Conférence de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, notamment sur la position de l'Union européenne concernant la situation en Syrie, à Luxembourg le 25 juin 2012.

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Circonstance : Conseil affaires étrangères, à Luxembourg le 25 juin 2012

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, deux questions si vous le permettez. La première : il y aura cet après-midi une réunion entre les pays du Golfe et l’UE pour examiner la situation en Syrie ; qu’est-ce qui serait envisageable après cette réunion ? Deuxième 2ème question : certains pays du Golfe craignent beaucoup l’Iran ; comment l’UE et ces pays du Golfe vont traiter aussi le cas de l’Iran ?
R - Nous avons examiné ce matin la question de la Syrie, c’est même le principal point qui était à l’ordre du jour. J’ai noté dans la condamnation du régime syrien une unité de tous mes collègues. Cette condamnation est extrêmement ferme comme en témoigne le texte qui a été adopté et, que vous verrez dans quelques instants. Nous avons également décidé d’adopter des nouvelles sanctions.
Pour ma part, je suis intervenu pour dire que j’étais satisfait que ces nouvelles sanctions soient adoptées mais que je souhaiterais que l’on aille plus loin. Et nous irons plus loin, je l’espère, soit dans une réunion ultérieure, soit dès la réunion du «groupe des amis» du peuple syrien qui aura lieu le 06 juillet à Paris.
Cette discussion sur la Syrie a permis aussi évidemment d’aborder l’ensemble de la situation. J’ai évoqué devant mes collègues ce qui s’est passé à Genève samedi, puisqu’il y avait une réunion éventuellement préparatoire au groupe de contact de samedi prochain.
Comme j’avais eu l’occasion de m’entretenir avec Kofi Annan et Hillary Clinton au téléphone, et comme nous même, nous avons un représentant dans ce groupe, j’ai pu informer mes collègues de ce qui se passait. Une proposition faite par Kofi Annan samedi a été soumise «ad referendum», comme on dit, aux différents participants ; la réponse devant être apportée mardi. Nous saurons donc mardi s’il peut y avoir ou non une réunion samedi prochain, qui à ce moment-là se tiendrait au niveau ministériel.
Nous avons aussi abordé, bien sûr, le fait que les Syriens avaient abattu un avion turc. Ce geste est totalement inacceptable. La France le condamne, dans la mesure notamment où cet avion, d’après ce qui nous est indiqué, était sans arme et, que d’autre part, il n’y a eu aucun avertissement préalable. Il y aura demain une réunion du Conseil de l’OTAN pour répondre à cet acte, mais nous avons, nous Européens, condamné de la façon la plus nette une action qui est évidemment inacceptable.
Nous avons aussi abordé, en parlant de la Syrie, la réunion du groupe des amis du peuple syrien qui aura lieu, je vous l’indiquais, à Paris, le 06 juillet, et qui va rassembler plus de 100 pays. Elle sera l’occasion d’affirmer à la fois notre soutien à l’opposition et, en même temps, de préciser la transition telle que nous l’envisageons puisque le régime de Bachar el-Assad doit tomber. Il faut évidemment examiner dans quelles conditions la transition politique peut avoir lieu.
S’agissant de votre question, Monsieur, il y a effectivement dans quelques dizaines de minutes un contact avec les pays du Golfe à propos de la Syrie. Ce qui a été souligné par les différents intervenants, c’est que, d’une part, nous avons échangé nos informations, nos analyses et nous avons souhaité de la façon la plus ferme que ces pays appliquent également des sanctions. Certains le font, pas tous, mais il est important, lorsqu’on prend des sanctions, qu’elles soient appliquées de façon générale et uniforme, et tout particulièrement dans les États qui sont directement géographiquement proches. Ce sera donc un aspect qui sera abordé.
En ce qui concerne l’Iran, un des points qui a été abordé, c’est la question de savoir si, dans cet éventuel groupe de contact, l’Iran devait être présent ou pas. Certains pays envisagent cette hypothèse ; telle n’est pas la position de la France. Pourquoi ? Parce que vous savez sans doute que nous avons en ce moment des discussions sur le nucléaire militaire avec l’Iran, et nous avons beaucoup de mal à faire avancer cette discussion. Nous avons fait des propositions concrètes pour que l’Iran fasse un certain nombre de concessions. L’Iran refuse pour le moment de répondre mais propose en revanche - au lieu de répondre à nos propositions -, que l’on parle de la question syrienne. Au fond, notre analyse est que si nous disions que dans ce groupe de contact il faut qu’il y ait l’Iran, c’est l’occasion pour l’Iran de ne pas répondre aux demandes justifiées que nous lui faisons sur le plan nucléaire. De toutes les façons, les pays géographiquement voisins peuvent être associés d’une façon ou d’une autre à la réflexion, mais cela ne peut pas être, à notre avis, directement dans le groupe de contact.
