Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur la situation économique et financière de la France et de l'Europe, sur les engagements gouvernementaux pour le redressement des comptes publics, Paris le 3 juillet 2012.

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Circonstance : Journées internationales de Paris-Europlace, à Paris les 3 et 4 juillet 2012

Texte intégral

Monsieur le Président, Cher Gérard MESTRALLET,
Mesdames et Messieurs,
Europlace prend l’initiative chaque année d’offrir un espace de réflexion et d’échanges au secteur financier et au ministre de l’économie et des finances en poste : c’est bien volontiers et même avec plaisir que je me conforme à cette tradition. Dans deux heures, le Premier ministre fera son discours de politique générale au terme duquel il sollicitera la confiance du Parlement. Vous comprendrez que c’est à la fois un moment fort et une contrainte importante qui m’impose une certaine réserve, mais je tenais à venir à votre rencontre aujourd’hui, et à vous dire l’état d’esprit qui est le mien. Nous entamons ici un dialogue sur la compétitivité de la place de Paris, la régulation financière, le financement de l’économie, que nous aurons l’occasion de prolonger dans les mois qui viennent.
Nous sortons d’une longue séquence européenne qui a culminé avec le Conseil européen de la semaine dernière. Elle a été l’occasion pour le Président de la République et le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault de porter avec détermination auprès de nos partenaires européens un même message : il est crucial, dans le contexte où nous sommes, que l’économie française retrouve le chemin de la croissance, du redressement dans la justice.
Retrouver la croissance passera notamment par un financement plus solide, plus dynamique, plus efficace, de l’économie. Le gouvernement déploiera l’ensemble des outils fiscaux, législatifs et règlementaires à sa disposition pour que le secteur financier remplisse pleinement sa fonction première: le financement de l’économie réelle.
Nous tiendrons compte des contraintes qui pèsent sur ce secteur aujourd’hui, et des mutations qu’il connaît. L’objectif n’est pas de déstabiliser un écosystème qui occupe une place stratégique dans l’économie. Mais nous sommes déterminés à mettre pleinement en oeuvre tous nos engagements, et à mener à bien les chantiers nécessaires.
Un mot d’abord sur la situation économique et financière en Europe et France
L'Union Européenne a pris des initiatives ambitieuses pour surmonter la crise depuis deux ans et demi, avant de connaître une nouvelle période de tensions. C’est pourquoi je me félicite vivement que le Conseil européen ait adopté vendredi dernier des mesures énergiques pour rétablir la croissance, renforcer la stabilité financière et ouvrir une perspective nouvelle d’intégration.
La croissance a été replacée au coeur des préoccupations, comme le souhaitait le Président de la République, avec l’adoption d’un pacte pour la croissance s’appuyant sur 120 milliards d'euros de moyens, des ressources nouvelles et une orientation des instruments et des politiques de l'UE en faveur de cet objectif.
Des mesures fortes ont également été prises pour soutenir la stabilité financière dans la zone euro, et notamment pour casser le lien entre dette bancaire et dette souveraine :
* Nous mettrons en place en zone euro une supervision intégrée des systèmes bancaires avant la fin de l'année, avec un rôle renforcé de la BCE. Les fonds de solidarité européens pourront intervenir en recapitalisation directe des banques, en particulier en direction de l’Espagne : cette charge financière ne pèsera plus sur les Etats, mais sur le Mécanisme Européen de Stabilité.
* L'assistance financière qui a été décidée pour l'Espagne sera mise en oeuvre d'abord par les fonds de solidarité ; ils interviendront aux mêmes conditions, sans séniorité par rapport aux autres prêteurs à l'Espagne, ce qui devrait apaiser les tensions sur les taux espagnols.
* Pour les Etats qui font des efforts pour redresser leurs finances publiques et qui respectent les règles européennes, ce qui est notamment le cas de l’Italie, la zone euro est déterminée à agir pour stabiliser les marchés obligataires.
Enfin le Conseil européen a donné un signal fort d’intégration. Nous nous sommes assignés plusieurs chantiers, dont l'intégration complète en matière financière, un cadre budgétaire à la mesure de la mutualisation des dettes, et une coordination des politiques économiques. Rendez-vous a été pris en octobre prochain pour évaluer nos progrès.
Des avancées majeures ont donc été réalisées la semaine dernière. Elles marquent la volonté claire des Chefs d’Etat et du gouvernement, que je souhaite partagée, pour renforcer la zone euro et ses réformes.
