Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur l'accompagnement des étudiants au cours de leur cursus universitaire, la réforme de loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) de 2007 et la redéfinition de l'organisation nationale et territoriale de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Paris le 26 novembre 2012.

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Circonstance : Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche au Collège de France, à Paris les 26 et 27 novembre 2012

Texte intégral

Je vous en prie mesdames, messieurs, merci. Mesdames, messieurs les ministres, nous sommes dans un lieu prestigieux et le choix qui a été fait pour l’ouverture des assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas un choix au hasard, c’est un choix de confiance et d’ambition. Et monsieur l’administrateur général, Serge Haroche, je voudrais vous remercier de nous accueillir avec toute votre équipe ici. J’en profite aussi pour vous féliciter, pour le prix Nobel que vous avez reçu, prix Nobel de physique 2012, qui est un honneur pour la recherche française, mais qui est un grand honneur pour la France. Merci, vous n’êtes pas seul, il y a d’autres prix Nobel que je salue aussi, mais c’est dire que nous avons voulu en choisissant le Collège de France et en vous remerciant d’avoir accepté de pouvoir y tenir ces assises nationales, nous avons choisi ce qu’il y avait de meilleur pour la France et de plus symbolique aussi. L’ambition mais en même temps une certaine idée de la France, d’être ensemble, de justice et il n’y a pas de compétitivité économique sans compétitivité sociale, sans promotion de certaines valeurs qui sont celles de la République française. Et je crois que plus que jamais, il est nécessaire de les promouvoir, donc merci encore monsieur l’administrateur général Serge Haroche, merci d’être tous là mesdames et messieurs, merci madame la présidente du comité de pilotage, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les recteurs et chanceliers, mesdames et messieurs les présidents et directeurs. Bien sûr toutes les personnes présentes, je salue particulièrement les parlementaires, mais aussi tous ceux qui vont s’engager dans ce chantier.
Parce que j’ai conscience de l’importance du moment que nous vivons, à l’ouverture de ces assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche en effet, ce n’est pas une arrivée, c’est d’abord un point de départ, mais je mesure en même temps la responsabilité très lourde qui est la notre, parce que nous traversons, je dirais une crise, mais plus qu’une crise, une véritable période de mutation et vous, vous représentez la pointe avancée de notre intelligence collective. Vous êtes au cœur de cet appel qui monte du pays tout entier, pour que l’économie de la connaissance ouvre enfin de nouvelles perspectives et nous permette de repartir de l’avant. Nous devons faire de l’élévation, du niveau de formation et des progrès de la recherche un formidable levier de croissance et de développement au service du redressement de notre pays. Tel est à mes yeux l’enjeu principal de ces assises, mais c’est aussi une ambition qui va au-delà de la France, c’est une ambition européenne, depuis que le processus de Bologne, puis la stratégie de Lisbonne en ont fixé le cap. Construire un espace européen de l’enseignement supérieur et faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde. C’est un programme, mais c’est une ambition, le gouvernement y souscrit tout entier. Vous avez proposé madame la ministre, Geneviève Fioraso, d’ordonner ce grand moment de dialogue, de dialogue social avec l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche autour de trois grands thèmes. La réussite de tous les étudiants, monsieur le ministre de l’Education nationale, la réorganisation de la recherche, la révision de la gouvernance des établissements. Cette approche conjugue des exigences qui inspirent l’action du gouvernement. Celle de l’efficacité et celle de la justice. Celle de la simplification de nos formes d’organisation et de nos procédures. Celle de la coopération entre les différents acteurs également. Ces exigences participent du nouveau modèle français que je vous propose de construire, comme je le propose à tous nos concitoyens et aux forces vives de notre pays. Votre réflexion sur l’avenir de notre système d’enseignement supérieur et de recherche, il est sur le point de s’achever. Il est encore trop tôt pour autant d’en tirer les conclusions définitives, c’est un exercice ambitieux, le gouvernement le fera pour sa part sur la base du rapport du comité de pilotage que nous recevrons dans quelques semaines.
