Texte intégral
PIERRE-LUC SEGUILLON
ALAIN RICHARD bonsoir, ce matin s'est tenu à l'Elysée un Conseil restreint consacré aux questions de la Défense. Autour du président de la République étaient réunis le ministre des Affaires Etrangères, le Premier ministre, vous-même et puis un certain nombre de représentants de l'armée. Alors ces Conseils de Défense, en général, on ne les annonce pas, c'est de tradition et on ne communique pas, mais en fait c'est une occasion de se retrouver pour faire le point un petit peu sur les différents dossiers auxquels vous êtes confrontés aujourd'hui. Notamment celui du bouclier anti-missiles que projette de mettre en place le président Bush. Mais d'abord je voudrais revenir sur votre voyage aux Balkans, vous êtes allé dans les Balkans, vous êtes allé en Bosnie-Herzégovine et également au Kosovo, pour faire le point sur le contingent français, les deux contingents français. Qui pour l'un appartient à la KFOR et le second à la SFOR, alors d'abord, combien d'hommes sont sur place ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Un peu moins de 3 000 en Bosnie, chiffre qui a beaucoup descendu au cours des cinq dernières années et un peu moins de 6 000, 5 500 environ au Kosovo.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors c'est toujours une situation risquée, parce que tant que vous étiez là, un soldat a été tué sur une mine.
ALAIN RICHARD
Oui, la situation change et quand on voit la Bosnie où un accord de paix, qui a ses limites, mais qui est un accord qui fixe les règles pour la vie de la Bosnie, cet accord date de près de six ans maintenant, on voit ce qu'a pu faire une politique européenne et américaine, mais une politique je dirai fondée par des démocraties pour essayer de rétablir les conditions de vie ensemble, dans un pays multi-communautaire où il y a eu une guerre. Eh bien beaucoup de choses ont avancé et il nous reste aujourd'hui un petit peu moins de 20 000 hommes pour contrôler la situation, pour éviter toute remontée de violence en Bosnie et le sujet n'est plus là maintenant, le sujet est vraiment la reconstruction. Au Kosovo où cela ne fait qu'un peu moins de deux ans, il y a encore un travail de lutte contre la violence et d'intervention pour casser des réseaux d'agressivité, pour empêcher que les communautés ne se confrontent.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais alors précisément, vous dites on en est à la reconstruction, néanmoins on a le sentiment que si l'on retire les soldats, eh bien aussitôt reprennent les violences. Prenons l'exemple de la Bosnie-Herzégovine, ce sont les Croates de Bosnie-Herzégovine qui ont envie de trouver leur autonomie, si je ne me trompe. Si on prend le Kosovo, ce sont les Albanais qui ne rêvent que d'une chose, de leur indépendance, je ne me trompe pas et donc de chasser les derniers Serbes qui se trouvent au Kosovo, je ne me trompe pas non plus.
ALAIN RICHARD
Cela fait quelques siècles ! Non, mais les démocraties elles ne traitent pas ce genre de question comme l'ont fait l'empire ottoman, à un certain moment l'empire soviétique, l'empire Est-hongrois, d'ailleurs en massacrant tous les gens qui ne sont pas d'accord. Donc on est obligé, c'est notre règle de retenir l'usage de la force et d'avoir une attitude dissuasive, une attitude de contrôle de zones. Il n'empêche que les forces qui au sein de ces sociétés vont vers le rapprochement avec l'Europe, l'adoption de règles de société, qui soient des règles de démocratie, de respect des droits de l'homme, de respect des identités etc, ces forces sont en progrès. Le meilleur exemple, c'est la Serbie elle-même, probablement pas grand monde, peut-être même pas vous, si je me rappelle certaines de nos conversations n'aurait parié que même pas un an et demi après la confrontation militaire avec la Serbie, la population yougoslave par elle-même, par son vote démocratique mettrait Milosevic à l'écart et que quelques mois après, il serait en plus incarcéré. Cela veut dire que les forces, si vous voulez, qui veulent faire de la zone des Balkans un morceau de l'Europe qui vit comme en Europe, ces forces sont en progression et notre travail c'est d'éviter qu'elles ne soient contrariées, qu'elles ne soient remises en cause par les derniers vestiges de la vie violente de la politique.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Donc cela signifie d'être là encore pendant un certain temps.
ALAIN RICHARD
Il faut tenir le coup.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Est-ce que vous avez le sentiment ou la preuve qu'un certain nombre de pays sont tentés de réduire leur contingent, oui ? Enfin, j'ai cru comprendre que des militaires là-bas le craignaient en tous les cas ?
ALAIN RICHARD
Oui, ça c'est normal, ils sont toujours attentifs. Les Européens savent tous, honnêtement que l'Europe depuis trente ou quarante ans n'a pas été directement engagée dans des actions de combat et elle est devenue un continent pacifique, prospère avec une population vieillissante. Et donc on peut légitimement suspecter l'Europe de manque de fermeté et de manque de détermination, on le sait tous ça. Il n'y a pas un gouvernement, il n'y a pas un chef de gouvernement ou d'Etat en Europe qui ignore cette faiblesse qui peut nous être reprochée. Donc on sait qu'on est aussi à l'épreuve et que si l'on donne l'impression de se détourner des ennuis, eh bien nous serons un acteur qui ne comptera pas dans les vraies crises internationales. Donc les Européens je crois en partagent cette disponibilité. Maintenant qu'on essaye de le faire avec des effectifs qui ne soient pas pléthoriques, c'est bien naturel aussi.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors il y a des manoeuvres de l'OTAN qui se déroulent là-bas avec 1 500 hommes qui seraient, le cas échéant, chargés de renforcer ces forces, qui semblent attester, notamment de la part des Etats-Unis, contrairement à ce que semblait vouloir dire l'administration américaine, la volonté pour le moment de demeurer. N'empêche que Colin Powell quand il est allé il y a quelque temps en Europe, il a dit, oui, mais de toute manière notre volonté c'est de nous désengager dès que possible, cela vous inquiète ?
ALAIN RICHARD
Ah ! non, dès que possible, tout le monde dira ça.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Cela peut être combien d'années ?
ALAIN RICHARD
Cela peut demander beaucoup de persévérance.
PIERRE-LUC SEGUILLON
On ne peut pas fixer de terme aujourd'hui ?
ALAIN RICHARD
Non, et puis surtout il ne faut pas le dire publiquement.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui j'entends bien !
