Texte intégral
Entretien avec "An Nahar" :
Q - Monsieur le Ministre, voici un exemplaire de votre ouvrage "Les cartes de la France à l'heure de la mondialisation" qui vient d'être traduit en arabe par la société d'édition libanaise "Dar An Nahar". Quelle est votre réaction ?
R - Je suis très content que ce livre soit traduit en arabe, j'ai regretté que le livre sur François Mitterrand ne le soit pas, mais il était tellement gros que je crois que les frais de traduction auraient été insurmontables ! Et de plus, je suis très content que ce soit au Liban et cela me fait très plaisir. Je fais cela parce qu'il me semble qu'à l'époque actuelle, lorsque l'on mène une politique étrangère, il faut faire un travail absolument constant pour expliquer ce que l'on fait et pourquoi, car nous sommes dans un monde plus compliqué qu'avant en réalité. Je ne fais pas ce travail seulement par rapport à l'opinion française, je pense que je dois le faire d'une façon plus large et avoir accès à ceux que cela peut intéresser dans le public arabe. C'est une vraie joie ce matin.
Q - Avez-vous le sentiment d'avoir été plus marqué plus par votre guide "spirituel" à savoir M. Mitterrand ou par votre "maître à penser", M. Kissinger, si je peux m'exprimer ainsi ?
R - Ah ! Eh bien je ne sais pas si vous le pouvez justement, car l'expression "guide spirituel" n'est pas appropriée même entre guillemets et "maître à penser" pour Kissinger ne l'est pas non plus. Ce n'est pas parce que j'ai une forme d'esprit lucide, ce n'est pas parce que je souligne souvent les dangers des politiques irréalistes que je suis automatiquement un "real-politicien" au sens ancien et péjoratif de ce terme. Cela ne veut pas dire que je suis automatiquement un "kissingerien", il y a de nombreuses façons d'être réaliste et sur ce qu'a fait M. Kissinger, il y aurait beaucoup à dire. Je suis bien évidemment marqué par Mitterrand, il a marqué la vie de mon père, la mienne, j'ai travaillé 21 ans avec lui dont 14 ans à l'Elysée. C'est évidemment une marque indélébile. Mais, ce n'est pas un guide spirituel car cela donne vraiment l'impression d'une sorte d'engagement aveugle dans une secte et il ne s'agit évidemment pas de cela.
J'ai ma culture, très française, je suis passionné par les relations internationales depuis toujours, je pense qu'il faut trouver le bon équilibre entre l'héritage du passé et les nécessités d'aujourd'hui, je pense que le réalisme et la lucidité sont plutôt une qualité qu'autre chose. Plus on est ambitieux, plus on doit être lucide. Beaucoup de gens pensent que pour avoir de grandes ambitions, il faut être chimérique et faire rêver les peuples en "leur racontant n'importe quoi", ce n'est pas mon avis. Je pense que là, il y a un bon mélange entre réalisme, lucidité, ambition et j'espère réalisation. Là dedans, il y a du mitterrandisme, mais il y a aussi d'autres choses.
Q - Lorsque l'on est adepte du réalisme diplomatique, n'est-on pas enclin à négliger un peu la notion de justice, ce qui entraîne une justification du statu quo ?
R - Je fais souvent remarquer que, précisément, l'irréalisme ne règle aucun de ces problèmes et dire que l'on est trop réaliste, cela donne l'impression que l'on se résigne trop facilement à certaines choses qui ne sont pas acceptables. Je pense qu'il faut être réaliste pour changer les choses, de même qu'un chirurgien, s'il veut être efficace, doit connaître l'anatomie. Il est réaliste dans sa connaissance de la réalité anatomique, il va changer parce qu'il connaît cette réalité. Le réalisme n'est pas la soumission et il n'y a pas plus de chance de laisser perdurer l'injustice en étant réaliste qu'en étant irréaliste. Il faut donc surmonter ces oppositions apparentes qui sont un peu abstraites et théoriques. Lorsque vous menez une politique étrangère, vous voyez bien que les choses sont en réalité plus complexes. Aller vers une plus grande justice, c'est de toute façon régler les problèmes qui sont à la source des injustices. Vous ne pouvez pas les régler si vous ne partez pas d'une connaissance de la réalité des choses. Vous voyez donc que cela ne s'oppose nullement.
Q - Pouvez-vous donc concilier rapport de force et justice dans la résolution de crises ? Il y a quelques années, vous avez lancé un slogan "il faut civiliser la mondialisation". C'était la première fois et comment l'appliquez-vous maintenant ?
R - Je pense que la mondialisation comporte des opportunités positives et de vrais risques, des menaces ; elle a une dimension brutale, potentiellement injuste et déstructurante. En général, on dit qu'il faut réguler la mondialisation, c'est un concept un peu technocratique même si cela veut dire quelque chose de sérieux. Il y a toute une série d'organismes qui doivent introduire des règles. Il est très important de savoir dans le monde global qui fait les règles. Comme j'ai trouvé que ce terme était un peu sec, j'ai introduit le terme "civilisation" dans la mesure où je pense qu'il faut que la mondialisation comporte un vrai progrès pour les êtres humains dans leur unité. Cette dimension doit être prise en compte. Ce qui nous amène à un autre problème : ce sont plutôt des gouvernements démocratiques, qui sont les mieux placés pour ce faire et certains pays ne sont pas encore une vraie démocratie. Comment les aider à parvenir un niveau démocratique, sans que ce soit une sorte d'intervention occidentale maladroite qui n'obtient pas le résultat désiré mais une réaction inverse ? C'est tout le problème de notre politique. Il y a quelques temps, dans "Le Monde", j'ai fait un article pour essayer de montrer comment il fallait surmonter cette contradiction.
Lorsque l'on pense mondialisation, il faut des règles, il faut aller vers une amélioration pour l'humanité, sinon, rien n'a de sens, c'est ce que l'appelle la civilisation de la mondialisation. S'y ajoute un problème de démocratie: qui décide quoi dans la mondialisation ?
Q - Contrairement au café soluble, la démocratie n'est pas instantanée, c'est ce que vous dites dans votre livre. Pourquoi dites-vous cela ?
R - L'analyse théorique montre que les démocraties se sont toutes construites par étape, y compris les nôtres. Ceux qui parlent depuis le haut des démocraties qui se sont élaborées au fil des siècles et qui parlent avec conscience de leur rôle oublient souvent que tout cela est passé par des étapes très longues. Moi qui souhaite ardemment que tous les peuples du monde puissent bénéficier de la démocratie parce que c'est une aspiration universelle, je crois que si l'on veut être efficace, utile, il ne faut pas asséner des exigences démocratiques depuis nos trois siècles de turbulences, progrès, reculs, révolutions, répressions etc... Il faut essayer de comprendre quelle est la situation de chaque peuple à un moment donné, voir ce que j'appelle son potentiel démocratique et traiter ce mouvement comme étant un processus, en distinguant les pays dans lesquels on va restaurer la démocratie qui a existé avant et qui a disparu à cause d'une dictature, c'est un problème et un autre problème qui est celui des démocraties émergeantes. Je voudrais que les pays occidentaux se montrent plus fraternels dans leur approche de la démocratisation des régimes ou des pays qui ne sont pas encore vraiment démocratiques. Il faut les aider à rassembler les conditions qui vont leur permettre de franchir une étape, puis une autre et de la consolider. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a un lien avec le progrès économique et social, le progrès démocratique et politique.
Q - Pour passer de la théorie à la pratique, quelle est votre analyse géopolitique actuelle des rapports de forces au Proche-Orient et au Moyen-Orient ?
R - Au Proche-Orient, si l'on raisonne en terme de rapports de forces classiques, il y a une supériorité militaire israélienne qui est évidente. Concernant le Moyen-Orient c'est plus compliqué car il est très difficile d'évaluer la situation réelle de l'Iraq d'aujourd'hui, après des années d'embargo, et des efforts pour contourner l'embargo, y compris dans des programmes prohibés, ce dont personne n'est tout à fait sûr en fait.
Concernant l'Iran, c'est évidemment un pays dont la puissance se développe et qui a des aspirations régionales.
Au Proche-Orient, il y a cette supériorité, cette force militaire israélienne qui est incontestable, mais si on raisonne toujours en termes de rapports de forces, cette supériorité militaire israélienne ne donne pas forcément une supériorité politique, cela permet de refuser toute solution dont Israël ne veut pas, cela ne permet pas d'imposer sa propre solution et on le voit bien à travers l'action palestinienne qui est extraordinairement forte, quelle que soit cette supériorité. Ce n'est donc pas tout. Les rapports de forces ne doivent pas être à l'ancienne : on ne comptera pas simplement le nombre de chars, ou d'avions. Il y a aussi dans ce rapport de force, le rapport de force politique, celui entre les opinions publiques, et également les réactions internationales. C'est tout un ensemble. Le réalisme lui-même doit être moderne et complet.
Q - Y a-t-il un danger de guerre généralisée au Proche-Orient d'après vous ?
R - Je ne pense pas qu'il y ait un danger de guerre généralisée parce que la guerre, ce sont les Etats, les armées, et aucun gouvernement ne le souhaite, ne le veut ni ne l'envisage, même pas le gouvernement israélien et aucun gouvernement arabe. Il n'y a donc pas un danger classique de ce type. Par contre, il y a un vrai risque d'aggravation et de pourrissement concernant les relations israélo-palestiniennes, israélo-syro-libanaises. Là, il y a un vrai risque et cela veut dire que l'on pourrait connaître des épisodes qui soient encore plus tragiques que ceux que nous avons connu depuis l'automne dernier et, cela, c'est un vrai risque. J'ai même eu l'occasion de dire ces derniers jours qu'il me semblait que la situation au Proche-Orient n'avait jamais été aussi mauvaise depuis 10 ou 15 ans. Mais, je ne pensais pas à une guerre classique, je ne pensais pas du tout à une réédition des guerres israélo-arabes. Je pense à une aggravation supplémentaire de la situation, notamment dans les Territoires palestiniens avec tout ce que cela entraîne.
Q - Vous avez dit que la région était comme "sur un volcan" ?
R - Je ne pensais pas à un schéma de guerre classique. Je parle de l'engrenage, de la situation intolérable dans les Territoires occupés, avec des réactions de violence, des attentats de différents types, répressions violentes etc... c'est à cela que je pense et c'est déjà suffisamment grave comme cela.
Q - Ne pensez-vous pas qu'il y a une connexion entre le problème du Proche-Orient et celui de l'Iraq, n'y aurait-il pas un système de vase communicant. Vous essayer toujours de séparer les deux problèmes. Mais sur le terrain le ministre koweïtien des Affaires étrangères qui était en visite à Paris et que vous avez vu, a déclaré au "Monde " qu'il fallait régler les deux problèmes presque sur le même plan. Qu'en dites-vous ?
R - Je ne peux pas dire qu'il n'y ait aucun lien, il y a un monde arabe, une opinion arabe avec des problèmes qui interagissent les uns sur les autres, c'est tout à fait vrai. Dans les opinions arabes, tout joue d'une certaine façon. Mais, si vous regardez les problèmes proprement dit, le lien n'est quand même pas total. Il n'est pas contraignant, il n'est pas mécanique. Le fait de savoir si nous arrivons, au sein du Conseil de sécurité à faire évoluer notre politique par rapport à l'Iraq dont nous pensons nous, Français, depuis au moins deux ou trois ans qu'elle doit vraiment changer, c'est une chose. Si nous n'y arrivons pas, c'est un facteur d'aggravation, d'antagonisme entre le monde arabe et les occidentaux, encore qu'il y ait aussi les Russes au Conseil de sécurité. Si nous arrivons à faire évoluer les choses, tant mieux, pour le traitement intelligent de la question iraquienne, cela ne règle pas le problème pour autant. Vous ne pouvez pas pousser l'idée du lien trop loin tout de même.
En sens inverse, imaginons qu'il y ait eu un accord, que les choses se soient passées autrement ces derniers mois, qu'entre Barak et Arafat, la dynamique de la négociation se soit vraiment enclenchée, qu'ils soient arrivés à un accord que je ne définis pas dans le détail, nous serions dans une situation fantastiquement différente au Proche-Orient, y compris sur les autres volets, même sur la question israélo-libanaise, ou israélo-syrienne, la question iraquienne serait toujours là. Il y a donc un lien, il y a une caisse de résonance globale, mais il n'y a pas de lien lorsque vous regardez les caractéristiques précises ces deux conflits et les modalités possibles pour les résoudre.
Q - En Israël, le chef du gouvernement d'union nationale a affirmé qu'il n'y aura pas de nouveau Sharon. Faut-il lui prolonger l'état de grâce ?
