ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez, je ne suis pas sûr qu’on nous ait caché quelque chose, mais il peut y avoir des impasses, je ne fais pas de procès, la Cour des comptes est là pour nous dire la vérité, elle est indépendante, et elle le fera.
 
JEAN-MICHEL APHATIE L’objectif des 3%, vous le respecterez en tout état de cause ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est ce que nous souhaitons, l’objectif principal, c’est aussi d’arriver à l’équilibre des comptes à la fin de la législature, à la fin du quinquennat. Donc tout ça doit être fait, mais en même temps, c’était clair depuis le début, c’est clair depuis toute cette campagne des présidentielles, on ne redressera pas les comptes publics, c’est nécessaire, lutter contre les déficits, contre la dette, parce qu’on ne peut pas vivre comme ça à crédit, le premier budget, c’est le remboursement des intérêts d’emprunts, et pendant ce temps-là, on ne met pas tout l’argent qu’il faudrait par exemple dans l’Education nationale, donc on sait qu’il faut le faire, mais en même temps, on a dit et redit qu’on n’y arrivera pas sans croissance, donc là, on est au coeur des questions, il y a des initiatives françaises pour la croissance, mais on voit bien que beaucoup de choses dépendent de l’Europe, et c’est l’intérêt de cette réunion de cet après-midi et ce soir.
 
ALAIN DUHAMEL Les Français vont voter de nouveau les 10 et 17 juin pour les élections législatives, d’ici-là, qui va vraiment diriger la campagne de votre camp, est-ce que c’est vous ou est-ce que c’est Martine AUBRY ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Je suis le chef de la majorité, personne ne conteste cela, Martine AUBRY l’a encore dit hier, elle, elle dirige le Parti socialiste, et elle va mobiliser les socialistes. Et nous avons dit et redit que c’est comme ça que les choses se feraient. Je fais deux meetings, l’un avec Martine AUBRY, à Nantes, et l’autre à Lille, le 2 et le 7 juin, et puis, elle fera des déplacements pour le Parti socialiste, et moi, en tant que Premier ministre, mais dans le cadre de la campagne, pas dans le cadre de mes fonctions gouvernementales, je vais aussi faire un certain nombre de visites de terrain, j’irai là où c’est nécessaire, là où on peut convaincre davantage les Français qu’il faut donner au président de la République une majorité large, une majorité cohérente, une majorité solide, parce que quand je vois ce que propose comme programme l’UMP, c’est la cohabitation ; la cohabitation dans la période que nous connaissons aujourd’hui serait la pire des choses. Le président de la République vient d’être élu, les Français ont fait un choix, si on veut que ses 60 propositions soient mises en oeuvre, ses priorités, il lui faut une majorité parlementaire stable, solide, cohérente. Et si on veut aussi que la France soit capable de peser, et on voit qu’elle peut peser fort maintenant, notamment en Europe et dans le monde, alors, il faut que, il dispose…
 
ALAIN DUHAMELI l faut la majorité absolue…
 
JEAN-MARC AYRAULT Le président de la République, d’une large majorité…
 
ALAIN DUHAMELI l faut une majorité absolue pour les socialistes ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il faut une majorité qui soit conforme aux orientations qui ont été votées par les Français le 6 mai. Je fais confiance, moi, au bon sens des Français, et je fais confiance au sens politique des Français qui ont été à plus de 80% votant aux élections présidentielles, c’est dire à quel point ils prennent cette élection au sérieux. Et je sais que pour eux, beaucoup me l’ont dit, y compris des Français qui n’ont pas voté pour François HOLLANDE au deuxième tour, ils m’ont dit : on veut que vous réussissiez le redressement du pays dans la justice, on veut que vous pesiez dans l’Europe pour la réorienter, on veut vous donner les moyens de réussir.
 
JEAN-MICHEL APHATIE On croit comprendre à la lecture de certains journaux, le CANARD ENCHAINE notamment, qu’entre martine AUBRY et vous, ça ne va pas très fort.
 
