Texte intégral
Intervention de Laurent FABIUS,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
Ouverture de la session ministérielle conjointe de l'OCDE
PARIS - JEUDI 17 MAI 2001
Mesdames et Messieurs les Ministres,
La session ministérielle spéciale qui nous réunit pendant ces deux journées consacre la participation de l'OCDE aux réflexions de la communauté internationale sur le développement durable. Notre réunion présente un intérêt particulier, que je tiens à souligner d'emblée : elle donne une large diffusion au remarquable rapport de synthèse de l'organisation sur le développement durable ; elle permet un échange nouveau entre les ministres de l'économie et ceux de l'environnement ; elle approfondit notre réflexion commune à un an du sommet de Johannesbourg sur le développement durable, rendez-vous décisif une décennie après Rio et au moment même où le processus de Kyoto semble vaciller. En cette période d'incertitudes, le cadre de réflexion large de l'OCDE doit nous aider à mieux baliser notre action future.
Nous le savons, le développement durable est une notion multiforme. Si l'on en revient à la définition qu'en a donnée la commission Brundtland il y a plus de dix ans : est durable tout développement " qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ". C'est dire le défi fondamental du développement durable : il s'agit d'inventer une nouvelle concordance des temps entre notre action présente et ses conséquences futures, de pratiquer pour l'ensemble de nos décisions une sorte de devoir du long terme. C'est une nouvelle notion de la responsabilité humaine et politique qui est en cause, qui doit désormais prendre en compte les conséquences à long terme de l'action ou de l'inaction présente, et étendre le champ géographique de nos décisions à l'échelle des défis qui sont devant nous, qui concernent la planète toute entière.
Le développement durable suppose à la fois l'affirmation de nouveaux principes - comme celui de précaution ; de nouveaux concepts - comme la notion de PIB vert ; et de nouvelles méthodes, ainsi que le montrent les réflexions sur le taux d'actualisation. Il suppose également la mise en harmonie des trois piliers identifiés par le rapport de l'OCDE.
Le pilier économique : la croissance économique reste plus nécessaire que jamais, tant au Nord, pour réussir le passage de nos économies à l'ère post-industrielle, qu'au Sud, pour accélérer le rythme du développement. Les tentations malthusiennes de " croissance zéro " chères aux théoriciens des décennies 1960 et 70 priveraient nos enfants de vraie perspective d'épanouissement social.
Le pilier social : le développement ne sera soutenable qu'à la condition qu'il soit partagé, qu'il entraîne dans sa dynamique l'ensemble de la société. A condition donc de préserver la cohésion sociale, cette notion particulièrement chère à la France qui a fini par se frayer un chemin dans le vocabulaire international.
Le pilier environnemental : il reste aujourd'hui trop fragile. J'insisterai spécifiquement aujourd'hui sur celui-ci. Non que les enjeux des deux précédents doivent être sous-estimés, mais les réponses qu'ils réclament sont mieux connues. Pour la croissance, outre des politiques macro-économiques actives, nous savons en effet qu'il faut une architecture financière et des interventions concertées pour réduire les risques systémiques, notamment sur les marchés. S'agissant de la cohésion sociale, il est clair que nous avons besoin à la fois des investissements publics notamment dans l'éducation et la santé, de vraies politiques de redistribution, mais aussi de comptes sociaux équilibrés qui garantissent l'avenir de nos retraites. Dans les deux cas, nous devons refuser de reporter sur les générations futures la charge d'un endettement excessif : c'est cela aussi la marque d'un développement durable.
La définition de choix publics, nationaux et internationaux, pour faire face aux défis de l'environnement se heurte à deux séries de difficultés.
La première difficulté porte sur la connaissance même des phénomènes. Elle doit être sans cesse amélioré, mais elle ne doit pas servir de prétexte à l'inaction. La réalité même du changement climatique, pour s'en tenir à cet exemple, a longtemps divisé la communauté scientifique, freinant la décision politique. Ces hésitations sont désormais révolues. Les travaux élaborés lors de la préparation de la conférence de la Haye ont débouché sur des analyses convergentes. Le changement climatique est une réalité incontournable. Ses effets à long terme perturberont à coup sûr la vie quotidienne de millions d'hommes, au Nord comme au Sud, de part et d'autre de l'Atlantique. L'équilibre humain et économique de certaines régions est menacé. Les responsables politiques qui cherchent à justifier par l'incertitude des faits leur refus de mettre en uvre des solutions nouvelles font fausse route. Bref, la question n'est plus de savoir si changement climatique il y a, mais quelle réponse lui apporter.