R - Il faut distinguer ce qu'il dit à l'usage de l'opinion israélienne et ce qu'il dit à l'usage des autres. Je ne crois pas qu'il y ait un état de grâce. Ce n'est pas cela, la situation actuelle pour M. Sharon, si c'est bien le sens de votre question, c'est que l'électorat israélien a voté en masse pour lui, parce qu'Israël s'est senti menacée à cause de ce qui a été provoqué à partir de la fin septembre, c'est-à-dire la nouvelle Intifada et notamment parce qu'il y a eu des signes de solidarité à l'intérieur d'Israël chez les arabes de Galilée. Cela a provoqué un ébranlement, une perte brutale de confiance par rapport à M. Barak même si c'est injuste parce que ce n'est pas lui qui a provoqué les incidents qui ont déclenché l'Intifada. Nous avons donc une réaction violente du corps électoral israélien. La plupart des déclarations de M. Sharon sont à analyser par rapport au mandat qu'il a reçu. Mais, il n'a pas un état de grâce, il a un soutien pour une politique purement sécuritaire, et pour le moment, purement répressive. C'est tout le problème.
Q - Un grand commentateur israélien dit que M. Sharon a fermé toutes les portes aux Palestiniens et aux Syriens. Partagez-vous cette analyse ?
R - Si on parle en terme de négociations politiques, oui. A l'heure actuelle, il est tout à fait impensable malheureusement, de relancer une négociation politique sur quelque problème que ce soit, il est clair que ce n'est pas possible à partir d'une déclaration disant que, l'Etat palestinien, s'il y en a un, devrait se contenter de 42 % de la Cisjordanie et de Gaza, qu'aucune colonie ne serait évacuée, ce n'est pas une base pour discuter. C'est en effet une porte fermée.
Du côté israélo-syrien, on peut résumer la situation en disant qu'il n'y a aucun signe, il ne s'est rien passé. Et du côté israélo-palestinien, avant même de revenir au stade où la négociation devra reprendre un jour, c'est inévitable, il y a la question de la situation sur le terrain et de ce qui peut être fait pour enrayer l'engrenage, essayer d'atténuer la tension et de rendre la situation moins intolérable dans les territoires occupés où les Palestiniens sont évidemment portés à l'explosion.
Q - L'incursion dans les zones "A" a constitué une sorte de franchissement d'une ligne rouge. Quelles sont, d'après vous, les lignes rouges à ne pas dépasser ?
R - Je crois d'abord que les Israéliens eux-mêmes, même avec ce gouvernement Sharon ont compris que c'était un franchissement, et ils sont sortis très vite des zones "A". Là-dessus, je crois qu'ils ont été impressionnés, pas uniquement par la déclaration de Colin Powell mais par la conjonction soudaine des positions européennes qui se sont durcies quand même, et on l'a vu dans le vote à Genève du texte présenté par les Suédois. Ils ont été impressionnés par la conjonction car ils se disaient que les Européens critiquent, mais les Américains ne sont pas sur le même plan. Brusquement, ils ont vu que Colin Powell était sur ce point particulier en tout cas, sur la même ligne que l'Europe. Cette conjonction les a inquiétés et ils sont donc ressortis aussi tôt, tout en disant qu'ils l'avaient prévu. Mais, on ne sait pas exactement.
Je ne peux pas répondre sur les lignes rouges car on ne peut pas traiter une situation aussi explosive par une approche théorique, un peu trop rationnelle. Ce que je peux dire, c'est que pour enrayer l'engrenage, on sait bien ce qu'il faut faire, cela revient à dire la même chose dans l'autre sens. Pour enrayer l'engrenage, il faudrait que, simultanément, les Israéliens s'engagent à arrêter vraiment la colonisation, y compris les prétendues extensions qui sont une poursuite du processus en réalité ; que les Israéliens annulent le blocus des territoires occupés. Il faudrait également que les Palestiniens s'engagent à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter le terrorisme aveugle et même pour arrêter la violence, faire preuve de retenue et que, de part et d'autre, il y ait des déclarations publiques qui marquent cette disponibilité.
Cela vous donne, avec une lecture à l'envers ce que doivent être les lignes rouges. On voit donc bien que s'il y avait des annonces simultanées de telles positions, les Israéliens et les Palestiniens pourraient recommencer à parler de la sécurité dans les territoires, ils pourraient recommencer à traiter des problèmes particuliers concernant la vie concrète des Palestiniens, la sécurité des Israéliens et peut-être, ensuite, reviendrait une approche plus politique. Tout ce qui ne va pas dans ce sens est mauvais.
Q - Vous pensez réellement Monsieur le Ministre que les deux parties peuvent se reparler pour parvenir à un début d'entente ?
R - L'armée israélienne ne peut pas venir à bout des palestiniens, des actions violentes palestiniennes ne peuvent pas venir à bout de l'armée israélienne, les uns et les autres seront toujours là. Un moment où à un autre, il faudra bien reprendre la discussion sur l'organisation la moins mauvaise possible de la coexistence entre l'Etat d'Israël et le futur Etat palestinien. Personne ne peut le faire à leur place, c'est pour cela que je distingue depuis toujours, le travail de soutien, d'encouragement, d'accompagnement, de garanties s'il le faut, et l'engagement historique. On a vu ces derniers mois que, même avec l'engagement du président des Etats-Unis, plus fort que ce que l'on n'avait jamais vu, dans une très grande cohérence avec l'Europe - la France notamment a joué un rôle tout à fait considérable dans tout ce travail qui va du mois de juillet au mois de décembre avec l'Egypte et quelques autres pays -, on a vu que tout cela ne permettait pas d'atteindre l'objectif et qu'il restait des blocages internes, internes au monde israélien, au monde palestinien. On ne peut donc pas opposer les deux. Ils ne peuvent pas y arriver seuls, mais nous ne pouvons pas y parvenir sans eux. Nous restons condamnés à essayer de trouver une combinaison.
Q - Pour sortir de la quadrature du cercle, êtes-vous favorable à l'organisation d'une conférence Madrid-2 ?
R - Peut-être un jour cela pourrait rendre service, mais aujourd'hui non. C'est tout à fait artificiel d'imaginer de plaquer sur cette situation une conférence internationale dans laquelle l'ensemble des participants soient obligés de constater ce que nous disons depuis le début. Je regrette d'avoir à le dire, mais c'est une illusion de penser que ce type de conférence réglerait les problèmes qui n'ont pas été réglés depuis des mois et qui se sont aggravés depuis. S'il suffisait de faire une conférence comme cela pour régler les problèmes, il y a longtemps que nous l'aurions fait.
Par contre, le jour où les processus auraient repris, où il y aurait une volonté partagée de remettre en marche un processus de solutions politiques, peut-être. Il ne faut pas écarter cette idée. Je n'arrive pas à croire que ce soit utile dans ce moment précis et que ce soit réaliste.
Q - Sinon, peut-être une autre idée utile avec le Groupe de contact ?
R - Vous voudriez que quelques pays, qui ont une influence particulière se réunissent. Oui, mais dans ce cas, il faut qu'il y ait la meilleure cohérence possible de la part des pays qui ont un rôle à jouer. On l'a vu ces derniers mois, le rôle américain est fondamental, un rôle français significatif, un rôle égyptien important, quelques autres. Je vous dirai que cela a déjà un peu existé de facto. Mais, de toute façon, si vous faites cela aujourd'hui, avec M. Sharon qui a déjà été élu pour rétablir la sécurité, s'il y a un Etat palestinien, il ne dépassera pas 42 % de la Cisjordanie et de Gaza, le groupe en question ne peut pas faire de miracle. Mais ce n'est pas une mauvaise idée sur le plan méthodologique.
Q - Il y a d'autres idées, vous savez nous vivons à une période où l'on fait des conférences pour traiter par exemple, de problèmes insolubles, Jérusalem, les réfugiés, l'eau, les frontières... Quand allez-vous remettre ces choses sur la table ?
R - Vous faites allusion à des idées qui ont toutes été exprimées dans un certain contexte, à certains moments de la négociation, on se dit que les choses ne marchent pas sur ce point, oublions-le pendant un certain temps, on avance sur un sujet plus facile, nous verrons ensuite. Il y a une dynamique dans la négociation. Lorsqu'il y a un climat de confiance comme celui qui a existé pendant quelques années avec des hauts et des bas dans le processus de paix, on pouvait se dire qu'il ne fallait pas hésiter à traiter les problèmes, même insolubles. Nous ne sommes plus du tout dans cette situation et toutes les idées, toutes les méthodes employées ces dernières années, j'espère bien qu'elles ne sont pas perdues définitivement. Il y a tellement de choses dites et inventées du côté arabe ou israélien, du côté européen ou américain que tout cela doit être préservé. Il faut que nous en soyons les dépositaires pour sauver ces éléments de la paix future en attendant qu'un contexte plus favorable se présente. On ne peut plaquer aucune d'entre elles aujourd'hui. Nous avons un monde palestinien placé dans une telle situation que je ne sais pas ce que Yasser Arafat peut vouloir vraiment en termes de solutions aujourd'hui. Et de toute façon, cette question n'a pas de sens si aucune solution n'est proposée. Aucune solution acceptable discutable n'est présentée aujourd'hui. Ce n'est donc pas le moment, aucune idée n'est perdue, elles sont toutes conservées en attendant le moment que j'espère le moins éloigné possible où elles pourraient être à nouveau utile.
Q - Le président Chirac l'autre jour a insisté auprès du président Bush sur la nécessité de la stabilité du Liban. Vraiment, y a-t-il un danger croissant d'instabilité et si c'est le cas, sous quelle forme ? Militaire ? Economique ? Ou financière ? Peut-être les trois ?
R - Lorsque le président Chirac s'est exprimé sur ce point, il pensait à la situation économique et financière du Liban. En tant que président de la France et ami du Liban, vu nos liens traditionnels, il fait tout ce qu'il peut pour sensibiliser tous les partenaires de la France à cette question libanaise. C'était sous cet angle qu'il en parlait.
Q - Quelle est la priorité de la politique française au Liban aujourd'hui ?
R - Plusieurs choses en même temps, nous voulons maintenir, à travers toutes les difficultés régionales ce lien très fort assez unique entre la France et le Liban. Aider ce pays à surmonter les problèmes économiques et financiers qui sont les siens aujourd'hui, nous faire l'interprète des aspirations légitimes du Liban pour quand reviendra le moment d'un règlement global. Ce n'est pas pour tout de suite, mais nous sommes là, nous ne l'oublierons pas, le Liban a des demandes à faire pour que le règlement ne se fasse en oubliant les intérêts libanais qui sont légitimes. Nous avons un autre objectif cette année qui est de réussir ensemble le sommet de la Francophonie, c'est un autre sujet qui reste très important.
Q - Oui, et allez-vous demander aux chefs d'Etat qui participeront au Sommet de la Francophonie de signer pour la Cour pénale internationale ?
R - Nous l'avons fait déjà.
Q - Oui, mais d'une façon solennelle devant les pays francophones ?
R - Concernant la Cour, nous avons encourager tous les pays qui ont des relations étroites avec nous, qui sont nos amis à signer, à ratifier pour ceux qui ne l'ont pas fait. Concernant le sommet de Beyrouth et la dimension politique qui est évidente, ainsi que la dimension culturelle dans la francophonie et nous espérons que nos amis libanais feront tout ce qu'ils peuvent les concernant pour que ce soit une belle fête de la francophonie et il y a une dimension dialogue et culture. Depuis quelques temps, on veut que la francophonie soit aussi un élément de diversité mondiale. Sur le plan démocratie et liberté, il est prévu à l'occasion de Beyrouth, que ce 9ème sommet adopte ce qui a été adopté à Bamako concernant les pratiques de démocratie, droits et liberté dans l'espace francophone. C'est un texte très important. C'est un grand sommet. Cela ne concerne pas seulement le Liban, mais il se trouve que cette année, lorsque vous me demandez quelles sont nos priorités pour le Liban, cela en fait partie.
Q - A l'annonce par les responsables israéliens de leur volonté de changer la règle du jeu, le chef de l'Etat M. Lahoud a menacé Israël il y a quelques jours de représailles qui viseraient le nord de l'Etat hébreu si les Israéliens persistaient à attaquer le Liban, ou les positions syriennes au Liban. Avez-vous un commentaire ?
R - Mon commentaire est que je ne souhaite aucune escalade d'aucune sorte.
Q - Pensez-vous qu'il y a un risque d'extension du conflit sur toute la ligne bleue ?
R - Je ne pense pas, sauf si certains veulent étendre le conflit, je ne sais dans quel but en fait. Lorsque l'on regarde les objectifs, il n'y a pas de raison. Il y a un contentieux qui reste, c'est celui des fermes de Chebaa. Mais il n'y a pas de raison pour qu'il y ait une extension, ce serait profondément illogique, si on considère les intérêts bien compris des pays. Il y a un problème qui n'est pas réglé qui est le problème israélo-syrien. Il est réel, il a été traité dans le passé, approché mais jamais conclu. Il est clair dans notre esprit que le problème du Proche-Orient ne sera véritablement réglé que lorsque tout sera réglé, y compris cela. Nous n'oublierons pas, à aucun moment, les intérêts du Liban. Chaque fois qu'il y a un accord qui peut avoir des répercussions sur le Liban, il sera considéré. Mais à partir de là, vraiment la situation devrait pouvoir être contenue telle qu'elle est, sans tension supplémentaire avec une sorte de gel de choses en attendant que l'on puisse régler le fond.
