Texte intégral
A. Chabot - Peut-on dire que sans Milosevic, il n'y aurait pas eu le siège de Sarajevo, la destruction de Bukovar, le massacre de Srébénitca ou la déportation des Albanais du Kosovo ? C'est lui, rien que lui ?
- "Ce n'est pas rien que lui mais il a joué un rôle sinistre et capital. Ce n'est pas rien que lui parce que ce n'est pas lui qui se battait, ce n'est pas lui qui tuait, ce n'est pas lui violait, ce n'est pas lui qui déportait, ce n'est pas lui qui a été responsable du nettoyage ethnique sur le terrain, mais c'est lui qui l'a ordonné."
C'est lui qui l'a inspiré donc c'est le premier responsable et c'est juste qu'il soit jugé au Tribunal international ?
- "Plus que juste ! Le contraire eut été un scandale absolu. C'est le début d'une justice internationale. C'est le début d'un peu de confiance dans les institutions créées très justement pour faire justice au-delà des frontières. Ne pas arrêter la marche de la justice dès lors que les assassins se cachent derrière une frontière, c'est le début d'une justice internationale pour les Hommes et pas pour le système."
N'était-il pas au fond légitime que les Serbes qui ont souffert du fait de Milosevic puissent aussi le juger ? Ce sont eux après tout qui l'ont renversé.
- "Je crois que nous les avons bien aidés. Si vous le permettez, l'ingérence comme vous le savez ne s'est pas arrêtée au système judiciaire. Elle a, pour la première fois, peut-être un peu tardivement pour la Bosnie et encore plus tardivement pour le Kosovo, fait pression, même militairement, pour que les exactions s'arrêtent. C'est grâce à la détermination internationale et à cette nouvelle notion que les criminels, même au-delà des frontières, seront poursuivis. La prochaine fois, ce sera à titre préventif, ils seront empêchés de nuire. S'il n'y avait pas eu cette pression internationale, ces guerres, ces sacrifices ainsi que cette détermination internationale de l'Onu et de l'Otan, il n'y a aurait rien eu du tout : monsieur Milosevic serait toujours chez lui et la démocratie n'aurait pas pu revenir à Belgrade."
Il y a eu des pressions militaires mais aussi économiques. Aujourd'hui, on dit que la comparution de Milosevic au TPI est condition pour recevoir des aides. Donc, ce qui se passe aujourd'hui c'est la conséquence de ces pressions économiques, américaines notamment ?
- " Oui et je les en félicite. D'habitude, on donne de l'argent sans contre- partie. C'est l'argent de qui ? C'est l'argent des Américains, l'argent des Français...
... des Européens...
- "Je sais qu'il y a des gens qui ont protesté. J'étais à New-York hier où j'ai entendu S. Lavrov, l'ambassadeur russe au Conseil de sécurité, qui protestait. Je trouve que c'est non seulement de bonne guerre plus moral encore."
Ce n'est donc pas choquant ?
- "Ce n'est pas choquant. Le contraire aurait été choquant. On n'a pas acheté Milosevic. Monsieur Djindjic, le premier ministre, que je salue, légitimement et démocratiquement élu premier ministre de Serbie, a décidé de livrer lui-même Milosevic au Tribunal international pour des crimes - songeons aux 250 000 morts de Bosnie, aux milliers de morts du Kosovo, aux milliers de viols systématiques. Il a été décidé de livrer à la justice nouvelle forte et enfin représentative. Nüremberg a été fait après, là on s'est un peu plus hâté."
Certains vont dire que les Occidentaux ont beaucoup soutenu, peut-être trop longtemps Milosevic. C'était l'interlocuteur un peu privilégié de Dayton pour obtenir les accords de paix en Bosnie. On a trop attendu ?
- "C'est vrai que Milosevic a signé la paix de Dayton et que cela a fait la paix en Bosnie. Une paix fragile et difficile. J'aurais souhaité qu'on parle aussi du Kosovo à ce moment mais c'était probablement extraordinairement risqué. On peut toujours regretter mais ne cachons pas notre joie ce matin, même si le retard est toujours préjudiciable car cela a fait des morts supplémentaires : pour la première fois, le monde s'est mis en route et les victimes n'appartiennent plus aux gouvernements qui les abritent qui les cachent ou les causent. Les victimes appartiendront à l'humanité."