JEAN-MARC AYRAULT Vous savez, alors là, ça, j’ai vu ça, mais ça ne m’impressionne absolument pas, j’ai rencontré Martine AUBRY après avoir beaucoup parlé avec elle aussi dès vendredi, on a déjeuné ensemble, hier, nous étions devant les députés socialistes, on va faire tout ce qu’il faut pour donner au président de la République cette majorité, le reste, ça ne m’intéresse pas, ça ne m’impressionne pas, et puis avec elle, j’ai des relations, je vais vous dire, je travaille avec elle depuis plusieurs années qu’elle est premier secrétaire, moi, président du groupe à l’Assemblée nationale, on a travaillé en bonne intelligence. J’ai aussi des affinités, parce qu’elle est maire de Lille et moi, je vais abandonner mes fonctions de maire de Nantes, et on a fait beaucoup de choses de même nature, et on partage beaucoup de choses en commun, donc le reste, ça ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse, moi, c’est la mission qui est la mienne, c’est de réussir avec le président de la République et le gouvernement et la majorité parlementaire, demain, le redressement du pays. [08h10]
 
JEAN-MICHEL APHATIE Le ministre de l’Education, Vincent PEILLON, a dit hier ici même, ou il a redit, plutôt, qu’à la rentrée 2013 la semaine d’école dans le primaire s’étalerait sur cinq jours. Sur le but, il a raison ? Ça se fera comme ça ?
 
JEAN-MARC AYRAULT La question des rythmes scolaires, c’est une question qui est au coeur de la réforme de notre système éducatif : c’est-à-dire, comment faire réussir les enfants dans les meilleures conditions possibles ; toutes les études l’ont montré. Il l’a dit, je crois, hier, que 140 jours d’école c’est peu dans l’année…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Trop peu.
 
JEAN-MARC AYRAULT …Donc il faut étaler, il faut organiser autrement. Donc la concertation est lancée. Je prendrai mes responsabilités lorsque cette concertation…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Mais le but, c’est cinq jours ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …sera conclue.
 
JEAN-MICHEL APHATIE C’est les modalités qui sont dans la concertation ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Le but, c’est de mettre en…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous ne le dites pas, hein, que le but c’est cinq jours.
 
JEAN-MARC AYRAULT Le but, c’est de revoir les rythmes scolaires ; donc ça peut toucher aussi aux vacances, les grandes vacances. Donc tout ça sera mis en débat. Mais avec…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Dans votre esprit, cinq jours, ce n’est pas définitif ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Ce n’est pas définitif tant que ce n’est pas décidé officiellement. Mais…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Donc le ministre de l’Education va trop vite ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Au coeur de la réforme, il y a aura la question, on tranchera la question des rythmes scolaires, avec les parents d’élèves, avec les enseignants, avec tous les professionnels concernés. Il y a aussi les collectivités territoriales, qu’il ne faut pas oublier…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Le ministre de l’Education va trop vite ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …qui gèrent une partie des personnels. Mais, franchement…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Il va trop vite ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Jean-Michel APHATIE, il y a une méthode, et moi je suis le garant de la cohérence de la politique du gouvernement. Je suis garant de la méthode. La méthode commence par rappeler nos priorités, ce que nous avons dit pendant la campagne présidentielle, et c’est ce qu’a fait Vincent PEILLON. Après, il y a la méthode : concertation, négociation lorsque c’est nécessaire. Donc cette méthode, elle vaut pour tous les ministres ; nous la respecterons, je suis le garant à la fois de la cohérence de la politique, et le garant de la méthode.
 
YVES CALVI Donc la méthode, c’est de ne pas aller trop vite. Allez-vous abroger la suspension des allocations familiales pour absentéisme à l’école ? On a appris hier que seulement 472 foyers avaient été sanctionnés depuis le début de l’année.
 
JEAN-MARC AYRAULT Ce qui compte, c’est d’aider à l’exercice de la responsabilité parentale. Il y a beaucoup de travail à faire. On a ironisé beaucoup sur le ministère délégué de George PAU-LANGEVIN auprès du ministre de l’Education nationale, la Réussite éducative. La Réussite éducative, c’est à la fois la réussite scolaire, c’est tout le temps du périscolaire, qui se fait aussi avec les collectivités locales, les mouvements d’éducation populaire, les associations ; et puis c’est aussi la responsabilité parentale. C’est ça. Et donc ce travail, il faut le reprendre, c’est un chantier. On ne règlera pas ces questions de responsabilité parentale, de parents qui ne font pas toujours face à leurs obligations, uniquement par l’injonction, par la mesure, j’allais dire, répressive – même si elle est nécessaire parfois. Donc nous n’excluons rien, mais ce que nous voulons, c’est mettre tout ça en chantier, avec un objectif, et là je reviens à la question éducative : quand vous voyez que 150.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans rien, sans qualifications, sans diplômes, sans perspectives personnelles et professionnelles, eh bien c’est un défi de la nation tout entière.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous n’avez pas répondu à la question d’Yves.
 