Q - Souhaitez-vous faire une répétition du mémorandum d'accord de 1996 pour les fermes de Chebaa, pour contenir les violences ?
R - Notre position est que, fondamentalement, nous partageons et appuyons la position du Secrétaire général des Nations unies. Tout cela relève de la résolution 242, cela ne remet pas en question normalement la certification de la ligne bleue. La délimitation définitive de la frontière doit être discutée entre Libanais et Syriens et faire l'objet à un moment ou un autre d'un accord transmis aux Nations unies. Aujourd'hui donc, l'essentiel est le respect de la ligne bleue et notre intention est plutôt de soutenir les efforts du secrétaire général.
Q - Donc une répétition d'une sorte de groupe de surveillance pour les fermes de Chebaa, cela peut être utile d'après vous ?
R - Je ne crois pas que cela nous ait été demandé.
Q - Non, c'est juste ma question.
R - Non, cela ne nous a pas été demandé et peut-être que les uns et les autres, ceux qui sont concernés, ne pensent pas que ce soit utile. On verra, si un officiel me le demande, je réfléchirai.
Q - Dernièrement M. Lahoud a dit qu'il y avait une proposition de maintenir une présence syrienne permanente au Liban en échange de la sécurité garantie par la Syrie et le Liban au Nord d'Israël. La France a-t-elle participé d'une façon ou d'une autre à la transmission de cette proposition ?
R - Non. Mais c'est un débat au Liban qui est légitime.
Q - Quelle est votre analyse et votre proposition ?
R - Nous ne voulons pas plaquer une proposition sur cette situation. Mais, nous avons observé le débat, il est intéressant, légitime, cela traduit à la fois la vitalité et les aspirations de la société libanaise. La France a toujours exprimé son attachement à la souveraineté et à l'indépendance du Liban, c'est un élément continu dans notre politique et la présence transitoire de troupes syriennes au Liban, c'est un problème qui concerne le Liban et la Syrie. Nous n'avons pas de propositions à proprement parlé.
Q - Le président de la République en 1998 et M. Jospin en 2000 ont parlé de cette question. Y a-t-il une seule lecture française officielle de cette question, un seul délai de redéploiement et du retrait de l'armée syrienne du Liban ?
R - Oui. Et ce que je viens de vous dire, c'est notre position.
Q - Cela veut dire après la paix.
R - Non, ce n'est pas à nous d'en décider, nous pourrions imaginer que les Libanais et les Syriens parlent de cette question ensemble, ce n'est pas à nous de conditionner les choses, de lier un calendrier à l'autre. On ne peut pas plaquer un calendrier de l'extérieur.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Point de presse de M. Védrine à l'issue de son entretien avec M. Emile Lahoud, président de la République libanaise le 27 avril :
Je suis heureux de me retrouver au Liban, à Beyrouth, chaque fois que j'y viens, chaque fois que j'ai l'occasion d'y venir, c'est un vrai plaisir car j'accorde beaucoup d'importance à la relation franco-libanaise, à l'amitié franco-libanaise que nous voulons poursuivre, renforcer, adapter aux époques nouvelles. Il y a toutes sortes de raisons d'être ici aujourd'hui, la première raison c'est la prochaine visite en France du président Lahoud, il y a d'autre part le Sommet de la Francophonie au mois d'octobre, qui est un autre événement très important, pour lequel nous travaillons ensemble et il y a évidemment la situation dans la région qui est tout à fait mauvaise, extrêmement décevante par rapport aux espérances que nous avions pu avoir l'an dernier, extrêmement préoccupante pour la suite car on voit bien que cette situation mauvaise peut encore s'aggraver, qu'il y a des engrenages, des dégradations qui sont à l'uvre et que pendant ce temps-là, tout ce qui concerne les relations israélo-libanaises, israélo-syriennes sont bloquées, alors que l'objectif de la France et de sa politique étrangère c'est de concourir autant qu'elle le peut à une solution juste, globale et durable qui devra un jour mettre un terme à tous ces affrontements, à tous ces conflits. C'est la toile de fond de l'activité de la diplomatie française dans la région, et c'est la raison pour laquelle périodiquement, régulièrement, nous tenons à ce contact étroit avec les autorités libanaises, voilà pourquoi je suis ici et dans la région.
Q - Avez-vous apporté des idées pour remédier à cette mauvaise situation ?
R - Tout le monde connaît la gravité de la situation. Tout le monde a pu assister l'an dernier à la conjugaison exceptionnelle d'efforts de la part des Etats-Unis (donc du président des Etats-Unis lui-même), de la part de quelques pays européens, et notamment la France, de la part de beaucoup de pays arabes, comme par exemple l'Egypte. L'an dernier, notamment à la fin de l'année, il y a eu plus d'efforts que jamais, mais ça n'a pas marché, la situation s'est dégradée pour des raisons que l'on connaît, la situation dans les territoires occupés en particulier, est véritablement insoutenable, insupportable. La priorité aujourd'hui est donc d'essayer d'arrêter l'engrenage. La priorité n'est même pas immédiatement de refaire une négociation politique, on voit bien qu'on n'en est pas là (). Tous les efforts visent à atteindre cet objectif, à rassembler toutes les volontés pour que des décisions soient précises, pour que des gestes soient faits simultanément du côté israélien et du côté palestinien, même si on ne peut pas comparer les deux parce que la situation n'est pas la même, mais pour qu'en tout cas tous ceux qui peuvent agir sur la situation arrêtent l'engrenage des violences, l'engrenage des attentats, l'engrenage de la répression. C'est la priorité numéro un. Après, bien sûr on verra comment nous pourrons encourager de l'extérieur - nous ne sommes pas un protagoniste direct -, la reprise d'une discussion. La reprise d'une discussion politique, c'est aussi un élément de sécurité et de stabilité, il n'y aura pas de vraie sécurité, il n'y aura pas d'espérance de stabilité s'il n'y a pas à nouveau un processus de recherche d'une solution politique. En plus, les événements sont bien connus, vous êtes des journalistes, vous suivez cela de très près, vous connaissez la gravité de la situation et je crois que vous connaissez nos efforts.
Q - Monsieur Védrine, est-ce que vous êtes toujours pour un déploiement de l'armée libanaise à la frontière libano-israélienne et si jamais ce déploiement n'a pas lieu, estimez-vous, comme l'a déclaré M. Larsen, que certains pays penseraient à annuler le rôle de la FINUL ?
R - Ces questions doivent d'abord être traitées dans le cadre du Conseil de sécurité. D'autre part, nous faisons confiance à tous les efforts du Secrétaire général des Nations unies. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité puisse ouvrir un débat sur l'avenir de cette question, sur les effectifs de la FINUL, la mission de son mandat en juillet prochain pour envisager une réduction progressive de ses effectifs. C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier la question de l'armée libanaise. A cet égard, en effet, nous avons exprimé un certain nombre de souhaits, j'ai entendu l'analyse du président Lahoud, qui m'explique pourquoi ce n'est pas possible dans les conditions actuelles parce que trop de problèmes restent dans l'incertitude, trop de problèmes, dont les délimitations exactes, ne sont pas tranchées. Nous souhaitons que ces problèmes puissent être réglés, clarifiés et que l'Etat libanais puisse exercer toutes ses prérogatives dans ce territoire. C'est l'objectif à atteindre. Mais il est vrai que cela suppose que tous les problèmes encore pendants soient finalement résolus. Je distingue donc l'objectif, qui est clair, et les modalités de mise en uvre. Nous avons espéré après le retrait d'Israël du Sud Liban que les choses allaient pouvoir se clarifier plus vite et plus complètement, mais on se heurte à toutes sortes de difficultés. Je crois qu'il ne faut pas exploiter les problèmes qui demeurent encore, mais je peux concevoir que toutes les conditions ne soient pas réunies à ce stade pour que l'armée libanaise exerce toute son autorité, on est entre les deux, c'est une situation insatisfaisante. Cela ne dépend pas de nous, la France, je le regrette un peu, mais je le constate.
Q - Monsieur Védrine, vous avez dit que vous aimez les politiques réalistes
R - Non, attendez, j'ai dit plusieurs fois que les politiques irréalistes n'obtiennent pas de résultats. C'est plutôt le contraire.
Q - Est-ce que vous trouvez que la politique du Hezbollah dans les fermes de Chébaa soit une politique réaliste ?
R - Je ne sais pas ce qu'est la politique du Hezbollah. Je ne sais pas si on peut parler de politique comme si on parlait d'un Etat ou d'un gouvernement. Sur ce sujet aussi, nous faisons confiance au Secrétaire général des Nations unies, qui a une tâche difficile, même s'il y a une contestation sur le statut de ces territoires auxquels vous faites allusion, je pense que ce n'est pas l'intérêt du Liban que qui que ce soit utilise ce problème qui reste non réglé pour augmenter encore la tension, qui est déjà forte dans toute la région. Qu'il y ait contestation, très bien, il faut l'admettre, il faudra qu'elle soit tranchée par des procédés qui peuvent être imaginés dans le cadre de l'action du Secrétaire général des Nations unies. Mes réponses sont toujours les mêmes, on cherche des solutions, on ne cherche pas à distribuer les bons et les mauvais points, on n'est pas juge des uns et des autres, ce n'est pas notre rôle, nous cherchons ce qui peut être utile, quand on est un pays non pas de la région, mais un pays ami.
Q - A propos des fermes de Chébaa, est-ce que vous avez apporté une solution juridique à ce problème ?
R - Non, c'est pas à moi d'apporter une solution juridique à ce problème. En ce qui concerne les questions de délimitation, tout ce que la France pourrait faire d'utile en apportant la contribution d'une connaissance topographique qu'elle a eue à une certaine époque, elle l'a fait. La France l'a fait au moment du retrait israélien du Sud Liban, nous avons donné à l'ONU et à nos amis libanais des informations complémentaires qui pouvaient nous être demandées, mais le Liban a ses propres archives. On a apporté des éléments utiles, mais ce n'est pas à la France d'imaginer une solution compte tenu des difficultés. Ce qui est sûr c'est que ce problème devra être réglé un jour. S'il n'a pas pu l'être dans la foulée du retrait israélien du Sud Liban, il le sera un jour dans un règlement plus complet, plus global, des relations israélo-syriennes et israélo-libanaises. Le plus tôt sera le mieux mais là aussi ça ne dépend pas de moi.
Q - Le Secrétaire général des Nations unies dit que le Liban doit attendre l'application de la résolution 242 pour régler la question de Chébaa, est-ce que vous êtes de cet avis ?
R - Nous soutenons le Secrétaire général, il exprime la pensée de l'organisation, des Etats membres, et en particulier la pensée des membres permanents du Conseil de sécurité. J'ai déjà répondu que si le problème avait pu être résolu aisément à la suite du retrait israélien du Sud Liban, cela aurait été une bonne chose. Puisque les choses se sont bloquées à ce moment-là, on ne va pas dire que le problème est insoluble, non, il faut noter que le problème n'est toujours pas réglé, je ne pense pas qu'il faille l'utiliser dans d'autres buts, et donc, le problème sera réglé dans un cadre plus large, quand on arrivera à un règlement global. Je pense que c'est ça ce que veut dire Kofi Annan quand il se réfère à la résolution.
Q - Vous allez rencontrer le Patriarche maronite ?
R - Non.
Q - La France a annoncé ces jours-ci qu'elle fait beaucoup de choses
R - Il y a en effet une action en ce moment et du président de la République et du gouvernement français pour aider le Liban à affronter ses problèmes économiques et financiers, une action qui est menée à travers différents contacts. J'aurai d'ailleurs l'occasion personnellement dans quelques jours de voir aussi M. Hariri en complément des contacts que j'ai aujourd'hui à Beyrouth, toujours dans le même esprit.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Déclaration de M. Védrine à l'issue de son entretien avec M. Nabih Berry, président de l'Assemblée nationale libanaise :
Mesdames et Messieurs, j'ai rencontré le président Berry comme je le fais chaque fois que je passe au Liban car pour moi, il est l'un des éléments importants de la réalité politique du Liban et je voulais entendre son analyse, à chaque fois, sur l'état de la région. Nous avons essentiellement parlé de ce contexte qui est déplorable, de la situation régionale, notamment de la situation israélo-palestinienne. Nous avons parlé de ce que la France fait avec ses partenaires de l'Union européenne pour arrêter l'engrenage, pour arrêter l'escalade, pour aboutir à ce que la tension baisse dans les territoires occupés, et pour que l'on puisse retrouver une approche politique.
