Déclaration de Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, sur le coût économique et social de l'autisme, Paris le 9 octobre 2012.

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Circonstance : Audition sur le coût économique et social de l'autisme au Conseil Economique, Social et Environnemental le 9 octobre 2012

Texte intégral


Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Monsieur Fondard, je remercie M. le député Pascal et le Président Accoyer sans qui la saisine de cette institution n’aurait pu se faire.
Mesdames, Messieurs les membres du CESE, je me réjouis vraiment d’être parmi vous aujourd’hui. Je me réjouis d’une façon naturelle d’être parmi vous, mais je me réjouis encore plus parce que vous inscrivez à l’ordre du jour aujourd’hui un sujet qui m’est cher : l’autisme.
Vous représentez les forces vives de la Nation et ce que l’on a coutume d’appeler la société civile. Par conséquent, en vous emparant d’un sujet comme l’autisme, celui-ci devient dès lors une question de société, et cela est intéressant. La ministre en charge des personnes handicapées que je suis ne peut que s’en réjouir. C’est tellement une question de société que les élèves de l’école de Saint-Paul de Lens, que je salue, sont aujourd’hui parmi nous pour écouter ce débat.
Le handicap, et peut-être en particulier l’autisme, est une réalité qui dérange, une réalité qui nous paraît à la fois familière et étrange. Environ six cent mille personnes seraient atteintes d’autisme. Nous avons tous en tête de manière plus ou moins vague une image de l’autisme. On se représente des personnes repliées sur elles-mêmes, dont on ne comprend pas très bien les gestes ; tout cela semble curieux à ceux qui voient cette réalité de loin, à ceux qui n’y sont pas confrontés quotidiennement.
En réalité, les personnes autistes ne sont pas repliées sur elles-mêmes. Elles ont une grande difficulté à gérer leurs émotions, leurs sensations et se protègent de ces émotions. La stéréotypie, le fait de reproduire inlassablement les mêmes gestes, des gestes qui paraissent anodins, échappe à notre entendement. Il faut pourtant comprendre que la personne autiste évolue selon un système de règles différent de celui de la plupart des personnes. Sa perception aussi est différente. Seuls ceux qui sont au plus près peuvent le comprendre, mais pour eux-mêmes, ce n’est pas facile. C’est pourquoi il nous faut progresser, progresser ensemble dans le dépistage de ces troubles et dans l’accompagnement des personnes qui en sont atteintes.
Vous avez rédigé un projet d’avis très riche sur le coût social de l’autisme. C’était le sujet de départ, mais il a été largement dépassé puisqu’il englobe la totalité de la question. Je vous salue, Madame Prado, je connais votre engagement, vos compétences et je viens d’entendre tout le travail que vous avez accompli.
J’ai lu avec intérêt vos préconisations, je partage une grande partie d’entre elles. Permettez-moi cependant de vous dire les points sur lesquels j’ai envie plutôt de vous répondre et qui ont immédiatement retenu mon attention.
Je note que la solidarité de l’État à l’égard des personnes atteinte d’autisme s’élève à 1,4 Md€, sans prendre en compte l’aspect hospitalisation. L’enjeu que constitue la prise en charge de l’autisme justifie pleinement cette somme. C’est une somme considérable qui doit permettre d’apporter des réponses satisfaisantes aux personnes concernées. Les réponses les plus satisfaisantes sont celles justement qui autorisent les personnes à rester dans leur environnement habituel, pour leur bien-être avant tout. C’est aussi la solution la plus économique et je poursuis donc l’objectif de développer les services médico-sociaux, qui apportent un accompagnement professionnel à la personne.