Au niveau national, nous héritons d’une situation budgétaire très dégradée, dont la Cour des comptes a fixé les termes. Je sais qu’il y a un débat sur les responsabilités de cette situation et les options à en tirer : c’est la démocratie. Je m’en tiens aux faits. Sans action correctrice de notre part, le déficit public s'établirait en fin d'année à 5% du produit intérieur brut (PIB) – comparable aux 5,2% de 2011. L’endettement public a augmenté de 600 milliards d’euros entre fin 2006 et fin 2011. La persistance de ces déséquilibres est un facteur de fragilisation de notre économie.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a donc fait du redressement des comptes une priorité, et a plusieurs fois réaffirmé les engagements européens de la France en matière de finances publiques. C’est la condition pour que le pays reste crédible et solide, et pour qu’il puisse retrouver en se désendettant des marges de manoeuvre pour la croissance. La trajectoire de finances publiques que nous visons est connue : après un déficit constaté de 5,2% en 2011, nous contiendrons le déficit à 4,5% du PIB en 2012, avant de le ramener à 3% en 2013, pour revenir à l’équilibre budgétaire en 2017. Nous tiendrons ces engagements.
Nous avons d’ores et déjà posé les premiers jalons de ce plan d’ajustement des comptes :
* Le Premier ministre a organisé le 25 juin un séminaire gouvernemental pour exposer à chaque ministre les implications de ses engagements, notamment en matière de dépenses.
Pour 2012, une loi de finances rectificative sera soumise demain au Parlement. Elle permettra de sécuriser l’objectif de 4,5% du PIB, en adoptant les mesures fiscales nécessaires au vu de l’audit des finances publiques reçu. Elle sera complétée par un débat d’orientation budgétaire au cours duquel le gouvernement réaffirmera son engagement de réduire le déficit à 3% en 2013 et de mettre en place un cadrage budgétaire rigoureux.
* A l’automne, enfin, le Gouvernement soumettra au Parlement un projet de loi de programmation définissant la trajectoire pluriannuelle et des règles de gouvernance qui permettront de crédibiliser le retour à l'équilibre en 2017.
Dans ce cadre je veux appuyer résolument le développement de la place financière de Paris et piloter, en lien avec vous, les inflexions nécessaires en matière de régulation financière.
Je souhaite en effet que la France dispose d’une place financière dynamique et forte au service des entreprises, notamment des PME, et de l’économie réelle.
Deux grands défis sont devant nous :
Premier défi : l’entrée en vigueur d’un nouveau cadre réglementaire, qui va pousser à une mutation profonde de notre système bancaire et financier. Le déploiement de nouvelles règles prudentielles doit permettre de restaurer la confiance des marchés dans le secteur bancaire et financier européen. Je suis très vigilant sur ces évolutions. Il est cependant important de ne pas précipiter la mise en oeuvre de ces réformes, par rapport au calendrier défini par le Comité de Bâle, afin de permettre une adaptation progressive à cette nouvelle réglementation prudentielle pour éviter un impact trop brutal sur le financement de l’économie. Car le gouvernement attend des banques qu’elles continuent à jouer leur rôle dans le financement de notre économie et de nos entreprises.
Deuxième défi : la nouvelle situation des marchés, marquée par des tensions fortes et une grande volatilité. Nous connaissons cette situation depuis plusieurs années et nous souhaitons tous qu’elle ne soit que temporaire. Mais nous devons constater sa persistance, avec les risques qu’elle comporte, notamment pour les banques qui dépendent des marchés pour leur refinancement. Nous devons donc veiller à protéger le financement de notre économie des conséquences de cette volatilité accrue. Elle doit en particulier nous inciter à garantir à notre économie des ressources stables et pérennes.
Face à ces défis, il nous faut une place financière forte pour deux grands objectifs :
* nous attendons de la place financière qu’elle oriente l’épargne des Français vers le financement de l’économie réelle en France. Notre économie a besoin de financements qui s’inscrivent dans le temps long, celui de l’innovation et de l’industrie. Je pense en particulier qu’en dépit des nouvelles contraintes réglementaires, l’investissement des assureurs en actions doit être encouragé, notamment sur le segment de l’innovation.
* nous avons besoin d’une place financière forte et dynamique, car c’est une condition pour rester maître de notre destin. Face au développement de nouvelles places et de grands investisseurs internationaux, disposer d’une place financière de taille mondiale est une question de souveraineté nationale.
