Déclarations de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'avenir des relations commerciales entre l'Union européenne et les pays ACP, l'intégration des pays en développement dans le commerce mondial et la nécessité d'accroître les investissements, Dakar le 22 avril 1999.

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Circonstance : Réunion interministérielle de la zone franc sur "la Convention de Lomé : le commerce et les échanges au service du développement" à Dakar le 22 avril 1999

Texte intégral

DISCOURS A DAKAR :
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Gouverneurs,
Mesdames, Messieurs,
Il y a quelques semaines, certains dentre nous étaient ici même à Dakar pour participer à la première réunion ministérielle de négociation de la prochaine convention entre lUnion européenne et les ACP. Le président Diouf nous invitait dans son discours introductif à ouvrir un dialogue constructif et fécond au nom dune relation qui sest révélée exemplaire en termes de coopération Nord-Sud. Il nous était difficile de revenir ici à Dakar sans évoquer à nouveau la Convention de Lomé pour faire le point sur les avancées de la négociation.
Cette première réunion ministérielle des 8 et 9 février dernier nous a permis, je crois, de progresser sur de nombreux aspects de la future convention. Elle a montré aussi, il est vrai, que des incompréhensions ou des divergences persistaient sur certains points. Je pense, par exemple, à la définition de la bonne gestion des affaires publiques. Si ce concept doit être considéré comme lun des « éléments essentiels » de notre partenariat, il convient que nous nous mettions daccord sur ce quil recouvre. Cest à cette tâche que sattellent actuellement nos experts.
Une autre question en suspens, tout aussi fondamentale, est celle de lavenir des relations commerciales entre lUnion européenne et les ACP. Car il y a une problématique importante, qui ne touche pas seulement à la relation entre lEurope et lAfrique, mais aussi à la conception que lEurope et les pays en développement peuvent se faire du fonctionnement du commerce mondial et de ses mécanismes. Cest de ce sujet que je souhaiterais vous entretenir et je pense à ce titre que la relation entre la France et les pays de la zone franc comporte des aspects novateurs que vous pouvez faire valoir, notamment auprès de vos partenaires ACP.
Comme vous le savez, la Convention de Lomé a, dès ses débuts, et cest là lune de ses principales originalités, associé coopération, commerce et développement. Ce lien, lUnion européenne souhaite absolument le préserver car il fonde notre approche de léconomie et du développement. La France y est très attachée. Elle sest engagée, et continuera à le faire, pour que la Convention de Lomé, mais aussi les accords fondateurs de lOrganisation mondiale du Commerce, reflètent le souci de mieux prendre en compte linsertion des pays en développement dans le commerce mondial.
Dans cet esprit, jinsisterai sur trois points :
1- Premièrement, nous devons redonner tout son sens au lien entre commerce et développement, mais nous devons le faire dans un contexte international en profonde mutation qui justifie une adaptation substantielle de la Convention de Lomé.
Pourquoi cette adaptation est-elle nécessaire ?
Dabord, parce que plusieurs échéances se dessinent, dans les prochains mois, à lOMC :
Un nouveau cycle de négociations, le « millenium round », devrait commencer en janvier 2000. La mise en oeuvre des accords qui fondent lOMC et ses règles est un processus continu, loin dêtre achevé. Ce cycle aura à traiter de nombreux sujets, non seulement celui des questions tarifaires, mais aussi de la politique de la concurrence, de la transparence dans laccès aux marchés publics, du commerce électronique et de linvestissement.
Nous devons veiller ensemble à ce que ces négociations favorisent une participation plus grande du monde en développement aux bénéfices résultant de louverture aux échanges et à linvestissement. Il faut aussi être attentif à ce que le système commercial multilatéral favorise le développement social et réponde aux attentes des populations. Je sais que cette question a été abordée lors de la réunion de Monaco, à laquelle beaucoup dentre nous ont participé, et je ny reviens pas. Tout comme la communauté francophone a affirmé sa volonté de rejeter tout individualisme dans la mondialisation, les unions économiques et monétaires de la zone franc, la CEMAC et 1UEMOA, peuvent aussi faire entendre leur voix en ce sens auprès de leurs partenaires ACP.