Le second obstacle est d'ordre politique. Les bénéfices attendus d'une politique environnementale sont de long terme, les efforts exigés sont immédiats. D'où une attitude parfois contradictoire des différents agents : des citoyens exigeants, mais des ménages qui craignent pour leur pouvoir d'achat ; des entreprises vigilantes, mais des entrepreneurs qui gardent l'il rivé sur leur compétitivité ; des États du Sud en quête d'un développement durable, mais attachés à certains de leurs avantages comparatifs qui peuvent mettre celui-ci en péril ; enfin, ne le cachons pas, des hommes politiques soucieux de l'intérêt général à long terme, mais aussi attentifs à leurs préoccupations électorales de court terme.
Ces dilemmes doivent être surmontés. Je ne sous estime pas les conflits entre ce que l'on pourrait appeler la raison écologique et la raison économique. Mais, comme la question sociale au siècle passé, la question environnementale peut et doit trouver des réponses qui tiennent compte des données économiques et, de même, le développement économique ne doit plus s'opérer au détriment de ce bien public global qu'est l'environnement. Longtemps, l'utilisation intensive des ressources laissait croire à une nature exploitable à merci. Or, il y a des limites : limites au rendement des sols, limites au renouvellement des forêts, limites aux réserves en eau potable. Il y a des dangers, principalement pour la stabilité du climat et pour la sécurité alimentaire et sanitaire. D'où la nécessité d'accomplir une nouvelle révolution copernicienne : concevoir l'économie et l'écologie ensemble, une économie et une écologie solidaires, respecter le " contrat naturel " qu'exigent de plus en plus les peuples et les faits, comme il existe un " contrat social ". Les nouveaux ressorts de la croissance nous y incitent : la richesse des nations, ce ne sont plus seulement du pétrole ou des matières premières, c'est d'abord et fondamentalement un choix d'investissement dans ces biens de long terme que sont l'éducation, la recherche, la santé, l'harmonie sociale et la préservation des écosystèmes.
En nous appuyant sur le meilleur des mutations en cours, nous avons donc la possibilité de construire un véritable modèle d'éco-développement, source d'emplois et respectueux du futur. Encore faut-il pour cela définir une méthode d'action et des outils d'intervention.
La méthode peut, je crois, se résumer en trois mots : urgence, coordination, accompagnement.
Urgence à agir. Je le soulignais à l'instant, certaines menaces, hier encore incertaines, se précisent. A cet égard, plusieurs sphères d'actions me paraissent prioritaires :
la maîtrise des gaz à effet de serre ;
la lutte contre la pollution de l'eau et pour sa juste répartition ;
la promotion du commerce équitable. Derrière chaque échange de marchandise, voire de service, il y a aujourd'hui un coefficient d'environnement et de développement durable. C'est pourquoi la meilleure intégration des pays du Sud dans l'échange international doit aller de pair avec l'affirmation de normes environnementales et sociales.
la préservation de la biodiversité. 20% de toutes les espèces sont aujourd'hui menacées. Si nous ne faisons rien, 50 000 espèces de plantes auront disparu d'ici cinquante ans. D'où un impératif de vigilance à l'égard de la culture des OGM, dont les atteintes potentielles à la biodiversité ont été clairement démontrées.
Coordination dans l'action. Les pollutions globales appellent des réponses globales. Tant pour des raisons d'efficacité environnementale que pour des impératifs de soutenabilité économique. Or, à ce jour, le bilan des actions entreprises des deux côtés de l'Atlantique s'avère très modeste. Le récent désengagement américain du protocole de Kyoto menace l'ensemble du processus. S'il se confirmait, il serait de nature à limiter les résultats de l'action que l'Europe est déterminée à mener en ce domaine, tout en alourdissant son coût. Il faut donc poursuivre le dialogue et convaincre : qu'il s'agisse de la lutte contre l'effet de serre ou de la lutte contre le blanchiment d'argent et les paradis fiscaux, la première puissance mondiale ne peut pas se désintéresser des problèmes de la planète. La coordination internationale doit naturellement être prolongée et confortée par une harmonisation régionale et des mesures nationales. C'est en agissant à ces divers niveaux que l'on parviendra à des résultats significatifs tout en répartissant la charge équitablement.