Mais dès aujourd'hui je voudrais vous faire part de l’état d’esprit de mon gouvernement, la première de nos préoccupations, c’est la réussite de tous les étudiants. Il faut absolument accorder une priorité à la réussite des étudiants en licence, pour mieux accompagner les étudiants le gouvernement a déjà pris ses responsabilités en décidant de créer 5 000 postes supplémentaires. Ils seront affectés prioritairement au premier cycle universitaire. Mais au-delà de cet effort budgétaire, il est nécessaire de repenser la licence, mais qui est aujourd'hui devenue trop spécialisée. En cohérence avec l’évolution de ce qui se dessine au lycée, la licence doit conduire à une spécialisation progressive et faire l’objet d’un décloisonnement entre les différentes filières, de manière à faciliter le parcours des étudiants. Une attention particulière devra être portée aux élèves les moins préparés à l’enseignement supérieur. Je pense aux diplômés des filières technologiques et professionnelles, ils représentent chaque année la moitié des bacheliers. Il faut donner à ceux qui ont obtenu le bac avec mention le droit réel d’intégrer les filières technologiques supérieures qui correspondent le mieux à leur profil et à leurs aspirations. S’il est nécessaire d’en passer par une mesure législative, le gouvernement le fera. Car si on veut encourager les jeunes, à entrer dans une filière de formation technologique ou professionnelle autrement que par défaut, il est temps de donner un sens concret à nos discours sur l’égale dignité des baccalauréats. C’est ainsi que nous ferons reculer les inégalités sociales, et que nous donnerons un nouveau souffle, un dynamisme à notre économie toute entière. L’importance que j’attache à un meilleur accompagnement des étudiants doit également se traduire par un encouragement massif à l’innovation pédagogique et un investissement accru de tous les personnels concernés, j’attends donc des propositions en ce sens.
Innover, aller de l’avant c’est aussi développer des formes plus efficaces de transmission du savoir en dehors de l’université, vers le monde des entreprises. C’est participer davantage à la formation des compétences dont nous avons tant besoin pour réussir le redressement de notre économie. L’engagement a été pris dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi que j’ai présenté le 6 novembre, d’accroitre fortement les formations en alternance reposant sur un haut niveau de qualification et de développer la formation tout au long de la vie. Cet engagement offre à vos établissements des champs d’investissements nouveaux, je vous invite à vous en emparer sans attendre. La réussite de tous les étudiants passe aussi par une meilleure coopération entre les différents types d’enseignement supérieur. Depuis longtemps notre système repose sur une dualité, une spécificité française, l’opposition entre des formations sélectives et des formations qui ne le sont pas. La démocratisation de l’accès au baccalauréat et à l’enseignement supérieur n’a fait qu’accroitre les effets négatifs de ce système. La sélection tend aujourd'hui à se confondre avec une forme de tri social, que nous ne pouvons plus admettre. S’agissant des titulaires d’un doctorat, trop d’entre eux ont aujourd'hui du mal à valoriser leur parcours, qu’il s’agisse de l’insertion professionnelle en entreprise, ou de l’accès à la fonction publique, j’attends de vos assises, des propositions pour apporter aux jeunes chercheurs qui contribuent aux rayonnements de notre pays le soutien qu’ils méritent. Et puis il y a une question centrale, c’est celle de la formation des maitres, c’est l’un des chantiers majeurs du quinquennat dont le président de la République a plusieurs fois souligné l’importance. La loi d’orientation et de programmation sur l’école en cours de préparation en définira le cadre et le contenu, c’est au ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, qu’il reviendra de fixer des modalités, des concours de recrutement. Mais il s’appuiera sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation qui seront créées au sein même des universités, pour concilier les exigences d’une formation disciplinaire de haut niveau et celles de la professionnalisation.
Je ne saurais concevoir un dispositif de formation des maîtres qui ne repose pas clairement sur ce choix de la professionnalisation et une entrée progressive dans le métier. Et j’attends de ce point de vue un engagement clair et déterminé des universités. Enfin, comment ne pas évoquer la condition de vie étudiante parmi les clefs de la réussite.
Madame Geneviève Fioraso prépare un plan national pour la vie étudiante, il portera sur un effort ambitieux de création de logements sociaux, il traitera de tous les sujets importants pour la vie de nos étudiants, la santé, la culture, le sport, le lien social, le développement de campus, qui soient à la fois de véritables lieux de vie et des pôles de développement durable. Les aides aux étudiants feront l’objet d’une remise à plat de manière concertée afin de gagner en efficacité, mais aussi en justice sociale.
