Entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, avec Canal Plus le 19 juin 2012, notamment sur la proposition de la France de favoriser la croissance économique au sein de l'Union européenne.

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Média : Canal Plus

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Q - On va parler du pacte pour la croissance de François Hollande mais, d’abord, on peut appeler ça une mauvaise manière : en marge du G20, on a entendu David Cameron ironiser «Quand la France instaurera une taxe à 75 % sur la tranche supérieure de l’impôt, nous déroulerons le tapis rouge aux entreprises françaises». Est-ce que ça vous fait rire ou est-ce que ça vous agace ?
R - C’est une forme d’humour britannique. Ce que je peux répondre à cette affirmation du Premier ministre britannique, c’est qu’il y a des patrons français qui sont des patriotes. Il y a dans l’arsenal des mesures que nous allons prendre à travers des entreprises, des mesures qui favoriseront l’investissement et qui inciteront les entreprises à rester en France. Les Français sont, lorsqu’ils sont chefs d’entreprise, tout aussi patriotes que les Anglais peuvent aimer entretenir leur singularité.
Q - Vous faites absolument confiance aux entreprises françaises...
R - Bien sûr !
Q - Vous ne croyez pas qu’il y a une compétition fiscale, au sein même de l’Europe ?
R - Nous leurs faisons confiance parce qu’il y a dans les mesures que nous allons prendre, concernant notamment l’impôt sur les sociétés, des mesures qui favoriseront l’investissement et l’innovation. Ce sont ces mesures qui permettront aussi d’accompagner la croissance.
Q - Le G20 est réuni à Los Cabos et, ce n’est une surprise pour personne, c’est l’Europe qui est sur la sellette. Est-ce que vous comprenez que les atermoiements de l’Europe puissent fatiguer et agacer nos partenaires du G20 ?
R - Je crois qu’il y a une responsabilité collective dans la crise. La crise n’est pas née simplement en Europe. L’Europe la subit. Elle a une responsabilité face à la crise, mais elle n’est pas la seule à devoir rendre des comptes, et vous savez que nous avons préconisé, pendant la campagne présidentielle, la réorientation de la politique de l’Union européenne vers la croissance.
Q - Oui, mais ça traîne.
R - Nous avons depuis longtemps indiqué qu’il y avait urgence à prendre des mesures et, comme vous le savez, nous travaillons à la réorientation de la politique de l’Union européenne vers la croissance. Nous fondons des espoirs pour que dans les jours qui viennent, à l’occasion de la réunion qui se tiendra à Rome après demain, et à l’occasion du sommet de la semaine prochaine, nous puissions prendre en urgence des mesures qui fassent de la croissance concrète.
Q - À Rome, des mesures précises seront annoncées ?
R - Nous travaillons à ces mesures, nous ne sommes pas seuls. Vous connaissez la volonté du président de la République de réorienter, de façon très volontariste, l’Europe vers la croissance, à travers des propositions très concrètes - dont on pourra d’ailleurs peut-être reparler -, qui témoignent du fait qu’une autre politique est possible. Mais, bien entendu, nous devons compter avec nos partenaires. Nous devons construire des compromis parce que l’Europe s’est toujours construite de façon itérative.
Q - En fin de semaine dernière, on a entendu Angela Merkel parler de médiocrité. Depuis, François Hollande et Angela Merkel se sont-ils parlé au téléphone ?
R - François Hollande et Angela Merkel se parlent régulièrement. Vous avez remarqué que François Hollande a rendu sa première visite à la chancelière allemande le jour de son investiture. Il y a un dialogue régulier entre la France et l’Allemagne. Moi-même d’ailleurs, dès que j’ai été nommé ministre des Affaires européennes, mon premier voyage a été pour Berlin, et je pense...
