Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec LCP le 12 septembre 2012, sur la Libye, la situation en Syrie, la question du nucléaire iranien, le terrorisme au Mali et sur le mécanisme de stabilité européen.

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Média : LCP Assemblée nationale

Texte intégral

Q - L'ambassadeur américain et trois autres diplomates américains ont été tués en Libye à Benghazi. Des gens manifestaient leur colère à propos d'un film qu'ils jugeaient insultant pour l'islam. Est-ce un tournant pour cette région et pour les relations entre l'occident et les pays arabes ?
R - Nous avons réagi immédiatement pour condamner ces actions qui sont absolument inqualifiables, pour dire notre solidarité aux autorités américaines et pour demander aux autorités libyennes de faire ce qu'il faut pour arrêter les coupables et ne pas permettre d'autres exactions abominables. Vous savez dans quelles conditions M. Kadhafi a été débarqué. Une solution nouvelle s'est mise en place. On pensait et on espère toujours que cette solution était assez pacifique, vous avez vu les résultats des élections. Évidemment, vous pouvez toujours avoir des extrémistes - là on parle de Salafistes, je ne sais pas si c'est exact - qui se livrent à ces comportements. C'est absolument inacceptable et il faut que les autorités libyennes réagissent et réagissent vite.
Q - Des actes absolument inacceptables mais ce sont pour vous des actes isolés ou faut-il y voir la main des islamistes qui s'apprêtent à prendre le pouvoir de manière tout à fait définitive en Libye ?
R - Non, nous n'en sommes heureusement pas là. Les élections ont, comme vous le savez, donné des résultats plus modérés que ce que l'on attendait. Seulement, évidemment, il peut y avoir des réactions de milieux totalement extrémistes et il ne faut pas les accepter.
Q - Globalement, comment appréciez-vous ce qui s'est passé au moment du Printemps arabe ? Comment sentez-vous la situation ?
R - C'est très compliqué. D'abord il faudrait parler de Printemps au pluriel et, s'il s'agit de révolutions, il faut toujours avoir à l'esprit que les révolutions ne sont jamais linéaires. D'abord, cela met beaucoup de temps, il y a des hauts et des bas. Je sais que ce n'est pas comparable mais regardez ce qui s'est passé dans notre pays, la France : entre 1789 et le moment où la République a été installée définitivement, il s'est écoulé des années et des années, mais comparaison n'est pas raison.
J'ai toujours considéré que ces printemps n'étaient pas du tout linéaires. Il y a eu un premier temps qui était incontestablement positif, où des pays se sont débarrassés de leur dictateur et je dis bravo. Après, les chemins bifurquent. Un certain nombre de pays prennent tout de suite des chemins modérés. D'autres, au contraire, vont vers l'extrémisme. Il y a des difficultés économiques, des difficultés sociales.
Quel message la France porte-t-elle ? Notre message est que nous voulons aider à la liberté de ces peuples, mais que nous demandons le respect d'un certain nombre de principes qui sont absolument intangibles, notamment le respect des droits de la personne humaine, le respect des femmes, le respect des droits des minorités. C'est ce que nous faisons, c'est notre position partout, qu'il s'agisse de la Libye, de la Tunisie ou de l'Égypte, qu'il s'agisse demain de la Syrie.
Q - Dans les pays que vous citez, pensez-vous que ce n'est pas assez le cas - nous parlerons de la Syrie après ?
R - Pour Kadhafi, j'ai dit et je confirme ce qui était une évidence, quand on a été témoins de crimes de cet ordre, on ne peut que les condamner avec une extrême fermeté. Dans d'autres pays, la situation est différente, chaque pays est différent. Nous ne pouvons pas nous substituer à ces pays et à ces peuples pour décider à leur place, ce n'est évidemment pas du tout notre idée. On doit les aider, les accompagner, y compris financièrement et nous le faisons. En même temps, il faut qu'il y ait des lignes rouges, des valeurs et des droits qui doivent être respectés universellement, notamment les droits des femmes, les droits des minorités, les droits de l'opposition.
