Extraits d'un entretien M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes avec «Europe 1» le 10 octobre 2012, sur le nouveau Traité européen.

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Q - C'est peut-être passé inaperçu, onze pays européens, inspirés par Paris et Berlin, ont donné hier naissance au premier impôt européen : la taxe sur les transactions financières. D'abord, est-ce que c'est un progrès ?
R - C'est un progrès considérable. La perception de cette taxe par ces onze pays traduit notre engagement à réguler la finance. Nous avons désormais un instrument pour assurer cette régulation. Cette taxe représente surtout de nouvelles ressources pour l'Union européenne : des aides directes aux agriculteurs, des fonds structurels pour le développement régional, le financement de la politique énergétique, des grandes infrastructures, du développement, de la recherche... C'est donc une excellente nouvelle pour l'Europe.
Q - Aucun pays ne pourra mettre son veto ?
R - Non puisque c'est une décision en coopération renforcée.
Q - Connaît-on déjà, le montant que peuvent rapporter ces opérations ?
R - Si nous avions adopté cette taxe à 27, sur la base des propositions de la Commission, cela aurait rapporté 57 milliards. Nous allons le faire à 11 ; cela dépendra du taux et de l'assiette, mais cela représente plusieurs milliards d'euros.
Q - Ce sont des milliards qui n'iront pas nourrir et grossir le budget de la technocratie bruxelloise.
R - Non, ce sont des fonds destinés à des actions concrètes en Europe, pour le développement de l'industrie, de l'innovation, de l'agriculture, des territoires.
Q - La chancelière Merkel parle d'Europe fédérale, peut-être sans trop y croire. Le président Hollande dira bientôt dans la presse écrite sa vision de l'Europe. S'agit-il, à la manière de Mitterrand-Kohl-Delors, d'une fédération d'États nations ?
R - Ce peut être cela, au terme du processus. Nous, ce que nous voulons, c'est sortir de la crise à travers des actions concrètes pour remettre de l'ordre dans la finance. L'union bancaire est un dossier dont nous allons parler, dans les jours qui viennent. Avant la fin de l'année, nous devons avoir statué.
Sommes-nous capables d'aller au bout de la supervision bancaire, du contrôle de toutes les banques au sein de l'Union européenne, pour que les errements d'hier ne se reproduisent pas ? Si nous parvenons à mettre en oeuvre la supervision bancaire, la résolution des crises bancaires, la garantie des dépôts, alors nous aurons en Europe une véritable union bancaire.
Q - Alors, la logique, c'est d'arriver à un progrès de la gouvernance politique de l'Europe ?
R - Oui, avec toutes ces actions concrètes pour sortir de la crise, l'union bancaire, le renforcement de l'Union économique et monétaire, des initiatives nouvelles pour la croissance, on va discuter du budget de l'Union. Si cela justifie davantage d'union politique, c'est-à-dire davantage de dispositifs institutionnels nouveaux, nous sommes prêts à avancer dans ce sens.
Q - Ce que l'on veut comprendre, c'est : est-ce qu'à terme, il y a un pas politique de plus de l'Europe, dans la construction de l'Europe aujourd'hui ?
R - Nous souhaitons davantage d'intégration européenne. Nous sommes favorables à un saut politique, à condition que ce saut politique signifie plus de solidarité.
Q - En attendant, la France donne l'impression de danser le tango de l'Europe : un pas en avant, deux pas en arrière. Avec le traité voté hier à l'Assemblée nationale, la France perd-elle une part de sa souveraineté et de son indépendance ? Et s'oblige-t-elle à plus de rigueur et d'austérité pour les Français ?
R - Il n'y a pas de tango européen français. Nous voulons aller vers plus d'Europe, plus de solidarité pour sortir de la crise. Le traité européen voté hier est en réalité une caution, donnée par la majorité de gauche de l'Assemblée nationale, à la réorientation de la politique européenne souhaitée par le président de la République. C'est une étape décisive qui a été franchie. Maintenant, il faut regarder devant nous.
Q - Oui, mais après on avance avec des menottes...
R - Le Conseil constitutionnel a statué sur cette affaire : il n'y a pas de perte de souveraineté. Une grande partie des décisions du traité était déjà en vigueur, conformément au «six-pack» adopté par le Parlement européen. Non seulement le Parlement français ne perd pas de sa souveraineté, mais il pourra, avec le Parlement européen - article 13 du traité -, procéder à davantage de contrôle sur les décisions de l'Europe.
Q - Donc le traité négocié et signé par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avait du bon.
R - Le traité négocié et signé par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, s'il avait été le seul élément de la politique européenne, était un problème. Dès lors que nous réorientions l'Europe, ce traité est derrière nous, nous devons maintenant aller plus loin.
Avec la croissance, l'Union bancaire, la régulation de la finance, nous sommes, avec une vraie portée, dans une réorientation de la politique de l'Europe.
(...)
Q - Dès que vous quitterez ce studio, vous allez rejoindre le Premier ministre pour préparer le budget de l'Europe. Et puis, il y a le sommet franco-espagnol. Le président du gouvernement espagnol se plaint ; l'Espagne applique réformes et rigueur et il n'est pas sûr que l'Europe lui accorde l'aide financière dont il aurait besoin.
R - C'est une question très importante que vous posez. Il faut être très clair sur ce sujet. Nous avons pris des décisions en juin ; la supervision bancaire, les Espagnols s'y sont conformés, c'était le préalable à la mobilisation de la solidarité pour l'Espagne. Dès lors que la supervision bancaire est en oeuvre, il faut que les mécanismes de solidarité pour l'Espagne fonctionnent : c'est la condition pour que l'Espagne n'ait pas à emprunter sur les marchés à des taux d'intérêt très élevés, ce qui ruinerait les efforts faits par le peuple espagnol pour sortir de la crise.
Q - Les Espagnols peuvent demander l'aide de l'Europe ?
R - Nous nous sommes prêts à accompagner, dans la solidarité, l'Espagne pour que la crise soit surmontée.
Q - Tout à l'heure, est-ce que vous vous direz : «pourvu que la France ne ressemble ni à la Grèce, ni à l'Espagne» ?
R - Je les regarderai en me disant : «pourvu que l'Europe dans son unité, dans l'intégrité de la zone euro, surmonte ses difficultés».
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2012