ALAIN RICHARD
Le choix, c'est le risque de laisser reprendre leur élan aux derniers fauteurs de guerre qui restent, même s'ils sont isolés, tant qu'ils auront des armes, on en trouve encore tous les jours. Est-ce qu'on veut leur laisser le terrain libre, ou est-ce qu'on veut au contraire finir de comprimer cette tentation ? Et quand je regarde moi l'ensemble des zones de crise qu'on aurait pu avoir parce qu'il y avait des confrontations de communautés dans l'ensemble de l'Europe centrale et orientale, toutes celles qui ont été évitées c'est le point sur lequel je rabâche toujours, c'est qu'il faut qu'on ait au moins un message clair. Ceux qui ont choisi la voie de la coexistence pacifique, de l'organisation démocratique entre communautés différentes, ils doivent avoir un plus par rapport à ceux qui veulent toujours ressortir les fusils. Et donc si on laisse faire ceux qui veulent ressortir les fusils, les autres ne vont pas comprendre.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Deux précisions, vous êtes inquiet sur le Monténégro et les velléités d'indépendance, bien qu'il se dise président du Monténégro ?
ALAIN RICHARD
C'est un dossier que l'on avait depuis un moment et qui est en partie un reliquat de l'ère Milosevic.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais maintenant à partir des élections du Monténégro, il semble confirmé dans cette volonté ?
ALAIN RICHARD
Non, non au contraire, la réalité, l'opinion des 400 000 électeurs du Monténégro, c'est très petit, elle est très partagée. Alors il est possible que le pouvoir actuel soit tenté, parce qu'il y a une aventure personnelle aussi là-dedans d'aller à un référendum, mais je crois que notre rôle est aussi de faire comprendre aux Monténégrins qui sincèrement souhaitent se rapprocher de l'Europe, qu'ils se rapprocheront de l'Europe tout aussi bien à l'intérieur d'une Yougoslavie démocratique. Et au contraire nous n'encourageons pas si vous voulez la création de mini-Etats, ethniquement purs.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Question très prosaïque, on a une idée du coût annuel que représente le maintien de ce contingent français et en Bosnie Herzégovine et au Kosovo.
ALAIN RICHARD
Oui tout à fait, un peu moins de 2 milliards de francs, c'est-à-dire à epsilon( ?) près, 1 % du budget de la Défense. Moi je pose la question à l'envers, serait-il logique que nous ayons, puisque c'est notre responsabilité internationale, un budget de Défense qui fait 180 milliards de francs si c'était pour ne jamais s'en servir ?
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors vous parliez de la nécessité pour les Européens d'être cohérent, la Défense européenne, vous disiez je crois tout récemment, c'était le 18 avril à l'occasion d'un colloque : l'année 2000 a été marquée par une avancée significative dans la construction européenne et notamment grâce à la présidence française...
ALAIN RICHARD
Cela je ne l'ai pas dit, parce que ce n'est pas à nous de le dire. Les Quinze européens se sont mis d'accord, c'était notre tour de présidence, on était très content, mais il reste l'accord maintenant même...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais concrètement par delà les bonnes intentions affichées, aujourd'hui ou à l'échéance de deux ans, quelles sont les capacités en hommes et en matériels que pourrait déployer l'Europe, l'Union européenne ?
ALAIN RICHARD
Très exactement la Bosnie plus le Kosovo. C'est-à-dire que ce que nous avons décidé d'être capables de faire et la capacité qu'on va effectivement atteindre. C'est que s'il y avait à mener une opération de rétablissement puis de maintien de la paix dans la durée du volume de forces que nous avons aujourd'hui en Bosnie plus au Kosovo, les Quinze de l'Union européenne auraient la capacité de le faire. Donc on s'est donné un choix de plus, alors cela ne veut pas dire que l'on refuse de faire des actions au sein de l'Alliance atlantique, cela ne veut pas dire que l'on refuse de faire des actions pays par pays si on le choisit, mais c'est un choix de plus.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Sous quel commandement ?
ALAIN RICHARD
Sous le commandement d'une Nation-pilote qui sera choisie avec une participation des différentes Nations à l'Etat-major, exactement comme on le fait au sein de la KFOR aujourd'hui. Aujourd'hui, on a eu une rotation, aujourd'hui c'est un général norvégien qui commande la KFOR, après un général italien et encore auparavant un espagnol, on avait commencé par un britannique et par un allemand et à la fin de cette année ce sera un général français.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors vous disiez : " on ne s'interdit pas des actions qui seraient de type international ou des actions qui seraient internes à l'OTAN ou en collaboration avec l'OTAN ". Mais précisément les rapports de cette Défense européenne avec l'OTAN. On a eu le sentiment, un peu partagé de la part de la nouvelle administration BUSH, c'est à la fois on dit, on est moins interventionniste, que les Européens se débrouillent et en même temps on ne tient pas beaucoup à cette Défense européenne.
ALAIN RICHARD
C'est pour cela que je vous ai dit, c'est un choix de plus. Nous n'avons pas la prétention, d'ailleurs les Européens n'auraient pas été d'accord pour ça, nous n'avons pas la prétention de dire que l'Europe de la Défense va à elle seule remplacer tout ce que saurait faire l'Alliance atlantique dans différents types de crises ou de menaces. Donc c'est une possibilité supplémentaire, notamment pour accompagner la responsabilité politique qui est celle de l'Europe. Quand j'entends dire, un peu souvent, " il n'y a pas d'Europe politique ", bien sûr que si ! Il y a des tas de domaines dans lesquels l'Europe prend des positions politiques, les prend solidairement et influe sur la réalité, cela donne un outil de plus. C'est vrai qu'après l'alternance aux Etats-Unis, c'est une alternance dure, les nouveaux membres de l'Administration trouvent une situation qui n'est pas celle qu'il y avait il y a huit ans quand les républicains ont quitté le pouvoir. Donc il y a, comme c'est normal dans une grande puissance qui veut avoir pleinement son affluence une attitude d'examen critique en disant, eh bien cette Europe de la Défense qu'est-ce que cela donne par rapport à nos intérêts américains et par rapport à l'alliance telle qu'on y était habitué ? Je crois que le mouvement d'explication qu'on avait fait avec l'administration Clinton est en train de se faire et comme vous le disiez très justement, le président Bush, il a aussi été élu sur un message qui est : " nous, superpuissance américaine avec pleins de responsabilités internationales, nous ne voulons pas nous engager dans toutes les crises qui se présentent à la surface du globe ". On a des alliés, et on pense qu'il sont tout à fait capables de le faire par eux-mêmes, et il faut, message américain aussi très ancien, il faut qu'ils prennent leurs propres responsabilités, ils ne peuvent pas compter sur nous, comme un parapluie dans toutes les situations. Donc en jouant sur cet argument là je crois que nous arriverons dans les mois qui viennent à une bonne entente avec le partenaire américain sur l'intérêt pour tout le monde de l'Europe de la Défense.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous avez eu un premier contact avec votre homologue du Pentagone ?
