Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec Europe 1 le 31 août 2012, sur la situation en Syrie et sur la question du nucléaire iranien.

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Circonstance : Conseil de sécurité de l'ONU, à New York (Etats-Unis) le 30 août 2012

Texte intégral


Q - Vous venez de présider, au nom de la France, le Conseil de sécurité des Nations unies sur la Syrie. Vous avez tenu des paroles fortes, qu'est-ce qui peut, qu'est-ce qui va bouger ?
R - La réunion était consacrée aux problèmes humanitaires, parce qu'une catastrophe humanitaire est en train de se produire, non seulement en Syrie, mais dans les pays limitrophes de la Syrie : Jordanie, Turquie, Liban et même Irak. C'est la première fois que l'on traitait ces questions humanitaires en tant que telles. J'avais demandé que viennent aussi les ministres des Affaires étrangères de ces pays.
Sur le plan humanitaire, il y a des choses qui peuvent avancer. Il faut en particulier - c'est très matériel - un financement beaucoup plus important qu'aujourd'hui pour accueillir tous ces réfugiés. Et puis, il faut surtout que Bachar Al-Assad respecte le droit humanitaire. Les problèmes humanitaires sont la conséquence des difficultés politiques et, sur ce plan, il faut bien reconnaître que le Conseil de sécurité, malheureusement, est divisé à cause de l'attitude des Russes et des Chinois.
Q - Cette fois, Hillary Clinton pour les États-Unis, Sergueï Lavrov pour la Russie et le ministre chinois étaient absents. Ils ne croient pas à l'efficacité des Nations unies, est-ce que c'est, d'après vous, une réunion pour rien, même si vous vous battez ?
R - Non, je ne crois pas. Tous les pays - sauf évidemment la Syrie - qui était représentés ont remercié la France d'avoir pris cette initiative, en particulier les pays qui sont le plus directement concernés, c'est-à-dire les pays voisins. C'est positif aussi parce qu'un certain nombre de pays ont annoncé des contributions financières supplémentaires, et puis personne ne pourra dire maintenant qu'il ne savait pas.
Q - Mais l'essentiel, est-ce que c'est de venir en aide aux exilés, aux blessés, aux réfugiés, ou d'empêcher qu'il y ait des réfugiés, des blessés et des morts chaque jour ?
R - Les deux, mais, évidemment, on ne peut pas durablement avoir une influence sur les conséquences si on ne s'attaque pas aux causes. Alors les causes c'est le problème politique, et là les solutions divergent. Il y a le soutien de tous au nouveau médiateur Lakhdar Brahimi mais, en même temps, il y a une résistance des Russes, des Chinois, que l'on va essayer de surmonter. La France est le pays le plus en pointe dans son soutien à l'opposition à Bachar Al-Assad, c'était clair et c'était net.
Q - Est-ce que pour la France et les Européens le moment est venu de saisir la cour pénale internationale ?
R - Oui, nous avons dit, William Hague, le ministre britannique des Affaires étrangères, et moi-même, qu'une commission des Nations unies avait commencé à travailler, qu'il était établi que M. Bachar Al-Assad s'était rendu coupable de crimes contre l'humanité.
Nous tenons à ce que ces crimes ne soient pas impunis. Deux procédures sont envisageables : les tribunaux syriens du futur régime ou la Cour pénale internationale.
Q - Le président Hollande et vous-même, comme Barack Obama, avez menacé Bachar Al-Assad : en cas d'utilisation d'armes chimiques, une intervention directe serait alors légitime, une intervention militaire. Vous le répétez ?
R - Je le répète. Nous sommes absolument intransigeants sur ce point. Nous sommes d'ailleurs en relation avec nos partenaires, dont les États-Unis. Ces armes bactériologiques et chimiques sont d'un danger extrême.
Q - Vous avez des preuves que la Syrie en possède et vous savez où elle les cache ?
R - Bien sûr, nous suivons cela au jour le jour. Je ne vais pas rentrer dans les détails, pour des raisons évidentes, mais il est certain que nous jugeons M. Bachar Al-Assad responsable de l'utilisation de ces armes. S'il y avait la moindre tentative d'en faire utilisation directement ou indirectement, la réponse serait immédiate et fulgurante.
Q - Mais qui déclencherait les premières frappes, ou les premières réactions ?
R - Vous me permettrez de garder cela pour nos partenaires et pour nous-mêmes.
Q - Mais la décision est prise ? L'opération militaire, si elle a lieu, aurait-elle lieu avec, ou même sans l'accord des Nations unies ?
R - Le bactériologique et le chimique c'est d'une autre nature que les armes, j'allais dire, ordinaires.
Q - Donc on peut se passer des Nations unies cette fois-là ?