Lautre échéance de lOMC concerne directement lavenir de la Convention de Lomé. Les relations non réciproques entre les ACP et lUnion européenne font actuellement lobjet dune dérogation. En effet, accorder un traitement préférentiel sous la forme de tarifs douaniers plus favorables à un nombre limité de pays est contraire au principe de la « Nation la Plus Favorisée « , qui fonde lOMC. La dérogation actuelle expire en février 2000. LUnion européenne et les pays ACP devront en obtenir une nouvelle pour couvrir la période de transition préalable à la mise en place darrangements compatibles avec les règles de lOMC. Pour cela, il nous faut unir nos forces face aux partisans du tout marché et de la déréglementation. Lévolution du contentieux de la banane illustre bien, sil le fallait, quil faudra nous montrer particulièrement solidaires à Genève.
Enfin, ladaptation est nécessaire pour une seconde raison : les ACP nont pas réussi à tirer pleinement parti des préférences non réciproques. Leur part de marché au sein de lUnion européenne a stagné ou même diminué, malgré limportance que le marché communautaire représentait pour eux. Il y a bien sûr des exceptions, comme celle souvent citée de la Côte dIvoire dans la zone franc. Toutefois, bien souvent, les exportations nont pas été suffisamment diversifiées et la dépendance vis-à-vis dun nombre réduit de produits agricoles ou miniers est restée forte. Je sais que vous partagez ce constat avec les autres pays ACP et que vous nêtes pas partisans du statu quo.
2 - Ainsi, et cest mon second point, cest sur la base de cette analyse que lUnion européenne sest fixée comme objectif majeur de concilier lappui aux Etats ACP dans leurs efforts dinsertion commerciale et le respect des contraintes de lOMC.
Nous avons estimé que la constitution de zones de libre échange est la seule voie qui permette de fonder les avantages offerts aux ACP sur une base juridique solide, tout en leur apportant les bénéfices dun arrimage de leurs marchés à celui de lUnion européenne. Ces dispositions favoriseront linvestissement étranger direct et la diversification des structures de production.
Bien sûr, cela ne peut se faire que sous certaines conditions : dune part, les dispositions commerciales actuelles de la Convention devront être maintenues pendant une période transitoire de cinq ans, pendant laquelle un soutien sera apporté aux processus dintégration régionale comme les vôtres. Dautre part, la libéralisation des échanges devra être progressive, selon un calendrier adapté aux niveaux de développement des différentes régions concernées. En outre, des aides supplémentaires à lajustement devront être apportées en particulier aux ACP-PMA engagés dans ce processus.
Je voudrais vous en convaincre, les propositions de lUnion européenne prennent en compte la nécessité pour vos pays de sadapter à lintroduction de la réciprocité, en ménageant notamment une longue période transitoire. Avec la mise en oeuvre respective de vos zones dunion douanière, vous êtes aussi sans doute plus à même que dautres régions ACP de tirer le meilleur parti des propositions qui vous sont faites.
Daucuns pensent quune autre solution consisterait à améliorer ce que lon appelle le système de préférences généralisées, cest-à-dire le système davantages commerciaux dont bénéficient tous les pays en développement qui ne sont pas ACP. Il conviendrait, selon eux, de porter ce régime au niveau des préférences Lomé. Un seul chiffre : actuellement, 99% des exportations des ACP entrent dans lUnion européenne sans droits de douane, contre 68% en vertu de lactuel SPG. Il est clair quune harmonisation des deux systèmes jouerait en faveur des autres pays en développement et accroîtrait la concurrence au détriment des ACP. En outre, le SPG ne permettrait plus de garantir la stabilité et la prévisibilité quoffre le cadre contractuel de la Convention.
3 - Troisième point, enfin : pour accompagner cette adaptation et souligner limportance dune démarche cohérente, la France mène une politique de coopération active dans le domaine de lappui au commerce, plus particulièrement avec les pays partenaires de la zone franc.
Elle le fait autour de trois axes :
premièrement, en soutenant le renforcement des capacités des pays en développement, particulièrement les PMA, à participer aux négociations commerciales multilatérales et à mieux comprendre leurs répercussions sur les cadres législatifs et réglementaires nationaux. La coopération française participe ainsi à des programmes à Genève avec lOMC, la CNUCED et le Centre de Commerce international. Nombre de nos appuis concernent directement les pays de la zone franc.