JEAN-MARC AYRAULT J’ai dit que nous allons évaluer cela.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous abrogez ou pas ? Ah, vous évaluez…
 
JEAN-MARC AYRAULT Vous avez dit vous-même que l’efficacité était faible ! Donc si l’efficacité est faible, et si surtout ça ne correspond pas à l’objectif qui a été affiché, on trouvera d’autres mesures. Mais en tout cas, l’exercice de…
 
YVES CALVI Mais vous n’abrogez pas a priori ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Eh bien…
 
YVES CALVI Voilà, vous évaluez.
 
JEAN-MARC AYRAULT … On n’est pas dans l’abrogation a priori. Je veux dire, ce qui compte, c’est que l’objectif qui est le nôtre soit atteint.
 
YVES CALVI Alors Jean-Marc AYRAULT, de l’Education, passons à la Justice. Christiane TAUBIRA a annoncé dimanche la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ; êtes-vous d’accord avec votre Garde des Sceaux ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Le président de la République, dans sa campagne électorale, a annoncé qu’il voulait revenir au principe d’une juridiction spécialisée pour les mineurs, tel que c’est prévu par l’ordonnance de 45, et qui est issue des travaux du Conseil National de la Résistance et de l’Assemblée d’Alger, à l’époque où le Général de GAULLE a ensuite présidé le gouvernement provisoire de la République. Donc c’est des principes très importants. Maintenant, tout ça doit être mis en concertation, là encore, avant de trouver la bonne réponse, j’allais dire, d’ordre juridique. Par contre, ce qui est sûr – et Monsieur CALVI, vous me connaissez, vous m’avez déjà interrogé là-dessus –, aucun laxisme de ma part sur les questions de sécurité, sur les questions de délinquance. Et je suis jusqu’à présent encore maire, pour quelques jours, je connais ces questions, et je sais que si on n’agit pas dès le départ, sur le premier acte de délinquance d’un jeune mineur, qui n’est pas forcément grave, alors il y a un risque, pour certains jeunes, d’escalade ; et il y a des situations, malheureusement, où ces jeunes sont rentrés dans un cadre, je dirais, de délinquance parfois extrêmement violent. Ils ne sont peut-être pas nombreux, mais ça existe. Donc il n’y aura aucun laxisme de notre part. Et toute peine…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Et alors, quel avenir pour les tribunaux correctionnels ? Ils seront maintenus, ou ils vont être supprimés ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Voilà, juridiction spécialisée pour les mineurs…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Donc ils vont être supprimés ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …C’est l’engagement qui a été pris…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Ils vont être supprimés ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Tout ça est mis en concertation pour trouver la bonne réponse d’ordre juridique.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Est-ce qu’on pourrait dire simplement, Jean-Marc AYRAULT, ces tribunaux correctionnels pour mineurs vont être supprimés ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ils seront supprimés après la concertation, pour revenir à une juridiction spécialisée. Mais en même temps, je tiens à vous dire une chose : tous les petits caïds – François HOLLANDE l’avait dit dans son discours du Budget… du Bourget –, la justice les rattrapera. On ne peut pas laisser dans la nature des gens qui sont si dangereux ou violents ; ils ne sont peut-être pas nombreux, mais ça existe. C’est pour ça que François HOLLANDE s’est engagé à doubler le nombre de centres éducatifs fermés. Je connais des situations… Parce qu’on pourrait croire que la justice est laxiste ; elle ne l’est pas, et elle ne le sera pas avec nous. Vous le savez, il y a des mineurs qui sont dans les centres éducatifs fermés, il y a des mineurs qui sont dans des centres ouverts, il y a des mineurs qui sont dans des centres de détention pour mineurs ; mais c’est en amont, aussi, qu’il faut agir. Il faut agir à la fois sur la prévention, mais aussi sur la répression. Croyez bien, vous jugerez sur pièces, ce gouvernement sera ferme, respectueux de la loi et des personnes, mais sera ferme.
 
YVES CALVI Monsieur le Premier ministre, le gouvernement lèvera-t-il le secret défense dans l’affaire KARACHI ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est l’engagement que nous avons pris. Et je pense que les victimes, et les familles des victimes, ont droit à la vérité.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Allez-vous remplacer – c’est une question qui se pose – le directeur général de la Police nationale, Frédéric PECHENARD, et puis le directeur de la DCRI, Bernard SQUARCINI ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Concernant les nominations, je vais être très clair…
 
JEAN-MICHEL APHATIE En général ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …En général, il faut que la politique que le président de la République a proposée aux Français le 6 mai, qui a été approuvée par une majorité des Français, puisse être mise en oeuvre. Et donc, il ne s’agit pas de faire des règlements de comptes de personnes, de chasses aux sorcières, ce n’est pas notre conception de l’Etat républicain. Par contre, il y a quelques postes stratégiques où les personnes qui seront nommées doivent être en cohérence parfaite avec les orientations politiques qui sont celles du président de la République et du gouvernement que je dirige. Donc il y aura quelques nominations, mais…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Ces deux responsables que j’ai cités, et dont le sort est souvent évoqué ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Mais ça, c’est la cohérence : il y a cohérence en matière économique, cohérence en matière sociale, et cohérence en matière de police et de justice…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Donc ils seront remplacés ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Eh bien, oui, ils seront remplacés, ça a toujours été dit…
 
JEAN-MICHEL APHATIE D’accord.
 