Rien ne remplace le soutien des proches, la solidarité des aidants familiaux qui est quelque chose de formidable. Mais ces personnes ont aussi le droit à un répit, elles ne doivent pas, dans leur générosité, abîmer leur santé et s’empêcher de poursuivre une vie professionnelle et personnelle. Il est donc important que les professionnels prennent régulièrement le relais pour les ménager et leur permettre de préserver leur vie sociale. Cet objectif prendra du temps, il faut partir de l’état actuel de l’offre. Il faut également constater que certaines personnes ne veulent pas ou ne peuvent pas rester à domicile.
Pour cette raison, dans le prochain Plan autisme auquel vous avez fait référence plusieurs fois, nous prendrons en compte les besoins en termes de créations de places en établissement. Nous savons que le déficit est considérable dans ce domaine. C’est pourquoi, dans le cadre des trois mille créations de places qui sont prévues en 2013, nous examinerons très précisément les appels à projets afin de rattraper ce retard et nous ferons une priorité des places Autisme dans le plan suivant.
Pour que l’accompagnement médico-social soit complètement professionnel, je m’associe à l’idée que vous avez développée dans le projet d’avis de renforcer la formation des professionnels. Il faut s’assurer qu’une plateforme commune de savoir spécifique à l’autisme existe à l’intersection de plusieurs disciplines, et que cela soit acquis pour tous les accompagnants.
Je veux impliquer l’ensemble des associations dans la rédaction et la diffusion d’un document qui sera destiné aux professionnels et aux familles et qui se fondera sur les récentes publications de la Haute Autorité de Santé. Au-delà du cas des accompagnants, l’avis donné en mars dernier par la Haute autorité de santé interroge la pratique clinique. Longtemps, on a cru, particulièrement en France, qu’il s’agissait d’une maladie mentale qui pouvait être soignée par la psychanalyse. Cela a considérablement pesé sur le diagnostic et le développement des structures adaptées. La politique que je suis n’a pas à trancher sur les questions scientifiques. Je souhaite simplement et tout à fait justement que le débat scientifique suive son cours, que la recherche soit encouragée afin que nos connaissances des troubles de l’autisme se précisent encore. Il faut absolument déculpabiliser les parents et les familles, et plus particulièrement les mères qui sont les plus montrées du doigt dans ce cadre. Il faut rendre la transparence et la genèse de ces troubles et leur exposer clairement les différentes options cliniques.
Enfin, vous posez légitimement la question du pilotage de ces politiques. Vous parlez du pilotage local, nous en parlerons dans le troisième Plan autisme, mais le pilotage national, je vous l’assure, existe.
Le choix de François Hollande et du Premier ministre a été de créer une ministre déléguée aux personnes handicapées et c’est la réponse la plus rassurante. Sachez donc qu’il y a un pilote dans l’avion et que ce pilote, comme vous le disiez tout à l’heure, refuse les fatalités, et dans ce domaine en particulier.
Et ce ministère a des moyens : 20 milliards sur le champ seul du handicap. Le budget 2013 pour la France est à la fois un budget de combat pour le redressement de notre pays et un budget de solidarité et de justice. Ce budget du handicap en est toute l’illustration.
Par ailleurs, la nécessité de transversalité des politiques du handicap était un engagement de François Hollande ; il a été annoncé et nous commençons à le faire tout à fait concrètement puisque Jean-Marc Ayrault a adressé une circulaire à l’ensemble de ses ministres indiquant que tout projet de loi devrait comprendre un volet « handicap ».
Plus spécialement, pour revenir à la question de l’autisme, j’ai demandé à Martine Pinville, une députée dont l’expertise dans ce domaine est reconnue de tous, de présider le Conseil national de l’autisme le temps de réaliser ce troisième plan parce que, justement, je veux associer la représentation nationale et je veux qu’il y ait un pilotage politique à cette question.
Je souhaite que le troisième Plan autisme avance le plus vite possible, à la fin de l’année ou en tout début d’année prochaine si nous sommes prêts. Je veux vraiment que l’on avance sur cette question.
La volonté de notre gouvernement est très ferme. Je veux dire quelques mots sur ce Plan autisme qui me tient particulièrement à coeur.