Accompagnement, enfin. La protection de l'environnement constitue un formidable champ de création d'activité économique et d'emplois, que nous avons seulement commencé à exploiter, et que nous devons encourager : émergence de nouveaux procédés industriels, de nouvelles technologies comme les véhicules à carburant propre, nouveaux emplois par exemple dans les filières de valorisation des déchets ou dans l'amélioration de l'environnement de proximité. La nécessaire internalisation des coûts environnementaux aura cependant des conséquences sur certaines régions, certaines entreprises et certaines catégories de travailleurs ; nous devons veiller à leur apporter soutien et solidarité pour faire en sorte qu'amélioration de l'environnement, compétitivité économique et progrès social aillent de pair.
Les outils d'intervention sont nombreux et doivent être le plus souvent combinés. La réglementation demeure particulièrement adaptée dans des situations d'urgence ou lorsque la pollution est circonscrite. En revanche, la voie réglementaire n'est guère inefficace lorsque les émissions sont diffuses et que les évolutions recherchées sont structurelles. Telle est, par exemple, la problématique du changement climatique. La fiscalité peut alors constituer une voie à envisager, mais en tenant compte de la contrainte de compétitivité des entreprises intensives en énergie fortement exposées à la concurrence internationale. C'est la raison pour laquelle les engagements négociés constituent aussi une voie à explorer. Elle peut être efficace quand les agents économiques à l'origine de la pollution sont bien identifiés et faciles à sanctionner. Ces solutions ne sont pas exclusives les unes des autres, et elles auraient avantage à être combinées au sein de chaque grande zone économique.
Le gouvernement français s'est efforcé d'agir de façon cohérente dans ces différentes directions. S'agissant de la lutte contre l'effet de serre, j'ai récemment rappelé l'attachement de la France à la démarche de Kyoto. Dans nos relations avec les pays du Sud, nous entendons désormais intégrer les problématiques du développement durable dans la définition de notre propre aide publique : évaluation environnementale des projets, sauvegarde de l'eau, priorité accordée à l'accès aux soins et à l'éducation. Cette démarche pourrait être reprise et approfondie par l'ensemble des pays de l'OCDE. Au niveau national, en liaison avec les ministres compétents, plusieurs sphères d'action prioritaires ont déjà fait l'objet de mesures significatives : la maîtrise des gaz à effet de serre, la diversification des sources d'énergie et la promotion des énergies renouvelables, la réorganisation des modes de transport. Nous, Français, avons utilisé l'outil fiscal dans une double logique : incitative, pour encourager l'utilisation des carburants non polluants, l'acquisition d'équipements de production d'énergie renouvelable et le traitement des déchets ; pénalisante, afin de renchérir le coût du gazole et de réduire l'écart de taxation avec le supercarburant sans plomb . Pour les consommations intermédiaires d'énergie des entreprises, il conviendra de choisir la voie la plus adaptée. L'essentiel est de parvenir à un dispositif opérationnel, efficace et juridiquement satisfaisant qui exerce son effet sur les entreprises qui consomment le plus d'énergie sans pénaliser leur compétitivité. J'ajoute le futur projet de loi sur l'eau qui permettra, en application du principe pollueur-payeur, de rééquilibrer la répartition de la charge du service public de l'eau entre les différents usagers (ménages, industriels et exploitants agricoles), en vue d'aboutir à une tarification plus équitable.
D'autres pistes pourront être utilement envisagées au niveau national : par exemple aider la recherche et l'innovation dans les activités de préservation de l'environnement ; certifier un label " vert " pour les produits respectueux de l'environnement ; renforcer les méthodes et la publicité de l'évaluation environnementale dans les projets publics. A un an du sommet de Johannesbourg, la France entend agir de façon concertée pour assurer la promotion des politiques publiques qui s'attachent au développement durable.
Cette concertation devra s'exprimer dans le cadre de l'Union européenne. Il est prévu que le développement durable soit au cur du prochain Conseil européen de Göteborg. Il me paraît essentiel que les États de l'Union européenne parviennent à des avancées rapides sur quatre thèmes :
La mise en place d'un système communautaire de responsabilité environnementale obligeant à une application efficace du principe pollueur-payeur.
L'adoption d'une fiscalité énergétique : l'Europe a pris du retard sur ce chantier, alors que la zone constitue le bon échelon pour une fiscalité écologique.