Q - On a surtout remarqué que François Hollande a reçu les représentants du SPD…
R - Je vais vous dire quelques mots sur la relation franco-allemande sur laquelle vous m’interrogez, parce que c’est un sujet important. Si l’on veut construire une nouvelle politique pour l’Europe, si l’on veut réorienter l’Europe sur le chemin de la croissance, il faut que l’on soit capable de se dire les choses. Il existe des divergences entre la France et l’Allemagne, il n’est absolument pas anormal que ces divergences s’expriment et qu’elles s’expriment clairement. Je pense que l’on ne bâtit aucun compromis si l’on n’est pas capable d’adosser des précisions à un discours clairement tenu, sinon on construit les compromis sur du sable. Le fait que la France et l’Allemagne, qui peuvent avoir des divergences sur un certain nombre de sujets mais qui ont aussi des convergences sur un certain nombre de questions, se parlent très franchement n’est quand même pas fondamentalement anormal et doit être dédramatisé.
Q - On va entrer dans le détail, si vous le voulez bien. Est-ce que vous confirmez que le pacte de croissance, que proposera François Hollande est de 120 milliards ?
R - Il y a un ensemble de mesures dans ce pacte de croissance. Il y a des mesures qui concernent tout d’abord la volonté d’engager l’Europe sur le chemin des investissements. Il faut que l’Europe prenne des décisions concrètes, cela veut dire...
Q - Est-ce que c’est un pacte de 120 milliards ?
R - Je vais d’ailleurs vous détailler ce chiffre qui a une cohérence. Il y a 55 milliards d’euros de fonds structurels qui pourraient être réaffectés vers des grands projets européens, susceptibles de faire de la croissance. La croissance verte, les réseaux de transport, les infrastructures utiles à la croissance, y compris d’ailleurs dans les pays dits de la cohésion. Il y a la volonté de recapitaliser la banque européenne d’investissements, ce qui permettrait d’investir 60 milliards d’euros sur ces projets et il y a des «projects bonds» qui permettent de faire 5 milliards. Donc, quand on fait le total des potentialités qu’offre l’Union européenne, si on s’engage de façon volontariste dans la rénovation de ces outils, cela fait 120 milliards.
Q - Cela fait 120 milliards, mais est-ce qu’il y a consensus sur ce projet-là ? Est-ce que ce texte-là a été validé par les Allemands ? On a eu le sentiment que François Hollande lâchait sur la question les euro-obligations, en renvoyant le projet à plus tard. Est-ce que sur ce point-là, vous confirmez l’information ?
R - Je vais répondre très précisément à votre question. D’abord, pour ce qui concerne les investissements dont on parle là, il s’agit d’un élément d’un plan global, puisqu’il y a aussi dans la stratégie qui est la nôtre, qui est d’ailleurs discutée avec nos partenaires, des mesures sur l’Union bancaire, sur la stabilisation des marchés financiers, sur la nécessité de garantir les dépôts, de permettre la recapitalisation des banques. Ce sont toutes ces mesures qui feront la croissance, ce ne sont pas simplement des investissements.
Q - Est-ce qu’il y a consensus ?
R - Pour ce qui concerne les sujets dont on parle là, il y a consensus sur un certain nombre de questions : recapitalisation de la BEI ; sur les «projects bonds» ; il y a un intérêt des Allemands sur la taxe sur les transactions financières - Mme Merkel s’est positionnée ; le sujet essentiel porte sur la mutualisation de la dette, les euro-obligations...
Q - Et vous confirmez que le sujet est renvoyé à plus tard ?
R - Là, il y a un débat, effectivement, qui se poursuit.
Q - Vous confirmez que sur ce sujet-là ce ne sera pas un point de blocage ?
R - Non, je n’ai pas, ici, à faire le relevé de conclusion de la réunion du 28 et 29 juin prochain, qui n’a pas encore eu lieu.
Q - Ce n’est pas ce que je vous demande, je vous pose une question sur la position de la France : aurait-elle évolué sur ce sujet-là ?
R - Non, la position de la France n’a pas évolué. Nous continuons à nous battre sur ce sujet et nous continuons à discuter avec nos partenaires sur cette question parce que c’est un outil très important dont l’Europe a besoin. Il n’y a aucune raison qu’on y renonce, alors que la discussion est encore en cours.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2012