Voilà deux points sur lesquels je voulais vous donner une indication. Il existe une approche très convergente des différents membres de l’UE sur la Syrie, nos vues convergent dans le sens d’un renforcement des sanctions, d’une condamnation de l’attitude du régime, d’une condamnation de l’attaque contre un avion turc et, évidemment, notre objectif essentiel étant l’arrêt de la répression et des massacres abominables perpétrés par le régime.
Q - Sur la Syrie, vous disiez qu’il faut renforcer les sanctions. Concrètement, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour les renforcer ? Deuxième question, si vous le permettez, sur l’OTAN : qu’est-ce que peut faire l’OTAN face à la Syrie ? Est-ce qu’il y a la possibilité d’une intervention de l’OTAN ?
R - On vous communiquera la liste des sanctions supplémentaires qui ont été décidées. Elles concernent en particulier les organismes bancaires et des organismes de télécommunication. Il y a au moins deux domaines dans lesquels la France pense que nous pourrions aller plus loin. D’une part, une compagnie qui assure les transmissions, les communications et les télécommunications qui, d’après ce que nous pouvons savoir, est en relation avec la société ERICSSON, et donc nous pensons qu’il serait opportun, puisqu’en plus, cette compagnie est utilisée pour écouter toute une série de personnes, qu’elle fasse l’objet de sanctions. De la même façon, nous pensons qu’il faudrait interrompre la fourniture par la Syrie de phosphates. Cela pose un problème économique que l’on peut comprendre, puisqu’il y a une unité grecque qui utilise ces phosphates, mais j’ai plaidé avec beaucoup d’autres collègues sur le fait que si nous voulons que les sanctions soient efficaces. Il faut s’attaquer - j’allais dire au portefeuille - à l’économie. Cela a parfois des conséquences négatives sur certains de nos pays mais il faut savoir ce que l’on veut. Ou bien on a des sanctions efficaces et larges, ou bien on ne le fait pas. Voilà deux exemples parmi d’autres. Voilà, c’était votre question, il y avait une autre question…
Q - Sur l’OTAN, quelle implication, quel rôle pour l’OTAN …
R - Demain, c’est dans le cadre de l’article 4 du Traité de l’OTAN que la question sera rapportée devant le Conseil. La condamnation sera certainement unanime. Maintenant, vous avez vu que les Turcs eux-mêmes réagissent d’une façon à la fois nette mais en même temps très maitrisée. Je pense que ce sera la même chose du point de vue de l’OTAN.
Q - Sur la Syrie : l’Europe a instauré un embargo sur les armes qui n’est pas facile à faire applique ; est-ce que l’on peut aller plus loin que juste proclamer l’embargo sur les armes, donc le faire appliquer ? Est-ce que tous les Européens sont d’accord pour lancer un appel à la désobéissance des militaires, comme vous l’avez fait ?
R - Oui, sur le deuxième point, il n’y a pas de contestation parmi les Européens. Je crois que les uns et les autres sont tout à fait sur la ligne de l’appel à la défection vis-à-vis du régime de Damas, en tous cas, la France soutient cette position. Il y a eu déjà des défections et d’après les télégrammes que j’ai reçus, je crois qu’il y a même des défections qui viennent d’intervenir, en direction de la Turquie. A mon sens, cela montre l’état dans lequel est le régime et il faut encourager ce genre de choses. De ce point de vue, la réunion du 6 juillet à Paris, en réaffirmant la force de nos positions, notre soutien à l’opposition et la nécessité de la mise en place d’une transition politique va dans le même sens bien sûr.
L’autre point porte sur les armes. Ce n’est pas simplement d’ailleurs au niveau européen, c’est à un niveau beaucoup plus large que les choses doivent être faites. Notre objectif c’est que le régime arrête les massacres et cela nous met naturellement en désaccord avec ceux qui fournissent de l’armement au régime au cours de ces derniers jours. Cela concerne en particulier la Russie puisqu’on a été informé d’un bateau qui était sous un autre pavillon puis qui finalement est passé sous un pavillon directement russe. Il y a une discussion pour savoir si ce sont des armes anciennes qui ont été réparées ou des armes nouvelles mais, de toutes les manières, ce sont des armes - et d’autres éléments vont dans le même sens. Vous avez vu que, dans le plan de Kofi Annan, que nous continuons de soutenir mais auquel il faudrait donner une force plus grande, qui est celle du chapitre VII, il y a évidemment l’arrêt des combats et cela a comme corrélat qu’il n’y ait pas de livraison d’armes.
Q - Pourquoi l’opposition syrienne n’est elle pas invitée officiellement aux sommets et aux réunions du Conseil Affaires étrangères ?
R - Je ne le sais pas. En tous cas le responsable de l’opposition politique syrienne est invité et sera présent à la réunion du groupe des amis de Paris.
Q - Que pensez-vous à Paris de l’accession d’un membre des Frères musulmans à la tête de l’Égypte ?