A titre dexemple, nous soutenons la proposition de la Commission de lUnion européenne de faciliter laccès des pays en développement au mécanisme de règlement des différends à lOMC. Il sagirait de donner au Secrétariat de lOMC la possibilité de fournir un conseil juridique en ce sens et au cas par cas aux pays en développement qui le souhaiteraient.
deuxième axe, lappui de manière générale à lamélioration des systèmes de circulation des biens et dinformation sur les échanges. Le programme « Investir en Zone Franc » en est une illustration. Notre appui aux institutions de 1UEMOA et de la CEMAC sinscrit aussi dans ce cadre. Nous avons également engagé un programme pour améliorer la desserte maritime en Afrique et baisser les coûts de transport, en coopération avec la Banque mondiale, lUnion européenne, et lACDI.
troisième axe, ladaptation des règles commerciales au contexte international. Vous avez engagé, avec le dispositif de lOHADA, un effort particulier dans le domaine de la conception et de la codification du droit commercial et du droit de la concurrence. Nous plaiderons pour que les règles de lOMC soient « vivantes » et puissent, le cas échéant, sajuster aux besoins des pays en développement. Nous souhaitons quune certaine flexibilité soit possible à lOMC, afin que soient prises en compte vos préoccupations relatives aux difficultés de mise en oeuvre des ajustements nécessaires à lintégration régionale et à lintroduction de la réciprocité dans les échanges avec lUnion européenne.
La prochaine conférence ministérielle entre les pays ACP et ceux de lUnion européenne devrait se tenir fin juillet. Je vous invite à examiner ces questions avec vos collègues qui ont également la charge du suivi de cette négociation. A Monaco, mon collègue Jacques Dondoux a proposé quune concertation des ministres francophones du commerce extérieur puisse avoir lieu en vue de préparer la réunion de lOMC de Seattle. Peut-être une telle concertation avec les ministres en charge de la négociation de la Convention de Lomé pourrait-elle être également envisagée conjointement avec les secrétariats de 1UEMOA et de la CEMAC en vue de préparer les prochaines échéances. La France serait prête, le cas échéant, à sassocier à un tel exercice.
Par ailleurs, une concertation de cette nature pourrait permettre de poser la question de la cohérence des politiques commerciales avec les accords en matière sociale, denvironnement et de moralisation des marchés internationaux. Les pays de la zone franc peuvent se mobiliser conjointement sur ces questions.
Je vous remercie.
(Source htpp ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 1999)
CONFERENCE DE PRESSE:
Q - Monsieur le Ministre, votre intervention était consacrée à lintégration régionale, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
R - Lomé sera dans sa nouvelle version, la France en tous cas lespère ardemment, organisé en quelque sorte autour de ces intégrations régionales qui nous paraissent être la voie de passage vers lintégration dans léconomie mondiale. Qui dit intégration régionale, dit solidarité entre pays de la zone concernée, harmonisation fiscale, convergence des politiques économiques. Sil est vrai que lEurope ne peut pas forcément être lexemple pour tout, ce matin Dominique Strauss-Kahn a largement insisté sur la relation très étroite quil y avait entre une monnaie unique et une politique de convergence économique. Jai mis en garde les pays de la zone franc contre le risque, par lassitude, en ne voyant pas les résultats se manifester aussi rapidement quespéré, daffaiblir en quelque sorte la solidarité entre eux, parfois de renoncer ou de retarder les efforts qui sont pourtant nécessaires en ce qui concerne, par exemple, lharmonisation fiscale ou la recherche dun abaissement du tarif extérieur commun, tous efforts qui nous paraissent devoir être poursuivis. La France dailleurs est disposée à aider, dans la mesure évidemment de ses moyens et avec dautres, les pays africains à continuer dans cette direction, mais puisquaussi bien la réalité en Afrique demeure et quhélas existe un nombre trop grand de populations en situation de pauvreté, je crois quil faut poursuivre les efforts.