Etiez-vous ému hier ?
- " J'étais très ému et je savais que cela se ferait un jour mais quand, je ne le savais pas. C'est un combat de trente ans pour le droit d'ingérence, qui ne s'achève pas. Le droit d'ingérence, à mes yeux, sera préventif. Il dissuadera, il n'aura pas besoin de faire la guerre. Mon ami J. Coavey et R. Holbrook m'ont téléphoné cette nuit : nous nous sommes dit, tous les trois, que nous avions apporté notre petit effort personnel et que s'il était en route vers La Haye nous étions un petit peu pour quelque chose."
Vous avez rencontré très souvent Milosevic. Certains disent que c'est un pantin, un opportuniste, un stalinien.
- " Tout cela est vrai..."
Comment apparaissait-il quand vous l'avez vu ?
- " Comme un homme sans grande émotion. Je ne l'ai vu qu'une fois dans une séance manifester de l'émotion, presque pleurer. Sinon c'était un homme presque mécanique, un homme sans charme, mais avec beaucoup d'intelligence et de détermination. C'était un homme gonflé au silicone, je ne sais pas comment dire, il n'avait pas de rictus ou d'expression très humaine. Il était très sur de lui, très difficile en négociation, sans doute intelligent, sûr de représenter son peuple - ce qui n'était pas vrai. Il y a quelque chose qu'il faut dire : la perversion de Milosevic a été telle qu'elle a fait oublier le peuple de Tito, le peuple des résistants, le peuple qui fut l'allié des démocrates pendant des années et des années. Les Yougoslaves méritaient bien qu'on revienne à eux, et les Serbes en particulier. C'est le retour des Serbes dans la démocratie et la communauté internationale."
[...]
Tout n'est pas fini avec le jugement de Milosevic. On voit bien que la Macédoine est déstabilisée, qu'au Kosovo, que vous connaissez si bien, tout n'est pas réglé, loin de là.
- "Tout n'est pas réglé, mais cela va se régler, même la Macédoine, vous verrez. Si on fait le bilan : Milosevic a commencé à sévir en 1989 en supprimant l'autonomie du Kosovo. Il est parvenu à la tête de la Fédération yougoslave : guerre de Bosnie, exactions, malheurs, tragédies ; guerre du Kosovo, intervention. Et maintenant, deux ans après cette intervention, regardez où nous en sommes : Milosevic n'est non seulement pas à Belgrade, mais maintenant à La Haye. A Belgrade, il y a un gouvernement, et même deux - yougoslave et serbe - démocratiques. Au Kosovo, cela va se régler, j'en suis sûr. Nous y avons travaillé."
Et en Macédoine ?
- "Cela prendra un peu plus de temps. C'est plus compliqué, parce que les espoirs ..."
Que faut-il faire ?
- "Il faut que les deux communautés se parlent. Il faut que l'intervention de l'Otan se fasse, même s'il n'y a pas d'accord. Ce n'est pas la peine d'attendre qu'il y ait trop de morts. Et puis, il faut imposer le dialogue afin que les Albanais de Macédoine, qui sont 35 %, commencent à croire qu'ils auront leur place dans l'administration dans le pays, beaucoup plus qu'ils ne l'avaient. C'est capital. On ne réglera rien si on ne fait pas confiance aux Albanais, comme nous avons fait confiance aux Albanais au Kosovo, et nous avons eu raison."
Il y a peut-être des signes dans l'histoire. Hier, c'était le 28 juin, date du départ de Milosevic. 28 juin, c'est aussi l'anniversaire de cette fameuse "bataille des mers", la référence pour les nationalistes serbes. C'est aussi la date de l'assassinat du duc François Joseph.
