Texte intégral
Q - La Conférence des Amis du peuple syrien, qui souvre ce matin à Paris, ne risque-t-elle pas dêtre une réunion de plus?
R - Il ne sagit pas dune réunion abstraite sur la Syrie, mais dune réunion pour le soutien concret au peuple syrien. Ce qui la rend particulière, cest dabord le nombre de participants : plus de 100 délégations, cest-à-dire la moitié du monde, et pour la première fois plus de 100 représentants de lopposition. Cest un cadre vaste qui permet de discuter et de prendre des décisions, à un moment où il est évident quil faut avancer. Il ne peut pas y avoir de statu quo, compte tenu de la barbarie de Bachar Al-Assad, du risque de guerre civile et confessionnelle, et dextension aux pays voisins.
Q - Le chef des observateurs de lONU en Syrie, le général Robert Mood, juge que la communauté internationale discute trop mais agit peu pour arrêter les violences...
R - Cest vrai que nous voudrions aller plus vite. Le général était présent la semaine dernière à la réunion de Genève, dont il a reconnu lavancée. Pour la première fois, un texte signé par lensemble des membres du Conseil de sécurité na pas seulement réclamé larrêt des violences mais permis de tracer une feuille de route pour une transition politique. Kofi Annan est chargé particulièrement de son application.
Q - Mais, depuis, les versions des pays signataires divergent. Cette transition doit-elle se faire avec ou sans Bachar Al-Assad?
R - Sans Bachar Al-Assad. Le texte de Genève ne peut pas avoir dautre signification, puisquil précise que lensemble du pouvoir exécutif sera transféré au gouvernement de transition. Or, que je sache, cest Assad qui, malheureusement, exerce le pouvoir exécutif aujourdhui. Le texte précise aussi que le gouvernement de transition devra être composé avec le consentement des uns et des autres. Or lopposition ne consentira évidemment pas à ce que Bachar Al-Assad reste là. Alors, après coup, les interprétations varient. Mais, nous qui avons participé à la réunion, nous savons bien ce quelle signifie.
Q - Quelles décisions concrètes attendre de la conférence daujourdhui ?
R - Plusieurs choses : élargir le champ dapplication des sanctions à lencontre du régime syrien; soutenir lopposition en lui fournissant notamment des moyens de communication; appuyer les réseaux humanitaires; demander que le texte adopté la semaine dernière soit transmis au Conseil de sécurité de lONU pour le rendre obligatoire dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
Q - Que peut-on imaginer de plus comme sanctions ?
R - Il sagit dabord de faire en sorte que les sanctions économiques et financières décidées soient appliquées, notamment dans lensemble de la région. Pour ce qui concerne lEurope, elles sont appliquées, même sil reste encore quelques renforcements possibles. La Grèce, par exemple, continue dimporter des phosphates syriens. Une compagnie de télécommunications, possédée indirectement par un État européen, doit aussi être mise sur la liste des sanctions. Nous en discutons au niveau européen.
Q - Certains pays de la région ne jouent pas le jeu ?
R - Nous voulons que tous appliquent les sanctions.
Q - Le recours à la force reste-t-il une option ?
R - Aucune option ne peut être écartée, mais le problème ne se pose pas de la même façon que pour dautres pays dans le passé. Pour des raisons politiques, géographiques, stratégiques et militaires.
Q - Une zone dexclusion aérienne est-elle au moins envisageable ?
R - Elle a été évoquée par nos amis turcs. En abattant un avion turc, le régime syrien a démontré quil avait des moyens de défense antiaérienne importants.
Q - La capacité défensive dAssad est plus forte que ne létait celle de Kadhafi en Libye ?
R - Oui.
Q - La Russie et la Chine boycottent la conférence de Paris. Comment les convaincre ?
R - Leur absence ne constitue pas une surprise. Mais je note une évolution récente : ils étaient présents la semaine dernière à Genève. Lors de sa dernière tournée au Proche-Orient, M. Poutine a dû ressentir combien les opinions publiques arabes étaient à lopposé de ses préférences. La Russie et la Chine sont attachées au principe de non-ingérence dans les affaires des États et à lordre. Mais, en tant que grandes puissances et membres permanents du Conseil de sécurité, elles doivent aussi se préoccuper de ce qui peut menacer la paix. Or, qui peut croire quavec Bachar Al-Assad et son régime on puisse aboutir à un ordre acceptable ? Personne. Le soutien à Assad naboutit quà un désordre sanglant.