Nos étudiants doivent être mieux préparés à l’ouverture au monde, je pense bien sûr à la maîtrise des langues étrangères ou aux cursus intégrant une formation en dehors de nos frontières, en Europe ou ailleurs. La présence à nos côtés de chercheurs et d’étudiants étrangers ne peut que stimuler l’ouverture internationale de nos établissements d’enseignement supérieur, qui doivent en faire un axe essentiel de leur stratégie.
C’est pour ça que le gouvernement a mis fin aux limites d’accueil des étudiants étrangers, qui était une conception, j’allais dire, frileuse de la France, et c’est aussi pour cela que nous participerons plus activement à la création de l’Europe de la science et de la connaissance.
A nous de conforter l’attractivité internationale de notre pays, d’en accroître l’ouverture sur l’extérieur, car la France a d’immenses atouts, d’immenses atouts à faire valoir parce qu’elle est attendue partout sur ce plan dans le monde. Mesdames, Messieurs, le deuxième thème, c’est celui que nous voulons également privilégier, c’est la réorganisation de la recherche.
J’ai déjà évoqué il y a quelques instants le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, dont vous connaissez l’importance. Même si le débat public s’est focalisé ces dernières semaines sur la question du coût du travail, la recherche constitue également un des axes essentiels de ce pacte.
Nous devons mieux construire la chaîne de l’innovation, qui conduit de la découverte fondamentale à l’application industrielle concrète. J’attends donc de ces assises qu’elles s’emparent du pacte de compétitivité pour en tirer la matière d’un agenda stratégique de la recherche. Cet agenda permettra de fixer des priorités en matière de technologies nouvelles, il contribuera à clarifier le rôle des acteurs de la recherche et il devra davantage valoriser le transfert industriel et le dépôt des brevets.
Nous sortons d’une période marquée par des initiatives nombreuses, mais qui ont accru l’opacité du système en multipliant les structures, les fondations, les établissements de coopération, les instituts, les alliances, les agences. Cette situation a désormais atteint ses limites. Je souhaite qu’un plan de simplification redéfinisse les formes d’organisation les mieux adaptées aux coopérations nouvelles que nous voulons encourager.
Dans le cadre de cette réflexion, les nouveaux dispositifs engendrés par les investissements d’avenir feront l’objet d’une évaluation. Car nous devons aller là aussi vers plus d’efficacité scientifique et plus d’équité territoriale. Je souhaite qu’ils soient examinés avec beaucoup d’attention par la ministre de l’Enseignement supérieur, en liaison avec le commissariat général à l’investissement dirigé par Louis Gallois.
J’attends aussi des assises, des propositions précises quant au rôle et au devenir de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’Enseignement supérieur (AERES), dont personne ne conteste sérieusement l’intérêt, mais dont le fonctionnement doit être amélioré.
Enfin, j’en viens à la révision de la gouvernance des établissements, la mise en œuvre de la loi sur les libertés et les responsabilités des universités, la loi LRU, adoptée en 2007, a suscité des critiques, parfois fortes, il faut savoir les entendre. Il y a d’abord les difficultés notamment financières, qui sont liées à l’autonomie, l’autonomie, voilà un beau mot, si adapté à la culture universitaire, faite de cette indépendance et de cette liberté d’esprit indispensables à la production et à la transmission du savoir.
Pour Wilhelm Von Humboldt, fondateur de l’université de Berlin en 1810, et homme des lumières, l’université était la place la plus haute et la plus libre pour la manifestation de la science, alors, il faut rester fidèle à cette conception ambitieuse et audacieuse. Mais l’autonomie que nous défendons ne saurait être seulement une autonomie de gestion, elle doit être une autonomie de décisions et de choix stratégiques, elle doit être accompagnée financièrement, en fonction des besoins et des caractéristiques propres à chaque établissement.
Les critiques ont également porté sur le manque de collégialité où l’équilibre incertain des pouvoirs à la tête des universités. Le président de la République a pris des engagements pour une gouvernance plus collégiale et plus démocratique. Et ses engagements seront respectés. Nous porterons une grande attention aux propositions concrètes qui émaneront des assises sur ce point.