ALAIN RICHARD
Oui, seulement un contact relativement court jusqu'à présent dans une réunion internationale.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il n'a pas la réputation d'être le plus modéré de l'équipe.
ALAIN RICHARD
Oui, mais ce n'est pas à moi de commenter sa réputation, ça c'est le travail des journalistes. On a bien communiqué et la France est quand même un des alliés séculaires des Etats-Unis, il y a des liens forts et on travaille bien ensemble.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors précisément, on travaille bien ensemble, mais il y a un élément nouveau, je l'évoquais au début de notre conversation, c'est le fameux MND, c'est-à-dire ce bouclier anti-missiles que George Bush, le père avait eu l'idée de mettre en place il y a quelques années. On en a parlé pendant l'administration Clinton, puis à la fin de l'administration Clinton, on a dit, ce n'est peut-être pas très efficace. Et on a le sentiment, que le fils, l'actuel président veut reprendre ce projet, c'est énorme, je crois que cela représente près de 120 milliards de dollars d'investissements pour la recherche anti-missiles et le congrès dit, cela représenterait 60 milliards, ce serait un formidable accélérateur de l'industrie militaire américaine.
ALAIN RICHARD
Oui, d'abord, on a plus que le sentiment, c'est vraiment une position politique qui a été prise par l'administration Bush en disant, on va développer ce système. C'est une très ancienne idée américaine et dans la position stratégique où sont les Etats-Unis, moi je peux comprendre que ce soit une tentation normale. Ils ont des responsabilités importantes, ils sont engagés en confrontation avec beaucoup de puissances, donc ils cherchent un élément d'un système de protection. Ils ont aussi un système de dissuasion et ils ont aussi bien entendu les possibilités d'attaques, cela fait partie d'une panoplie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais on a cru comprendre dans un premier temps, la France disait : " oh là là attention ! cela relance la course aux armements ".
ALAIN RICHARD
Alors notre interrogation, on a une série d'interrogations et on essaye de les partager avec l'allié américain, comme avec les partenaires européens c'est de se dire, par rapport aux autres dispositifs de Défense qu'on a déjà quelle est l'amélioration de protection de nos territoires que cela peut apporter, c'est une question que l'on peut discuter tout à fait objectivement. Quels sont les effets d'encouragement à la course aux armements ? Est-ce qu'il y a un risque effectivement que cela accentue la recherche par d'autres Etats d'une capacité de pénétration accrue ? Qu'est-ce que cela peut coûter et donc quels autres types de protection cela peut éventuellement compromettre... ?
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ce sont des questions que vous vous posez ?
ALAIN RICHARD
Nous n'avons pas de préjugés, nous n'avons pas de raisons d'être partiaux si vous voulez sur cette question. Nous vous disons, il y a un ensemble de risques et d'éléments de tension au niveau international. Le développement d'une capacité d'envoi de missiles à plus longue distance chez des pays nouveaux est une des préoccupations, regardons comment on peut la traiter. Mais faisons attention à ne pas bouleverser des équilibres stratégiques et en particulier des systèmes de limitation d'armements qui ont été négociés. Que ce soit...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et qui seront forcément remis en cause.
ALAIN RICHARD
Que ce soit entre la Russie et les Etats-Unis ou à niveau multilatéral. Les Etats-Unis auront aussi à prendre en compte cette réalité, parce que cela leur est favorable aussi un système de limitation des armements.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais on a eu l'impression que par exemple les Allemands accueillaient de manière plus favorable que les Français cette hypothèse, même les Russes au départ qui étaient très hostiles on a eu le sentiment qu'eux aussi disaient: " eh bien oui, il faut un système anti-missiles ". On est un peu à part dans cette affaire ?
ALAIN RICHARD
Non, je crois que...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il n'y a pas de réaction commune européenne ?
ALAIN RICHARD
Absolument pas.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il doit y en avoir une ?
ALAIN RICHARD
Il vaut mieux ! Le projet est encore très flou, les Etats-Unis avaient conçu un système relativement limité à la fin de l'administration Clinton vous l'évoquiez, l'administration Bush reprend le dossier et ce n'est sûrement pas avant plusieurs mois qu'apparaîtrait en cas de décision effective du président Bush, un schéma sur lequel on aurait apporté notre choix.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Donc vous êtes en train de me dire, pour le moment on a le temps, soyons prudents, ne nous pressons pas.
ALAIN RICHARD
Mais on se concerte entre alliés pour apprécier les conditions actuelles de l'équilibre stratégique, ce risque balistique par rapport aux autres et les avantages et les inconvénients d'un nouveau système de protection.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors quelques précisions encore, puisque l'on fait ce tour d'horizon, sur les matériels français, on a l'impression qu'il y a quelques problèmes. D'abord sur l'industrie de l'armement terrestre, j'ai vu que le Groupement des industriels de l'armement terrestre demande une enveloppe budgétaire de 20 milliards au gouvernement, annuelle.
ALAIN RICHARD
On n'est pas dans l'imprévu, c'est une demande traditionnelle.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais avant c'était 17, maintenant ils disent 20 parce qu'ils n'y arrivent plus, ils prennent du retard.
ALAIN RICHARD
Non, le budget de la Défense est stable depuis plusieurs années, il nous a permis de réaliser un grand nombre de commandes et de livraisons. Pour prendre le cas de l'arme blindée, nous avons aujourd'hui 300 Chars Leclerc qui sont opérationnels dans l'armée de Terre, cela représente plus de 80 % de l'objectif final qu'on s'est fixé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais enfin, on a quelques problèmes avec le char Leclerc aussi, parce qu'on voulait en vendre un certain nombre...
ALAIN RICHARD
Non, mais ça c'est autre chose !
