Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le pacte social dans l'entreprise et le contrat de génération, Paris le 7 septembre 2012.

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Circonstance : Clôture des rencontres de la cohésion sociale à Paris le 7 septembre 2012

Texte intégral


Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement Jean-Paul Bailly et Claude Bébéar de m’avoir à inviter à conclure –ou plutôt à intervenir en dernier car on ne saurait conclure sur un tel sujet- ces premiers « entretiens de la cohésion sociale ».
Je suis convaincu que ce type de rencontres, où se croisent les regards de chefs d’entreprises, de praticiens du dialogue social et des ressources humaines, et d’universitaires, font progresser les idées, émerger des solutions innovantes et se diffuser les bonnes pratiques.
« Entreprise et pacte social : quelle nouvelle donne ? » : c’est assurément un bon sujet ! Je n’ai pas assisté aux échanges des tables – rondes de cette matinée -vous m’en adresserez certainement une synthèse- mais vous avez empoigné dans vos débats un enjeu essentiel pour les entreprises, essentiel pour les salariés, et essentiel pour la société toute entière.
Je retiens les deux concepts : « pacte social » et « nouvelle donne » :
* Le « pacte social » dont vous débattez, il intéresse et interpelle aussi le Ministre que je suis, qui se sent une responsabilité dans ce domaine surtout quand il a le « dialogue social » dans son titre –j’y reviendrai.
* La « nouvelle donne » sur laquelle vous vous interrogez –j’ai bien noté le point d’interrogation- me concerne aussi. Dans les changements qui peuvent fonder une « nouvelle donne », il y a les évolutions lentes et souterraines de la société qui irriguent les entreprises –la « génération Y », les réseaux sociaux, le rapport au travail- mais il y a aussi les changements politiques, les alternances démocratiques, l’action de l’autorité publique. Je ne surestime pas leur portée, mais je ne la sous-estime pas non plus : j’ai la prétention d’agir, comme Ministre de ce Gouvernement, pour une « nouvelle donne » dans le champ social. Je la pense nécessaire.
C’est de cela dont je veux vous dire quelques mots ce matin, pour contribuer –modestement- à vos réflexions et partager avec vous le sens de l’action que je souhaite conduite : le « pacte social », la « nouvelle donne ».
Le « pacte social » dans l’entreprise se fonde nécessairement sur la recherche d’un équilibre, d’une convergence entre des intérêts différents.
Cette recherche n’est pas une chose facile, n’est pas une chose tranquille, elle passe par de la confrontation, par des conflits parfois. C’est légitime, c’est sain même, dès lors que chacun respecte l’autre et dès lors que l’on trouve le moyen de dépasser, par le dialogue, par le compromis, cette confrontation d’intérêt.
Je ne suis pas un « bisounours », et vous non plus : nous savons bien que le « pacte social », dans l’entreprise ou dans le pays, ne vit pas sans ces confrontations et ces contradictions. Dans les négociations –nombreuses- qui vont s’ouvrir au niveau interprofessionnel –mais c’est la même chose dans vos entreprises- il y aura des périodes de tension, de rapports de force, que les Partenaires Sociaux auront à dépasser et sauront –je le souhaite naturellement- dépasser.
Ce « pacte social » -et je reviens vers votre sujet de ce matin- efface de plus en plus les frontières entre l’intérieur de l’entreprise et son environnement, le territoire où elle est implantée, la société qui l’entoure. Les problématiques de la société, ses exigences aussi, ne peuvent plus être ignorées par les entreprises, elles les pénètrent de multiples façons et c’est heureux. Symétriquement, les entreprises responsables produisent de la cohésion sociale, inventent parfois des solutions nouvelles pour répondre aux attentes de leurs salariés mais aussi au-delà de toute la société.
* 1) Le « Pacte générationnel » au cœur du « Pacte social » Nous pouvons prendre de nombreux exemples de ce qui fonde un « pacte social » dans l’entreprise, en lien ou en réponse à des attentes de la société. Je vais prendre un premier exemple, qui ne va pas vous surprendre : le « pacte générationnel »
Quelle place faisons-nous aux jeunes dans nos entreprises ? Comment les formons-nous ? Comment les accompagnons-nous ? A l’autre bout de la pyramide des âges quelle place pour les seniors, leur expérience et leur savoir-faire ?
Pendant longtemps nous avons opposé l’une à l’autre ces deux populations au sein des entreprises, fermant la porte aux jeunes lorsque l’activité ralentissait, ou poussant en préretraite les anciens pour embaucher des plus jeunes.
Ces approches ont montré leurs limites, et ont fait de la France un pays où nous cumulons le triste privilège d’un taux de chômage des jeunes parmi les plus élevé et un taux d’emploi des seniors parmi les plus bas. Elles n’ont pas permis dans beaucoup d’entreprises de préparer de façon efficace le transfert des compétences. Un sentiment de discrimination par l’âge - trop vieux ou trop jeune- est douloureusement ressenti par les intéressés et menace, à l’évidence, la cohésion sociale dans l’entreprise et la cohésion sociale tout court.
Il faut construire un nouveau « Pacte générationnel » dans l’entreprise :
* C’est un enjeu décisif pour notre société, qui doit offrir davantage à sa jeunesse sans exclure les plus anciens qui devront travailler plus longtemps.