Dès maintenant, nous devons progresser dans la définition d'orientations communes en matière de lutte contre l'effet de serre.
Enfin, l'intégration du développement durable dans les négociations commerciales de l'OMC. Sur ce dernier point, il s'agit de clarifier les liens juridiques entre l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement. Les règles de l'échange international doivent respecter les principes fondamentaux du développement durable et permettre la préservation des secteurs clefs de l'agriculture, de la pêche et du tourisme ainsi que des biens publics globaux que sont les ressources naturelles, l'éducation ou la santé. Les échanges de biens et de services environnementaux entre le Nord et le Sud pourraient être libéralisés en priorité. A terme, il s'agit de bâtir sur un pied d'égalité avec l'actuelle OMC, une Organisation mondiale de l'environnement, chapiteau commun et arche protectrice du nouveau système de régulation internationale des échanges.
A moyen terme, je souhaite la mise en place d'une autorité européenne de l'environnement. S'il est un domaine où une intervention européenne est indispensable, où une approche de nature fédérale - parfois discutée sur son principe - est indiscutable, c'est bien l'environnement. Les problèmes se moquent dans ce domaine des frontières : les solutions doivent donc être capables de les surmonter aussi.
Mesdames et Messieurs les Ministres, chers collègues,
L'OCDE doit prendre toute sa place dans la réflexion commune et la démarche coopérative que la France appelle de ses vux. Au-delà du rapport qui nous réunit aujourd'hui, au moins trois pistes méritent d'être explorées :
Faciliter les échanges de bonnes pratiques entre États membres dans le domaine des politiques environnementales ;
Aider à mieux quantifier les coûts liés à la dégradation de l'environnement. Plutôt que de juxtaposer les expertises nationales, il conviendrait de faire converger les efforts de diagnostic et d'évaluation de problèmes communs.
Aider, enfin, les États membres à mettre en place des annexes à leur comptabilité nationale qui permettent d'apprécier l'évolution des ressources environnementales.
Le développement durable constitue un défi majeur pour l'action publique. Il est le souhait profond des populations. En ce début de XXIe siècle, - dont ce sera une des marques distinctives - ce défi est le nôtre.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 29 mai 2001)
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
Ouverture de la session ministérielle conjointe de l'OCDE
PARIS - JEUDI 17 MAI 2001
Mesdames et Messieurs les Ministres,
La session ministérielle spéciale qui nous réunit pendant ces deux journées consacre la participation de l'OCDE aux réflexions de la communauté internationale sur le développement durable. Notre réunion présente un intérêt particulier, que je tiens à souligner d'emblée : elle donne une large diffusion au remarquable rapport de synthèse de l'organisation sur le développement durable ; elle permet un échange nouveau entre les ministres de l'économie et ceux de l'environnement ; elle approfondit notre réflexion commune à un an du sommet de Johannesbourg sur le développement durable, rendez-vous décisif une décennie après Rio et au moment même où le processus de Kyoto semble vaciller. En cette période d'incertitudes, le cadre de réflexion large de l'OCDE doit nous aider à mieux baliser notre action future.
Nous le savons, le développement durable est une notion multiforme. Si l'on en revient à la définition qu'en a donnée la commission Brundtland il y a plus de dix ans : est durable tout développement " qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ". C'est dire le défi fondamental du développement durable : il s'agit d'inventer une nouvelle concordance des temps entre notre action présente et ses conséquences futures, de pratiquer pour l'ensemble de nos décisions une sorte de devoir du long terme. C'est une nouvelle notion de la responsabilité humaine et politique qui est en cause, qui doit désormais prendre en compte les conséquences à long terme de l'action ou de l'inaction présente, et étendre le champ géographique de nos décisions à l'échelle des défis qui sont devant nous, qui concernent la planète toute entière.
Le développement durable suppose à la fois l'affirmation de nouveaux principes - comme celui de précaution ; de nouveaux concepts - comme la notion de PIB vert ; et de nouvelles méthodes, ainsi que le montrent les réflexions sur le taux d'actualisation. Il suppose également la mise en harmonie des trois piliers identifiés par le rapport de l'OCDE.
Le pilier économique : la croissance économique reste plus nécessaire que jamais, tant au Nord, pour réussir le passage de nos économies à l'ère post-industrielle, qu'au Sud, pour accélérer le rythme du développement. Les tentations malthusiennes de " croissance zéro " chères aux théoriciens des décennies 1960 et 70 priveraient nos enfants de vraie perspective d'épanouissement social.