Je lui ai fait part de ma conviction que l'on ne peut pas traiter des problèmes de sécurité séparément des questions politiques. Et pour que l'on puisse retrouver une situation acceptable, il faut absolument que la discussion reprenne entre Israéliens et Palestiniens pour rechercher une solution juste et durable. Quand je dis solution juste et durable, elle devra concerner naturellement les relations israélo-syriennes et israélo-libanaises. Et seule une perspective, une espérance de solution politique, permettra de renverser cette dégradation terrible à laquelle nous assistons depuis des semaines et qui pourrait encore s'aggraver d'ailleurs si on n'arrive pas à modifier le cours des choses. Voilà dans quel esprit la France travaille avec ses partenaires de la région, et c'est pourquoi je suis au Liban aujourd'hui.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Point de presse de M. Védrine à l'issue de son entretien avec M. Mahmoud Hammoud, ministre libanais des affaires étrangères :
Je suis venu au Liban parce que cette dimension franco-libanaise est un point très important de la politique étrangère de la France, ça l'est en permanence, et ça l'est en ce moment pour plusieurs raisons qui tiennent d'abord à la très grave situation dans la région. Ce n'est pas le moment de se décourager ni de baisser les bras, nous continuons à rechercher une paix qui devrait être globale, qui devrait être juste pour être durable. Cela reste le grand objectif de la politique française, naturellement la question est de savoir par où commencer, comment faire et là nous sommes dans le plus mauvais contexte possible. Avec l'aggravation de la situation israélo-palestinienne, la situation est véritablement intolérable dans les territoires occupés. Tel est le contexte. Pour des raisons évidentes tenant aux orientations suivies jusqu'à maintenant par le gouvernement de M. Sharon, les choses sont également gelées en ce qui concerne les relations israélo-syriennes, israélo-libanaises et là aussi il faudra bien, à un moment ou à un autre, reprendre la discussion politique, trouver une vraie solution. Le moment reviendra de la recherche d'une solution politique et d'ailleurs, il n'y pas de perspective de sécurité et de stabilité sans recherche d'une solution politique. La politique française vise à hâter ce moment, où cette approche raisonnable reprendra le dessus, sur des approches fondées uniquement sur la recherche de sécurité. Voilà ce dont nous parlons avec nos amis libanais. Voilà nos efforts communs.
Nous avons évidemment fait le point des relations bilatérales. La France est aux côtés du Liban et le soutient pour faire face à la situation économique actuelle qui est difficile. La France aide le Liban pour que, sur un plan plus large, international, on prenne conscience de cette situation. Il est important que le Liban puisse surmonter ses difficultés économiques parce qu'il n'y a pas de situation stable au Proche-Orient, s'il n'y a pas un Liban prospère, c'est un objectif très important. Et il faut que le Liban redevienne ce qu'il a été à un moment donné dans cette région. Il y parviendra un jour, c'est ma conviction ; mais les difficultés sont là. Nous sommes, nous, les Français en pointe pour faire en sorte que ces difficultés soient surmontées. Il y a le Sommet de la Francophonie en octobre, c'est un rendez-vous très important, sur le plan de la diversité culturelle et linguistique dans le monde, sur le plan du mouvement de la Francophonie, sur le plan de la langue, sur le plan de la démocratie. C'est très important et nous sommes très heureux de cette grande réunion qui se tiendra au Liban, dans ce pays qui est tellement proche de nous et qui est aussi ami. Il y a également la visite du président Lahoud en France qui se prépare activement. Tous ces rendez-vous sont tous préparés efficacement et calmement. Mais cela permet de dire qu'il n'y a pas que le contexte tragique et pesant du Proche-Orient. Il y a une relation franco-libanaise bien active.
Q - Comment la France va-t-elle aider le Liban contre les menaces israéliennes surtout de M. Sharon contre le Liban ? Et quel est votre commentaire vis-à-vis du raid israélien contre les positions syriennes au Liban ?
R - Le Quai d'Orsay a tout de suite réagi à ce raid israélien et aux actions israéliennes disproportionnées. Nous allons mobiliser tous les moyens pour arrêter l'engrenage, pour que l'on revienne à une solution politique. Tenter de régler tous ces problèmes de la région uniquement par une approche de supériorité militaire est une vision à courte vue. Il est évident qu'il faut une perspective politique pour que l'on puisse travailler à nouveau tous ensemble à la question de la sécurité. Nous aidons le Liban par notre action sur tous les plans.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pensez que la condamnation française en ce qui concerne la violation israélienne est suffisante pour le moment, et ensuite est-ce que vous appuyez le gouvernement libanais en ce qui concerne les fermes de Chébaa ?
R - D'abord, nous ne sommes pas des juges et nous ne cherchons pas à condamner ou à féliciter. Ce n'est pas l'objectif principal. L'objectif principal de la politique étrangère française, c'est d'être utile. Comme nous sommes en situation de crise et de blocage, nous cherchons à faire tout ce qui est utile pour que la France, les Européens et les Américains, qui doivent se réengager - ils ne peuvent pas rester sur une ligne de spectateur - pour que l'on sorte du blocage. Cela ne passe pas seulement par des déclarations ou des condamnations. Cela passe par une action continue, c'est ce que nous faisons. En ce qui concerne les fermes de Chébaa, c'est pas à moi de trancher le statut de ces territoires. Nous faisons confiance à Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies, et à l'action qu'il mène pour clarifier cette situation. S'il y a une contestation, il faut qu'elle soit un jour surmontée par des procédés normaux, qu'elle soit tranchée dans la clarté, ce qui arrivera un jour ou l'autre dans le cadre d'un règlement israélo-syrien et israélo-libanais. Entre-temps, je ne pense pas qu'il soit dans l'intérêt du Liban que qui que ce soit utilise ce problème pour l'aggraver, pour l'attiser et en faire un élément de tension supplémentaire. Il y en a suffisamment dans la région. Cela n'ajoute rien, cela ne résout rien, le problème n'est pas réglé, c'est clair, mais il faut plutôt aider Kofi Annan à le régler par des procédés relevant de la légalité internationale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Conférence de presse conjointe de MM. Védrine et Farouk Charaa, ministre syrien des affaires étrangères :
Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité revenir en Syrie en raison de l'importance clé de ce pays par rapport à la situation au Proche-Orient et par rapport à tout règlement. Chacun de vous sait que la France recherche constamment, obstinément, quels que soient les obstacles, une paix juste et globale pour l'ensemble de la région. Et concernant chaque volet, le volet israélo-palestinien, l'israélo-syrien et l'israélo-libanais, nous cherchons toujours à apporter le plus possible. Au moment où la situation est particulièrement préoccupante, au moment où nous ne pouvons que désapprouver l'actuelle politique du gouvernement israélien dans les territoires occupés, il était important que nous ayons de nouvelles consultations.
Il y a eu un volet bilatéral important dans nos rencontres, aussi bien avec le président de la République qu'avec le ministre, ainsi qu'avec le ministre du Plan. La France se tient prête à aider et à encourager la modernisation de la Syrie, dans le domaine économique comme c'est annoncé, comme dans tout autre domaine.
En ce qui concerne la situation régionale, sans mettre les uns et les autres sur le même plan naturellement, nous avons quelque chose à demander à tous, tous les gouvernements, toutes les forces politiques : c'est de faire preuve de sens des responsabilités, c'est de ne rien faire qui compromette la reprise de la recherche d'une solution politique. Cette recherche d'une solution politique, il faudra bien y revenir, sans cela il n'y aura pas de sécurité, ou ce serait illusoire. Donc le plus tôt sera le mieux. Naturellement, cela suppose, auparavant des mesures d'urgence pour entamer la désescalade dans les territoires occupés. Il y a des décisions à prendre du côté du gouvernement israélien. Mais les Palestiniens peuvent y contribuer aussi. Comme toujours, la France recherche en ce moment avec ses partenaires européens, avec les Américains, avec tous les pays de la région, ce qui peut être utile aux peuples de la région.
Les échanges franco-syriens à ce sujet sont toujours très utiles. C'était le cas une fois encore. Cela sera le cas encore plus, si je puis dire, lors de la visite du président syrien à Paris, et donc nous poursuivrons nos efforts. Par ailleurs, nous avons parlé de beaucoup d'autres sujets ; il ne faudrait pas croire que la concertation franco-syrienne se limite à ce seul problème, même s'il est central.
Q - M. Védrine a indiqué que la France ne plaçait pas les parties sur un pied d'égalité. A la lumière de ses entretiens avec les responsables syriens, comment considère-t-il la grave situation actuelle et ses responsables ? Est-ce que le rôle de la France consiste à faire sortir une partie de l'impasse dans laquelle elle se trouve, ou à rechercher une solution ?
R - La position de la France, c'est de faire tout ce qui est utile pour arrêter cet engrenage, mais on ne peut pas demander la même chose aux uns et aux autres parce qu'ils ne sont pas dans la même situation. Je dis cela pour des raisons d'efficacité. Quand on demande par exemple la levée du bouclage des territoires occupés, cela s'adresse forcément aux Israéliens. Quand on demande le gel de la politique de colonisation, même chose. Par contre si on parle de violence cela peut concerner certains actes de l'armée israélienne mais cela peut concerner des actes palestiniens aussi. C'est un souci d'efficacité.
Q - Comment envisagez-vous le rôle de l'Union européenne ? Comment ce rôle pourrait-il être efficace ? Notamment compte tenu du fait que la France est un pays capital dans cette union. Et jusqu'à quel point, les décisions européennes sont-elles indépendantes des décisions américaines ?
R - D'abord, compte tenu des liens historiques et de proximité entre l'Europe et le Proche-Orient, je crois qu'il est important que l'Europe affirme une politique forte au Proche-Orient. Je crois que c'est indispensable et que tout le monde le souhaite maintenant. Plusieurs pays d'Europe, de l'Union européenne, mènent une politique active pour que cette politique européenne se renforce. C'est le cas de la France bien sûr, mais en ce moment aussi de deux autres pays dont les ministres viennent de passer dans la région : l'Espagne et la Belgique. Je pense que l'Europe ne doit pas simplement rappeler les grands principes, même si c'est important. Elle ne doit pas simplement distribuer des aides ou passer des accords même si c'est également important. Elle doit avoir une vraie politique avec tout ce que ça comporte et nous y travaillons activement. Si vous regardez ce que dit l'Union européenne en tant que telle aujourd'hui par rapport à il y a cinq ans ou dix ans, vous pouvez mesurer des progrès considérables. Mais cela ne répond pas encore à nos ambitions, ni à l'urgence, compte tenu de la situation. Nous allons donc intensifier cet effort. Ensuite je pense qu'il est important que cette action européenne se combine avec celle des Etats-Unis. Cela ne ferait rien progresser si nous organisions une sorte de concurrence stérile entre l'Europe et les Etats-Unis. Par contre, on peut avoir une approche différente de celle des Etats-Unis. Il faut qu'elles se combinent et que finalement un jour elles profitent à la paix.
Q - Israël a frappé la Syrie au Liban. La Syrie va-t-elle répliquer à la violence par la violence ? Et cette riposte ne risque-t-elle pas d'aggraver l'insécurité entre le Liban et Israël ?
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R - C'est un débat important. Ces expressions de retenue sont employées tous les jours par toute la communauté internationale. Je dois dire que pour ma part que quand je parle de sens des responsabilités, cela ne veut pas dire que tout le monde ait la même responsabilité. Mais chacun dans la position où il est, et même si ce n'est pas la même, peut faire preuve de sens des responsabilités. Il y a toujours plusieurs attitudes possibles dans chaque situation. Mais ce n'est pas une façon de tout mettre sur le même plan.
Q - Les Arabes ont confirmé leur choix de la paix alors que Sharon annonce que la guerre d'indépendance n'est pas terminée, comme si Israël était occupé... Comment dans ces conditions les positions européennes peuvent-elles influer sur la situation sur le terrain ?
R - Je crois que j'ai déjà répondu. Tout le monde connaît la situation. Vous savez ce que nous en pensons. Nous comprenons très bien l'aspiration des israéliens à la sécurité et à la tranquillité. Mais nous pensons que les autres peuples aussi aspirent à la sécurité et à la tranquillité. Les politiques qui visent à régler cela seulement par la force militaire, à un moment donné, ne peuvent donc pas marcher en fait. Donc cela nous ramène à ce que j'ai dit au début sur la solution politique.
Q - Vous êtes venu dans la région pour essayer de faire baisser la tension (inaudible) Quelles conclusions tirez-vous de cette visite ?
R - C'était pour moi très important d'entendre directement les plus hauts responsables syriens et libanais et leurs analyses de la situation actuelle. Cela m'a renforcé dans l'idée que les Européens doivent avoir en ce moment une action intense. C'était le cas ces derniers jours, vous l'avez vu. Je m'y suis employé pendant ces deux journées. M. Solana, au nom des Quinze, va poursuivre cet effort. Il aura dans les prochains jours des entretiens avec M. Sharon, avec le président Arafat, avec le président Moubarak et avec le Roi Abdallah. D'une façon ou d'une autre nous voudrions rétablir la perspective de négociations politiques. Je le répète, on ne peut pas espérer retrouver des situations de sécurité s'il n'y a pas la recherche de vraies solutions politiques. C'est un des axes principaux de l'action des européens.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Q - Monsieur le Ministre, voici un exemplaire de votre ouvrage "Les cartes de la France à l'heure de la mondialisation" qui vient d'être traduit en arabe par la société d'édition libanaise "Dar An Nahar". Quelle est votre réaction ?