Nous avons aussi beaucoup parlé ce matin des efforts nécessaires pour aider laccueil des investissements, considérés comme étant le point dappui indispensable au développement, et jai fait observer aussi que Lomé va attacher beaucoup dimportance aux conditions daccueil de linvestissement privé, qui pour la France depuis longtemps est loin de devoir se substituer à laide publique au développement, et doit se combiner avec celle-ci pour assurer un meilleur développement. Voilà les grands thèmes que nous avons évoqués ce matin. Vous savez que par ailleurs, nous avons assez longuement parlé dune initiative française en ce qui concerne la réduction de la dette, mais je pense que Dominique Strauss-Kahn nous en parlera aussi à loccasion de son point de presse. Je voudrais simplement insister, sagissant de cette question, sur limportance que nous voudrions attacher à la bonne utilisation, par les pays bénéficiaires de cette réduction de la dette, en direction des services sociaux et de la lutte contre la pauvreté. Jobserve pour le regretter, que linvestissement social est souvent la variable dajustement lorsquil y a des difficultés budgétaires. Je comprends ce ne soit pas très motivant pour les contribuables que de savoir que le budget va servir de manière trop importante à résorber la dette. Jattends de la réduction dans le budget de la part de la dette à laquelle nous voulons procéder, dont les pays du G7 vont sentretenir et dont le FMI, la Banque mondiale vont également parler la semaine prochaine - je pense participer à ces discussions - jattends que cette réduction dans le budget de la part de la dette soit une manière de remotiver en quelque sorte les contribuables, dès lors que le budget ne servira plus à solder le passé, mais à bâtir lavenir. Cest un élément tout-à-fait important quil faudrait que les Etats puissent également intégrer. Nous sommes évidemment, et là le ministre de la Coopération est dautant plus enclin à le dire, tout disposés à mettre à disposition nos capacités dexpertise pour bâtir avec les pays africains les programmes de développement et de lutte contre la pauvreté que la réduction de la dette devrait permettre. La réduction de la contrainte ouvre des champs de liberté en terme de développement. Il faut que les pays qui vont bénéficier de cette réduction de la dette sachent les saisir.
Q - Ce matin le Mali, appuyé par le Bénin a réclamé le départ de la délégation du Niger.
Comment avez-vous personnellement réagi ?
R - Je comprends la réaction de M. Konaré qui a depuis longtemps témoigné dune très grande vigilance par rapport à tout ce qui concerne les manquements à la démocratie et aux droits de lHomme. La France a elle aussi condamné les conditions dans lesquelles le général Baré a été assassiné. Elle a dit, comme ce matin le porte-parole du Mali, quil sagissait là dun recul de la démocratie. Nous avons fait le choix de suspendre notre coopération avec lEtat nigérien. Cest vrai de la coopération militaire, cest vrai aussi de la coopération civile, sachant toutefois quafin déviter que ce soit les populations civiles qui soient directement victimes de cette suspension, certaines coopérations, en faveur dONG en particulier, pourront être poursuivies dans les domaines notamment de la santé et de laide sociale. Nous attendons. A la question qui nous est posée : Quand allez-vous reprendre cette coopération ? la réponse est : quand nous aurons pu évaluer la volonté des nouveaux dirigeants de mettre en marche un processus démocratique authentique. Je crois quil serait trop facile de dire : Oublions cela, faisons comme si rien ne sétait passé ! Je crois que cest dommage. Le Niger, qui sétait engagé dans un processus démocratique au travers des élections locales que nous avions beaucoup encouragées, est retombé dans lornière que nous connaissons bien qui consiste, plutôt quattendre la prochaine élection pour changer un chef dEtat qui ne donne pas satisfaction, à préférer recourir à des balles de 12,7 mm. Je crois que si lon veut sécuriser par exemple les investisseurs, ce nest pas en procédant de la sorte.
Q - M. Konaré a préconisé des sanctions au niveau régional contre les nouveaux dirigeants du Niger, et notamment lexclusion de certaines instances régionales. Est-ce que la France est favorable à ce type de mesures ?
R - Jai dit la position qui était la notre, au moment où les événements sont intervenus. Pour le reste, je crois que cest à lensemble des pays africains de dire quelle attitude ils entendent adopter vis-à-vis du Niger et des dirigeants que le Niger sest donné. Jai entendu la remarque du Nigérien disant quil y avait une sorte de consensus au niveau de la société nigérienne entre les dirigeants dhier, moins le président Baré, et les dirigeants daujourdhui, y compris les forces dopposition, pour sengager vers une nouvelle voie, un nouveau processus. Je le répète, nous attendons den savoir plus, en ce qui nous concerne, et de pouvoir évaluer la sincérité, la fiabilité de ce qui est proposé, pour nous déterminer, mais, jusquà nouvel ordre, nous avons fait le choix de suspendre la coopération.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 1999)