Déclaration de Mme Yamina Benguigui, ministre de la francophonie, notamment sur la situation politique en République démocratique du Congo, à Paris le 15 novembre 2012.

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Circonstance : Dîner en l’honneur de M. Matata Ponyo, Premier ministre de République Démocratique du Congo, à Paris le 15 novembre 2012

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis
Je suis très heureuse de vous recevoir ce soir, ici au Palais des affaires étrangères, pour ce dîner que j'ai souhaité organiser en votre honneur, Monsieur le Premier Ministre.
J'aimerais tout d'abord remonter dans le temps, lorsqu'après ma nomination, l'une des mes premières missions a été de me rendre à Kinshasa pour l'organisation du 14ème sommet de la Francophonie.
Je me souviens alors de l'entretien que nous avons eu dans mon bureau du Quai d'Orsay, avec M. Tschibanda, ministre des affaires étrangères de RDC.
C'est là, Monsieur le Premier Ministre, que tout a commencé. Dans un climat, je dois dire un peu tendu, M. Tschibanda me faisait part de la rumeur qui circulait en RDC sur le fait que le président François Hollande ne viendrait peut-être pas à ce sommet, et qu'il s'étonnait aussi du silence de la France sur la guerre au Kivu.
J'ai alors proposé à M. Tschibanda de faire «ma'ana» c'est un mot qu'employait souvent ma grand-mère, lorsque nous rencontrons un conflit verbal. Il faut se donner la possibilité d'envelopper mon propos de ma'ana, ce qui voulait dire que je l'enveloppais d'une sphère d'amitié, d'une sphère d'intimité qui autorise un dialogue franc et malgré tout respectueux sur les questions difficiles en utilisant un ton tel qu'on peut en avoir avec un ami, un membre de sa famille et qui, dès qu'on lève le voile de ma'ana, nous permet de reprendre une relation normale sans ombres et dans le plus profond respect. C'est cette première rencontre, Monsieur le Ministre, Cher Ami, qui nous a permis de rapprocher nos points de vue et d'aborder les réformes importantes que vous mettez en oeuvre aujourd'hui.
Monsieur le Premier Ministre,
Parlons maintenant de notre première rencontre lorsque je suis venue dans votre pays en juillet dernier à la demande du président de la République. Nous avions eu un échange particulièrement riche et, je dois dire, particulièrement franc dans lequel j'ai perçu une attente considérable, beaucoup d'incompréhension et une volonté de rapprocher nos points de vue sur des sujets sensibles.
Vous m'avez parlé de la crise qui sévissait dans les Kivus et pour laquelle vous estimiez que la France devait faire plus. Vous m'avez parlé des réformes améliorant la situation des droits de l'Homme, la gouvernance démocratique, éléments auxquels vous le savez nous attachons une importance toute particulière. Vous m'avez parlez des mesures que votre gouvernement avait prises pour favoriser la croissance économique et le développement dans votre pays. Vous attendiez que la France soit un partenaire fort pour oeuvrer à la paix dans les Kivus, accompagner le Congo dans les réformes législatives en cours et sa politique de développement. Vous attendiez de la France, un appui sur l'ensemble de ces sujets.
Je n'ai pas attendu d'être rentrée en France pour demander que le Conseil de sécurité se réunisse rapidement pour négocier une déclaration condamnant le rôle des groupes armés dans la déstabilisation des Kivus. J'ai poursuivi cette mission à New York. En septembre, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, par ma voix, la France s'est exprimée pour condamner l'action du M23 et de ses soutiens. La France et ses partenaires du Conseil de sécurité poursuivent actuellement leur action au service d'un retour à la paix et à la stabilité.
Sur les réformes législatives en matière de droit de l'Homme et de gouvernance, nous avons poursuivi le dialogue et nous devons saluer les avancées que vous avez mises en oeuvre avec le président de l'Assemblée nationale, M. Aubin Minaku. Je salue la présence ici, ce soir, de M. Philippe Baumel, président du groupe d'amitié France-RDC de l'Assemblée nationale et de M. Michel Becot, président du groupe d'amitié France-RDC du Sénat qui j'en suis certaine, peuvent vous apporter toute leur expertise et accompagner vos travaux.
Lors de ce premier déplacement, j'étais restée quatre jours en RDC et j'y ai rencontré de nombreuses personnalités politiques, membres du gouvernement, des assemblées et des représentants de l'opposition. J'y ai rencontré des artistes, des représentants de la société civile, les différents représentants des défenseurs des droits de l'Homme, des ONG et des communautés religieuses. J'y ai vu également une population au travail, une population courageuse, une population tournée vers l'avenir et qui aspire à la prospérité. C'est aussi en juillet que j'ai décidé que je devais aller dans les Kivus pour témoigner de la situation de la population civile et plus particulièrement des femmes et des enfants, en proie à la guerre et à une situation humanitaire des plus préoccupante. Je n'ai eu de cesse de dénoncer cette situation à Paris et à New York dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations unies et je me réjouis que le comité des sanctions des Nations unies ait décidé d'inscrire sur cette liste le principal chef militaire du M23. C'est une première étape importante. D'autres suivront.