R - Je suis très content que ce livre soit traduit en arabe, j'ai regretté que le livre sur François Mitterrand ne le soit pas, mais il était tellement gros que je crois que les frais de traduction auraient été insurmontables ! Et de plus, je suis très content que ce soit au Liban et cela me fait très plaisir. Je fais cela parce qu'il me semble qu'à l'époque actuelle, lorsque l'on mène une politique étrangère, il faut faire un travail absolument constant pour expliquer ce que l'on fait et pourquoi, car nous sommes dans un monde plus compliqué qu'avant en réalité. Je ne fais pas ce travail seulement par rapport à l'opinion française, je pense que je dois le faire d'une façon plus large et avoir accès à ceux que cela peut intéresser dans le public arabe. C'est une vraie joie ce matin.
Q - Avez-vous le sentiment d'avoir été plus marqué plus par votre guide "spirituel" à savoir M. Mitterrand ou par votre "maître à penser", M. Kissinger, si je peux m'exprimer ainsi ?
R - Ah ! Eh bien je ne sais pas si vous le pouvez justement, car l'expression "guide spirituel" n'est pas appropriée même entre guillemets et "maître à penser" pour Kissinger ne l'est pas non plus. Ce n'est pas parce que j'ai une forme d'esprit lucide, ce n'est pas parce que je souligne souvent les dangers des politiques irréalistes que je suis automatiquement un "real-politicien" au sens ancien et péjoratif de ce terme. Cela ne veut pas dire que je suis automatiquement un "kissingerien", il y a de nombreuses façons d'être réaliste et sur ce qu'a fait M. Kissinger, il y aurait beaucoup à dire. Je suis bien évidemment marqué par Mitterrand, il a marqué la vie de mon père, la mienne, j'ai travaillé 21 ans avec lui dont 14 ans à l'Elysée. C'est évidemment une marque indélébile. Mais, ce n'est pas un guide spirituel car cela donne vraiment l'impression d'une sorte d'engagement aveugle dans une secte et il ne s'agit évidemment pas de cela.
J'ai ma culture, très française, je suis passionné par les relations internationales depuis toujours, je pense qu'il faut trouver le bon équilibre entre l'héritage du passé et les nécessités d'aujourd'hui, je pense que le réalisme et la lucidité sont plutôt une qualité qu'autre chose. Plus on est ambitieux, plus on doit être lucide. Beaucoup de gens pensent que pour avoir de grandes ambitions, il faut être chimérique et faire rêver les peuples en "leur racontant n'importe quoi", ce n'est pas mon avis. Je pense que là, il y a un bon mélange entre réalisme, lucidité, ambition et j'espère réalisation. Là dedans, il y a du mitterrandisme, mais il y a aussi d'autres choses.
Q - Lorsque l'on est adepte du réalisme diplomatique, n'est-on pas enclin à négliger un peu la notion de justice, ce qui entraîne une justification du statu quo ?
R - Je fais souvent remarquer que, précisément, l'irréalisme ne règle aucun de ces problèmes et dire que l'on est trop réaliste, cela donne l'impression que l'on se résigne trop facilement à certaines choses qui ne sont pas acceptables. Je pense qu'il faut être réaliste pour changer les choses, de même qu'un chirurgien, s'il veut être efficace, doit connaître l'anatomie. Il est réaliste dans sa connaissance de la réalité anatomique, il va changer parce qu'il connaît cette réalité. Le réalisme n'est pas la soumission et il n'y a pas plus de chance de laisser perdurer l'injustice en étant réaliste qu'en étant irréaliste. Il faut donc surmonter ces oppositions apparentes qui sont un peu abstraites et théoriques. Lorsque vous menez une politique étrangère, vous voyez bien que les choses sont en réalité plus complexes. Aller vers une plus grande justice, c'est de toute façon régler les problèmes qui sont à la source des injustices. Vous ne pouvez pas les régler si vous ne partez pas d'une connaissance de la réalité des choses. Vous voyez donc que cela ne s'oppose nullement.
Q - Pouvez-vous donc concilier rapport de force et justice dans la résolution de crises ? Il y a quelques années, vous avez lancé un slogan "il faut civiliser la mondialisation". C'était la première fois et comment l'appliquez-vous maintenant ?
R - Je pense que la mondialisation comporte des opportunités positives et de vrais risques, des menaces ; elle a une dimension brutale, potentiellement injuste et déstructurante. En général, on dit qu'il faut réguler la mondialisation, c'est un concept un peu technocratique même si cela veut dire quelque chose de sérieux. Il y a toute une série d'organismes qui doivent introduire des règles. Il est très important de savoir dans le monde global qui fait les règles. Comme j'ai trouvé que ce terme était un peu sec, j'ai introduit le terme "civilisation" dans la mesure où je pense qu'il faut que la mondialisation comporte un vrai progrès pour les êtres humains dans leur unité. Cette dimension doit être prise en compte. Ce qui nous amène à un autre problème : ce sont plutôt des gouvernements démocratiques, qui sont les mieux placés pour ce faire et certains pays ne sont pas encore une vraie démocratie. Comment les aider à parvenir un niveau démocratique, sans que ce soit une sorte d'intervention occidentale maladroite qui n'obtient pas le résultat désiré mais une réaction inverse ? C'est tout le problème de notre politique. Il y a quelques temps, dans "Le Monde", j'ai fait un article pour essayer de montrer comment il fallait surmonter cette contradiction.
Lorsque l'on pense mondialisation, il faut des règles, il faut aller vers une amélioration pour l'humanité, sinon, rien n'a de sens, c'est ce que l'appelle la civilisation de la mondialisation. S'y ajoute un problème de démocratie: qui décide quoi dans la mondialisation ?
Q - Contrairement au café soluble, la démocratie n'est pas instantanée, c'est ce que vous dites dans votre livre. Pourquoi dites-vous cela ?
R - L'analyse théorique montre que les démocraties se sont toutes construites par étape, y compris les nôtres. Ceux qui parlent depuis le haut des démocraties qui se sont élaborées au fil des siècles et qui parlent avec conscience de leur rôle oublient souvent que tout cela est passé par des étapes très longues. Moi qui souhaite ardemment que tous les peuples du monde puissent bénéficier de la démocratie parce que c'est une aspiration universelle, je crois que si l'on veut être efficace, utile, il ne faut pas asséner des exigences démocratiques depuis nos trois siècles de turbulences, progrès, reculs, révolutions, répressions etc... Il faut essayer de comprendre quelle est la situation de chaque peuple à un moment donné, voir ce que j'appelle son potentiel démocratique et traiter ce mouvement comme étant un processus, en distinguant les pays dans lesquels on va restaurer la démocratie qui a existé avant et qui a disparu à cause d'une dictature, c'est un problème et un autre problème qui est celui des démocraties émergeantes. Je voudrais que les pays occidentaux se montrent plus fraternels dans leur approche de la démocratisation des régimes ou des pays qui ne sont pas encore vraiment démocratiques. Il faut les aider à rassembler les conditions qui vont leur permettre de franchir une étape, puis une autre et de la consolider. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a un lien avec le progrès économique et social, le progrès démocratique et politique.
Q - Pour passer de la théorie à la pratique, quelle est votre analyse géopolitique actuelle des rapports de forces au Proche-Orient et au Moyen-Orient ?
R - Au Proche-Orient, si l'on raisonne en terme de rapports de forces classiques, il y a une supériorité militaire israélienne qui est évidente. Concernant le Moyen-Orient c'est plus compliqué car il est très difficile d'évaluer la situation réelle de l'Iraq d'aujourd'hui, après des années d'embargo, et des efforts pour contourner l'embargo, y compris dans des programmes prohibés, ce dont personne n'est tout à fait sûr en fait.
Concernant l'Iran, c'est évidemment un pays dont la puissance se développe et qui a des aspirations régionales.
Au Proche-Orient, il y a cette supériorité, cette force militaire israélienne qui est incontestable, mais si on raisonne toujours en termes de rapports de forces, cette supériorité militaire israélienne ne donne pas forcément une supériorité politique, cela permet de refuser toute solution dont Israël ne veut pas, cela ne permet pas d'imposer sa propre solution et on le voit bien à travers l'action palestinienne qui est extraordinairement forte, quelle que soit cette supériorité. Ce n'est donc pas tout. Les rapports de forces ne doivent pas être à l'ancienne : on ne comptera pas simplement le nombre de chars, ou d'avions. Il y a aussi dans ce rapport de force, le rapport de force politique, celui entre les opinions publiques, et également les réactions internationales. C'est tout un ensemble. Le réalisme lui-même doit être moderne et complet.
Q - Y a-t-il un danger de guerre généralisée au Proche-Orient d'après vous ?
R - Je ne pense pas qu'il y ait un danger de guerre généralisée parce que la guerre, ce sont les Etats, les armées, et aucun gouvernement ne le souhaite, ne le veut ni ne l'envisage, même pas le gouvernement israélien et aucun gouvernement arabe. Il n'y a donc pas un danger classique de ce type. Par contre, il y a un vrai risque d'aggravation et de pourrissement concernant les relations israélo-palestiniennes, israélo-syro-libanaises. Là, il y a un vrai risque et cela veut dire que l'on pourrait connaître des épisodes qui soient encore plus tragiques que ceux que nous avons connu depuis l'automne dernier et, cela, c'est un vrai risque. J'ai même eu l'occasion de dire ces derniers jours qu'il me semblait que la situation au Proche-Orient n'avait jamais été aussi mauvaise depuis 10 ou 15 ans. Mais, je ne pensais pas à une guerre classique, je ne pensais pas du tout à une réédition des guerres israélo-arabes. Je pense à une aggravation supplémentaire de la situation, notamment dans les Territoires palestiniens avec tout ce que cela entraîne.
Q - Vous avez dit que la région était comme "sur un volcan" ?
R - Je ne pensais pas à un schéma de guerre classique. Je parle de l'engrenage, de la situation intolérable dans les Territoires occupés, avec des réactions de violence, des attentats de différents types, répressions violentes etc... c'est à cela que je pense et c'est déjà suffisamment grave comme cela.
Q - Ne pensez-vous pas qu'il y a une connexion entre le problème du Proche-Orient et celui de l'Iraq, n'y aurait-il pas un système de vase communicant. Vous essayer toujours de séparer les deux problèmes. Mais sur le terrain le ministre koweïtien des Affaires étrangères qui était en visite à Paris et que vous avez vu, a déclaré au "Monde " qu'il fallait régler les deux problèmes presque sur le même plan. Qu'en dites-vous ?
R - Je ne peux pas dire qu'il n'y ait aucun lien, il y a un monde arabe, une opinion arabe avec des problèmes qui interagissent les uns sur les autres, c'est tout à fait vrai. Dans les opinions arabes, tout joue d'une certaine façon. Mais, si vous regardez les problèmes proprement dit, le lien n'est quand même pas total. Il n'est pas contraignant, il n'est pas mécanique. Le fait de savoir si nous arrivons, au sein du Conseil de sécurité à faire évoluer notre politique par rapport à l'Iraq dont nous pensons nous, Français, depuis au moins deux ou trois ans qu'elle doit vraiment changer, c'est une chose. Si nous n'y arrivons pas, c'est un facteur d'aggravation, d'antagonisme entre le monde arabe et les occidentaux, encore qu'il y ait aussi les Russes au Conseil de sécurité. Si nous arrivons à faire évoluer les choses, tant mieux, pour le traitement intelligent de la question iraquienne, cela ne règle pas le problème pour autant. Vous ne pouvez pas pousser l'idée du lien trop loin tout de même.
En sens inverse, imaginons qu'il y ait eu un accord, que les choses se soient passées autrement ces derniers mois, qu'entre Barak et Arafat, la dynamique de la négociation se soit vraiment enclenchée, qu'ils soient arrivés à un accord que je ne définis pas dans le détail, nous serions dans une situation fantastiquement différente au Proche-Orient, y compris sur les autres volets, même sur la question israélo-libanaise, ou israélo-syrienne, la question iraquienne serait toujours là. Il y a donc un lien, il y a une caisse de résonance globale, mais il n'y a pas de lien lorsque vous regardez les caractéristiques précises ces deux conflits et les modalités possibles pour les résoudre.
Q - En Israël, le chef du gouvernement d'union nationale a affirmé qu'il n'y aura pas de nouveau Sharon. Faut-il lui prolonger l'état de grâce ?