R - Le peuple égyptien a voté, les résultats ont été proclamés. Nous sommes prêts à travailler avec le nouveau président égyptien, dans le respect des droits démocratiques des Égyptiens et dans le respect des engagements internationaux de l’Égypte. Voilà où nous en sommes. Alors, évidemment, chacun verra dans les jours qui viennent les décisions qui seront prises mais voilà en ce qui concerne la France comment nous accueillons cette importante élection.
Je voudrais ajouter - il ne nous reste pas beaucoup de temps - que le deuxième point sur lequel personnellement j’interviendrai, c’est la question du Sahel. J’ai demandé que cette question soit spécialement inscrite parce que je veux attirer l’attention sur la situation, très sérieuse et même grave qui existe dans cette partie du continent au africain. À partir de ce qui se passe au Mali - que vous connaissez - le fait qu’il a été porté atteinte à l’intégrité du Mali, que le président du Mali a été attaqué, c’était une tentative d’assassinat, lui même est à Paris, il a été attaqué avec un marteau et il y a une junte militaire qui continue indirectement à être très active, dans la partie nord vous avez un certain nombre de populations et sont arrivés des terroristes, qui sont des responsables d’AQMI qui, en particulier prennent comme ennemi la France, ils ont des armes, ils ont de l’argent, ils veulent appliquer la Charia, ils prennent appui sur une série de villes et peu à peu cela peut s’étendre à d’autres territoires voisins, on peut penser au Niger, on peut penser à la Mauritanie, on peut penser à d’autres territoires puisque ce sont des structures extrêmement fragiles.
C’est une situation très sérieuse et très grave, les Africains à la fois CEDEAO et Union africaine ont commencé fortement à s’en occuper et ils ont raison, l’Europe doit s’en occuper et les Nations unies également, et donc nous, les Français nous sommes en soutien d’un plan d’ensemble en liaison avec les autorités légitimes du pays pour, d’abord, rétablir l’ordre constitutionnel au Mali, la sécurité, d’abord au sud, puis au nord, l’intégrité et faire agir non seulement les Nations unies - il y a à la fois un aspect de sécurité et de développement - et faire agir aussi l’Europe, qui est très présente dans l’ensemble du continent africain. Mais je veux - je vais le faire dans un instant - sensibiliser mes collègues parce que c’est un conflit dont on parle moins que d’autres conflits mais qui peut dégénérer de façon grave et même très grave, et ceci à quelques centaines de kilomètres de chez nous.
Q - Sur les sanctions et leur impact alors qu’il y a 100 morts par jour en Syrie ?
R - Ce n’est pas suffisant, vous avez tout à fait raison, mais c’est nécessaire, mais il ne faut pas uniquement faire cela. Il faut, également en parallèle, mettre en œuvre une politique de pression très ferme tout en préparant la transition politique : faire en sorte que ce régime tombe - je suis clair - et qu’un autre régime politique puisse prendre le dessus. Cela nécessite, compte tenu de ce que sont les règles internationales puisqu’il faut une intervention, en tous cas une autorisation des Nations unies pour toute une série de décisions, que nous soyons capables de réunir l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité. Cela rend nécessaire la mise en place d’un dialogue avec les Russes et les Chinois. Pour le moment, ce dialogue n’a pas débouché positivement, donc il faut à la fois des pressions extrêmement fermes, une condamnation très dure et en même temps des discussions pour permettre que les Nations unies donnent leur feu vert. Par ailleurs, il faut travailler avec l’opposition, celle de l’intérieur et celle de l’extérieur qui doit se rassembler pour permettre de préparer la transition.
Ce sont les différents axes sur lesquels nous travaillons et nous avons en face de nous un régime que j’ai qualifié de façon très sévère mais qui le mérite, c’est-à-dire des assassins et des prébendiers, qui est arrimé à son pouvoir, qui ne veut rien entendre mais au contraire - l’un d’entre vous citait des chiffres - tue 100 personnes par jour, des enfants, des femmes, et qui, ce qui est un souci supplémentaire, peut porter le conflit dans des pays voisins, on pense au Liban ou à d’autres. C’est une situation gravissime et la France, comme l’Union européenne mais la France en particulier, est extrêmement mobilisée dans cette direction et c’est le sens de la réunion forte et attendue qui aura lieu le 06 juillet à Paris.
Q - Une opération militaire est toujours exclue, y compris une «no fly zone» zone d’exclusion aérienne, c’est bien cela ?
R - Je vais vous répondre de façon indirecte. Nous nous situons dans le cadre de décisions des Nations unies. Les Nations unies peuvent prendre toute une série de décisions et vous avez cité par exemple un établissement d’une «no fly zone», mais c’est dans ce cadre que nous nous situons. Je voudrais ajouter, en vous priant de m’excuser, qu’au cours de la journée sera abordée la question iranienne. On en a un petit peu parlé mais évidemment c’est une question très large, mais aussi d’autres sujets importants pour l’UE mais, pour ma part j’ai voulu insister sur la question syrienne, la question du Sahel, la question iranienne et puis rapidement la question égyptienne. Je voudrais terminer en réaffirmant le soutien total de la France au très courageux peuple syrien.
Merci, à bientôt.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2012