Q - Concernant la Syrie, craignez-vous la même évolution, c'est-à-dire une main-mise des islamistes sur l'après Assad ?
R - Si le drame syrien devait se poursuivre longtemps - et c'est déjà un drame épouvantable : plus de 25.000 morts, plus de 250.000 blessés, des dizaines de milliers de personnes réfugiées -, la crainte est effectivement que non seulement il y ait des oppositions mais que cela devienne guerre confessionnelle. À partir de ce moment-là, chaque confession est retranchée dans ses bastions. On n'arrive pas à garder ou à reconquérir une unité et une intégrité de la Syrie et vous pouvez avoir des extrémistes qui tirent leur épingle du jeu. C'est contre cela que nous luttons et quand je dis nous, ce n'est pas seulement la France, même si nous sommes aux avant-postes, c'est l'Europe et beaucoup d'autres avec nous.
C'est la raison pour laquelle, nous avons à la fois une action diplomatique pour essayer de faire en sorte de trouver une solution qui rassemble tout le monde et une action humanitaire ; nous sommes aux avant-postes dans les zones libérées et ailleurs pour les réfugiés. Je crois que nous sommes le pays qui a le plus de liens avec la diversité des acteurs pour essayer de rassembler, ce qui est très compliqué.
Q - Confirmez-vous qu'un certain nombre de «djihadistes» français sont sur le territoire syrien ?
R - Non, je ne confirme pas. Ce que je sais, par toute une série de sources, c'est qu'il y a effectivement des djihadistes qui peuvent venir de différents endroits, appartenir à différents pays et être de différentes origines.
Q - Donc y compris des Français ou originaires de France ?
R - Je n'ai pas d'indication précise là-dessus. Il y a des djihadistes mais ce sont essentiellement des gens qui viennent d'Iran ou autres. Il peut y avoir un certain nombre de Français totalement égarés mais que ce soient des Français ou non, il est évident que ce type de comportement est à l'opposé de ce que nous souhaitons.
Q - Vous avez affirmé que la France ne fournissait pas d'armes létales aux rebelles mais, face à ces bombardements incessants, ne faudrait-il pas quand même leur fournir des moyens de défense anti-aériens ?
R - C'est la raison pour laquelle la France, sous ma présidence, a convoqué le Conseil de sécurité des Nations unies, il y a de cela quelques jours, afin de nous centrer sur les questions humanitaires. Nous avons tous demandé aux autorités syriennes de garantir l'accès au droit humanitaire, en particulier la protection des hôpitaux. Vous avez vu que le président du Comité international de la Croix Rouge est allé voir M. Bachar Al-Assad avec toutes les difficultés que cela peut comporter.
Nous avons une action humanitaire qui est indispensable, en même temps, se pose une question diplomatique que je viens d'évoquer. Il y a par ailleurs une question militaire : que se passe-t-il sur le terrain ? En deux mots, les résistants gagnent du terrain, mais c'est vrai que M. Bachar Al-Assad a un armement puissant. Certains ont parfois comparé la Syrie avec la Libye, mais comparaison n'est pas raison. M. Bachar Al-Assad dispose de plus de 500 avions et donc, la question est posée, comment éviter qu'il ne bombarde la population ?
Q - Surtout qu'apparemment, il a dispersé des armes chimiques !
R - C'est autre chose, je vais y venir.
Tous les pays d'Europe, dans la situation actuelle ont voté pour un embargo sur les armes parce que nous ne voulons pas ajouter la guerre à la guerre. La France respecte cet embargo. Nous fournissons - je peux le confirmer et je l'ai déjà dit - des équipements non létaux comme par exemple des moyens de communication cryptée pour que le régime ne puisse pas entendre les communications, des jumelles de nuit et d'autres équipements.
