Entretien de M. Pascal Canfin, ministre du développement, dans "La Croix" du 12 octobre 2012, sur l'aide au développement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Croix

Texte intégral

Q - Vous participez au voyage de François Hollande en Afrique. En quoi consiste votre ministère ?
R - C'est la première fois qu'un ministre est exclusivement responsable du développement. Je ne suis pas chargé des relations bilatérales avec les gouvernements africains. Elles sont du ressort du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et du domaine réservé du président de la République. C'est une rupture qui acte que le monde a changé. L'Afrique n'est pas une chasse gardée de la France. Nous avons normalisé nos relations institutionnelles avec ce continent. À l'Élysée, la cellule Afrique a été intégrée à la cellule diplomatique. Au Sénégal et en République démocratique du Congo, je me concentrerai sur les projets de développement, sur ce que peut apporter l'aide publique française.
Je consacre 100 % de mon temps aux politiques de développement vers les pays pauvres et émergents, ainsi qu'aux négociations climatiques, en liaison avec ma collègue Delphine Batho (NDLR : ministre de l'écologie). Le but est d'aboutir à des accords permettant de gérer en commun et de manière durable les biens publics mondiaux. Cela dit, l'Afrique est le continent où il y a encore le plus de situations de survie, d'urgence absolue, des crises humanitaires potentielles.
Cela justifie que notre aide se porte en majorité sur ce continent. En même temps, c'est un continent qui a incroyablement changé. Nous n'en sommes plus au stade de la relation postcoloniale. Ce continent s'est mondialisé, notamment dans ses échanges avec la Chine, l'Inde, le Brésil...
Q - L'aide publique au développement n'est-elle pas une des sacrifiées du budget français pour 2013 ?
R - Non. Politiquement, ce gouvernement a fait le choix de ne pas sacrifier la solidarité internationale, malgré un contexte budgétaire contraint. Certes, le budget de ce ministère participe à l'effort de redressement des comptes publics. Mais à ce budget s'additionnent 10 % des recettes de la taxe sur les transactions financières, qui vont être affectées à la protection de l'environnement et à la santé dans les pays en développement.
Des actions nouvelles, pour un montant d'au moins 160 millions d'euros, pourront ainsi être lancées dès 2013. Ces sommes viendront s'ajouter aux 3,1 milliards d'euros du budget 2013 affectés à la mission d'aide publique au développement.
Q - Quelles sont les priorités de l'aide publique au développement ?
R - La première est de s'assurer que notre aide est conforme à la recherche d'un mode de développement soutenable. Par exemple, nous avons réorienté les investissements énergétiques de l'Agence française de développement (AFD) vers les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. De cinq à six milliards d'euros d'investissements potentiels, sur trois ans, seront réalisés dans ces domaines par l'agence. Sur ce thème, nous allons également nous inscrire dans l'initiative de l'ONU «énergie durable pour tous» («sustainable energy for all»).
Contribuer à établir la transparence des flux financiers est une autre priorité. C'est pour cette raison que la France soutient la directive proposée par le commissaire européen, Michel Barnier, qui demande à ce que les entreprises, y compris les industries extractives, publient pays par pays, projet par projet les impôts qu'elles paient dans chacun des pays où elles opèrent.
Les Européens doivent faire au moins aussi bien que les Américains qui viennent de modifier, en ce sens, leur législation. Avec Pierre Moscovici, ministre des finances, nous nous battons à Bruxelles pour que le droit européen en cours de négociation soit le plus ambitieux possible. Cette transparence permettra à la société civile de demander des comptes. La plupart du temps, les entreprises françaises sont demandeuses de cette transparence.
Q - Comment motiver l'opinion publique française à donner pour le développement ?
R - La société britannique est plus sensibilisée que les Français aux questions de développement En Grande-Bretagne, les conservateurs comme les travaillistes maintiennent l'effort budgétaire en direction du Sud, malgré la crise. Même si je sais que des dizaines de milliers de personnes sont engagées, notamment dans les ONG de solidarité internationale et de développement, la société française dans son ensemble n'est pas assez mobilisée au quotidien sur ces questions. Notre rôle est de la convaincre que le développement est important pour tous. Pour cela, l'aide doit être transparente. Nous devons évaluer les progrès qu'elle permet, les faire connaître au public. Enfin, je suis convaincu que le développement est un facteur de paix. C'est donc l'intérêt général, comme notre intérêt particulier.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2012