* C’est un enjeu décisif pour les entreprises, y compris pour leur compétitivité : d’ici 2020, plus de 5 millions de salariés seront partis en retraite et 6 millions de jeunes seront entrés sur le marché du travail, c’est un véritable défi de transfert des compétences.
C’est l’objectif du contrat de génération que de favoriser ce « Pacte générationnel ». Dans les grandes entreprises, c’est par un accord que les partenaires le définiront, dans une approche globale et pluriannuelle qui comportera des engagements quantitatifs mais aussi qualitatifs, adaptés à la réalité de chaque entreprise. Dans les TPE et PME, l’accord collectif sera privilégié chaque fois que possible, mais le lien personnalisé entre un jeune embauché en CDI et un salarié senior ouvrira droit à une aide pour l’employeur.
Nous venons de saisir, mardi dernier, les partenaires sociaux afin qu’ils négocient les modalités de ce futur contrat de génération. La loi qui suivra, présentée à la fin de cette année, va créer –il le faut- un vaste mouvement de mobilisation dans les entreprises de toutes les tailles, en faveur de l’emploi des jeunes et de la transmission des savoirs des plus anciens.
* 2) La sécurisation de l’emploi, une autre composante du « Pacte social »
Autre exemple, pris lui aussi dans une actualité brulante puisqu’il y a seulement quelques heures que j’ai adressé aux Partenaires Sociaux le « document d’orientation », la future négociation sur la sécurisation de l’emploi.
Le renouvellement du pacte social dans l’entreprise passe aussi par cet enjeu fondamental de la sécurisation de l’emploi, au bénéfice des salariés comme des entreprises. Nous touchons là au cœur de notre modèle de relations du travail et des questions que vous avez soulevées lors de vos travaux.
A nouveau nous retrouvons ici la recherche de convergence des intérêts, le dépassement des contradictions. La négociation qui va s’ouvrir entre les partenaires sociaux pour une meilleure sécurisation de l’emploi est une opportunité –qu’on pourrait dire « historique » - pour refonder un équilibre global « gagnant-gagnant » intégrant quatre dimensions complémentaires – j’insiste sur les mots « gagnant-gagnant » et « global » :
* réduire la précarité sur le marché du travail, qui transforme dans un certain nombre de cas une souplesse nécessaire ou une caractéristique intrinsèque de certaines activités en une forme de « contournement » de la norme sociale
* progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité, de l’emploi et des compétences
* améliorer les dispositifs de maintien de l’emploi face aux aléas conjoncturels, pour éviter les licenciements et les pertes de compétences lorsque l’entreprise connait des difficultés
* améliorer les procédures de licenciements collectifs, pour concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique pour les entreprises comme pour les salariés Nous sommes ici au cœur de la construction d’un pacte social pour les entreprises.
La balle est maintenant dans le camp des Partenaires Sociaux : je suis confiant dans leur capacité à se saisir du « document d’orientation » pour chercher un accord qui -s’il ne règlera pas bien sûr par magie toutes les difficultés de notre marché du travail – permettra de refonder en profondeur une sécurisation de l’emploi pour les salariés et pour les entreprises de notre pays. Cela fait plus de 10 ans que nous tournons autour de cette question, et la gravité de la crise que nous connaissons aujourd’hui impose que tous nous sachions faire preuve d’ambition et même d’audace !
* 3) le dialogue et la confiance, méthode du Gouvernement
Au-delà des outils, c’est le dialogue et la confiance entre les partenaires qu’il faut construire ou reconstruire. Je voudrais conclure là-dessus, sur le choix de la méthode du dialogue social qui est celle du Gouvernement.
Elle participe du sens même des réformes et de cette exigence de confiance. Comme l’a souligné le Président de république, faire face à l’urgence, c’est agir tout de suite mais c’est aussi prendre le temps de construire les compromis sociaux pour y répondre.
C’est le sens du processus engagé avec la « Grande conférence sociale » de juillet dernier. C’est la construction d’un modèle innovant de « dialogue social à la française », une façon aussi de bâtir le « Pacte social ». Dans cette démarche du dialogue social, la place de l’entreprise est centrale. Les travaux de votre matinée le montrent : par nature, l’entreprise est traversée par toutes les tensions du corps social, alors 30 ans après les lois Auroux, ce dialogue dans l’entreprise est plus que jamais une exigence.
J’aurais aimé avoir le temps de développer aussi avec vous les enjeux liés à ce qu’il est convenu d’appeler la qualité de vie au travail, ou encore à la responsabilité sociale des entreprises.
C’est l’intérêt de rencontres telles que la votre que de poser ces questions. Je souhaite vous dire l’intérêt que je porte à les voir mises en débat, et je sais qu’au-delà de cette journée vous allez porter chacun -Institut Montaigne Entreprises et Personnel - ces enjeux.
Je connais la qualité de vos travaux. Je souhaite qu’ils continuent de nourrir la réflexion commune. Je sais que je peux compter sur vous pour cela, et je vous donne rendez-vous –si vous m’invitez à nouveau- à la prochaine édition de vos « entretiens de la cohésion sociale » ou nous pourrons mesure ensemble –je le souhaite- les progrès de notre « pacte social ».
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 14 septembre 2012