Pour aller plus loin, La difficulté, qui est une des difficultés de la politique étrangère, est la suivante. Si nous livrions des missiles qui, par exemple, permettent d'abattre des avions. D'une part, nous n'avons pas de base légale pour le faire puisque l'Europe a décidé qu'il y aurait un embargo sur les armes. D'autre part, il y a un problème pratique évident, c'est qu'il faut avoir en face de soi pour livrer ces armes, des gens dont nous sommes sûrs qu'ils ne les retourneront pas, le cas échéant, contre nous. Or, il y a un tel maelstrom en Syrie que c'est extrêmement difficile à faire. Si, malheureusement, il y a poursuite de l'abomination en Syrie, peut-être que l'attitude de la communauté internationale évoluera.
Q - Vous ne l'excluez donc pas.
R - Vous savez, lorsque l'on a, comme c'est le cas aujourd'hui, 200 morts par jour, quand vous avez un dictateur et son clan qui ont une seule idée, celle d'assassiner leur peuple, on ne peut pas dire «jamais».
Q - Et à quel moment dites-vous stop alors ?
R - C'est la raison pour laquelle nous portons l'ensemble de ces idées au Conseil de sécurité. L'une des choses qui caractérise la France et qui doit continuer à la caractériser, c'est que nous agissons sur la base de la légalité internationale, légalité que nous respectons.
Je veux être complet par rapport à ce que vous avez dit. Concernant les armes chimiques et bactériologiques dont vous parliez tout à l'heure, soyons très clair, il s'agit d'autres catégories d'armes qui ont évidemment une dangerosité encore plus monstrueuse. Dans ce cas, la position de la France, comme d'ailleurs celle des États-Unis, des Britanniques et même des Russes, est différente, en tout cas pour la France : Si M. Bachar Al-Assad - et nous suivons cela au jour le jour - et quand je dis cela, ce n'est pas une image, c'est une réalité, si M. Bachar Al-Assad menaçait d'utiliser ces armes ou de les manipuler, à ce moment-là, la réaction de la France et sans doute d'autres partenaires serait immédiate et foudroyante.
Q - Un plan d'actions est-il déjà prévu ?
R - Immédiate et foudroyante, vous me permettrez de ne pas entrer dans le détail de choses qui doivent rester secrètes, mais il n'y a aucune marge sur ce point, c'est clair, c'est net et précis.
Q - Immédiate et foudroyante avec quel type d'armes ?Est-ce en accord avec les Russes ?
R - Je n'en dirai pas plus. Par ailleurs, les Russes ont dit à M. Bachar al-Assad «Pas touche à ces armes». Je suis en contact avec mon collègue russe, M. Lavrov, sur ces questions et nous avons discuté de cela. Il est évident qu'il ne doit pas y avoir, en aucun cas, de recours à ces armes chimiques ou bactériologiques, ni directement, ni indirectement.
Q - vous dites une réplique immédiate et foudroyante, cela veut-il dire que des plans sont déjà préparés ou concertés entre plusieurs pays.
R - Cela veut dire que vous m'aurez compris.
Q - Il y a eu une critique pendant l'été sur le fait qu'il n'y a peut-être pas assez de force de réaction de la France. Il y aurait peut-être la possibilité d'aller voir les Russes et d'être plus interventionnistes. Ressentez-vous cela comme une critique personnelle ?
R - D'abord, je vous le disais, la France, dès lors que l'on connaît ces sujets et que l'on n'a pas de procès d'intention à l'esprit, la France est aux avant-postes. Je ne vais pas dire que la France est le pays qui est le plus engagé, mais mon sentiment est quand même celui-là.