JEAN-MARC AYRAULT …Mais ce n’est pas dans le sens de la chasse aux sorcières. Moi je veux vous dire, je vais écrire à tous les fonctionnaires de la République, pour leur dire que je leur fais confiance, au nom du gouvernement, et que je les respecte, et que j’ai, avec tous les membres du gouvernement, besoin d’eux pour réussir le redressement de la France. Ils ont souvent été méprisés. La RGPP, la fameuse méthode qui consiste à couper brutalement dans les effectifs des secteurs prioritaires, va être stoppée, pour être remplacée par une autre méthode : les objectifs, les missions – avec les fonctionnaires. D’ailleurs, les organisations syndicales des fonctionnaires vont être reçues par Marylise LEBRANCHU. Nous avons une bonne fonction publique. C’est pour ça d’ailleurs que les cabinets ont été réduits : 15 pour les ministres pleins, 10 pour les ministres délégués, pour s’appuyer sur la haute fonction publique, et la fonction publique de terrain.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Nominations toujours : l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Xavier MUSCA, sera-t-il nommé à la tête de la Caisse des Dépôts et des Consignations ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Je pense qu’il est bon là aussi – cohérence – de nommer à la tête de la Caisse des Dépôts, et vous savez qu’on va préparer aussi la création d’une Banque Publique d’Investissement, d’avoir quelqu'un qui est dans la cohérence de la politique du président de la République. Mais Xavier MUSCA, qui est une personnalité parfaitement respectable, lui sera proposé, comme à d’autres personnalités très importantes qui ont servi le gouvernement précédent dans un esprit républicain, il n’y a aucune raison de ne pas leur faire confiance pour d’autres fonctions.
 
YVES CALVI Mais pas à la tête de la Caisse des Dépôts ?...
 
JEAN-MARC AYRAULT Non, je vous ai répondu.
 
YVES CALVI …On s’est bien compris. Comptez-vous décréter l’état d’urgence dans les régions touchées par les pluies diluviennes ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Le ministre de l’Intérieur s’est rendu sur place, doit faire une proposition au Conseil des ministres pour aider ces territoires qui sont particulièrement sinistrés.
 
YVES CALVI Mais vous y êtes favorable ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Eh bien, je suis favorable à ce qui va permettre à ces régions de sortir de la crise dans laquelle elles se trouvent. Donc toutes les mesures qui peuvent exister au niveau de l’Etat doivent être mises en oeuvre, et c’est une question de solidarité nationale.
 
JEAN-MICHEL APHATIE C’est vrai que vous trouvez que vos ministres, certains de vos ministres sont trop bavards, Jean-Marc AYRAULT ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez, moi, vous me connaissez, Monsieur APHATIE, je n’ai pas l’habitude de parler pour parler. Donc, la règle…
 
YVES CALVI On dit même que vous êtes un taiseux.
 
JEAN-MARC AYRAULT …J’ai fixé une règle…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Pas ce matin ! (…) Rires
 
JEAN-MARC AYRAULT …C’est de ne pas parler pour parler. C’est ma méthode, j’ai fixé une règle : c’est parler pour consulter, parler pour dialoguer, parler pour expliquer, parler pour mobiliser, pour réussir avec les Français, tous les acteurs de la société, le redressement de la France dans la justice. Donc voyez, il y a déjà de quoi faire !
 
JEAN-MICHEL APHATIE Et donc, certains ministres, vous leur dites ?...
 
JEAN-MARC AYRAULT Eh bien, écoutez…
 
JEAN-MICHEL APHATIE …Parlez au bon moment… ?
 
JEAN-MARC AYRAULT …Je pense qu’ils ont parfaitement compris le message que je leur ai adressé, vous voyez, mais ils sont déjà au travail, c’est ça qui me rassure pleinement. Et ils sont au travail, beaucoup n’ont jamais été ministres, la majorité d’entre eux, mais ils ont un sens du dévouement, l’envie de réussir, c’est ça qui doit rassurer les Français : être au service de la France. Et c’est pour ça que je le redis encore, pour cette émission, deuxième partie, il faut au président de la République une large majorité parlementaire pour réussir.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 24 mai 2012