Interview de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, à Europe 1 le 22 mai 2001, sur la proposition de 30 députés de gauche de mettre J. Chirac en examen et sur le projet de loi sur la réforme du statut de la Corse.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach 30 députés de gauche sont prêt à mettre J. Chirac en accusation. Est-ce peu, beaucoup, beaucoup trop ?
- "Il y en aura d'autres."
Comment ça "il y en aura d'autres" ?
- "Il y en aura d'autres parce que c'est la manière dont le PS a choisi de faire la campagne présidentielle. Ils veulent entretenir ce débat misérable jusqu'à l'élection présidentielle. Ils n'ont que ça contre J. Chirac."
Vous pensez que le but de la démarche n'est peut-être pas d'aboutir mais de faire du mal ?
- "Le but est de calomnier. La démarche d'A. Montebourg est en réalité diligentée par les dirigeants socialistes. Car vous savez, on essaye avec hypocrisie de nous faire croire qu'il agit de sa propre initiative. Mais c'est un responsable important du PS, il a des responsabilités. C'est à lui qu'on avait confié par exemple le rapport sur les tribunaux de commerce ; c'est à lui qu'on avait confié le rapport sur le blanchiment de l'argent sale. C'est quelqu'un qui compte au PS donc, il fait cela naturellement à l'instigation de ses dirigeants. Et vous verrez que, régulièrement, pour entretenir le feu, on ajoutera d'autres signatures."
Mais il faut vous rappeler peut-être des déclarations des vrais responsables du PS, et d'abord de leur chef, F. Hollande, qui va d'une radio à une télévision expliquer qu'il a découragé les élus PS de signer, qu'il les a mis en garde."
- "Je ne le crois pas ! Quand on connaît la discipline de fer du groupe socialiste ..."
... Là, ça ne marche pas, 19 au PS ...
- "Comme par hasard, là ça ne marche pas. Quand on connaît la discipline de fer du groupe socialiste pour les votes - il ne manque jamais une seule voix, ils les tiennent dans un corset très serré ! Et là, comme par hasard, il y en a 19 qui leur échappent. Parmi ces 19 d'ailleurs, le pointage est intéressant, on trouve par exemple le suppléant du ministre Glavany ou le voisin de circonscription de F. Hollande. Ces gens ne se parlent pas...."
Soyons honnêtes : ils sont obscurs, ils sont peu connus.
- "Bien entendu, c'est pour cela qu'on les a choisis."
Ce n'est pas désobligeant à leur égard.
- "Ce n'est pas désobligeant : c'est pour cela qu'on les a choisis, à cause de leur discrétion. Mais vous verrez qu'il y en aura d'autres. C'était assez difficile d'en trouver une trentaine pour faire de l'effet. L'essentiel est d'entretenir la calomnie."
Croyez-vous que les quatre Verts, dont Y. Cochet et N. Mamère, jouent aussi pour monsieur Hollande ? Seraient-ils aux ordres de Hollande ?
- "Non, mais l'un voudrait devenir ministre, l'autre est virtuellement candidat à la présidence de la République, personne n'est désintéressé dans cette affaire. Ils font tous campagne. Et puis vous savez, parler du Président de la République, ça permet de faire oublier les turpitudes du PS. Parce qu'il y a plein d'affaires dans lesquelles le PS est mêlé, il y a quatre affaires dans lesquelles le nom de monsieur Jospin est cité sur des emplois fictifs, quatre ! Et pendant qu'on parle du Président de la République, on ne parle pas de cela."
Autrement dit, quand vous entendez F. Hollande répéter - moi, à ma modeste place, j'ai fini par le croire - "que la gauche veut pour 2002 un débat sur la politique, pas sur la justice et sur les affaires", au lieu de le prendre au mot, vous dites qu'il ment ?
- "Je ne le crois pas! La preuve d'ailleurs, c'est la violence même de monsieur Hollande qui, dimanche, a agressé le Président de la République, en disant : "Chirac a lâché les freins" ! Je peux lui répondre que Jospin a lâché les chiens, parce que lundi matin, on voyait A. Montebourg et ses amis harceler le Président de la République."
Elle commence bien cette campagne !
- "Vous voyez, c'est exactement cela : c'est la campagne."
Vous venez d'accuser Hollande de mensonge.
- "Je dis simplement que je ne le crois pas parce qu'on n'a jamais vu le PS aussi indiscipliné, ça n'est jamais arrivé."
On va revenir sur le fond de la démarche. Que pensez-vous de l'entêtement judiciaire d'A. Montebourg, de ses convictions, et de la démarche elle-même ?
- "Je suis étonné par le mélange des genres, car il y a un vrai problème : la principale accusation d'A. Montebourg repose sur les déclarations de monsieur Ciolina au juge d'instruction, déclarations d'ailleurs purement fantaisistes, étayées d'aucune preuve, de "on dit", et motivées par la vengeance de M. Ciolina qui est en conflit avec les anciens élus de Paris. Or, monsieur Ciolina avait pour avocat monsieur Montebourg. Et monsieur Montebourg reprend les déclarations de son propre client dans sa démarche politique. C'est assez étonnant qu'un député exploite les clients de l'avocat !"
Vous qui êtes à l'Assemblée nationale, avez-vous lu le projet de résolution de renvoi ?
- "Un vrai-faux projet."
Pourquoi ?
- "Un projet de résolution à l'Assemblée nationale est normalement publié par l'Assemblée nationale. Or celui-ci ne l'est pas puisque monsieur Montebourg a eu recours à un éditeur privé pour publier son document. Le projet de monsieur Montebourg est irrecevable et il n'est pas publiable par l'Assemblée nationale."
