Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les perspectives d'avenir de l'Alliance atlantique après cinquante ans d'existence, Paris le 4 mai 1999.

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Circonstance : 4ème conférence stratégique annuelle de l'IRIS (Institut des Relations internationales et stratégiques) à Paris les 4 et 5 mai 1999

Texte intégral

Les cinquante ans de l'Alliance atlantique : quelles perspectives d'avenir ?
Mesdames, messieurs,
Je suis très heureux de participer une seconde fois aux rencontres stratégiques de l'IRIS : tout effort de réflexion, d'échange et de débat sur les deux thèmes que vous avez choisis est louable - et l'actualité ne laisse pas de nous le rappeler.
Je souhaiterais pourtant m'en éloigner autant qu'il est possible afin de préserver la condition première de ces débats, qui est à mon sens la sérénité.
En effet, nous voilà plus que jamais soumis à des flux d'information permanents qui empêchent de distinguer l'essentiel de l'accessoire, le durable de l'éphémère. Par ailleurs, il est trop tôt, vous en conviendrez, pour prétendre tirer les leçons des opérations actuellement menées au Kosovo.
Ce que je propose donc, c'est de prendre un peu de recul par rapport aux événements des dernières semaines, et de voir quelles perspectives de long terme se dégagent à présent quant au rôle de l'Alliance atlantique et à la sécurité de notre continent. Et pour cela, je souhaiterais remettre dans leur contexte géopolitique et historique les acquis du sommet de Washington, et indiquer les pistes d'avenir aussi bien pour cette alliance que pour notre pays et pour l'Europe en-dehors de ce cadre.
La lecture, avec un certain recul, du nouveau Concept stratégique et des autres documents de Washington amène à distinguer trois tendances d'ensemble : des acquis dont nous pouvons nous réjouir, des engagements qu'il nous faut à présent tenir, et enfin des frontières qu'il nous faut dépasser.
1/ les acquis
Au premier titre, celui des acquis, on trouve l'importance réaffirmée des valeurs comme fondement de notre Alliance et de son action. C'est un aspect des choses particulièrement important dans les opérations qui sont menées actuellement, et plus important encore sur le long terme.
En effet, les principes que nos démocraties libérales défendent, forment le substrat de la relation transatlantique. Que les deux premières forces démocratiques et prospères du monde possèdent un forum de coopération aussi poussé est une chance pour la démocratie et la stabilité internationale, dont l'Alliance atlantique constitue un pôle irremplaçable.
Au chapitre des acquis se trouve aussi l'efficacité, dont le maintien figure en bonne place parmi les objectifs énumérés dans le Concept. L'Alliance est l'outil pragmatique qui nous sert aujourd'hui à affirmer les valeurs que j'évoquais, et que nous utilisons parce qu'il est le seul - actuellement - à conjuguer multilatéralité et puissance, c'est-à-dire crédibilité.
On peut regretter de ne pas posséder encore un outil aussi efficace et en même temps mieux ajusté à ce type de crise, un outil européen qui réponde plus directement à notre volonté politique. Cet outil, comme vous le savez, est en construction, et cette construction, comme le reste de l'aventure européenne, obéit à un rythme lent. L'Alliance, de ce point de vue, nous permet de ne pas avoir à choisir entre l'impuissance et la passivité.
Ce double acquis serait de peu de prix si l'Alliance n'était pas fermement fondée sur l'ordre juridique international que nous souhaitons tous préserver, et c'est précisément ce que nous avons défendu à Washington. Avec une vision historique des choses, on mesure combien la montée en puissance de l'OTAN s'est faite de manière pragmatique, en quelque sorte par un appel d'air venu des Balkans. Il était indispensable de replacer cette croissance dans son cadre naturel et d'encadrer les nouvelles missions de l'Alliance.
Celle-ci reste solidement ancrée dans l'ordre juridique sur lequel est fondée la société internationale. Les textes adoptés à Washington, aussi importants fussent-ils, n'avaient pas vocation à remplacer le Traité fondateur, ni sur ce point, ni sur aucun autre. Pour être plus précis, on peut se réjouir de voir exprimée sans aucune ambiguïté la prééminence du Conseil de sécurité des Nations Unies, et de voir mentionnée presque à chaque page la collaboration avec les institutions majeures : l'ONU bien sûr, mais aussi l'UE, l'OSCE et l'UEO.
De même, la mention des mécanismes de sécurité collective, en particulier les régimes de désarmement et de non-prolifération (FCE, START, TICE, TNP, Convention sur les armes chimiques) rappelle que l'Alliance est une organisation de paix et qu'elle encourage cette paix. Comme au temps de la Guerre froide, elle est un facteur de stabilité pour le futur de l'Europe.
En bref, le sommet de Washington a codifié et confirmé ces acquis ; il a montré que l'Alliance est un vrai forum de dialogue où des tensions diverses peuvent être résorbées et où la voix de la France est écoutée en raison tout à la fois de notre position particulière dans cette institution et de notre présence sur tous les tableaux - du diplomatique à l'opérationnel - lorsque nous le décidons.
2/ les promesses à tenir
J'en viens aux engagements qu'il nous faut tenir, puisque l'avenir est le thème de cette journée.