* Nous mettrons donc en oeuvre une réforme ambitieuse du financement de l’économie pour servir ces objectifs et permettre de conforter notre modèle. Cette réforme comportera trois grands axes : développer les financements ; renforcer les acteurs de notre système bancaire et financier ; réguler les marchés.
Développer les financements
L’objectif de la réforme sera de mieux orienter l’épargne vers l’investissement et le soutien aux entreprises sur le long terme. Nous veillerons cependant à établir un calendrier qui réponde bien aux besoins sans déstabiliser les acteurs concernés. C’est dans le cadre de cette réforme d’ensemble, qui touchera également l’épargne réglementée, que sera mis en place le doublement du plafond du Livret A prévu par le Président de la République. J’ai confié à Pierre Duquesne une mission pour qu’il me fasse des propositions de réforme de l’épargne réglementée à la rentrée.
Développer les financements c’est aussi l’objet de la Banque Publique d’Investissement (BPI) que le gouvernement créera à l’automne, conformément aux engagements pris par le Président. La BPI répond à des enjeux concrets et immédiats pour le financement de l'économie française, et d'abord le financement des PME et des entreprises innovantes. Des structures performantes existent, mais nous devons faire mieux, c’est-à-dire faire plus simple, plus stratégique, et plus efficace. Cela passera par un « guichet unique » en région capable de guider les entreprises vers les dispositifs appropriés, un réseau de distribution unique de l’ensemble des outils publics de financement, et un rôle accru de l’Etat dans le pilotage de ces instruments, pour orienter les investissements vers les secteurs d’avenir. Pour mener la concertation j’ai souhaité qu’une mission de préfiguration soit menée par Bruno Parent qui remettra ses premières conclusions le 30 juillet prochain.
Renforcer les acteurs de notre système bancaire et financier.
Comme nous nous y sommes engagés, nous mènerons une réforme bancaire dont l’objectif sera de préserver le financement de l’économie de la volatilité des marchés. Totalement complémentaire de la réforme de l’épargne, elle permettra ainsi d’accompagner l’adaptation des banques à leur nouveau cadre réglementaire, et de s’assurer qu’elles affectent leurs ressources au financement de l’économie réelle. Cette initiative tiendra compte des conclusions du groupe Liikanen, attendues pour l’automne.
Nous poursuivrons, en parallèle, les grands chantiers prudentiels. La réforme de Bâle III amène un renforcement des exigences en matière de solvabilité et de liquidité pour les banques. Nous l’appliquerons en veillant à ce que notre modèle, qui repose sur le financement intermédié et le crédit bancaire, ne soit pas remis en question. Nous attendons de tous nos partenaires, au premier rang desquels les Etats-Unis, qu’ils appliquent ces nouvelles règles du jeu, afin d’éviter toute distorsion de concurrence entre les banques européennes et les banques américaines.
Par ailleurs nous devons mener une réflexion sur le renforcement des infrastructures de marché. Les réformes en cours vont induire des changements dans l’organisation des marchés ; elles les renforceront en termes de stabilité financière. Je suis prêt à travailler avec la Place pour en renforcer également l’attractivité et la compétitivité. Je salue d’ailleurs les travaux de L-C-H-Clearnet, qui a lancé en France, en zone euro, une plateforme de compensation pour les dérivés de crédit à vocation mondiale. Nous devons réfléchir à d’autres initiatives de la Place pour conserver le rôle de Paris dans les marchés internationaux et consolider le poids qu’elle a déjà auprès des investisseurs internationaux.
Réguler les marchés
La crise a montré un besoin de régulation financière. Elle a mis en lumière que l’autorégulation des acteurs n’était pas suffisante pour limiter le risque supporté globalement par l’économie. Elle a également démontré le besoin de règles définies au niveau international et qui s’appliquent à tous : la régulation ne doit pas être utilisée comme une arme dans une politique commerciale. C’est la raison pour laquelle le G20 et le Forum de stabilité financière sont des enceintes clés pour faire avancer les nécessaires réformes financières. Je porterai dans ces enceintes un message fort et une vision ambitieuse de la régulation financière. Sur ce point, je serai très clair: certaines pratiques de marché sont dangereuses et ne sont pas utiles à l’économie réelle. Nous devons les interdire si c’est nécessaire. On ne régule pas une pratique nocive, on la proscrit.