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais cela permet d'autofinancer.
ALAIN RICHARD
Non, mais financièrement, le char Leclerc, il est financé, il va être livré en temps et en heure. Alors ensuite que l'armement terrestre en général fasse l'objet de moins d'achats au niveau international cela correspond à une situation qui est plutôt un progrès. Et cela nous amène, nous, à faire des adaptations industrielles...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais enfin ce n'est pas un progrès sur le plan de la vente de nos matériels.
ALAIN RICHARD
Bien sûr ! Cela nous amène à faire de l'adaptation industrielle qui est en cours. Mais l'équipement de l'armée française en armes blindées il est quasiment achevé et dans de bonnes conditions. En ce qui concerne les avions de combat nous sommes maintenant...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Le RAFALE oui.
ALAIN RICHARD
Dans le cours de la livraison qui va s'étaler sur 15 ans de plus de 300 avions RAFALE que l'armée de l'Air alignera à terme.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il n'y a pas de retard ?
ALAIN RICHARD
Il y a eu du retard dans les trois ou quatre années, du milieu de la décennie 90. On s'est maintenant rétabli, l'entreprise n'est pas en mauvaise situation, on n'a pas à se plaindre et l'armée de l'Air a son niveau d'équipement opérationnel. Avec les MIRAGE qui sont encore en très bon état et les RAFALE qui arrivent, même chose d'ailleurs pour l'aéronavale sur le porte-avions.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, le porte-avions Charles-de-Gaulle.
ALAIN RICHARD
Le porte-avions, c'est un équipement de Défense qui peut durer quarante ans.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Attendez, quand est-ce qu'il sera opérationnel ?
ALAIN RICHARD
Il le sera au milieu de cette année. Un porte-avions c'est...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il y a quand même quelques ratés, vous êtes d'accord, deux milliards.
ALAIN RICHARD
Non, ça c'est une estimation qui ne repose sur rien.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ce n'est pas vrai, combien ?
ALAIN RICHARD
Permettez-moi de finir sur la question précédente. Un porte-avions cela dure quarante ans, sa mise au point entre le moment où il est mis à l'eau et le moment où il est complètement mis en service peut durer un certain temps, je pense que c'est un bon investissement. Et c'est un élément de projection de puissance qui peut nous permettre d'intervenir dans des crises où peu de pays ont la capacité de jouer un rôle face à un risque, face à une agression possible. Donc je crois que c'était nécessaire d'acquérir cet équipement, qu'il faut le temps de le mettre au point, son coût global aura été dépassé, du fait des dernières mises au point de quelques centaines de millions de francs, mais encore une fois à partager sur quarante années.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous n'avez pas beaucoup parlé depuis les élections municipales et depuis les élections cantonales, vous guignez, vous aviez envie de partir à la conquête du Conseil général...
ALAIN RICHARD
Ce n'était pas une question d'envie, c'était un choix de responsabilité dans une ambiance où nous pensions qu'on pouvait proposer un autre choix dans ce département, les électeurs ne l'ont pas suivi.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Le Conseil général donc du Val-d'Oise.
ALAIN RICHARD
A 3 ou 4 % près, bon c'est la démocratie !
PIERRE-LUC SEGUILLON
...Vous aviez envie de quitter le gouvernement ?
ALAIN RICHARD
Ce n'est pas non plus une question d'envie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous vous sentez à l'aise dans le gouvernement pour l'année qui vient, il patine ce gouvernement non ?
ALAIN RICHARD
Oui, pour plusieurs raisons, parce que je crois que nous appliquons la politique pour laquelle nous avons été élus dans la durée, on obtient des résultats. On a montré aux Français qu'avec une volonté politique, des choses importantes dans les conditions vraies de leur vie pouvaient changer, en particulier sur l'emploi, mais aussi sur des actions de solidarité. Quand Lionel Jospin dit : " nous sommes le gouvernement le plus à gauche au sein de l'Union européenne ". Mais il y a beaucoup de gouvernements sociaux-démocrates, je crois que c'est peu contesté. Alors après il y a une question qui est une question essentielle pour nous tous et qui vous intéresse bien aussi, c'est, qu'est-ce que veut dire la justice sociale dans un des pays les plus avancés du monde avec une économie très ouverte ? On le voit avec l'enjeu des licenciements qui se produisent aujourd'hui, comme il s'en est produit en permanence. Si vous globalisez le nombre de licenciements économiques qui ont eu lieu depuis quatre ans, cela doit faire un nombre important, en même temps il y a eu 1 600 000 créations d'emploi. Donc nous savons que nous sommes dans une économie qui respire où des activités ralentissent et que d'autres se développent, et il faut accompagner les hommes et les femmes et les soutenir socialement. Mais je crois que le tableau global de ce que fait ce gouvernement et de la forme de réforme de la société qu'il conduit, on a plaisir à continuer. Et on pense que quand on sera à la fin, c'est-à-dire effectivement, ce gouvernement aura duré cinq ans, ce que peu de gens auraient parié au départ, rappelez-vous ! Quand ce gouvernement aura duré cinq ans, il sera jugé sur l'ensemble de son parcours et puis les forces politiques, les socialistes, les communistes, les verts qui le soutiennent auront, elles à se faire légitimer pour un nouveau parcours, d'abord avec l'élection présidentielle, puisque c'est décidé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors deux précisions avant de nous quitter, la première, j'allais dire chef de file des rocardiens au sein de ce gouvernement, vous participez à la préparation d'un projet pour les présidentielles, vous y travaillez ?
ALAIN RICHARD
Oui, nous sommes au travail, toutes les équipes au sein du Parti socialiste, c'est un projet pour l'ensemble de la présidentielle et des législatives.
PIERRE-LUC SEGUILLON
J'entends bien, mais vous voulez y mettre votre marque ?
ALAIN RICHARD
Oui, comme on a eu notre part dans toute une partie des réformes qui ont été faites. Franchement la réduction de la durée du travail assortie d'une certaine modération salariale se traduisant par plusieurs centaines de milliers d'emplois en plus, par rapport à toute une série de critiques que l'on faisait sur la politique en France, en disant : " finalement ils ne pensent qu'à ceux qui ont déjà un travail, ils ne pensent pas aux chômeurs ", il y a eu un vrai changement dans l'action de ce gouvernement, on n'en rougit pas.