Le nouveau Concept adopté à Washington, tout en replaçant la défense collective au cur de l'Alliance, énumère tout un spectre de nouvelles missions, dont deux me semblent importantes à relever : la gestion des crises d'une part, c'est-à-dire des actions hors article V ; le partenariat et la coopération d'autre part.
La première est une promesse de stabilité et le signe que l'on n'entend pas autoriser n'importe quelle violation sanglante des droits fondamentaux sur ce continent ; l'illustration en est l'intervention actuelle au Kosovo. C'est sans doute la promesse la plus difficile à tenir parce qu'elle exige de nous un engagement total, une détermination et une confiance réciproque sans faille. L'Alliance est une coalition de démocraties opposées, par construction, à la guerre. C'est toujours à regret que nous utiliserons ensemble la force, et toujours dans le cadre du droit international, au service des droits de l'homme et de la paix.
La seconde est l'engagement pour l'avenir que le processus d'intégration, de coopération et de dialogue avec les pays situés à l'Est et au Sud de notre zone se poursuivra, pour le bénéfice de tous. La Russie et l'Ukraine sont pour les décennies futures des partenaires dont nous devons particulièrement cultiver la compréhension et l'amitié.
Mais il y a un engagement qui compte plus encore pour l'avenir, c'est celui des Européens : la reconnaissance de l'Identité Européenne de Sécurité et de Défense.
Des principes importants ont été confirmés à Washington, qui reprennent les décisions de Berlin : garantie d'accès de l'UE aux moyens de planification de l'OTAN ; présomption d'accès aux moyens et capacités de l'Alliance et identification d'une série d'options de commandements européens renforçant le rôle du SACEUR adjoint. Ceci est une contribution utile, et confirme un point de vue que nous défendons depuis longtemps - à savoir que le renforcement des capacités européennes constitue un apport, un soutien à l'Alliance, et contribue à sa vitalité, et non l'inverse.
Nous aurons également des décisions à prendre au sommet de Cologne entre Européens pour doter l'UE de tous les instruments dont elle a besoin pour agir en temps de crise. Nous espérons que le sommet de Cologne, mené par la présidence allemande, marquera une étape importante à cet égard.
Pour tenir cet engagement, il nous revient à présent, à nous Européens, de mieux nous organiser et de poursuivre notre effort pour restructurer nos outils de défense et en accroître l'efficacité ; car nous ne saurions prétendre à un rééquilibrage de l'Alliance sans y assumer une part plus substantielle.
3/ les frontières à dépasser
Je terminerai cette lecture du nouveau Concept stratégique en évoquant les frontières que nous voudrions dépasser.
Il y a d'abord des rendez-vous obligés, ce que l'on appelle " l'après - sommet " pour les prochains mois et les prochaines années : par exemple sur l'interopérabilité, avec les négociations au sein du Groupe directeur de haut niveau, etc. Nous aurons aussi, après les opérations menées actuellement au Kosovo, des clarifications à apporter sur notre souhait de confirmer l'élargissement, et sur les garanties que nous apportons de facto par des interventions non-article V à des pays limitrophes des zones de crise - point important, qui a été mentionné dans la Déclaration.
Tout cela n'est certes pas négligeable ; mais la frontière la plus importante, pour nous, ne se situe pas dans l'Alliance : elle se situe en-dehors d'elle, et concerne le rôle que nous souhaitons lui voir tenir.
En effet, l'OTAN a pris une place très importante dans les évolutions de notre continent depuis une décennie. Elle a rendu et rend aujourd'hui encore les services que j'ai mentionnés, pour la défense du droit et des principes démocratiques.
Mais il est incontestable que par sa seule présence, et du fait même de son efficacité, elle a occupé un terrain que nous aurions pu configurer différemment, par des constructions institutionnelles plus spécifiquement européennes, et peut-être plus ouvertes vers l'Est.
Pour cette raison, il est incontestable que l'Alliance n'est pas notre horizon unique, ni nécessairement l'entité la mieux à même d'assurer à l'Europe une voix plus puissante dans les affaires du monde. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé depuis le sommet de Saint-Malo, d'abord avec nos amis britanniques, puis en collaboration avec l'Allemagne -responsable de la présidence de l'UE et de celle de l'UEO - et les autres partenaires européens, un processus de renforcement des capacités autonomes de l'Europe qui complète le processus de renforcement de l'IESD à l'intérieur de l'Alliance.
Les décennies qui s'annoncent verront donc coexister une Alliance puissante, garante de la sécurité des Etats membres, et prête à prendre des responsabilités pour la stabilité de l'Europe - sans connaître pour autant de dérive géographique ou juridique -, et un mouvement d'affirmation de l'Europe de la Défense qui est la suite logique de la construction européenne de ce dernier demi-siècle, et qui a par là même une vocation naturelle à s'exprimer de plus en plus dans le cadre de l'Union européenne.
Cette cohabitation porte en elle une exigence de consultation et de confiance, mais elle n'est pas porteuse de contradictions insurmontables ni de germes de discorde. A condition de s'entendre, tout le monde peut sortir gagnant de ce processus : l'amitié et la confiance transatlantique, la stabilité de notre continent, l'affirmation de l'Europe, et en dernier ressort, puisque tel est notre but commun, la démocratie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 mai 1999)