Q - Sil quitte le pouvoir, Al-Assad devra-t-il rendre des comptes devant la justice internationale ?
R - Oui, on ne peut pas admettre que des crimes qui ont déjà fait plus de 16.000 victimes restent impunis. Certains dénoncent aujourdhui des exactions de la part de la rébellion mais, lorsque les massacres ont commencé, la population syrienne était pacifique. Cest lui qui a porté la terreur dans son pays.
Q - Lopposition syrienne est encore très divisée, cest un problème pour la suite ?
R - Le fait que des opposants de tous les horizons soient réunis à Paris est très positif. Nous lançons un appel à lunité. La réunion de Genève a défini les grandes lignes de la transition politique. Des progrès ont été constatés récemment lors dune réunion au Caire. Il reviendra à Kofi Annan, lenvoyé conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, daider à la mise sur pied dun gouvernement de transition.
Q - Quelles limites fixera la communauté internationale pour choisir les dirigeants syriens qui assureront cette transition, et notamment ceux issus du régime ?
R - Nous devons être très fermes sur les principes : lintégrité du territoire, le respect du droit des femmes et des différentes communautés, la mise en place dune Constitution et délections au suffrage universel. Quant au choix des personnalités, elles seront bien sûr issues de lopposition, mais il peut en exister aussi dautres, dès lors quelles nont pas été impliquées en première ligne dans les crimes et la répression.
Q - Les autres pays du Printemps arabe ont porté des islamistes au pouvoir. Est-ce inévitable ?
R - Ceux qui ont été portés au pouvoir sont souvent ceux qui ont été auparavant le plus opprimés, cest un phénomène compréhensible, presque mécanique. Nous devons à la fois soutenir laspiration à la démocratie et à la liberté dans ces pays, appuyer économiquement et culturellement les populations, mais aussi être très attentifs aux principes démocratiques qui assurent la possibilité dun ticket retour, cest-à-dire dune alternance politique. Comparaison nest pas raison, mais rappelons-nous quen France, après la Révolution, il a fallu beaucoup dépisodes avant darriver à la IIIe République. Aucune révolution nest linéaire. Et puis, une fois confrontés à la réalité du pouvoir, ces mouvements seront sûrement perçus différemment par les opinions et eux-mêmes adapteront sans doute leur attitude aux réalités.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juillet 2012
R - Il ne sagit pas dune réunion abstraite sur la Syrie, mais dune réunion pour le soutien concret au peuple syrien. Ce qui la rend particulière, cest dabord le nombre de participants : plus de 100 délégations, cest-à-dire la moitié du monde, et pour la première fois plus de 100 représentants de lopposition. Cest un cadre vaste qui permet de discuter et de prendre des décisions, à un moment où il est évident quil faut avancer. Il ne peut pas y avoir de statu quo, compte tenu de la barbarie de Bachar Al-Assad, du risque de guerre civile et confessionnelle, et dextension aux pays voisins.
Q - Le chef des observateurs de lONU en Syrie, le général Robert Mood, juge que la communauté internationale discute trop mais agit peu pour arrêter les violences...
R - Cest vrai que nous voudrions aller plus vite. Le général était présent la semaine dernière à la réunion de Genève, dont il a reconnu lavancée. Pour la première fois, un texte signé par lensemble des membres du Conseil de sécurité na pas seulement réclamé larrêt des violences mais permis de tracer une feuille de route pour une transition politique. Kofi Annan est chargé particulièrement de son application.
Q - Mais, depuis, les versions des pays signataires divergent. Cette transition doit-elle se faire avec ou sans Bachar Al-Assad?
R - Sans Bachar Al-Assad. Le texte de Genève ne peut pas avoir dautre signification, puisquil précise que lensemble du pouvoir exécutif sera transféré au gouvernement de transition. Or, que je sache, cest Assad qui, malheureusement, exerce le pouvoir exécutif aujourdhui. Le texte précise aussi que le gouvernement de transition devra être composé avec le consentement des uns et des autres. Or lopposition ne consentira évidemment pas à ce que Bachar Al-Assad reste là. Alors, après coup, les interprétations varient. Mais, nous qui avons participé à la réunion, nous savons bien ce quelle signifie.
Q - Quelles décisions concrètes attendre de la conférence daujourdhui ?
R - Plusieurs choses : élargir le champ dapplication des sanctions à lencontre du régime syrien; soutenir lopposition en lui fournissant notamment des moyens de communication; appuyer les réseaux humanitaires; demander que le texte adopté la semaine dernière soit transmis au Conseil de sécurité de lONU pour le rendre obligatoire dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
Q - Que peut-on imaginer de plus comme sanctions ?