PIERRE-LUC SEGUILLON
ALAIN RICHARD merci.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 31 mai 2001)
ALAIN RICHARD bonsoir, ce matin s'est tenu à l'Elysée un Conseil restreint consacré aux questions de la Défense. Autour du président de la République étaient réunis le ministre des Affaires Etrangères, le Premier ministre, vous-même et puis un certain nombre de représentants de l'armée. Alors ces Conseils de Défense, en général, on ne les annonce pas, c'est de tradition et on ne communique pas, mais en fait c'est une occasion de se retrouver pour faire le point un petit peu sur les différents dossiers auxquels vous êtes confrontés aujourd'hui. Notamment celui du bouclier anti-missiles que projette de mettre en place le président Bush. Mais d'abord je voudrais revenir sur votre voyage aux Balkans, vous êtes allé dans les Balkans, vous êtes allé en Bosnie-Herzégovine et également au Kosovo, pour faire le point sur le contingent français, les deux contingents français. Qui pour l'un appartient à la KFOR et le second à la SFOR, alors d'abord, combien d'hommes sont sur place ?
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Un peu moins de 3 000 en Bosnie, chiffre qui a beaucoup descendu au cours des cinq dernières années et un peu moins de 6 000, 5 500 environ au Kosovo.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors c'est toujours une situation risquée, parce que tant que vous étiez là, un soldat a été tué sur une mine.
ALAIN RICHARD
Oui, la situation change et quand on voit la Bosnie où un accord de paix, qui a ses limites, mais qui est un accord qui fixe les règles pour la vie de la Bosnie, cet accord date de près de six ans maintenant, on voit ce qu'a pu faire une politique européenne et américaine, mais une politique je dirai fondée par des démocraties pour essayer de rétablir les conditions de vie ensemble, dans un pays multi-communautaire où il y a eu une guerre. Eh bien beaucoup de choses ont avancé et il nous reste aujourd'hui un petit peu moins de 20 000 hommes pour contrôler la situation, pour éviter toute remontée de violence en Bosnie et le sujet n'est plus là maintenant, le sujet est vraiment la reconstruction. Au Kosovo où cela ne fait qu'un peu moins de deux ans, il y a encore un travail de lutte contre la violence et d'intervention pour casser des réseaux d'agressivité, pour empêcher que les communautés ne se confrontent.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais alors précisément, vous dites on en est à la reconstruction, néanmoins on a le sentiment que si l'on retire les soldats, eh bien aussitôt reprennent les violences. Prenons l'exemple de la Bosnie-Herzégovine, ce sont les Croates de Bosnie-Herzégovine qui ont envie de trouver leur autonomie, si je ne me trompe. Si on prend le Kosovo, ce sont les Albanais qui ne rêvent que d'une chose, de leur indépendance, je ne me trompe pas et donc de chasser les derniers Serbes qui se trouvent au Kosovo, je ne me trompe pas non plus.
ALAIN RICHARD
Cela fait quelques siècles ! Non, mais les démocraties elles ne traitent pas ce genre de question comme l'ont fait l'empire ottoman, à un certain moment l'empire soviétique, l'empire Est-hongrois, d'ailleurs en massacrant tous les gens qui ne sont pas d'accord. Donc on est obligé, c'est notre règle de retenir l'usage de la force et d'avoir une attitude dissuasive, une attitude de contrôle de zones. Il n'empêche que les forces qui au sein de ces sociétés vont vers le rapprochement avec l'Europe, l'adoption de règles de société, qui soient des règles de démocratie, de respect des droits de l'homme, de respect des identités etc, ces forces sont en progrès. Le meilleur exemple, c'est la Serbie elle-même, probablement pas grand monde, peut-être même pas vous, si je me rappelle certaines de nos conversations n'aurait parié que même pas un an et demi après la confrontation militaire avec la Serbie, la population yougoslave par elle-même, par son vote démocratique mettrait Milosevic à l'écart et que quelques mois après, il serait en plus incarcéré. Cela veut dire que les forces, si vous voulez, qui veulent faire de la zone des Balkans un morceau de l'Europe qui vit comme en Europe, ces forces sont en progression et notre travail c'est d'éviter qu'elles ne soient contrariées, qu'elles ne soient remises en cause par les derniers vestiges de la vie violente de la politique.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Donc cela signifie d'être là encore pendant un certain temps.
ALAIN RICHARD
Il faut tenir le coup.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Est-ce que vous avez le sentiment ou la preuve qu'un certain nombre de pays sont tentés de réduire leur contingent, oui ? Enfin, j'ai cru comprendre que des militaires là-bas le craignaient en tous les cas ?
ALAIN RICHARD
Oui, ça c'est normal, ils sont toujours attentifs. Les Européens savent tous, honnêtement que l'Europe depuis trente ou quarante ans n'a pas été directement engagée dans des actions de combat et elle est devenue un continent pacifique, prospère avec une population vieillissante. Et donc on peut légitimement suspecter l'Europe de manque de fermeté et de manque de détermination, on le sait tous ça. Il n'y a pas un gouvernement, il n'y a pas un chef de gouvernement ou d'Etat en Europe qui ignore cette faiblesse qui peut nous être reprochée. Donc on sait qu'on est aussi à l'épreuve et que si l'on donne l'impression de se détourner des ennuis, eh bien nous serons un acteur qui ne comptera pas dans les vraies crises internationales. Donc les Européens je crois en partagent cette disponibilité. Maintenant qu'on essaye de le faire avec des effectifs qui ne soient pas pléthoriques, c'est bien naturel aussi.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors il y a des manoeuvres de l'OTAN qui se déroulent là-bas avec 1 500 hommes qui seraient, le cas échéant, chargés de renforcer ces forces, qui semblent attester, notamment de la part des Etats-Unis, contrairement à ce que semblait vouloir dire l'administration américaine, la volonté pour le moment de demeurer. N'empêche que Colin Powell quand il est allé il y a quelque temps en Europe, il a dit, oui, mais de toute manière notre volonté c'est de nous désengager dès que possible, cela vous inquiète ?
ALAIN RICHARD
Ah ! non, dès que possible, tout le monde dira ça.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Cela peut être combien d'années ?
ALAIN RICHARD
Cela peut demander beaucoup de persévérance.
PIERRE-LUC SEGUILLON
On ne peut pas fixer de terme aujourd'hui ?
ALAIN RICHARD
Non, et puis surtout il ne faut pas le dire publiquement.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui j'entends bien !