R - Il faut distinguer ce qu'il dit à l'usage de l'opinion israélienne et ce qu'il dit à l'usage des autres. Je ne crois pas qu'il y ait un état de grâce. Ce n'est pas cela, la situation actuelle pour M. Sharon, si c'est bien le sens de votre question, c'est que l'électorat israélien a voté en masse pour lui, parce qu'Israël s'est senti menacée à cause de ce qui a été provoqué à partir de la fin septembre, c'est-à-dire la nouvelle Intifada et notamment parce qu'il y a eu des signes de solidarité à l'intérieur d'Israël chez les arabes de Galilée. Cela a provoqué un ébranlement, une perte brutale de confiance par rapport à M. Barak même si c'est injuste parce que ce n'est pas lui qui a provoqué les incidents qui ont déclenché l'Intifada. Nous avons donc une réaction violente du corps électoral israélien. La plupart des déclarations de M. Sharon sont à analyser par rapport au mandat qu'il a reçu. Mais, il n'a pas un état de grâce, il a un soutien pour une politique purement sécuritaire, et pour le moment, purement répressive. C'est tout le problème.
Q - Un grand commentateur israélien dit que M. Sharon a fermé toutes les portes aux Palestiniens et aux Syriens. Partagez-vous cette analyse ?
R - Si on parle en terme de négociations politiques, oui. A l'heure actuelle, il est tout à fait impensable malheureusement, de relancer une négociation politique sur quelque problème que ce soit, il est clair que ce n'est pas possible à partir d'une déclaration disant que, l'Etat palestinien, s'il y en a un, devrait se contenter de 42 % de la Cisjordanie et de Gaza, qu'aucune colonie ne serait évacuée, ce n'est pas une base pour discuter. C'est en effet une porte fermée.
Du côté israélo-syrien, on peut résumer la situation en disant qu'il n'y a aucun signe, il ne s'est rien passé. Et du côté israélo-palestinien, avant même de revenir au stade où la négociation devra reprendre un jour, c'est inévitable, il y a la question de la situation sur le terrain et de ce qui peut être fait pour enrayer l'engrenage, essayer d'atténuer la tension et de rendre la situation moins intolérable dans les territoires occupés où les Palestiniens sont évidemment portés à l'explosion.
Q - L'incursion dans les zones "A" a constitué une sorte de franchissement d'une ligne rouge. Quelles sont, d'après vous, les lignes rouges à ne pas dépasser ?
R - Je crois d'abord que les Israéliens eux-mêmes, même avec ce gouvernement Sharon ont compris que c'était un franchissement, et ils sont sortis très vite des zones "A". Là-dessus, je crois qu'ils ont été impressionnés, pas uniquement par la déclaration de Colin Powell mais par la conjonction soudaine des positions européennes qui se sont durcies quand même, et on l'a vu dans le vote à Genève du texte présenté par les Suédois. Ils ont été impressionnés par la conjonction car ils se disaient que les Européens critiquent, mais les Américains ne sont pas sur le même plan. Brusquement, ils ont vu que Colin Powell était sur ce point particulier en tout cas, sur la même ligne que l'Europe. Cette conjonction les a inquiétés et ils sont donc ressortis aussi tôt, tout en disant qu'ils l'avaient prévu. Mais, on ne sait pas exactement.
Je ne peux pas répondre sur les lignes rouges car on ne peut pas traiter une situation aussi explosive par une approche théorique, un peu trop rationnelle. Ce que je peux dire, c'est que pour enrayer l'engrenage, on sait bien ce qu'il faut faire, cela revient à dire la même chose dans l'autre sens. Pour enrayer l'engrenage, il faudrait que, simultanément, les Israéliens s'engagent à arrêter vraiment la colonisation, y compris les prétendues extensions qui sont une poursuite du processus en réalité ; que les Israéliens annulent le blocus des territoires occupés. Il faudrait également que les Palestiniens s'engagent à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter le terrorisme aveugle et même pour arrêter la violence, faire preuve de retenue et que, de part et d'autre, il y ait des déclarations publiques qui marquent cette disponibilité.
Cela vous donne, avec une lecture à l'envers ce que doivent être les lignes rouges. On voit donc bien que s'il y avait des annonces simultanées de telles positions, les Israéliens et les Palestiniens pourraient recommencer à parler de la sécurité dans les territoires, ils pourraient recommencer à traiter des problèmes particuliers concernant la vie concrète des Palestiniens, la sécurité des Israéliens et peut-être, ensuite, reviendrait une approche plus politique. Tout ce qui ne va pas dans ce sens est mauvais.
Q - Vous pensez réellement Monsieur le Ministre que les deux parties peuvent se reparler pour parvenir à un début d'entente ?
R - L'armée israélienne ne peut pas venir à bout des palestiniens, des actions violentes palestiniennes ne peuvent pas venir à bout de l'armée israélienne, les uns et les autres seront toujours là. Un moment où à un autre, il faudra bien reprendre la discussion sur l'organisation la moins mauvaise possible de la coexistence entre l'Etat d'Israël et le futur Etat palestinien. Personne ne peut le faire à leur place, c'est pour cela que je distingue depuis toujours, le travail de soutien, d'encouragement, d'accompagnement, de garanties s'il le faut, et l'engagement historique. On a vu ces derniers mois que, même avec l'engagement du président des Etats-Unis, plus fort que ce que l'on n'avait jamais vu, dans une très grande cohérence avec l'Europe - la France notamment a joué un rôle tout à fait considérable dans tout ce travail qui va du mois de juillet au mois de décembre avec l'Egypte et quelques autres pays -, on a vu que tout cela ne permettait pas d'atteindre l'objectif et qu'il restait des blocages internes, internes au monde israélien, au monde palestinien. On ne peut donc pas opposer les deux. Ils ne peuvent pas y arriver seuls, mais nous ne pouvons pas y parvenir sans eux. Nous restons condamnés à essayer de trouver une combinaison.
Q - Pour sortir de la quadrature du cercle, êtes-vous favorable à l'organisation d'une conférence Madrid-2 ?
R - Peut-être un jour cela pourrait rendre service, mais aujourd'hui non. C'est tout à fait artificiel d'imaginer de plaquer sur cette situation une conférence internationale dans laquelle l'ensemble des participants soient obligés de constater ce que nous disons depuis le début. Je regrette d'avoir à le dire, mais c'est une illusion de penser que ce type de conférence réglerait les problèmes qui n'ont pas été réglés depuis des mois et qui se sont aggravés depuis. S'il suffisait de faire une conférence comme cela pour régler les problèmes, il y a longtemps que nous l'aurions fait.
Par contre, le jour où les processus auraient repris, où il y aurait une volonté partagée de remettre en marche un processus de solutions politiques, peut-être. Il ne faut pas écarter cette idée. Je n'arrive pas à croire que ce soit utile dans ce moment précis et que ce soit réaliste.
Q - Sinon, peut-être une autre idée utile avec le Groupe de contact ?
R - Vous voudriez que quelques pays, qui ont une influence particulière se réunissent. Oui, mais dans ce cas, il faut qu'il y ait la meilleure cohérence possible de la part des pays qui ont un rôle à jouer. On l'a vu ces derniers mois, le rôle américain est fondamental, un rôle français significatif, un rôle égyptien important, quelques autres. Je vous dirai que cela a déjà un peu existé de facto. Mais, de toute façon, si vous faites cela aujourd'hui, avec M. Sharon qui a déjà été élu pour rétablir la sécurité, s'il y a un Etat palestinien, il ne dépassera pas 42 % de la Cisjordanie et de Gaza, le groupe en question ne peut pas faire de miracle. Mais ce n'est pas une mauvaise idée sur le plan méthodologique.
Q - Il y a d'autres idées, vous savez nous vivons à une période où l'on fait des conférences pour traiter par exemple, de problèmes insolubles, Jérusalem, les réfugiés, l'eau, les frontières... Quand allez-vous remettre ces choses sur la table ?
R - Vous faites allusion à des idées qui ont toutes été exprimées dans un certain contexte, à certains moments de la négociation, on se dit que les choses ne marchent pas sur ce point, oublions-le pendant un certain temps, on avance sur un sujet plus facile, nous verrons ensuite. Il y a une dynamique dans la négociation. Lorsqu'il y a un climat de confiance comme celui qui a existé pendant quelques années avec des hauts et des bas dans le processus de paix, on pouvait se dire qu'il ne fallait pas hésiter à traiter les problèmes, même insolubles. Nous ne sommes plus du tout dans cette situation et toutes les idées, toutes les méthodes employées ces dernières années, j'espère bien qu'elles ne sont pas perdues définitivement. Il y a tellement de choses dites et inventées du côté arabe ou israélien, du côté européen ou américain que tout cela doit être préservé. Il faut que nous en soyons les dépositaires pour sauver ces éléments de la paix future en attendant qu'un contexte plus favorable se présente. On ne peut plaquer aucune d'entre elles aujourd'hui. Nous avons un monde palestinien placé dans une telle situation que je ne sais pas ce que Yasser Arafat peut vouloir vraiment en termes de solutions aujourd'hui. Et de toute façon, cette question n'a pas de sens si aucune solution n'est proposée. Aucune solution acceptable discutable n'est présentée aujourd'hui. Ce n'est donc pas le moment, aucune idée n'est perdue, elles sont toutes conservées en attendant le moment que j'espère le moins éloigné possible où elles pourraient être à nouveau utile.
Q - Le président Chirac l'autre jour a insisté auprès du président Bush sur la nécessité de la stabilité du Liban. Vraiment, y a-t-il un danger croissant d'instabilité et si c'est le cas, sous quelle forme ? Militaire ? Economique ? Ou financière ? Peut-être les trois ?
R - Lorsque le président Chirac s'est exprimé sur ce point, il pensait à la situation économique et financière du Liban. En tant que président de la France et ami du Liban, vu nos liens traditionnels, il fait tout ce qu'il peut pour sensibiliser tous les partenaires de la France à cette question libanaise. C'était sous cet angle qu'il en parlait.
Q - Quelle est la priorité de la politique française au Liban aujourd'hui ?
R - Plusieurs choses en même temps, nous voulons maintenir, à travers toutes les difficultés régionales ce lien très fort assez unique entre la France et le Liban. Aider ce pays à surmonter les problèmes économiques et financiers qui sont les siens aujourd'hui, nous faire l'interprète des aspirations légitimes du Liban pour quand reviendra le moment d'un règlement global. Ce n'est pas pour tout de suite, mais nous sommes là, nous ne l'oublierons pas, le Liban a des demandes à faire pour que le règlement ne se fasse en oubliant les intérêts libanais qui sont légitimes. Nous avons un autre objectif cette année qui est de réussir ensemble le sommet de la Francophonie, c'est un autre sujet qui reste très important.
Q - Oui, et allez-vous demander aux chefs d'Etat qui participeront au Sommet de la Francophonie de signer pour la Cour pénale internationale ?
R - Nous l'avons fait déjà.
Q - Oui, mais d'une façon solennelle devant les pays francophones ?
R - Concernant la Cour, nous avons encourager tous les pays qui ont des relations étroites avec nous, qui sont nos amis à signer, à ratifier pour ceux qui ne l'ont pas fait. Concernant le sommet de Beyrouth et la dimension politique qui est évidente, ainsi que la dimension culturelle dans la francophonie et nous espérons que nos amis libanais feront tout ce qu'ils peuvent les concernant pour que ce soit une belle fête de la francophonie et il y a une dimension dialogue et culture. Depuis quelques temps, on veut que la francophonie soit aussi un élément de diversité mondiale. Sur le plan démocratie et liberté, il est prévu à l'occasion de Beyrouth, que ce 9ème sommet adopte ce qui a été adopté à Bamako concernant les pratiques de démocratie, droits et liberté dans l'espace francophone. C'est un texte très important. C'est un grand sommet. Cela ne concerne pas seulement le Liban, mais il se trouve que cette année, lorsque vous me demandez quelles sont nos priorités pour le Liban, cela en fait partie.
Q - A l'annonce par les responsables israéliens de leur volonté de changer la règle du jeu, le chef de l'Etat M. Lahoud a menacé Israël il y a quelques jours de représailles qui viseraient le nord de l'Etat hébreu si les Israéliens persistaient à attaquer le Liban, ou les positions syriennes au Liban. Avez-vous un commentaire ?
R - Mon commentaire est que je ne souhaite aucune escalade d'aucune sorte.
Q - Pensez-vous qu'il y a un risque d'extension du conflit sur toute la ligne bleue ?
R - Je ne pense pas, sauf si certains veulent étendre le conflit, je ne sais dans quel but en fait. Lorsque l'on regarde les objectifs, il n'y a pas de raison. Il y a un contentieux qui reste, c'est celui des fermes de Chebaa. Mais il n'y a pas de raison pour qu'il y ait une extension, ce serait profondément illogique, si on considère les intérêts bien compris des pays. Il y a un problème qui n'est pas réglé qui est le problème israélo-syrien. Il est réel, il a été traité dans le passé, approché mais jamais conclu. Il est clair dans notre esprit que le problème du Proche-Orient ne sera véritablement réglé que lorsque tout sera réglé, y compris cela. Nous n'oublierons pas, à aucun moment, les intérêts du Liban. Chaque fois qu'il y a un accord qui peut avoir des répercussions sur le Liban, il sera considéré. Mais à partir de là, vraiment la situation devrait pouvoir être contenue telle qu'elle est, sans tension supplémentaire avec une sorte de gel de choses en attendant que l'on puisse régler le fond.