Au début du mois de juillet, alors que la crise en Syrie faisait rage depuis de nombreux mois, nous avons réuni à Paris la Conférence des Amis du peuple syrien où il y avait plus de la moitié des pays du monde pour dire, autour de la France, ce que nous devions faire vis-à-vis du régime de Bachar. Au mois d'août, à la demande de la France, j'ai présidé le Conseil de sécurité ; il n'y a pas d'instance plus haute. Je me suis rendu dans tous les pays voisins de la Syrie où il y a des réfugiés. Nous avons l'aide humanitaire la plus importante et le Conseil national syrien a rendu hommage à ce que fait le président de la République française. Nous avons accueilli et même exfiltré le principal général qui a fait défection. Nous discutons avec la Russie,mon homologue russe m'a encore téléphoné la semaine dernière, le vice-ministre russe était présent à Paris ces derniers jours. J'ai envoyé un émissaire de mon ministère auprès des Russes. Je n'ai pas à faire un communiqué chaque jour.
Q - Vous estimez donc avoir fait tout ce qu'il est possible de faire ?
R - Encore ce week-end, tous les ministres des Affaires étrangères étaient réunis à Chypre pour parler de la Syrie, à la demande de la France et de l'Italie. Et qui a rapporté sur ce sujet ? Le représentant de la France, c'est-à-dire moi-même.
Q - Les grandes puissances viennent de s'accorder sur une résolution contre l'Iran. Que comporte cette résolution ? À quoi cela peut-il conduire ? Par ailleurs, redoutez-vous des frappes israéliennes contre l'Iran ?
R - C'est une affaire extrêmement sérieuse. Autant nous sommes tout à fait d'accord pour que l'Iran - qui est un grand pays - dispose de l'énergie nucléaire civile, autant nous n'acceptons pas qu'il possède l'arme nucléaire. Car il y aurait un danger et même une certitude que cela dissémine le risque nucléaire dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient, qui est une région déjà passablement agitée.
À partir du moment où l'Iran se doterait de l'arme nucléaire, elle pourrait menacer les pays voisins. Il risquerait de se produire une réaction en chaîne dans les pays proches qui souhaiteraient, eux aussi, l'arme nucléaire. Vous imaginez le Proche et le Moyen-Orient avec des armes nucléaires dans chaque endroit ? Pour cette raison, nous sommes contre. Et quand je dis nous, ce n'est pas seulement la France, les États-Unis et la Grande Bretagne mais également les Chinois et les Russes. Nous avons formé ensemble ce que l'on appelle le Groupe des 5+1 (avec l'Allemagne) et nous avons choisi une double attitude. D'un côté, nous imposons des sanctions et de l'autre côté, nous dialoguons pour essayer de faire bouger l'Iran. L'honnêteté consiste à dire que l'Iran n'a pas bougé. L'AIEA vient de rendre un rapport établissant que le nombre des centrifugeuses qui permettent d'enrichir l'uranium a augmenté. Les Iraniens continuent de nous cacher une partie de ce qu'ils font. Donc, il faut faire très attention. Et, d'une manière tout à fait cohérente, nous disons que cela n'est pas possible et ne peut pas durer éternellement.
La bonne solution, la seule, c'est d'exercer une pression telle qu'elle fera comprendre aux Iraniens qu'ils ne peuvent pas accéder à l'arme nucléaire, et donc discuter avec eux pour qu'ils renoncent à un certain nombre de choses. Pour le moment, nous n'y sommes pas parvenus. C'est là où se pose la question, si cela continue, que va-t-il se produire ? Nous entendons alors les Israéliens dire qu'ils sont des voisins de l'Iran et M. Ahmadinejad leur répondre qu'Israël est une tumeur cancéreuse qu'il faut rayer de la carte du monde ! C'est une absurdité innommable et les Israéliens sont extrêmement inquiets. Notre position est de dire que l'affaire iranienne ne concerne pas spécifiquement les Israéliens ou les Egyptiens, c'est une affaire qui menace l'ensemble de la région. Donc il faut que nous tous, Américains, Français, Russes, Chinois et Britanniques, nous nous concertions pour savoir, si l'Iran devait continuer, à quel moment on dit stop et de quelle façon.
Q - M. Netanyahou dit qu'il faut fixer une ligne rouge à l'Iran plutôt qu'un feu rouge, c'est-à-dire une intervention d'Israël.