Mais au-delà de ces aménagements nécessaires de la loi, se pose une question plus importante encore, liée au paysage universitaire tel qu’il se dessine aujourd’hui. Cette question est la suivante : comment concilier le renforcement de pôles d’Enseignement supérieur à forte visibilité reconnue sur le plan international et un maillage territoriale qui garantisse l’égalité d’accès à l’Enseignement supérieur.
Il est temps de tirer les leçons de deux décennies qui viennent de s’écouler. Nous le ferons notamment en nous inspirant des dynamiques locales, dont beaucoup d’entre vous ont été les artisans. En différents points du territoire, vous avez su utiliser les dispositifs existants pour forger une entité nouvelle, adaptée aux réalités locales, je pense aux fusions réussies à Strasbourg, à Aix-Marseille ou encore en Lorraine.
Ailleurs, l’outil reste à inventer, les projets ambitieux de Saclay ou de Toulouse notamment vont nécessiter des concepts et des modes d’organisations nouveaux. Je serais d’ailleurs heureux qu’ils puissent être forgés dans le cadre de ces travaux. Et s’il le faut, là encore, nous aurons recours à des modifications législatives, mais avec un seul objectif : permettre des établissements aux histoires, aux cultures, aux finalités différentes, de travailler ensemble, rassemblés autour d’un projet, d’un même projet fédérateur.
Il faut prendre en compte en effet la diversité des situations, et ne pas craindre de rompre avec une forme d’uniformité organisationnelle, qui n’a que les apparences de l’égalité territoriale, mais pas la réalité. Cela vaut aussi pour la façon dont ces grands pôles d’Enseignement supérieur et de recherche, quelle qu’en soit la forme, peuvent générer des effets d’entraînement sur leur environnement, la notion de "contrat de site" est certainement une réponse adaptée.
Pour vous, les régions sont devenues des partenaires incontournables, sans oublier les grandes métropoles, et il faut prendre en compte le rôle accru que leur donnera la nouvelle étape de la décentralisation dans le pilotage du développement économique local, c’est pourquoi la concertation entre les régions, les grandes métropoles et les établissements situés sur leur territoire doit être enrichie. C’est le rôle des contrats de projets Etat-régions ou encore des schémas prévisionnels de développement.
Mesdames, Messieurs, vous l’avez compris, j’attache avec le gouvernement une grande importance à vos travaux, outre l’intérêt que je porte depuis longtemps au monde de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ma présence est le signe d’une attente forte, qui est celle du président de la République, du gouvernement, à l’égard de vos travaux, de vos conclusions, et du rapport que vous nous transmettrez bientôt.
Je sais qu’en retour, vous attendez beaucoup, dès lors que vos propositions nous permettront d’apporter des réponses efficaces aux grands défis que nous voulons relever, je le répète, le redressement du pays dans la justice, le redressement de notre compétitivité sous toutes ses formes, la capacité à redonner un avenir et une espérance à notre jeunesse ; alors nous serons là, toujours là, présents, pour vous soutenir et porter avec vous cette belle ambition collective.
Lorsque les choses sont claires, lorsqu’elles correspondent à une nécessité, lorsqu’elles ont fait l’objet des concertations nécessaires, alors le gouvernement ne perd pas un instant, il décide et il agit. Et je crois que ce moment est venu pour l’Enseignement supérieur et la recherche. Moi, j’ai confiance. J’ai confiance dans les capacités de notre pays à réussir, à retrouver son rang, sa place, son influence. L’influence de la France, qu’elle soit politique, qu’elle soit culturelle, qu’elle soit scientifique, elle pèse souvent beaucoup plus que son PIB, soyons-en conscients et soyons-en fiers.
Et nous avons un atout formidable, que d’autres pays n’ont pas, et qui sont pourtant des partenaires en Europe et ailleurs, c’est notre jeunesse, une jeunesse nombreuse certes, qui connaît des difficultés, mais qui représente un atout formidable de notre pays. Donc la plus belle marque de confiance, c’est cela, un pays qui n’a pas peur quand il sait se retrouver autour de l’essentiel, eh bien, ces assises de l’Enseignement supérieur et de la recherche, je suis sûr, y contribueront et nous permettront ensemble de réussir pour la jeunesse et pour la France.
Source http://www.gouvernement.fr, le 27 novembre 2012