Le pilier social : le développement ne sera soutenable qu'à la condition qu'il soit partagé, qu'il entraîne dans sa dynamique l'ensemble de la société. A condition donc de préserver la cohésion sociale, cette notion particulièrement chère à la France qui a fini par se frayer un chemin dans le vocabulaire international.
Le pilier environnemental : il reste aujourd'hui trop fragile. J'insisterai spécifiquement aujourd'hui sur celui-ci. Non que les enjeux des deux précédents doivent être sous-estimés, mais les réponses qu'ils réclament sont mieux connues. Pour la croissance, outre des politiques macro-économiques actives, nous savons en effet qu'il faut une architecture financière et des interventions concertées pour réduire les risques systémiques, notamment sur les marchés. S'agissant de la cohésion sociale, il est clair que nous avons besoin à la fois des investissements publics notamment dans l'éducation et la santé, de vraies politiques de redistribution, mais aussi de comptes sociaux équilibrés qui garantissent l'avenir de nos retraites. Dans les deux cas, nous devons refuser de reporter sur les générations futures la charge d'un endettement excessif : c'est cela aussi la marque d'un développement durable.
La définition de choix publics, nationaux et internationaux, pour faire face aux défis de l'environnement se heurte à deux séries de difficultés.
La première difficulté porte sur la connaissance même des phénomènes. Elle doit être sans cesse amélioré, mais elle ne doit pas servir de prétexte à l'inaction. La réalité même du changement climatique, pour s'en tenir à cet exemple, a longtemps divisé la communauté scientifique, freinant la décision politique. Ces hésitations sont désormais révolues. Les travaux élaborés lors de la préparation de la conférence de la Haye ont débouché sur des analyses convergentes. Le changement climatique est une réalité incontournable. Ses effets à long terme perturberont à coup sûr la vie quotidienne de millions d'hommes, au Nord comme au Sud, de part et d'autre de l'Atlantique. L'équilibre humain et économique de certaines régions est menacé. Les responsables politiques qui cherchent à justifier par l'incertitude des faits leur refus de mettre en uvre des solutions nouvelles font fausse route. Bref, la question n'est plus de savoir si changement climatique il y a, mais quelle réponse lui apporter.
Le second obstacle est d'ordre politique. Les bénéfices attendus d'une politique environnementale sont de long terme, les efforts exigés sont immédiats. D'où une attitude parfois contradictoire des différents agents : des citoyens exigeants, mais des ménages qui craignent pour leur pouvoir d'achat ; des entreprises vigilantes, mais des entrepreneurs qui gardent l'il rivé sur leur compétitivité ; des États du Sud en quête d'un développement durable, mais attachés à certains de leurs avantages comparatifs qui peuvent mettre celui-ci en péril ; enfin, ne le cachons pas, des hommes politiques soucieux de l'intérêt général à long terme, mais aussi attentifs à leurs préoccupations électorales de court terme.
Ces dilemmes doivent être surmontés. Je ne sous estime pas les conflits entre ce que l'on pourrait appeler la raison écologique et la raison économique. Mais, comme la question sociale au siècle passé, la question environnementale peut et doit trouver des réponses qui tiennent compte des données économiques et, de même, le développement économique ne doit plus s'opérer au détriment de ce bien public global qu'est l'environnement. Longtemps, l'utilisation intensive des ressources laissait croire à une nature exploitable à merci. Or, il y a des limites : limites au rendement des sols, limites au renouvellement des forêts, limites aux réserves en eau potable. Il y a des dangers, principalement pour la stabilité du climat et pour la sécurité alimentaire et sanitaire. D'où la nécessité d'accomplir une nouvelle révolution copernicienne : concevoir l'économie et l'écologie ensemble, une économie et une écologie solidaires, respecter le " contrat naturel " qu'exigent de plus en plus les peuples et les faits, comme il existe un " contrat social ". Les nouveaux ressorts de la croissance nous y incitent : la richesse des nations, ce ne sont plus seulement du pétrole ou des matières premières, c'est d'abord et fondamentalement un choix d'investissement dans ces biens de long terme que sont l'éducation, la recherche, la santé, l'harmonie sociale et la préservation des écosystèmes.