J’ai réuni le Conseil national de l’autisme de manière à commencer à essayer de mettre tout le monde au travail. Ils sont bien sûr déterminés, ce sont des gens concernés. Je veux d’abord la réalisation d’un vrai diagnostic. Vous en parlez et votre rapport dit beaucoup de choses.
On n’est pas obligé de rester très longtemps à faire des diagnostics, les rapports existent, vous avez beaucoup de connaissances, les uns et les autres, donc on peut aller très vite sur cette question.
Deuxièmement, nous mettons en place 3 groupes de travail et je souhaite que Martine Pinville booste ces 3 groupes de travail avec les parlementaires que je sais être déterminés sur la question, connaissant le sujet.
Le premier groupe de travail porte sur la question de la recherche. Je viens d’en parler, cela me tient particulièrement à coeur et je sais qu’il y a une sorte de mainmise là-dessus ; je voudrais que l’on avance sur cette question. Il y a vraiment une méconnaissance sur les troubles envahissants du développement qu’il faut faire reculer ; ce n’est pas à moi de le faire, mais ce groupe doit avancer sur des propositions précises en matière de recherche pour travailler avec la recherche.
La formation de tous les professionnels, vous en parlez largement, sera l’objet du deuxième groupe de travail. Ce sont les enseignants, mais aussi les médecins, l’ensemble des professionnels de santé.
L’accueil en établissement médicosocial, je l’ai évoqué tout à l’heure, existe aussi. Il faut que l’on corrige le tir. Il y a des carences là-dessus, elles ne sont imputables à personne. De toute façon, on se moque de savoir à qui elles sont imputables, il faut que l’on avance sur cette question et l’accompagnement à domicile également.
Voilà mes 3 groupes de travail.
Madame Prado, je n’oublie pas ce que vous avez dit : la prise en compte très tôt du dépistage, un dépistage précoce. Je souhaite que ce soit évoqué également dans le troisième Plan autisme : comment pouvons nous progresser dans ce domaine.
Une question qui concerne l’ensemble du handicap, mais qui concerne aussi l’autisme, est le vieillissement des personnes en situation de handicap. C’est un phénomène de société et tant mieux, mais nous n’avons pas assez abordé cette question.
Vos préconisations dans les 8 axes proposés tout à l’heure pourront être abordées précisément dans le cadre de ce travail. Vous parliez d’un autre domaine qui est l’éducation et la formation. Je travaille en ce moment dans le cadre de la refondation de l’école avec le ministre de l’Éducation nationale et ma priorité est également de créer des CLIS et des ULIS particuliers pour les autistes, peut-être avec moins de monde dedans. Il y a quelquefois 10 ou 12 enfants ; on sait très bien qu’il faudra que ce soit moins. Je ne sais pas si cela va aboutir ; en tout cas, aidez-moi pour que cela aboutisse. En ce moment, nous en parlons dans le cadre de la refondation de l’école.
La volonté de mon gouvernement d’agir pour les personnes handicapées ne fait aucun doute, mais cette action ne sera pleinement efficace que si vous nous aidez, que si la société civile, les corps intermédiaires et les associations qui sont représentés ici et au-delà sont systématiquement consultés et participent même à l’élaboration de ce plan.
Je vous remercie une nouvelle fois pour votre contribution, Madame la rapporteure. J’espère que vous accepterez tous de poursuivre cette discussion en toute indépendance bien entendu. Chacun garde ses positions, mais c’est un dossier sur lequel nous pouvons progresser ensemble.
J’espère que vous accepterez de construire avec moi tous ensemble ce 3ème Plan autisme. J’ai besoin de vous et je sais, après vous avoir entendus, que je peux compter sur vous.
Merci, bon travail car il nous reste très peu de mois pour faire ce 3ème plan !
Source http://www.lecese.fr, le 17 octobre 2012