Au lendemain du Sommet de la Francophonie, je me suis donc rendue à Goma. J'ai voulu voir de mes yeux la situation dans lesquelles des centaines de milliers de personnes vivent ou plutôt survivent. J'ai voulu rencontrer les victimes de cette guerre qui dure depuis trop longtemps. J'y ai vu des femmes violées, abîmées, exclues et contaminées par le Sida. J'ai vu des milliers de personnes regroupées dans le camp de Kanyaruchinya. J'ai rencontré les acteurs humanitaires en proie à mille difficultés logistiques et j'ai bien conscience que les 2 millions d'euros que j'ai pu apporter au Programme alimentaire mondial, au HCR ou aux ONG ne sont naturellement pas suffisants.
À Goma, dans le camp des déplacés de Kanyaruchinya, j'ai également été marquée par la situation des enfants. Je me suis ainsi retrouvée assise au milieu d'écoliers, dans un bâtiment transformé en salle de classe. Ils étaient dans un cours de français, avec un seul livre pour plus de 60 garçons et filles, tous silencieux et respectueux du maître d'école. Ce cours de français est pour moi plus que symbolique. Et je voudrais vous dire ce que j'ai ressenti en m'asseyant à leurs côtés et en écoutant le maître leur parler de conjugaison.
Monsieur le Premier Ministre, Chers Amis,
Ces enfants sont le symbole de la reconstruction de votre pays. C'est pour eux que nous devons oeuvrer à la paix, à la stabilité et au développement de la RDC. Ce sont eux qui feront demain l'histoire du Congo. Ils seront les acteurs de son développement. Ils devront être aussi des acteurs de paix.
Vous n'avez de cesse, avec votre gouvernement, de reconstruire, étape par étape, l'ensemble de l'édifice de l'État. Vos défis sont nombreux. Et je sais combien il est important pour le peuple congolais de travailler à la reconstruction des infrastructures routières, ferroviaires, du système éducatif, du système de santé ou encore celles liées à l'énergie, l'agriculture ou à l'agroalimentaire. Ce sont là autant de chantiers sur lesquels la France a toujours apporté son soutien.
Enfin, votre visite aujourd'hui en France, c'est à la fois l'aboutissement de ce long et laborieux travail de relation et le début d'une nouvelle histoire. Pour toutes ces raisons, je suis particulièrement heureuse de vous recevoir ici au Palais des affaires étrangères.
Ce soir, j'ai souhaité réunir autour de vous le recteur Albert Lourde qui dirige l'université Senghor d'Alexandrie. La formation des cadres en Afrique est la clé de la réussite pour favoriser le développement. Je sais que l'Université qu'il dirige a formé de nombreux cadres dirigeants de RDC et je le remercie de sa présence ce soir.
J'ai également souhaité la présence des représentants des grandes entreprises françaises dont l'expertise et l'excellence sont reconnues partout dans le monde. Elles sont également ici car elles sont présentes dans votre pays et y investissent déjà ou le seront peut être un jour, je le souhaite. Mesdames et Messieurs, merci de votre présence ce soir.
J'ai également souhaité que les parlementaires français soient également présents ce soir pour, comme je le disais précédemment, travailler à une meilleure coopération entre nos parlements. Merci Monsieur le Député, Monsieur le Sénateur de votre présence.
Je salue également la présence de diplomates qui travaillent à la paix, à la stabilité et au développement de l'Afrique et de votre pays en particulier. Leur présence témoigne le travail quotidien qu'ils mènent souvent dans l'ombre. Merci d'être là également.
Enfin, j'ai souhaité associé à ce dîner des journalistes pour qu'ils puissent témoigner demain de l'action que vous menez, que nous menons au service de la croissance et du développement de votre pays.
Comme je l'ai dit souvent, la langue française s'est débarrassée des oripeaux du colonialisme. La Langue française n'appartient plus à la France. Elle appartient au monde francophone. C'est une langue solidaire et égalitaire. C'est une langue qui se parle à hauteur d'hommes.
La Francophonie, c'est aussi un espace. Et l'espace francophone doit d'abord se définir par rapport aux valeurs que cette langue que nous partageons véhicule. L'espace francophone, c'est aussi une communauté dans laquelle la société civile doit être reconnue dans toutes ses composantes. Nous devons accompagner sa créativité, son dynamisme et ses ambitions.
Je vois l'espace francophone et notamment l'Afrique, comme un espace d'avenir, un espace de solidarité et de croissance. Plus que jamais, nous avons aujourd'hui le devoir, de travailler tous ensemble à son développement.
Pour toutes ces raisons, la République démocratique du Congo et la France ont de belles pages d'histoire à écrire ensemble et je souhaite que notre coopération dans de nombreux domaines puisse se renforcer et s'affirmer davantage.
Monsieur le Premier Ministre, Chers Amis,
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite à toutes et à tous une excellente soirée.
Vive la République démocratique du Congo,
Vive la France,
Vive l'Amitié franco-congolaise.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2012