En nous appuyant sur le meilleur des mutations en cours, nous avons donc la possibilité de construire un véritable modèle d'éco-développement, source d'emplois et respectueux du futur. Encore faut-il pour cela définir une méthode d'action et des outils d'intervention.
La méthode peut, je crois, se résumer en trois mots : urgence, coordination, accompagnement.
Urgence à agir. Je le soulignais à l'instant, certaines menaces, hier encore incertaines, se précisent. A cet égard, plusieurs sphères d'actions me paraissent prioritaires :
la maîtrise des gaz à effet de serre ;
la lutte contre la pollution de l'eau et pour sa juste répartition ;
la promotion du commerce équitable. Derrière chaque échange de marchandise, voire de service, il y a aujourd'hui un coefficient d'environnement et de développement durable. C'est pourquoi la meilleure intégration des pays du Sud dans l'échange international doit aller de pair avec l'affirmation de normes environnementales et sociales.
la préservation de la biodiversité. 20% de toutes les espèces sont aujourd'hui menacées. Si nous ne faisons rien, 50 000 espèces de plantes auront disparu d'ici cinquante ans. D'où un impératif de vigilance à l'égard de la culture des OGM, dont les atteintes potentielles à la biodiversité ont été clairement démontrées.
Coordination dans l'action. Les pollutions globales appellent des réponses globales. Tant pour des raisons d'efficacité environnementale que pour des impératifs de soutenabilité économique. Or, à ce jour, le bilan des actions entreprises des deux côtés de l'Atlantique s'avère très modeste. Le récent désengagement américain du protocole de Kyoto menace l'ensemble du processus. S'il se confirmait, il serait de nature à limiter les résultats de l'action que l'Europe est déterminée à mener en ce domaine, tout en alourdissant son coût. Il faut donc poursuivre le dialogue et convaincre : qu'il s'agisse de la lutte contre l'effet de serre ou de la lutte contre le blanchiment d'argent et les paradis fiscaux, la première puissance mondiale ne peut pas se désintéresser des problèmes de la planète. La coordination internationale doit naturellement être prolongée et confortée par une harmonisation régionale et des mesures nationales. C'est en agissant à ces divers niveaux que l'on parviendra à des résultats significatifs tout en répartissant la charge équitablement.
Accompagnement, enfin. La protection de l'environnement constitue un formidable champ de création d'activité économique et d'emplois, que nous avons seulement commencé à exploiter, et que nous devons encourager : émergence de nouveaux procédés industriels, de nouvelles technologies comme les véhicules à carburant propre, nouveaux emplois par exemple dans les filières de valorisation des déchets ou dans l'amélioration de l'environnement de proximité. La nécessaire internalisation des coûts environnementaux aura cependant des conséquences sur certaines régions, certaines entreprises et certaines catégories de travailleurs ; nous devons veiller à leur apporter soutien et solidarité pour faire en sorte qu'amélioration de l'environnement, compétitivité économique et progrès social aillent de pair.
Les outils d'intervention sont nombreux et doivent être le plus souvent combinés. La réglementation demeure particulièrement adaptée dans des situations d'urgence ou lorsque la pollution est circonscrite. En revanche, la voie réglementaire n'est guère inefficace lorsque les émissions sont diffuses et que les évolutions recherchées sont structurelles. Telle est, par exemple, la problématique du changement climatique. La fiscalité peut alors constituer une voie à envisager, mais en tenant compte de la contrainte de compétitivité des entreprises intensives en énergie fortement exposées à la concurrence internationale. C'est la raison pour laquelle les engagements négociés constituent aussi une voie à explorer. Elle peut être efficace quand les agents économiques à l'origine de la pollution sont bien identifiés et faciles à sanctionner. Ces solutions ne sont pas exclusives les unes des autres, et elles auraient avantage à être combinées au sein de chaque grande zone économique.