R - Il sagit dabord de faire en sorte que les sanctions économiques et financières décidées soient appliquées, notamment dans lensemble de la région. Pour ce qui concerne lEurope, elles sont appliquées, même sil reste encore quelques renforcements possibles. La Grèce, par exemple, continue dimporter des phosphates syriens. Une compagnie de télécommunications, possédée indirectement par un État européen, doit aussi être mise sur la liste des sanctions. Nous en discutons au niveau européen.
Q - Certains pays de la région ne jouent pas le jeu ?
R - Nous voulons que tous appliquent les sanctions.
Q - Le recours à la force reste-t-il une option ?
R - Aucune option ne peut être écartée, mais le problème ne se pose pas de la même façon que pour dautres pays dans le passé. Pour des raisons politiques, géographiques, stratégiques et militaires.
Q - Une zone dexclusion aérienne est-elle au moins envisageable ?
R - Elle a été évoquée par nos amis turcs. En abattant un avion turc, le régime syrien a démontré quil avait des moyens de défense antiaérienne importants.
Q - La capacité défensive dAssad est plus forte que ne létait celle de Kadhafi en Libye ?
R - Oui.
Q - La Russie et la Chine boycottent la conférence de Paris. Comment les convaincre ?
R - Leur absence ne constitue pas une surprise. Mais je note une évolution récente : ils étaient présents la semaine dernière à Genève. Lors de sa dernière tournée au Proche-Orient, M. Poutine a dû ressentir combien les opinions publiques arabes étaient à lopposé de ses préférences. La Russie et la Chine sont attachées au principe de non-ingérence dans les affaires des États et à lordre. Mais, en tant que grandes puissances et membres permanents du Conseil de sécurité, elles doivent aussi se préoccuper de ce qui peut menacer la paix. Or, qui peut croire quavec Bachar Al-Assad et son régime on puisse aboutir à un ordre acceptable ? Personne. Le soutien à Assad naboutit quà un désordre sanglant.
Q - Sil quitte le pouvoir, Al-Assad devra-t-il rendre des comptes devant la justice internationale ?
R - Oui, on ne peut pas admettre que des crimes qui ont déjà fait plus de 16.000 victimes restent impunis. Certains dénoncent aujourdhui des exactions de la part de la rébellion mais, lorsque les massacres ont commencé, la population syrienne était pacifique. Cest lui qui a porté la terreur dans son pays.
Q - Lopposition syrienne est encore très divisée, cest un problème pour la suite ?
R - Le fait que des opposants de tous les horizons soient réunis à Paris est très positif. Nous lançons un appel à lunité. La réunion de Genève a défini les grandes lignes de la transition politique. Des progrès ont été constatés récemment lors dune réunion au Caire. Il reviendra à Kofi Annan, lenvoyé conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, daider à la mise sur pied dun gouvernement de transition.
Q - Quelles limites fixera la communauté internationale pour choisir les dirigeants syriens qui assureront cette transition, et notamment ceux issus du régime ?
R - Nous devons être très fermes sur les principes : lintégrité du territoire, le respect du droit des femmes et des différentes communautés, la mise en place dune Constitution et délections au suffrage universel. Quant au choix des personnalités, elles seront bien sûr issues de lopposition, mais il peut en exister aussi dautres, dès lors quelles nont pas été impliquées en première ligne dans les crimes et la répression.
Q - Les autres pays du Printemps arabe ont porté des islamistes au pouvoir. Est-ce inévitable ?
R - Ceux qui ont été portés au pouvoir sont souvent ceux qui ont été auparavant le plus opprimés, cest un phénomène compréhensible, presque mécanique. Nous devons à la fois soutenir laspiration à la démocratie et à la liberté dans ces pays, appuyer économiquement et culturellement les populations, mais aussi être très attentifs aux principes démocratiques qui assurent la possibilité dun ticket retour, cest-à-dire dune alternance politique. Comparaison nest pas raison, mais rappelons-nous quen France, après la Révolution, il a fallu beaucoup dépisodes avant darriver à la IIIe République. Aucune révolution nest linéaire. Et puis, une fois confrontés à la réalité du pouvoir, ces mouvements seront sûrement perçus différemment par les opinions et eux-mêmes adapteront sans doute leur attitude aux réalités.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juillet 2012