- "C'était aussi le jour où le Président Mitterrand est arrivé à Sarajevo. Lorsque nous avons appris que c'était la date de l'assassinat, où théoriquement les Serbes deviennent "fous"
- c'était l'expression que nos amis serbes employaient - nous avons eu une petite frayeur à l'idée de recevoir le Président à ce moment. Je crois que nous avons eu raison d'ouvrir l'aéroport et de continuer. Nous avons perdu du temps, je le sais, mais finalement..."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 juin 2001)
- "Ce n'est pas rien que lui mais il a joué un rôle sinistre et capital. Ce n'est pas rien que lui parce que ce n'est pas lui qui se battait, ce n'est pas lui qui tuait, ce n'est pas lui violait, ce n'est pas lui qui déportait, ce n'est pas lui qui a été responsable du nettoyage ethnique sur le terrain, mais c'est lui qui l'a ordonné."
C'est lui qui l'a inspiré donc c'est le premier responsable et c'est juste qu'il soit jugé au Tribunal international ?
- "Plus que juste ! Le contraire eut été un scandale absolu. C'est le début d'une justice internationale. C'est le début d'un peu de confiance dans les institutions créées très justement pour faire justice au-delà des frontières. Ne pas arrêter la marche de la justice dès lors que les assassins se cachent derrière une frontière, c'est le début d'une justice internationale pour les Hommes et pas pour le système."
N'était-il pas au fond légitime que les Serbes qui ont souffert du fait de Milosevic puissent aussi le juger ? Ce sont eux après tout qui l'ont renversé.
- "Je crois que nous les avons bien aidés. Si vous le permettez, l'ingérence comme vous le savez ne s'est pas arrêtée au système judiciaire. Elle a, pour la première fois, peut-être un peu tardivement pour la Bosnie et encore plus tardivement pour le Kosovo, fait pression, même militairement, pour que les exactions s'arrêtent. C'est grâce à la détermination internationale et à cette nouvelle notion que les criminels, même au-delà des frontières, seront poursuivis. La prochaine fois, ce sera à titre préventif, ils seront empêchés de nuire. S'il n'y avait pas eu cette pression internationale, ces guerres, ces sacrifices ainsi que cette détermination internationale de l'Onu et de l'Otan, il n'y a aurait rien eu du tout : monsieur Milosevic serait toujours chez lui et la démocratie n'aurait pas pu revenir à Belgrade."
Il y a eu des pressions militaires mais aussi économiques. Aujourd'hui, on dit que la comparution de Milosevic au TPI est condition pour recevoir des aides. Donc, ce qui se passe aujourd'hui c'est la conséquence de ces pressions économiques, américaines notamment ?
- " Oui et je les en félicite. D'habitude, on donne de l'argent sans contre- partie. C'est l'argent de qui ? C'est l'argent des Américains, l'argent des Français...
... des Européens...
- "Je sais qu'il y a des gens qui ont protesté. J'étais à New-York hier où j'ai entendu S. Lavrov, l'ambassadeur russe au Conseil de sécurité, qui protestait. Je trouve que c'est non seulement de bonne guerre plus moral encore."
Ce n'est donc pas choquant ?
- "Ce n'est pas choquant. Le contraire aurait été choquant. On n'a pas acheté Milosevic. Monsieur Djindjic, le premier ministre, que je salue, légitimement et démocratiquement élu premier ministre de Serbie, a décidé de livrer lui-même Milosevic au Tribunal international pour des crimes - songeons aux 250 000 morts de Bosnie, aux milliers de morts du Kosovo, aux milliers de viols systématiques. Il a été décidé de livrer à la justice nouvelle forte et enfin représentative. Nüremberg a été fait après, là on s'est un peu plus hâté."
Certains vont dire que les Occidentaux ont beaucoup soutenu, peut-être trop longtemps Milosevic. C'était l'interlocuteur un peu privilégié de Dayton pour obtenir les accords de paix en Bosnie. On a trop attendu ?
- "C'est vrai que Milosevic a signé la paix de Dayton et que cela a fait la paix en Bosnie. Une paix fragile et difficile. J'aurais souhaité qu'on parle aussi du Kosovo à ce moment mais c'était probablement extraordinairement risqué. On peut toujours regretter mais ne cachons pas notre joie ce matin, même si le retard est toujours préjudiciable car cela a fait des morts supplémentaires : pour la première fois, le monde s'est mis en route et les victimes n'appartiennent plus aux gouvernements qui les abritent qui les cachent ou les causent. Les victimes appartiendront à l'humanité."