Le gouvernement français s'est efforcé d'agir de façon cohérente dans ces différentes directions. S'agissant de la lutte contre l'effet de serre, j'ai récemment rappelé l'attachement de la France à la démarche de Kyoto. Dans nos relations avec les pays du Sud, nous entendons désormais intégrer les problématiques du développement durable dans la définition de notre propre aide publique : évaluation environnementale des projets, sauvegarde de l'eau, priorité accordée à l'accès aux soins et à l'éducation. Cette démarche pourrait être reprise et approfondie par l'ensemble des pays de l'OCDE. Au niveau national, en liaison avec les ministres compétents, plusieurs sphères d'action prioritaires ont déjà fait l'objet de mesures significatives : la maîtrise des gaz à effet de serre, la diversification des sources d'énergie et la promotion des énergies renouvelables, la réorganisation des modes de transport. Nous, Français, avons utilisé l'outil fiscal dans une double logique : incitative, pour encourager l'utilisation des carburants non polluants, l'acquisition d'équipements de production d'énergie renouvelable et le traitement des déchets ; pénalisante, afin de renchérir le coût du gazole et de réduire l'écart de taxation avec le supercarburant sans plomb . Pour les consommations intermédiaires d'énergie des entreprises, il conviendra de choisir la voie la plus adaptée. L'essentiel est de parvenir à un dispositif opérationnel, efficace et juridiquement satisfaisant qui exerce son effet sur les entreprises qui consomment le plus d'énergie sans pénaliser leur compétitivité. J'ajoute le futur projet de loi sur l'eau qui permettra, en application du principe pollueur-payeur, de rééquilibrer la répartition de la charge du service public de l'eau entre les différents usagers (ménages, industriels et exploitants agricoles), en vue d'aboutir à une tarification plus équitable.
D'autres pistes pourront être utilement envisagées au niveau national : par exemple aider la recherche et l'innovation dans les activités de préservation de l'environnement ; certifier un label " vert " pour les produits respectueux de l'environnement ; renforcer les méthodes et la publicité de l'évaluation environnementale dans les projets publics. A un an du sommet de Johannesbourg, la France entend agir de façon concertée pour assurer la promotion des politiques publiques qui s'attachent au développement durable.
Cette concertation devra s'exprimer dans le cadre de l'Union européenne. Il est prévu que le développement durable soit au cur du prochain Conseil européen de Göteborg. Il me paraît essentiel que les États de l'Union européenne parviennent à des avancées rapides sur quatre thèmes :
La mise en place d'un système communautaire de responsabilité environnementale obligeant à une application efficace du principe pollueur-payeur.
L'adoption d'une fiscalité énergétique : l'Europe a pris du retard sur ce chantier, alors que la zone constitue le bon échelon pour une fiscalité écologique.
Dès maintenant, nous devons progresser dans la définition d'orientations communes en matière de lutte contre l'effet de serre.
Enfin, l'intégration du développement durable dans les négociations commerciales de l'OMC. Sur ce dernier point, il s'agit de clarifier les liens juridiques entre l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement. Les règles de l'échange international doivent respecter les principes fondamentaux du développement durable et permettre la préservation des secteurs clefs de l'agriculture, de la pêche et du tourisme ainsi que des biens publics globaux que sont les ressources naturelles, l'éducation ou la santé. Les échanges de biens et de services environnementaux entre le Nord et le Sud pourraient être libéralisés en priorité. A terme, il s'agit de bâtir sur un pied d'égalité avec l'actuelle OMC, une Organisation mondiale de l'environnement, chapiteau commun et arche protectrice du nouveau système de régulation internationale des échanges.
A moyen terme, je souhaite la mise en place d'une autorité européenne de l'environnement. S'il est un domaine où une intervention européenne est indispensable, où une approche de nature fédérale - parfois discutée sur son principe - est indiscutable, c'est bien l'environnement. Les problèmes se moquent dans ce domaine des frontières : les solutions doivent donc être capables de les surmonter aussi.
Mesdames et Messieurs les Ministres, chers collègues,
L'OCDE doit prendre toute sa place dans la réflexion commune et la démarche coopérative que la France appelle de ses vux. Au-delà du rapport qui nous réunit aujourd'hui, au moins trois pistes méritent d'être explorées :
Faciliter les échanges de bonnes pratiques entre États membres dans le domaine des politiques environnementales ;
Aider à mieux quantifier les coûts liés à la dégradation de l'environnement. Plutôt que de juxtaposer les expertises nationales, il conviendrait de faire converger les efforts de diagnostic et d'évaluation de problèmes communs.
Aider, enfin, les États membres à mettre en place des annexes à leur comptabilité nationale qui permettent d'apprécier l'évolution des ressources environnementales.
Le développement durable constitue un défi majeur pour l'action publique. Il est le souhait profond des populations. En ce début de XXIe siècle, - dont ce sera une des marques distinctives - ce défi est le nôtre.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 29 mai 2001)