R - Je ne vais pas jouer sur les mots mais il faut effectivement renforcer la pression et, ce communiqué que nous allons faire ensemble, ce n'est pas une décision prise sans réflexion. C'est quand même les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui disent à l'Iran qu'il dépasse la ligne. Ensuite, ce que nous souhaitons tous, c'est d'arriver à convaincre les Iraniens et ils doivent être convaincus par une pression supplémentaire. Maintenant, soyons honnête et reconnaissons que le fait qu'il y ait des élections aux États-Unis complique encore la situation. Faisons très attention, les Iraniens ne peuvent pas, comme cela, continuer à jouer avec la sécurité du monde.
Q - Jusqu'à quand ?
R - Nous sommes en discussion sur ce point-là.
Q - Une dernière question de politique étrangère avant de parler de l'Europe, Nous sommes onze ans après le 11 septembre, Al Qaïda est toujours présente, AQMI aussi, faut-il craindre des attentats, des opérations sur le territoire français ?
R - Nous sommes très vigilants, le ministère de l'Intérieur est très attentif à cette situation.
Q - Avez-vous des indices ?
R - Pourquoi sommes-nous vigilants ? D'abord parce qu'il y a une menace permanente. Ensuite parce qu'AQMI s'est malheureusement renforcée dans la région du Sahel. Celle-ci est une bande de territoire désertique, notamment au Mali, et sans entrer dans trop dans de détails, le nord du Mali est, pour une grande part, occupé par des terroristes : AQMI et ses relais qui portent d'autres noms. C'est très dangereux parce que l'idéologie de ces gens est intégriste, elle vise à ce que les populations locales et aussi au-delà soient à sa botte, elle vise à détruire ou en tout cas à porter des coups à l'Europe, à la France, à tous ceux qui ne leur ressemblent pas.
Q - Et sont-ils en mesure de venir sur le territoire français ?
R - Il peut y avoir, si cette situation prenait de l'ampleur et si nous ne réagissions pas, ce cas. Nous sommes donc obligés de nous prémunir en particulier, vous le savez, en référence à ce triste anniversaire : dans cette région du Mali, il y a des otages français depuis maintenant deux ans. Vous imaginez les conditions très difficiles dans lesquelles ils vivent et AQMI, par cette cruauté, montre ce dont elle est capable.
Il faut s'occuper de cela mais je ne serai pas plus long là-dessus car il faut rester très discret. De plus il faut aider le Mali et de manière générale les pays voisins à se protéger et c'est le rôle de la France.
Q - Les aider comment, militairement ?
R - Puisque nous parlons du Mali, je ne reviens pas sur l'historique, mais il y a eu une tentative de coup d'État. Finalement, le président Traoré est revenu, avec un Premier ministre, cela est une bonne chose. Ils essaient, avec les pays voisins - ce que l'on appelle la CEDEAO - de se renforcer et de consolider leur base constitutionnelle, c'est excellent. La France peut les aider du point de vue de la coopération civile. Il faut, petit à petit, qu'eux et les pays voisins deviennent plus «costauds» mais c'est sur eux que cela repose. Nous n'allons pas le faire à leur place.
Le président du Mali a saisi à la fois le président de la CEDEAO - qui est le président de la Côte d'Ivoire M. Ouattara - et les Nations unies. Nous aurons une réunion à l'ONU le 26 septembre où nous examinerons ces problèmes. La France est un facilitateur et nous ne voulons absolument pas agir à la place des Africains. Mais le danger concerne d'abord le Mali, ensuite les pays voisins puisque les États sont souvent assez faibles et il peut aussi concerner l'Europe. C'est pourquoi il faut être très vigilant.