ALAIN RICHARD
Le choix, c'est le risque de laisser reprendre leur élan aux derniers fauteurs de guerre qui restent, même s'ils sont isolés, tant qu'ils auront des armes, on en trouve encore tous les jours. Est-ce qu'on veut leur laisser le terrain libre, ou est-ce qu'on veut au contraire finir de comprimer cette tentation ? Et quand je regarde moi l'ensemble des zones de crise qu'on aurait pu avoir parce qu'il y avait des confrontations de communautés dans l'ensemble de l'Europe centrale et orientale, toutes celles qui ont été évitées c'est le point sur lequel je rabâche toujours, c'est qu'il faut qu'on ait au moins un message clair. Ceux qui ont choisi la voie de la coexistence pacifique, de l'organisation démocratique entre communautés différentes, ils doivent avoir un plus par rapport à ceux qui veulent toujours ressortir les fusils. Et donc si on laisse faire ceux qui veulent ressortir les fusils, les autres ne vont pas comprendre.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Deux précisions, vous êtes inquiet sur le Monténégro et les velléités d'indépendance, bien qu'il se dise président du Monténégro ?
ALAIN RICHARD
C'est un dossier que l'on avait depuis un moment et qui est en partie un reliquat de l'ère Milosevic.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais maintenant à partir des élections du Monténégro, il semble confirmé dans cette volonté ?
ALAIN RICHARD
Non, non au contraire, la réalité, l'opinion des 400 000 électeurs du Monténégro, c'est très petit, elle est très partagée. Alors il est possible que le pouvoir actuel soit tenté, parce qu'il y a une aventure personnelle aussi là-dedans d'aller à un référendum, mais je crois que notre rôle est aussi de faire comprendre aux Monténégrins qui sincèrement souhaitent se rapprocher de l'Europe, qu'ils se rapprocheront de l'Europe tout aussi bien à l'intérieur d'une Yougoslavie démocratique. Et au contraire nous n'encourageons pas si vous voulez la création de mini-Etats, ethniquement purs.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Question très prosaïque, on a une idée du coût annuel que représente le maintien de ce contingent français et en Bosnie Herzégovine et au Kosovo.
ALAIN RICHARD
Oui tout à fait, un peu moins de 2 milliards de francs, c'est-à-dire à epsilon( ?) près, 1 % du budget de la Défense. Moi je pose la question à l'envers, serait-il logique que nous ayons, puisque c'est notre responsabilité internationale, un budget de Défense qui fait 180 milliards de francs si c'était pour ne jamais s'en servir ?
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors vous parliez de la nécessité pour les Européens d'être cohérent, la Défense européenne, vous disiez je crois tout récemment, c'était le 18 avril à l'occasion d'un colloque : l'année 2000 a été marquée par une avancée significative dans la construction européenne et notamment grâce à la présidence française...
ALAIN RICHARD
Cela je ne l'ai pas dit, parce que ce n'est pas à nous de le dire. Les Quinze européens se sont mis d'accord, c'était notre tour de présidence, on était très content, mais il reste l'accord maintenant même...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais concrètement par delà les bonnes intentions affichées, aujourd'hui ou à l'échéance de deux ans, quelles sont les capacités en hommes et en matériels que pourrait déployer l'Europe, l'Union européenne ?
ALAIN RICHARD
Très exactement la Bosnie plus le Kosovo. C'est-à-dire que ce que nous avons décidé d'être capables de faire et la capacité qu'on va effectivement atteindre. C'est que s'il y avait à mener une opération de rétablissement puis de maintien de la paix dans la durée du volume de forces que nous avons aujourd'hui en Bosnie plus au Kosovo, les Quinze de l'Union européenne auraient la capacité de le faire. Donc on s'est donné un choix de plus, alors cela ne veut pas dire que l'on refuse de faire des actions au sein de l'Alliance atlantique, cela ne veut pas dire que l'on refuse de faire des actions pays par pays si on le choisit, mais c'est un choix de plus.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Sous quel commandement ?
ALAIN RICHARD
Sous le commandement d'une Nation-pilote qui sera choisie avec une participation des différentes Nations à l'Etat-major, exactement comme on le fait au sein de la KFOR aujourd'hui. Aujourd'hui, on a eu une rotation, aujourd'hui c'est un général norvégien qui commande la KFOR, après un général italien et encore auparavant un espagnol, on avait commencé par un britannique et par un allemand et à la fin de cette année ce sera un général français.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors vous disiez : " on ne s'interdit pas des actions qui seraient de type international ou des actions qui seraient internes à l'OTAN ou en collaboration avec l'OTAN ". Mais précisément les rapports de cette Défense européenne avec l'OTAN. On a eu le sentiment, un peu partagé de la part de la nouvelle administration BUSH, c'est à la fois on dit, on est moins interventionniste, que les Européens se débrouillent et en même temps on ne tient pas beaucoup à cette Défense européenne.
ALAIN RICHARD
C'est pour cela que je vous ai dit, c'est un choix de plus. Nous n'avons pas la prétention, d'ailleurs les Européens n'auraient pas été d'accord pour ça, nous n'avons pas la prétention de dire que l'Europe de la Défense va à elle seule remplacer tout ce que saurait faire l'Alliance atlantique dans différents types de crises ou de menaces. Donc c'est une possibilité supplémentaire, notamment pour accompagner la responsabilité politique qui est celle de l'Europe. Quand j'entends dire, un peu souvent, " il n'y a pas d'Europe politique ", bien sûr que si ! Il y a des tas de domaines dans lesquels l'Europe prend des positions politiques, les prend solidairement et influe sur la réalité, cela donne un outil de plus. C'est vrai qu'après l'alternance aux Etats-Unis, c'est une alternance dure, les nouveaux membres de l'Administration trouvent une situation qui n'est pas celle qu'il y avait il y a huit ans quand les républicains ont quitté le pouvoir. Donc il y a, comme c'est normal dans une grande puissance qui veut avoir pleinement son affluence une attitude d'examen critique en disant, eh bien cette Europe de la Défense qu'est-ce que cela donne par rapport à nos intérêts américains et par rapport à l'alliance telle qu'on y était habitué ? Je crois que le mouvement d'explication qu'on avait fait avec l'administration Clinton est en train de se faire et comme vous le disiez très justement, le président Bush, il a aussi été élu sur un message qui est : " nous, superpuissance américaine avec pleins de responsabilités internationales, nous ne voulons pas nous engager dans toutes les crises qui se présentent à la surface du globe ". On a des alliés, et on pense qu'il sont tout à fait capables de le faire par eux-mêmes, et il faut, message américain aussi très ancien, il faut qu'ils prennent leurs propres responsabilités, ils ne peuvent pas compter sur nous, comme un parapluie dans toutes les situations. Donc en jouant sur cet argument là je crois que nous arriverons dans les mois qui viennent à une bonne entente avec le partenaire américain sur l'intérêt pour tout le monde de l'Europe de la Défense.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous avez eu un premier contact avec votre homologue du Pentagone ?