R - Non, mais la réglementation est différente. Il est certain que compte tenu des conséquences de la diffusion possible, on ne peut pas supporter, même un instant, la manipulation de ces armes.
Q - Mais Bachar Al-Assad est prévenu. Récemment vous avez confirmé, vous aussi, Laurent Fabius, qu'il fallait se débarrasser du Syrien. Qui doit faire le «job» et comment ?
R - Il y a un aspect politique, c'est le travail qui est confié à M. Brahimi. La position, en avance j'allais dire, de la France, c'est que nous travaillons beaucoup pour l'unification de l'opposition syrienne, en faisant attention à deux points centraux. D'abord il faut que le nouveau gouvernement qui, nous l'espérons, sera mis en place, soit représentatif de la totalité du spectre ; ce n'est évidemment pas facile puisqu'il faut unifier tout cela. Deuxièmement, il faut qu'il y ait une garantie que le nouveau gouvernement respectera toutes les communautés.
Q - On n'est pas sorti de l'auberge syrienne.
R - Mais non, mais c'est une évidence. Il ne s'agit pas de se débarrasser de Bachar Al-Assad si c'est pour avoir, ou bien les intégristes, ou bien un régime aussi...
Q - Ça veut dire que cette fois-ci on est vigilant à ce qui peut se passer après.
R - On est vigilant, bien sûr.
Q - Vous avez rencontré beaucoup de monde. Qui est prêt à accorder à Bachar Al-Assad et à sa femme l'asile politique, qui en veut ?
R - Je ne pense pas que ce soit la question principale.
Q - Mais on veut se débarrasser, pour lui il y a...
R - J'espère que s'il dégage, pour employer un slogan qui a été utilisé pour d'autres, un pays l'accueillera, mais l'essentiel c'est qu'il dégage et vite. J'ai trouvé cela à la fois au Conseil de sécurité et au-delà. Par exemple, j'ai entendu le commentaire du nouveau président égyptien, que j'irai voir d'ailleurs dans quelques jours, qui est extrêmement dur vis-à-vis du régime syrien, et je m'en réjouis. Il a employé la même expression que nous-mêmes avions employée, «Bachar Al-Assad est l'assassin de son peuple».
Q - Laurent Fabius, à Téhéran, devant 27 États non-alignés, le Guide suprême, l'Ayatollah Khamenei a affirmé que l'Iran ne cherchera jamais à avoir l'arme atomique. Est-ce que vous le croyez ?
R - Nous discutons avec l'Iran depuis déjà beaucoup de temps. Nous avons une double démarche, vous le savez, à la fois des sanctions et un dialogue. Dans ce dialogue, nous disons : autant l'Iran a parfaitement le droit d'accès au nucléaire civil, mais pas au nucléaire militaire. Jusqu'à présent, je dois à la vérité de dire que l'Iran n'a pas bougé de ses positions. Il faut renforcer les sanctions, et il faut en même temps que l'Iran fasse les gestes. L'Agence internationale de l'Énergie atomique va rendre un rapport où il apparaît que l'Iran poursuit son activité d'enrichissement de l'uranium qui ne serait pas nécessaire si son objectif était purement civil.
Q - Autrement dit, je reprends ma question, est-ce que quand Khamenei dit...
R - Je ne crois que les faits...
Q - Est-ce que vous croyez qu'il dit la vérité quand il dit que l'Iran ne cherchera jamais à avoir l'arme atomique, ou qu'il ment ?
R - Pour l'instant les faits constatés ne vont pas dans cette direction. Si l'Iran décide de changer sa position, tant mieux, mais pour l'instant nous n'avons absolument pas constaté, sur le terrain, cela.
Q - Donc aucune confiance ?
R - Je pense que nous avons appris à être vigilant à l'égard de tout le monde.
Q - Vous l'avez constaté vous-même, toute la région est en effervescence, est-ce qu'il faut craindre pour l'avenir de l'existence de l'État d'Israël ?
R - Nous tenons à la sécurité d'Israël. Quand nous entendons M. Ahmadinejad dire qu'Israël est une tumeur cancéreuse et M. Khamenei prétendre qu'il ne veut pas de nucléaire militaire, nous disons que c'est inacceptable. Mais de la même façon, nous disons qu'il faut reconnaître les droits des Palestiniens à un État viable, ce qui malheureusement aujourd'hui n'est pas le cas.
Q - Dernière question. La France se dit vigilante sur les atteintes multiformes aux droits de l'Homme et aux droits des femmes. Que dit-elle sur la Libye, sur l'Ukraine, après la détention arbitraire de Mme Timochenko, et sur la Tunisie où la liberté d'expression et de création est en ce moment bafouée ?
R - Dans tous les pays, nous plaidons avec force pour le respect des droits des femmes. Nous l'avons fait - vous citez l'Ukraine - avec Mme Timochenko et, de la même manière, avec les Tunisiens, dont nous sommes proches. Nous disons que tout ce qui porte atteinte, dans les faits ou par les textes, aux droits des femmes n'est pas acceptable.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2012