Ne croyez-vous pas qu'A. Montebourg pense qu'il va toucher plus de monde dans le public avec la diffusion et la vente de sa brochure de 35
pages ?
- "L'Assemblée nationale ne l'a pas publié, elle ne l'édite pas, elle ne le publie pas !"
Allez-vous jusqu'à dire qu'A. Montebourg est un agent à peine camouflé de L. Jospin ?
- "Si cet homme était aussi animé d'un esprit de procureur, d'un esprit de pureté, il pourrait commencer par sa propre maison. Il y a de quoi faire pour les affaires au PS ! Entre celle de la Mnef, celle de monsieur Destrade, celle qui touche monsieur Jospin en Haute-Garonne et pour laquelle un procureur indépendant refuse même d'enquêter ! Elle est belle la justice aujourd'hui !"
On va vous dire à gauche que c'est l'hôpital qui se moque de la charité ...
- "Qui met le débat sur ce thème ? Ils ont choisi d'engager la campagne présidentielle par une agression à ras de terre et au ras du caniveau contre le Président de la République. Il ne faut pas qu'ils s'étonnent qu'on leur dise qu'ils ne sont pas bien placés pour faire la morale."
Sur les reproches adressés sur le fond à l'ancien maire de Paris - sur les HLM de Paris, les emplois fictifs au RPR, à la mairie de Paris -, il n'y a aucune culpabilité selon vous ?
- "Notre parti politique, comme les autres partis politiques, a évidemment usé de moyens illicites de financement, comme le PS, comme le PC, comme les autres partis."
C'est un aveu !
- " Tout le monde le sait, tout le monde l'a dit. D'ailleurs, A. Juppé, qui a pris courageusement la responsabilité pour essayer de sortir de ces actes, est celui qui a été mis en cause par la justice. Donc nous savons tout cela, il y en a partout."
Dernière question sur ce thème : la gauche et l'UDF sont pratiquement favorables à une révision de la Constitution sur le statut et la question de l'immunité du prochain Président de la République, afin qu'il soit un justiciable comme un autre. Et vous ?
- "Je suis pour une évolution, non pas qu'il soit "un justiciable comme un autre" car dans toutes les démocraties ..."
... Il doit être protégé ?
- .".. les responsables de l'exécutif sont protégés contre la vindicte de n'importe quel citoyen, de n'importe quel juge qui pourraient se croire tous les droits. Mais on peut moderniser malgré tout le système puisque le statut de la Haute Cour date du XIXème siècle. On a aujourd'hui créé la Cour de justice de la République, qui est un système spécial qui protège les ministres."
Donc, on peut le faire évoluer pour 2002, pour le prochain Président de la République ?
- "On peut imaginer avoir un débat apaisé, raisonnable, non intéressé au plan électoral, pour moderniser ce statut."
C'est aujourd'hui qu'aura lieu le vote solennel par les députés de la loi sur la Corse. Est-ce que vous allez assister, malgré vous, à une victoire politique de L. Jospin ?
- "On n'est pas au bout. Si on était ..."
On "n'est pas au bout de cela" c'est-à-dire que ça vous pend au nez ?
- "Il y aura d'autres lectures ..."
Au Sénat ?
- "Le processus n'est pas achevé. Si on pouvait évoluer vers la paix en Corse, je serais très heureux. Malheureusement, je ne crois pas que l'on puisse réformer sous la menace. Aujourd'hui, les dirigeants nationalistes, ceux qui sont partisans des accords de Matignon, ont fait moins de 20 % aux dernières élections municipales ! Peut-on réformer contre la volonté des Corses ? Deuxièmement, peut-on accepter que les gens avec lesquels on discute nous déclarent qu'ils veulent réserver les emplois de Corse aux Corses -ce que dit Le Pen au plan national, la "corsisation" de l'emploi - qu'ils sont solidaires de tous les clandestins, y compris des assassins du préfet Erignac ! Est-ce sous la menace qu'il faut réformer ? Je ne le crois pas."
Beaucoup "d'étoiles" de l'opposition devraient voter la loi Jospin avec Vaillant il y a : Léotard, Madelin, Giscard d'Estaing, Balladur, Méhaignerie, Sarkozy ... Est-ce qu'ils trahissent leur camp ?
- "Mais non ! Les députés votent en conscience et chacun apprécie les choses comme il veut. Beaucoup de gens sont pour la décentralisation, y compris moi-même."
Montrez-le.
- "Oui, mais pas avec un pistolet sur la tête !"
Le ministre de l'Intérieur a un pistolet ?
- "Je veux dire que les nationalistes disent qu'ils ne garantissent rien, surtout pas la paix ..."
...Ce sont des élus.
- .".. qui s'affirment solidaires des clandestins."
Si vous arrivez au pouvoir, vous ne parlerez pas avec eux ?
- "Evidemment je parlerais avec eux, mais est-ce que pour autant j'obéis ?"
S'agit-il d'obéissance à leur égard ? Tenir compte de ce qu'ils représentent
- "Je préconise que l'on interroge les Corses soit par une consultation qui est certes sans valeur juridique compte tenu de notre Constitution - on peut leur demander s'ils sont favorables aux accords de Matignon, après tout la démocratie c'est ça ! - soit en dissolvant l'Assemblée de Corse et en ayant un débat qui, pour la réélection des nouveaux conseillers de Corses, portera justement sur les Accords de Matignon."
F. Bayrou dit aussi "consultation d'initiative locale ou un référendum local."
- "Oui. Il faut consulter les Corses."
Et si les Corses à ce moment-là approuvent le processus de Matignon, que faites-vous ?
- "Je l'approuverai aussi. Je suis démocrate, il n'y a aucun problème."

(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 22 mai 2001)