ALAIN RICHARD
Oui, seulement un contact relativement court jusqu'à présent dans une réunion internationale.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il n'a pas la réputation d'être le plus modéré de l'équipe.
ALAIN RICHARD
Oui, mais ce n'est pas à moi de commenter sa réputation, ça c'est le travail des journalistes. On a bien communiqué et la France est quand même un des alliés séculaires des Etats-Unis, il y a des liens forts et on travaille bien ensemble.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors précisément, on travaille bien ensemble, mais il y a un élément nouveau, je l'évoquais au début de notre conversation, c'est le fameux MND, c'est-à-dire ce bouclier anti-missiles que George Bush, le père avait eu l'idée de mettre en place il y a quelques années. On en a parlé pendant l'administration Clinton, puis à la fin de l'administration Clinton, on a dit, ce n'est peut-être pas très efficace. Et on a le sentiment, que le fils, l'actuel président veut reprendre ce projet, c'est énorme, je crois que cela représente près de 120 milliards de dollars d'investissements pour la recherche anti-missiles et le congrès dit, cela représenterait 60 milliards, ce serait un formidable accélérateur de l'industrie militaire américaine.
ALAIN RICHARD
Oui, d'abord, on a plus que le sentiment, c'est vraiment une position politique qui a été prise par l'administration Bush en disant, on va développer ce système. C'est une très ancienne idée américaine et dans la position stratégique où sont les Etats-Unis, moi je peux comprendre que ce soit une tentation normale. Ils ont des responsabilités importantes, ils sont engagés en confrontation avec beaucoup de puissances, donc ils cherchent un élément d'un système de protection. Ils ont aussi un système de dissuasion et ils ont aussi bien entendu les possibilités d'attaques, cela fait partie d'une panoplie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais on a cru comprendre dans un premier temps, la France disait : " oh là là attention ! cela relance la course aux armements ".
ALAIN RICHARD
Alors notre interrogation, on a une série d'interrogations et on essaye de les partager avec l'allié américain, comme avec les partenaires européens c'est de se dire, par rapport aux autres dispositifs de Défense qu'on a déjà quelle est l'amélioration de protection de nos territoires que cela peut apporter, c'est une question que l'on peut discuter tout à fait objectivement. Quels sont les effets d'encouragement à la course aux armements ? Est-ce qu'il y a un risque effectivement que cela accentue la recherche par d'autres Etats d'une capacité de pénétration accrue ? Qu'est-ce que cela peut coûter et donc quels autres types de protection cela peut éventuellement compromettre... ?
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ce sont des questions que vous vous posez ?
ALAIN RICHARD
Nous n'avons pas de préjugés, nous n'avons pas de raisons d'être partiaux si vous voulez sur cette question. Nous vous disons, il y a un ensemble de risques et d'éléments de tension au niveau international. Le développement d'une capacité d'envoi de missiles à plus longue distance chez des pays nouveaux est une des préoccupations, regardons comment on peut la traiter. Mais faisons attention à ne pas bouleverser des équilibres stratégiques et en particulier des systèmes de limitation d'armements qui ont été négociés. Que ce soit...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et qui seront forcément remis en cause.
ALAIN RICHARD
Que ce soit entre la Russie et les Etats-Unis ou à niveau multilatéral. Les Etats-Unis auront aussi à prendre en compte cette réalité, parce que cela leur est favorable aussi un système de limitation des armements.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais on a eu l'impression que par exemple les Allemands accueillaient de manière plus favorable que les Français cette hypothèse, même les Russes au départ qui étaient très hostiles on a eu le sentiment qu'eux aussi disaient: " eh bien oui, il faut un système anti-missiles ". On est un peu à part dans cette affaire ?
ALAIN RICHARD
Non, je crois que...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il n'y a pas de réaction commune européenne ?
ALAIN RICHARD
Absolument pas.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il doit y en avoir une ?
ALAIN RICHARD
Il vaut mieux ! Le projet est encore très flou, les Etats-Unis avaient conçu un système relativement limité à la fin de l'administration Clinton vous l'évoquiez, l'administration Bush reprend le dossier et ce n'est sûrement pas avant plusieurs mois qu'apparaîtrait en cas de décision effective du président Bush, un schéma sur lequel on aurait apporté notre choix.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Donc vous êtes en train de me dire, pour le moment on a le temps, soyons prudents, ne nous pressons pas.
ALAIN RICHARD
Mais on se concerte entre alliés pour apprécier les conditions actuelles de l'équilibre stratégique, ce risque balistique par rapport aux autres et les avantages et les inconvénients d'un nouveau système de protection.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors quelques précisions encore, puisque l'on fait ce tour d'horizon, sur les matériels français, on a l'impression qu'il y a quelques problèmes. D'abord sur l'industrie de l'armement terrestre, j'ai vu que le Groupement des industriels de l'armement terrestre demande une enveloppe budgétaire de 20 milliards au gouvernement, annuelle.
ALAIN RICHARD
On n'est pas dans l'imprévu, c'est une demande traditionnelle.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais avant c'était 17, maintenant ils disent 20 parce qu'ils n'y arrivent plus, ils prennent du retard.
ALAIN RICHARD
Non, le budget de la Défense est stable depuis plusieurs années, il nous a permis de réaliser un grand nombre de commandes et de livraisons. Pour prendre le cas de l'arme blindée, nous avons aujourd'hui 300 Chars Leclerc qui sont opérationnels dans l'armée de Terre, cela représente plus de 80 % de l'objectif final qu'on s'est fixé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais enfin, on a quelques problèmes avec le char Leclerc aussi, parce qu'on voulait en vendre un certain nombre...
ALAIN RICHARD
Non, mais ça c'est autre chose !
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais cela permet d'autofinancer.