Etiez-vous ému hier ?
- " J'étais très ému et je savais que cela se ferait un jour mais quand, je ne le savais pas. C'est un combat de trente ans pour le droit d'ingérence, qui ne s'achève pas. Le droit d'ingérence, à mes yeux, sera préventif. Il dissuadera, il n'aura pas besoin de faire la guerre. Mon ami J. Coavey et R. Holbrook m'ont téléphoné cette nuit : nous nous sommes dit, tous les trois, que nous avions apporté notre petit effort personnel et que s'il était en route vers La Haye nous étions un petit peu pour quelque chose."
Vous avez rencontré très souvent Milosevic. Certains disent que c'est un pantin, un opportuniste, un stalinien.
- " Tout cela est vrai..."
Comment apparaissait-il quand vous l'avez vu ?
- " Comme un homme sans grande émotion. Je ne l'ai vu qu'une fois dans une séance manifester de l'émotion, presque pleurer. Sinon c'était un homme presque mécanique, un homme sans charme, mais avec beaucoup d'intelligence et de détermination. C'était un homme gonflé au silicone, je ne sais pas comment dire, il n'avait pas de rictus ou d'expression très humaine. Il était très sur de lui, très difficile en négociation, sans doute intelligent, sûr de représenter son peuple - ce qui n'était pas vrai. Il y a quelque chose qu'il faut dire : la perversion de Milosevic a été telle qu'elle a fait oublier le peuple de Tito, le peuple des résistants, le peuple qui fut l'allié des démocrates pendant des années et des années. Les Yougoslaves méritaient bien qu'on revienne à eux, et les Serbes en particulier. C'est le retour des Serbes dans la démocratie et la communauté internationale."
[...]
Tout n'est pas fini avec le jugement de Milosevic. On voit bien que la Macédoine est déstabilisée, qu'au Kosovo, que vous connaissez si bien, tout n'est pas réglé, loin de là.
- "Tout n'est pas réglé, mais cela va se régler, même la Macédoine, vous verrez. Si on fait le bilan : Milosevic a commencé à sévir en 1989 en supprimant l'autonomie du Kosovo. Il est parvenu à la tête de la Fédération yougoslave : guerre de Bosnie, exactions, malheurs, tragédies ; guerre du Kosovo, intervention. Et maintenant, deux ans après cette intervention, regardez où nous en sommes : Milosevic n'est non seulement pas à Belgrade, mais maintenant à La Haye. A Belgrade, il y a un gouvernement, et même deux - yougoslave et serbe - démocratiques. Au Kosovo, cela va se régler, j'en suis sûr. Nous y avons travaillé."
Et en Macédoine ?
- "Cela prendra un peu plus de temps. C'est plus compliqué, parce que les espoirs ..."
Que faut-il faire ?
- "Il faut que les deux communautés se parlent. Il faut que l'intervention de l'Otan se fasse, même s'il n'y a pas d'accord. Ce n'est pas la peine d'attendre qu'il y ait trop de morts. Et puis, il faut imposer le dialogue afin que les Albanais de Macédoine, qui sont 35 %, commencent à croire qu'ils auront leur place dans l'administration dans le pays, beaucoup plus qu'ils ne l'avaient. C'est capital. On ne réglera rien si on ne fait pas confiance aux Albanais, comme nous avons fait confiance aux Albanais au Kosovo, et nous avons eu raison."
Il y a peut-être des signes dans l'histoire. Hier, c'était le 28 juin, date du départ de Milosevic. 28 juin, c'est aussi l'anniversaire de cette fameuse "bataille des mers", la référence pour les nationalistes serbes. C'est aussi la date de l'assassinat du duc François Joseph.
- "C'était aussi le jour où le Président Mitterrand est arrivé à Sarajevo. Lorsque nous avons appris que c'était la date de l'assassinat, où théoriquement les Serbes deviennent "fous"
- c'était l'expression que nos amis serbes employaient - nous avons eu une petite frayeur à l'idée de recevoir le Président à ce moment. Je crois que nous avons eu raison d'ouvrir l'aéroport et de continuer. Nous avons perdu du temps, je le sais, mais finalement..."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 juin 2001)