Q - Souhaitez-vous faire une répétition du mémorandum d'accord de 1996 pour les fermes de Chebaa, pour contenir les violences ?
R - Notre position est que, fondamentalement, nous partageons et appuyons la position du Secrétaire général des Nations unies. Tout cela relève de la résolution 242, cela ne remet pas en question normalement la certification de la ligne bleue. La délimitation définitive de la frontière doit être discutée entre Libanais et Syriens et faire l'objet à un moment ou un autre d'un accord transmis aux Nations unies. Aujourd'hui donc, l'essentiel est le respect de la ligne bleue et notre intention est plutôt de soutenir les efforts du secrétaire général.
Q - Donc une répétition d'une sorte de groupe de surveillance pour les fermes de Chebaa, cela peut être utile d'après vous ?
R - Je ne crois pas que cela nous ait été demandé.
Q - Non, c'est juste ma question.
R - Non, cela ne nous a pas été demandé et peut-être que les uns et les autres, ceux qui sont concernés, ne pensent pas que ce soit utile. On verra, si un officiel me le demande, je réfléchirai.
Q - Dernièrement M. Lahoud a dit qu'il y avait une proposition de maintenir une présence syrienne permanente au Liban en échange de la sécurité garantie par la Syrie et le Liban au Nord d'Israël. La France a-t-elle participé d'une façon ou d'une autre à la transmission de cette proposition ?
R - Non. Mais c'est un débat au Liban qui est légitime.
Q - Quelle est votre analyse et votre proposition ?
R - Nous ne voulons pas plaquer une proposition sur cette situation. Mais, nous avons observé le débat, il est intéressant, légitime, cela traduit à la fois la vitalité et les aspirations de la société libanaise. La France a toujours exprimé son attachement à la souveraineté et à l'indépendance du Liban, c'est un élément continu dans notre politique et la présence transitoire de troupes syriennes au Liban, c'est un problème qui concerne le Liban et la Syrie. Nous n'avons pas de propositions à proprement parlé.
Q - Le président de la République en 1998 et M. Jospin en 2000 ont parlé de cette question. Y a-t-il une seule lecture française officielle de cette question, un seul délai de redéploiement et du retrait de l'armée syrienne du Liban ?
R - Oui. Et ce que je viens de vous dire, c'est notre position.
Q - Cela veut dire après la paix.
R - Non, ce n'est pas à nous d'en décider, nous pourrions imaginer que les Libanais et les Syriens parlent de cette question ensemble, ce n'est pas à nous de conditionner les choses, de lier un calendrier à l'autre. On ne peut pas plaquer un calendrier de l'extérieur.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Point de presse de M. Védrine à l'issue de son entretien avec M. Emile Lahoud, président de la République libanaise le 27 avril :
Je suis heureux de me retrouver au Liban, à Beyrouth, chaque fois que j'y viens, chaque fois que j'ai l'occasion d'y venir, c'est un vrai plaisir car j'accorde beaucoup d'importance à la relation franco-libanaise, à l'amitié franco-libanaise que nous voulons poursuivre, renforcer, adapter aux époques nouvelles. Il y a toutes sortes de raisons d'être ici aujourd'hui, la première raison c'est la prochaine visite en France du président Lahoud, il y a d'autre part le Sommet de la Francophonie au mois d'octobre, qui est un autre événement très important, pour lequel nous travaillons ensemble et il y a évidemment la situation dans la région qui est tout à fait mauvaise, extrêmement décevante par rapport aux espérances que nous avions pu avoir l'an dernier, extrêmement préoccupante pour la suite car on voit bien que cette situation mauvaise peut encore s'aggraver, qu'il y a des engrenages, des dégradations qui sont à l'uvre et que pendant ce temps-là, tout ce qui concerne les relations israélo-libanaises, israélo-syriennes sont bloquées, alors que l'objectif de la France et de sa politique étrangère c'est de concourir autant qu'elle le peut à une solution juste, globale et durable qui devra un jour mettre un terme à tous ces affrontements, à tous ces conflits. C'est la toile de fond de l'activité de la diplomatie française dans la région, et c'est la raison pour laquelle périodiquement, régulièrement, nous tenons à ce contact étroit avec les autorités libanaises, voilà pourquoi je suis ici et dans la région.
Q - Avez-vous apporté des idées pour remédier à cette mauvaise situation ?
R - Tout le monde connaît la gravité de la situation. Tout le monde a pu assister l'an dernier à la conjugaison exceptionnelle d'efforts de la part des Etats-Unis (donc du président des Etats-Unis lui-même), de la part de quelques pays européens, et notamment la France, de la part de beaucoup de pays arabes, comme par exemple l'Egypte. L'an dernier, notamment à la fin de l'année, il y a eu plus d'efforts que jamais, mais ça n'a pas marché, la situation s'est dégradée pour des raisons que l'on connaît, la situation dans les territoires occupés en particulier, est véritablement insoutenable, insupportable. La priorité aujourd'hui est donc d'essayer d'arrêter l'engrenage. La priorité n'est même pas immédiatement de refaire une négociation politique, on voit bien qu'on n'en est pas là (). Tous les efforts visent à atteindre cet objectif, à rassembler toutes les volontés pour que des décisions soient précises, pour que des gestes soient faits simultanément du côté israélien et du côté palestinien, même si on ne peut pas comparer les deux parce que la situation n'est pas la même, mais pour qu'en tout cas tous ceux qui peuvent agir sur la situation arrêtent l'engrenage des violences, l'engrenage des attentats, l'engrenage de la répression. C'est la priorité numéro un. Après, bien sûr on verra comment nous pourrons encourager de l'extérieur - nous ne sommes pas un protagoniste direct -, la reprise d'une discussion. La reprise d'une discussion politique, c'est aussi un élément de sécurité et de stabilité, il n'y aura pas de vraie sécurité, il n'y aura pas d'espérance de stabilité s'il n'y a pas à nouveau un processus de recherche d'une solution politique. En plus, les événements sont bien connus, vous êtes des journalistes, vous suivez cela de très près, vous connaissez la gravité de la situation et je crois que vous connaissez nos efforts.
Q - Monsieur Védrine, est-ce que vous êtes toujours pour un déploiement de l'armée libanaise à la frontière libano-israélienne et si jamais ce déploiement n'a pas lieu, estimez-vous, comme l'a déclaré M. Larsen, que certains pays penseraient à annuler le rôle de la FINUL ?
R - Ces questions doivent d'abord être traitées dans le cadre du Conseil de sécurité. D'autre part, nous faisons confiance à tous les efforts du Secrétaire général des Nations unies. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité puisse ouvrir un débat sur l'avenir de cette question, sur les effectifs de la FINUL, la mission de son mandat en juillet prochain pour envisager une réduction progressive de ses effectifs. C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier la question de l'armée libanaise. A cet égard, en effet, nous avons exprimé un certain nombre de souhaits, j'ai entendu l'analyse du président Lahoud, qui m'explique pourquoi ce n'est pas possible dans les conditions actuelles parce que trop de problèmes restent dans l'incertitude, trop de problèmes, dont les délimitations exactes, ne sont pas tranchées. Nous souhaitons que ces problèmes puissent être réglés, clarifiés et que l'Etat libanais puisse exercer toutes ses prérogatives dans ce territoire. C'est l'objectif à atteindre. Mais il est vrai que cela suppose que tous les problèmes encore pendants soient finalement résolus. Je distingue donc l'objectif, qui est clair, et les modalités de mise en uvre. Nous avons espéré après le retrait d'Israël du Sud Liban que les choses allaient pouvoir se clarifier plus vite et plus complètement, mais on se heurte à toutes sortes de difficultés. Je crois qu'il ne faut pas exploiter les problèmes qui demeurent encore, mais je peux concevoir que toutes les conditions ne soient pas réunies à ce stade pour que l'armée libanaise exerce toute son autorité, on est entre les deux, c'est une situation insatisfaisante. Cela ne dépend pas de nous, la France, je le regrette un peu, mais je le constate.
Q - Monsieur Védrine, vous avez dit que vous aimez les politiques réalistes
R - Non, attendez, j'ai dit plusieurs fois que les politiques irréalistes n'obtiennent pas de résultats. C'est plutôt le contraire.
Q - Est-ce que vous trouvez que la politique du Hezbollah dans les fermes de Chébaa soit une politique réaliste ?
R - Je ne sais pas ce qu'est la politique du Hezbollah. Je ne sais pas si on peut parler de politique comme si on parlait d'un Etat ou d'un gouvernement. Sur ce sujet aussi, nous faisons confiance au Secrétaire général des Nations unies, qui a une tâche difficile, même s'il y a une contestation sur le statut de ces territoires auxquels vous faites allusion, je pense que ce n'est pas l'intérêt du Liban que qui que ce soit utilise ce problème qui reste non réglé pour augmenter encore la tension, qui est déjà forte dans toute la région. Qu'il y ait contestation, très bien, il faut l'admettre, il faudra qu'elle soit tranchée par des procédés qui peuvent être imaginés dans le cadre de l'action du Secrétaire général des Nations unies. Mes réponses sont toujours les mêmes, on cherche des solutions, on ne cherche pas à distribuer les bons et les mauvais points, on n'est pas juge des uns et des autres, ce n'est pas notre rôle, nous cherchons ce qui peut être utile, quand on est un pays non pas de la région, mais un pays ami.
Q - A propos des fermes de Chébaa, est-ce que vous avez apporté une solution juridique à ce problème ?
R - Non, c'est pas à moi d'apporter une solution juridique à ce problème. En ce qui concerne les questions de délimitation, tout ce que la France pourrait faire d'utile en apportant la contribution d'une connaissance topographique qu'elle a eue à une certaine époque, elle l'a fait. La France l'a fait au moment du retrait israélien du Sud Liban, nous avons donné à l'ONU et à nos amis libanais des informations complémentaires qui pouvaient nous être demandées, mais le Liban a ses propres archives. On a apporté des éléments utiles, mais ce n'est pas à la France d'imaginer une solution compte tenu des difficultés. Ce qui est sûr c'est que ce problème devra être réglé un jour. S'il n'a pas pu l'être dans la foulée du retrait israélien du Sud Liban, il le sera un jour dans un règlement plus complet, plus global, des relations israélo-syriennes et israélo-libanaises. Le plus tôt sera le mieux mais là aussi ça ne dépend pas de moi.
Q - Le Secrétaire général des Nations unies dit que le Liban doit attendre l'application de la résolution 242 pour régler la question de Chébaa, est-ce que vous êtes de cet avis ?
R - Nous soutenons le Secrétaire général, il exprime la pensée de l'organisation, des Etats membres, et en particulier la pensée des membres permanents du Conseil de sécurité. J'ai déjà répondu que si le problème avait pu être résolu aisément à la suite du retrait israélien du Sud Liban, cela aurait été une bonne chose. Puisque les choses se sont bloquées à ce moment-là, on ne va pas dire que le problème est insoluble, non, il faut noter que le problème n'est toujours pas réglé, je ne pense pas qu'il faille l'utiliser dans d'autres buts, et donc, le problème sera réglé dans un cadre plus large, quand on arrivera à un règlement global. Je pense que c'est ça ce que veut dire Kofi Annan quand il se réfère à la résolution.
Q - Vous allez rencontrer le Patriarche maronite ?
R - Non.
Q - La France a annoncé ces jours-ci qu'elle fait beaucoup de choses
R - Il y a en effet une action en ce moment et du président de la République et du gouvernement français pour aider le Liban à affronter ses problèmes économiques et financiers, une action qui est menée à travers différents contacts. J'aurai d'ailleurs l'occasion personnellement dans quelques jours de voir aussi M. Hariri en complément des contacts que j'ai aujourd'hui à Beyrouth, toujours dans le même esprit.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Déclaration de M. Védrine à l'issue de son entretien avec M. Nabih Berry, président de l'Assemblée nationale libanaise :
Mesdames et Messieurs, j'ai rencontré le président Berry comme je le fais chaque fois que je passe au Liban car pour moi, il est l'un des éléments importants de la réalité politique du Liban et je voulais entendre son analyse, à chaque fois, sur l'état de la région. Nous avons essentiellement parlé de ce contexte qui est déplorable, de la situation régionale, notamment de la situation israélo-palestinienne. Nous avons parlé de ce que la France fait avec ses partenaires de l'Union européenne pour arrêter l'engrenage, pour arrêter l'escalade, pour aboutir à ce que la tension baisse dans les territoires occupés, et pour que l'on puisse retrouver une approche politique.