J'ajoute un dernier élément. Ce qui se passe au Mali possède des connexions dans l'ensemble de l'Afrique. Si vous avez une carte à l'esprit, par exemple, au Nigéria qui est un pays assez lointain, il y a au nord une organisation qui s'appelle Boko Haram et qui est, pour une part, formé par les gens du nord-Mali. Il faut donc faire très attention car l'Afrique est un continent du futur, un continent en développement et tous ces pays seront menacés si le terrorisme avec de l'argent et des armes - dont une partie d'ailleurs viennent de Libye - et le trafic de drogue se développent.
Q - Ce matin, la Cour constitutionnelle allemande donne son aval à l'adoption par Berlin du mécanisme de stabilité européen. On va pouvoir distribuer de l'argent au pays qui en ont besoin. N'est-ce finalement pas la preuve qu'en Europe tout dépend de l'Allemagne. Tous les pays européens sont aujourd'hui soulagés, n'est-ce pas finalement l'Allemagne qui domine tout ?
R - Je ne le crois pas. En revanche, cette décision est une bonne nouvelle. Il y a, alors que l'Europe est en difficulté, une série de petits cailloux qui ont été semés depuis quelques mois et qui sont un ensemble d'éléments positifs. Positifs je l'espère, et nous travaillons pour cela, en particulier le président de la République, le Premier ministre et moi-même. Cela était inimaginable il y a quelques mois encore. Je cite ces éléments :
À la fin du mois de juin, le plan de relance ou pacte pour la croissance a été approuvé. Jusqu'à présent, on ne parlait que de la discipline budgétaire, qui est certes nécessaire. Nous y avons ajouté une deuxième jambe de soutien et cela est positif.
Deuxièmement, nous avons fait avancer l'idée de la taxe sur les transactions financières, c'est aussi positif.
Nous avons également suscité et appuyé cet élément très nouveau que l'on appelle l'Union bancaire. C'est-à-dire que la Banque centrale européenne va s'occuper de superviser l'ensemble des banques, ce qui va éviter toute une série de dérives, de déviations qui ont mené à la crise ;
Il y a également - c'est quelque chose de très positif aussi - l'orientation qu'a prise la semaine dernière, la Banque centrale européenne, sous l'impulsion de son président, M. Mario Draghi qui a indiqué qu'elle pourrait directement faire des choses pour aider, ce qui n'était pas le cas auparavant. Il reste beaucoup de problèmes (en Grèce, en Espagne, etc), et je suis cela de très près avec Bernard Cazeneuve qui m'aide et qui le fait fort bien. Je vois quand même se dessiner, si nous ne faisons pas collectivement des sottises, une Europe réorientée et de ce point de vue-là, la décision prise aujourd'hui par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe permet d'aller dans ce sens. C'est donc une bonne nouvelle.
(...)
Le Traité qui va être examiné très bientôt par le Parlement français le sera dans le cadre d'un « paquet », parce qu'il y a le Traité et il y a autre chose qui permet d'aller dans la bonne direction. Pourquoi ? Je ne vais pas faire de long développement. D'abord, j'ai dit qu'il y avait la question de la Grèce qui n'était pas réglée, mais il y a aussi la question espagnole et la croissance qui n'est pas suffisamment au rendez-vous. On attend le vote du Parlement français. Imaginez que dans ce contexte - ce qui n'arrivera pas - le Parlement français refuse le paquet budgétaire, cela veut dire que vous avez une déstabilisation de l'ensemble du système.
(...)
Je dis qu'il faut être cohérent. Premier point, nécessité de ce vote pour la stabilisation de l'Europe.
Deuxième point, on dit «mais cela porte atteinte à la souveraineté» : pas du tout.
Q - Il y a un contrôle beaucoup plus accru de Bruxelles quand-même.
R - Oui, mais à partir du moment où vous avez à la fois sérieux budgétaire et croissance, il est tout à fait normal qu'il y ait un contrôle sur le sérieux budgétaire. On dit que c'est la Cour de justice qui va contrôler, mais pas du tout, ça c'est une erreur de fait. La Cour de justice va simplement regarder si les textes sont conformes avec le Traité ou pas. Vous avez vu que le Conseil constitutionnel français, qui a été consulté, a dit que sur les règles budgétaires, ce qu'on appelle la règle d'or n'appelait pas de modification de la Constitution, ce n'était pas nécessaire. Nous allons donc faire une loi organique et la Cour de justice n'aura absolument pas le pouvoir de contrôler notre budget. Elle regardera simplement si la loi organique est conforme. Elle dira oui.