ALAIN RICHARD
Non, mais financièrement, le char Leclerc, il est financé, il va être livré en temps et en heure. Alors ensuite que l'armement terrestre en général fasse l'objet de moins d'achats au niveau international cela correspond à une situation qui est plutôt un progrès. Et cela nous amène, nous, à faire des adaptations industrielles...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, mais enfin ce n'est pas un progrès sur le plan de la vente de nos matériels.
ALAIN RICHARD
Bien sûr ! Cela nous amène à faire de l'adaptation industrielle qui est en cours. Mais l'équipement de l'armée française en armes blindées il est quasiment achevé et dans de bonnes conditions. En ce qui concerne les avions de combat nous sommes maintenant...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Le RAFALE oui.
ALAIN RICHARD
Dans le cours de la livraison qui va s'étaler sur 15 ans de plus de 300 avions RAFALE que l'armée de l'Air alignera à terme.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il n'y a pas de retard ?
ALAIN RICHARD
Il y a eu du retard dans les trois ou quatre années, du milieu de la décennie 90. On s'est maintenant rétabli, l'entreprise n'est pas en mauvaise situation, on n'a pas à se plaindre et l'armée de l'Air a son niveau d'équipement opérationnel. Avec les MIRAGE qui sont encore en très bon état et les RAFALE qui arrivent, même chose d'ailleurs pour l'aéronavale sur le porte-avions.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui, le porte-avions Charles-de-Gaulle.
ALAIN RICHARD
Le porte-avions, c'est un équipement de Défense qui peut durer quarante ans.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Attendez, quand est-ce qu'il sera opérationnel ?
ALAIN RICHARD
Il le sera au milieu de cette année. Un porte-avions c'est...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il y a quand même quelques ratés, vous êtes d'accord, deux milliards.
ALAIN RICHARD
Non, ça c'est une estimation qui ne repose sur rien.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ce n'est pas vrai, combien ?
ALAIN RICHARD
Permettez-moi de finir sur la question précédente. Un porte-avions cela dure quarante ans, sa mise au point entre le moment où il est mis à l'eau et le moment où il est complètement mis en service peut durer un certain temps, je pense que c'est un bon investissement. Et c'est un élément de projection de puissance qui peut nous permettre d'intervenir dans des crises où peu de pays ont la capacité de jouer un rôle face à un risque, face à une agression possible. Donc je crois que c'était nécessaire d'acquérir cet équipement, qu'il faut le temps de le mettre au point, son coût global aura été dépassé, du fait des dernières mises au point de quelques centaines de millions de francs, mais encore une fois à partager sur quarante années.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous n'avez pas beaucoup parlé depuis les élections municipales et depuis les élections cantonales, vous guignez, vous aviez envie de partir à la conquête du Conseil général...
ALAIN RICHARD
Ce n'était pas une question d'envie, c'était un choix de responsabilité dans une ambiance où nous pensions qu'on pouvait proposer un autre choix dans ce département, les électeurs ne l'ont pas suivi.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Le Conseil général donc du Val-d'Oise.
ALAIN RICHARD
A 3 ou 4 % près, bon c'est la démocratie !
PIERRE-LUC SEGUILLON
...Vous aviez envie de quitter le gouvernement ?
ALAIN RICHARD
Ce n'est pas non plus une question d'envie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous vous sentez à l'aise dans le gouvernement pour l'année qui vient, il patine ce gouvernement non ?
ALAIN RICHARD
Oui, pour plusieurs raisons, parce que je crois que nous appliquons la politique pour laquelle nous avons été élus dans la durée, on obtient des résultats. On a montré aux Français qu'avec une volonté politique, des choses importantes dans les conditions vraies de leur vie pouvaient changer, en particulier sur l'emploi, mais aussi sur des actions de solidarité. Quand Lionel Jospin dit : " nous sommes le gouvernement le plus à gauche au sein de l'Union européenne ". Mais il y a beaucoup de gouvernements sociaux-démocrates, je crois que c'est peu contesté. Alors après il y a une question qui est une question essentielle pour nous tous et qui vous intéresse bien aussi, c'est, qu'est-ce que veut dire la justice sociale dans un des pays les plus avancés du monde avec une économie très ouverte ? On le voit avec l'enjeu des licenciements qui se produisent aujourd'hui, comme il s'en est produit en permanence. Si vous globalisez le nombre de licenciements économiques qui ont eu lieu depuis quatre ans, cela doit faire un nombre important, en même temps il y a eu 1 600 000 créations d'emploi. Donc nous savons que nous sommes dans une économie qui respire où des activités ralentissent et que d'autres se développent, et il faut accompagner les hommes et les femmes et les soutenir socialement. Mais je crois que le tableau global de ce que fait ce gouvernement et de la forme de réforme de la société qu'il conduit, on a plaisir à continuer. Et on pense que quand on sera à la fin, c'est-à-dire effectivement, ce gouvernement aura duré cinq ans, ce que peu de gens auraient parié au départ, rappelez-vous ! Quand ce gouvernement aura duré cinq ans, il sera jugé sur l'ensemble de son parcours et puis les forces politiques, les socialistes, les communistes, les verts qui le soutiennent auront, elles à se faire légitimer pour un nouveau parcours, d'abord avec l'élection présidentielle, puisque c'est décidé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors deux précisions avant de nous quitter, la première, j'allais dire chef de file des rocardiens au sein de ce gouvernement, vous participez à la préparation d'un projet pour les présidentielles, vous y travaillez ?
ALAIN RICHARD
Oui, nous sommes au travail, toutes les équipes au sein du Parti socialiste, c'est un projet pour l'ensemble de la présidentielle et des législatives.
PIERRE-LUC SEGUILLON
J'entends bien, mais vous voulez y mettre votre marque ?
ALAIN RICHARD
Oui, comme on a eu notre part dans toute une partie des réformes qui ont été faites. Franchement la réduction de la durée du travail assortie d'une certaine modération salariale se traduisant par plusieurs centaines de milliers d'emplois en plus, par rapport à toute une série de critiques que l'on faisait sur la politique en France, en disant : " finalement ils ne pensent qu'à ceux qui ont déjà un travail, ils ne pensent pas aux chômeurs ", il y a eu un vrai changement dans l'action de ce gouvernement, on n'en rougit pas.
PIERRE-LUC SEGUILLON
ALAIN RICHARD merci.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 31 mai 2001)