Je lui ai fait part de ma conviction que l'on ne peut pas traiter des problèmes de sécurité séparément des questions politiques. Et pour que l'on puisse retrouver une situation acceptable, il faut absolument que la discussion reprenne entre Israéliens et Palestiniens pour rechercher une solution juste et durable. Quand je dis solution juste et durable, elle devra concerner naturellement les relations israélo-syriennes et israélo-libanaises. Et seule une perspective, une espérance de solution politique, permettra de renverser cette dégradation terrible à laquelle nous assistons depuis des semaines et qui pourrait encore s'aggraver d'ailleurs si on n'arrive pas à modifier le cours des choses. Voilà dans quel esprit la France travaille avec ses partenaires de la région, et c'est pourquoi je suis au Liban aujourd'hui.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Point de presse de M. Védrine à l'issue de son entretien avec M. Mahmoud Hammoud, ministre libanais des affaires étrangères :
Je suis venu au Liban parce que cette dimension franco-libanaise est un point très important de la politique étrangère de la France, ça l'est en permanence, et ça l'est en ce moment pour plusieurs raisons qui tiennent d'abord à la très grave situation dans la région. Ce n'est pas le moment de se décourager ni de baisser les bras, nous continuons à rechercher une paix qui devrait être globale, qui devrait être juste pour être durable. Cela reste le grand objectif de la politique française, naturellement la question est de savoir par où commencer, comment faire et là nous sommes dans le plus mauvais contexte possible. Avec l'aggravation de la situation israélo-palestinienne, la situation est véritablement intolérable dans les territoires occupés. Tel est le contexte. Pour des raisons évidentes tenant aux orientations suivies jusqu'à maintenant par le gouvernement de M. Sharon, les choses sont également gelées en ce qui concerne les relations israélo-syriennes, israélo-libanaises et là aussi il faudra bien, à un moment ou à un autre, reprendre la discussion politique, trouver une vraie solution. Le moment reviendra de la recherche d'une solution politique et d'ailleurs, il n'y pas de perspective de sécurité et de stabilité sans recherche d'une solution politique. La politique française vise à hâter ce moment, où cette approche raisonnable reprendra le dessus, sur des approches fondées uniquement sur la recherche de sécurité. Voilà ce dont nous parlons avec nos amis libanais. Voilà nos efforts communs.
Nous avons évidemment fait le point des relations bilatérales. La France est aux côtés du Liban et le soutient pour faire face à la situation économique actuelle qui est difficile. La France aide le Liban pour que, sur un plan plus large, international, on prenne conscience de cette situation. Il est important que le Liban puisse surmonter ses difficultés économiques parce qu'il n'y a pas de situation stable au Proche-Orient, s'il n'y a pas un Liban prospère, c'est un objectif très important. Et il faut que le Liban redevienne ce qu'il a été à un moment donné dans cette région. Il y parviendra un jour, c'est ma conviction ; mais les difficultés sont là. Nous sommes, nous, les Français en pointe pour faire en sorte que ces difficultés soient surmontées. Il y a le Sommet de la Francophonie en octobre, c'est un rendez-vous très important, sur le plan de la diversité culturelle et linguistique dans le monde, sur le plan du mouvement de la Francophonie, sur le plan de la langue, sur le plan de la démocratie. C'est très important et nous sommes très heureux de cette grande réunion qui se tiendra au Liban, dans ce pays qui est tellement proche de nous et qui est aussi ami. Il y a également la visite du président Lahoud en France qui se prépare activement. Tous ces rendez-vous sont tous préparés efficacement et calmement. Mais cela permet de dire qu'il n'y a pas que le contexte tragique et pesant du Proche-Orient. Il y a une relation franco-libanaise bien active.
Q - Comment la France va-t-elle aider le Liban contre les menaces israéliennes surtout de M. Sharon contre le Liban ? Et quel est votre commentaire vis-à-vis du raid israélien contre les positions syriennes au Liban ?
R - Le Quai d'Orsay a tout de suite réagi à ce raid israélien et aux actions israéliennes disproportionnées. Nous allons mobiliser tous les moyens pour arrêter l'engrenage, pour que l'on revienne à une solution politique. Tenter de régler tous ces problèmes de la région uniquement par une approche de supériorité militaire est une vision à courte vue. Il est évident qu'il faut une perspective politique pour que l'on puisse travailler à nouveau tous ensemble à la question de la sécurité. Nous aidons le Liban par notre action sur tous les plans.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pensez que la condamnation française en ce qui concerne la violation israélienne est suffisante pour le moment, et ensuite est-ce que vous appuyez le gouvernement libanais en ce qui concerne les fermes de Chébaa ?
R - D'abord, nous ne sommes pas des juges et nous ne cherchons pas à condamner ou à féliciter. Ce n'est pas l'objectif principal. L'objectif principal de la politique étrangère française, c'est d'être utile. Comme nous sommes en situation de crise et de blocage, nous cherchons à faire tout ce qui est utile pour que la France, les Européens et les Américains, qui doivent se réengager - ils ne peuvent pas rester sur une ligne de spectateur - pour que l'on sorte du blocage. Cela ne passe pas seulement par des déclarations ou des condamnations. Cela passe par une action continue, c'est ce que nous faisons. En ce qui concerne les fermes de Chébaa, c'est pas à moi de trancher le statut de ces territoires. Nous faisons confiance à Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies, et à l'action qu'il mène pour clarifier cette situation. S'il y a une contestation, il faut qu'elle soit un jour surmontée par des procédés normaux, qu'elle soit tranchée dans la clarté, ce qui arrivera un jour ou l'autre dans le cadre d'un règlement israélo-syrien et israélo-libanais. Entre-temps, je ne pense pas qu'il soit dans l'intérêt du Liban que qui que ce soit utilise ce problème pour l'aggraver, pour l'attiser et en faire un élément de tension supplémentaire. Il y en a suffisamment dans la région. Cela n'ajoute rien, cela ne résout rien, le problème n'est pas réglé, c'est clair, mais il faut plutôt aider Kofi Annan à le régler par des procédés relevant de la légalité internationale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Conférence de presse conjointe de MM. Védrine et Farouk Charaa, ministre syrien des affaires étrangères :
Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité revenir en Syrie en raison de l'importance clé de ce pays par rapport à la situation au Proche-Orient et par rapport à tout règlement. Chacun de vous sait que la France recherche constamment, obstinément, quels que soient les obstacles, une paix juste et globale pour l'ensemble de la région. Et concernant chaque volet, le volet israélo-palestinien, l'israélo-syrien et l'israélo-libanais, nous cherchons toujours à apporter le plus possible. Au moment où la situation est particulièrement préoccupante, au moment où nous ne pouvons que désapprouver l'actuelle politique du gouvernement israélien dans les territoires occupés, il était important que nous ayons de nouvelles consultations.
Il y a eu un volet bilatéral important dans nos rencontres, aussi bien avec le président de la République qu'avec le ministre, ainsi qu'avec le ministre du Plan. La France se tient prête à aider et à encourager la modernisation de la Syrie, dans le domaine économique comme c'est annoncé, comme dans tout autre domaine.
En ce qui concerne la situation régionale, sans mettre les uns et les autres sur le même plan naturellement, nous avons quelque chose à demander à tous, tous les gouvernements, toutes les forces politiques : c'est de faire preuve de sens des responsabilités, c'est de ne rien faire qui compromette la reprise de la recherche d'une solution politique. Cette recherche d'une solution politique, il faudra bien y revenir, sans cela il n'y aura pas de sécurité, ou ce serait illusoire. Donc le plus tôt sera le mieux. Naturellement, cela suppose, auparavant des mesures d'urgence pour entamer la désescalade dans les territoires occupés. Il y a des décisions à prendre du côté du gouvernement israélien. Mais les Palestiniens peuvent y contribuer aussi. Comme toujours, la France recherche en ce moment avec ses partenaires européens, avec les Américains, avec tous les pays de la région, ce qui peut être utile aux peuples de la région.
Les échanges franco-syriens à ce sujet sont toujours très utiles. C'était le cas une fois encore. Cela sera le cas encore plus, si je puis dire, lors de la visite du président syrien à Paris, et donc nous poursuivrons nos efforts. Par ailleurs, nous avons parlé de beaucoup d'autres sujets ; il ne faudrait pas croire que la concertation franco-syrienne se limite à ce seul problème, même s'il est central.
Q - M. Védrine a indiqué que la France ne plaçait pas les parties sur un pied d'égalité. A la lumière de ses entretiens avec les responsables syriens, comment considère-t-il la grave situation actuelle et ses responsables ? Est-ce que le rôle de la France consiste à faire sortir une partie de l'impasse dans laquelle elle se trouve, ou à rechercher une solution ?
R - La position de la France, c'est de faire tout ce qui est utile pour arrêter cet engrenage, mais on ne peut pas demander la même chose aux uns et aux autres parce qu'ils ne sont pas dans la même situation. Je dis cela pour des raisons d'efficacité. Quand on demande par exemple la levée du bouclage des territoires occupés, cela s'adresse forcément aux Israéliens. Quand on demande le gel de la politique de colonisation, même chose. Par contre si on parle de violence cela peut concerner certains actes de l'armée israélienne mais cela peut concerner des actes palestiniens aussi. C'est un souci d'efficacité.
Q - Comment envisagez-vous le rôle de l'Union européenne ? Comment ce rôle pourrait-il être efficace ? Notamment compte tenu du fait que la France est un pays capital dans cette union. Et jusqu'à quel point, les décisions européennes sont-elles indépendantes des décisions américaines ?
R - D'abord, compte tenu des liens historiques et de proximité entre l'Europe et le Proche-Orient, je crois qu'il est important que l'Europe affirme une politique forte au Proche-Orient. Je crois que c'est indispensable et que tout le monde le souhaite maintenant. Plusieurs pays d'Europe, de l'Union européenne, mènent une politique active pour que cette politique européenne se renforce. C'est le cas de la France bien sûr, mais en ce moment aussi de deux autres pays dont les ministres viennent de passer dans la région : l'Espagne et la Belgique. Je pense que l'Europe ne doit pas simplement rappeler les grands principes, même si c'est important. Elle ne doit pas simplement distribuer des aides ou passer des accords même si c'est également important. Elle doit avoir une vraie politique avec tout ce que ça comporte et nous y travaillons activement. Si vous regardez ce que dit l'Union européenne en tant que telle aujourd'hui par rapport à il y a cinq ans ou dix ans, vous pouvez mesurer des progrès considérables. Mais cela ne répond pas encore à nos ambitions, ni à l'urgence, compte tenu de la situation. Nous allons donc intensifier cet effort. Ensuite je pense qu'il est important que cette action européenne se combine avec celle des Etats-Unis. Cela ne ferait rien progresser si nous organisions une sorte de concurrence stérile entre l'Europe et les Etats-Unis. Par contre, on peut avoir une approche différente de celle des Etats-Unis. Il faut qu'elles se combinent et que finalement un jour elles profitent à la paix.
Q - Israël a frappé la Syrie au Liban. La Syrie va-t-elle répliquer à la violence par la violence ? Et cette riposte ne risque-t-elle pas d'aggraver l'insécurité entre le Liban et Israël ?
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R - C'est un débat important. Ces expressions de retenue sont employées tous les jours par toute la communauté internationale. Je dois dire que pour ma part que quand je parle de sens des responsabilités, cela ne veut pas dire que tout le monde ait la même responsabilité. Mais chacun dans la position où il est, et même si ce n'est pas la même, peut faire preuve de sens des responsabilités. Il y a toujours plusieurs attitudes possibles dans chaque situation. Mais ce n'est pas une façon de tout mettre sur le même plan.
Q - Les Arabes ont confirmé leur choix de la paix alors que Sharon annonce que la guerre d'indépendance n'est pas terminée, comme si Israël était occupé... Comment dans ces conditions les positions européennes peuvent-elles influer sur la situation sur le terrain ?
R - Je crois que j'ai déjà répondu. Tout le monde connaît la situation. Vous savez ce que nous en pensons. Nous comprenons très bien l'aspiration des israéliens à la sécurité et à la tranquillité. Mais nous pensons que les autres peuples aussi aspirent à la sécurité et à la tranquillité. Les politiques qui visent à régler cela seulement par la force militaire, à un moment donné, ne peuvent donc pas marcher en fait. Donc cela nous ramène à ce que j'ai dit au début sur la solution politique.
Q - Vous êtes venu dans la région pour essayer de faire baisser la tension (inaudible) Quelles conclusions tirez-vous de cette visite ?
R - C'était pour moi très important d'entendre directement les plus hauts responsables syriens et libanais et leurs analyses de la situation actuelle. Cela m'a renforcé dans l'idée que les Européens doivent avoir en ce moment une action intense. C'était le cas ces derniers jours, vous l'avez vu. Je m'y suis employé pendant ces deux journées. M. Solana, au nom des Quinze, va poursuivre cet effort. Il aura dans les prochains jours des entretiens avec M. Sharon, avec le président Arafat, avec le président Moubarak et avec le Roi Abdallah. D'une façon ou d'une autre nous voudrions rétablir la perspective de négociations politiques. Je le répète, on ne peut pas espérer retrouver des situations de sécurité s'il n'y a pas la recherche de vraies solutions politiques. C'est un des axes principaux de l'action des européens.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)