Troisièmement, on dit «oui mais attention parce que cela va installer de l'austérité». C'est l'argument qui est souvent répété. J'ai là aussi évidemment regardé tout en détail.
D'une part, je dis que le Traité budgétaire est à lire dans un contexte global avec le pacte de croissance de 250 milliards que nous avons obtenu. Mais, surtout, quand on regarde précisément, la France comme les autres pays ne sera pas limitée dans ses dépenses publiques, pas du tout. Elle ne sera pas limitée non plus dans les exigences. On ne dira pas il faut faire tel impôt ou pas tel impôt. Simplement on nous dit, soyez sérieux budgétairement. Une norme a été ajoutée : jusqu'à présent il y avait 3 % de déficit conjoncturel ; là, il faut aussi qu'il n'y ait pas plus de 0,5 %, mais de déficit structurel, c'est-à-dire qu'on défalquera ce qui est lié à la conjoncture et les économistes savent qu'il n'y a pas d'exigence supplémentaire par rapport à des textes qui existaient déjà.
Je dis que du point de vue de la stabilisation de l'Europe, du point de vue de la défense de notre souveraineté et du point de vue de la capacité de relance, non seulement ce vote ne pose pas de problème, mais il me paraît nécessaire.
Q - Il y a le projet européen et puis il y a le contexte, c'est-à-dire un budget 2013 qui va être très contraint et déjà un débat chez les économistes en disant qu'en respectant les 3 % de déficit l'an prochain, est-ce que l'on ne fait pas mourir le malade en organisant la récession ? Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
R - Je pense qu'on ne peut pas soutenir une chose et son contraire. Bien sûr étant moi-même économiste, je vois l'argument et il faut être très attentif car il ne faut pas non plus prendre des mesures tellement rigoristes que cela empêcherait à la fois la croissance, et du même coup d'atteindre l'équilibre budgétaire. Mais la France est dans une situation de déficit excessif. Donc, il faut marquer une inflexion. Cette inflexion a été marquée en disant cette année c'est 4,5 % de déficit, il faut viser l'année prochaine 3 % et viser l'équilibre en 2017.
Q - Viser et pas forcément l'atteindre !
R - Si on le vise, c'est pour l'atteindre.
Q - Non mais viser ce n'est pas forcément arriver à 3 %
R - Je ne joue pas sur les mots voilà l'objectif qui doit être le nôtre.
Q - Je vous ai parlé tout à l'heure du déficit structurel, donc vous laissez entendre qu'on peut très bien faire un petit arrangement avec les 3 % ?
R - Non, je ne veux pas laisser entendre. On ne peut pas.
(...).
Nous sommes des gens réalistes et nous allons essayer de faire le maximum avec en particulier le pacte de croissance que nous avons obtenu, pour muscler la croissance. Nous comptons bien, peut-être après les élections américaines, avec d'autres éléments, arriver à muscler tout cela. Donc oui à la croissance, et en même temps sérieux budgétaire, voilà la ligne.
(...)
Q - Et qu'en est-il de la voix de la France ? La voix de la France porte-t-elle moins qu'il y a dix ans ?
R - Elle a porté moins, cela dépend des domaines. On ne peut pas dire que c'est le jour et la nuit mais je pense que la voix de la France est de nouveau respectée. La France porte des valeurs, elle rayonne, elle a des progrès à faire dans différents domaines mais je suis frappé de l'accueil extraordinaire, exceptionnel que nous avons, en tant que nouvelle équipe, dans tous mes contacts.
Nous avons une position en termes de valeurs et une diplomatie du rayonnement qui ne va pas changer tous les jours.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2012