Par ailleurs, le renforcement de la réglementation prudentielle ne doit pas conduire à son contournement par d’autres formes de financement moins régulés. C’est dans cette perspective que les pays membres du G20, avec l’aide du conseil de stabilité financière, se sont mobilisés pour renforcer la régulation du « système bancaire parallèle » (shadow banking system) : leurs travaux devraient déboucher fin 2012 sur des recommandations visant à mieux encadrer les fonds monétaires pour éviter les phénomènes de panique d’un genre nouveau sur les marchés observés pendant la crise, à renforcer la transparence en matière de titrisation, et à sécuriser les opérations de prêts/emprunts de titres. Nous soutenons les efforts européens engagés sur ce plan, d’autant plus que le droit français en la matière est particulièrement avancé et offre déjà de nombreuses garanties.
D’autres réformes cruciales pour la stabilité et une meilleure organisation des marchés sont en cours de négociation à Bruxelles. La France y participera très activement en défendant une adaptation de la régulation à l’évolution des acteurs et des marchés. La révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers devra ainsi tenir compte des nouveaux enjeux - nouvelles pratiques et avancées technologiques, rôle croissant des acteurs financiers sur les marchés des matières premières notamment. Là encore, la France souhaite des réformes ambitieuses.
Le gouvernement a enfin soutenu la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTF) en Europe. Il est essentiel – mais surtout, il est juste – que le secteur financier, pour partie à l’origine de la crise, soit associé à l’effort de consolidation des finances publiques. Le déploiement le 1er août prochain de la taxe sur les transactions financières au niveau national doit être la première étape d’une taxe européenne, voire mondiale de sorte que la place de Paris n’en pâtisse pas. Le Conseil européen a validé la semaine dernière le principe d’une telle taxe d’ici la fin de l’année, dans le cadre d’une coopération renforcée entre les Etats membres volontaires - dont l’Allemagne et l’Italie. Cette taxe aura vocation, dans un second temps, à s’appliquer à l’ensemble des pays de l’Union.
Les inflexions que nous défendons obéissent – je l’ai dit – à un même objectif : permettre aux marchés financiers de remplir pleinement leur fonction première, le financement de l’économie réelle. Elles laissent une large place à l’innovation financière, dès lors que cette fonction première est assurée et que les risques sont maîtrisés.
Je souhaitais enfin insister sur le fait qu’une bonne régulation est un atout pour notre place financière, qui bénéficie aujourd’hui de la protection offerte aux investisseurs et de la qualité de la supervision française. Je me réjouis que nous bénéficiions, avec le Haut Comité de Place (HCP), d’un espace qui facilite l’échange entre les parties prenantes, et je souhaite qu’il devienne un lieu de rencontres et de réflexion régulier entre nous. Le HCP pourrait ainsi se saisir d’initiatives ambitieuses visant à dynamiser l’accès des PME aux marchés.
Il y a là, nous le savons, une faiblesse française : nos PME, nos ETI ont du mal à lever des capitaux sur les marchés. C’est un problème d’organisation. C’est un problème de culture. C’est un problème de régulation. Un entrepreneur n’introduit pas sa société en bourse s’il a le sentiment que, dès qu’il sera coté, son titre deviendra le jouet d’arbitrages électroniques.
Je ne suis pas contre la bourse, contre les marchés, cela n’aurait pas de sens : mai je suis pour une bourse des entreprises, une bourse du financement de l’innovation et de la prise de risque industrielle.
Je prends note à cet égard des travaux du « comité d’orientation stratégique » – présidé par Fabrice Demarigny – dont les conclusions viennent d’être rendues publiques. Le projet qu’il dessine me semble digne d’intérêt : une bourse des entreprises, en France, en zone euro, fortement régulée, favorisant l’investissement et décourageant la spéculation court-termiste. Le Comité a effectué un travail intéressant ; tous les acteurs, et notamment les entreprises, doivent maintenant s’en saisir, l’amender, l’enrichir. Je vous donne à tous rendez-vous à l’automne 2012, avant l’organisation d’un Haut Comité de Place sur le sujet.
Je souhaite qu’un consensus de place permette en effet le lancement d'un nouveau marché boursier, plus dynamique, pour les PME et les ETI. Une Bourse de l’Entreprise à Paris serait un solide complément à la politique de financement de l’économie dont j’ai exposé les grandes lignes aujourd’hui. Elle serait un atout pour la place, dans un contexte européen qui reste compétitif ; et elle constituerait un projet fort d’accompagnement et de développement de l’économie réelle par le système financier.
Prenons date pour la suite de ces travaux, avant de nous retrouver ici en 2013, dans une situation que j’espère à la fois plus stable et plus forte. Travaillons-y ensemble.
Merci de votre attention.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 12 juillet 2012