Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur l'avenir de la zone euro, à Paris le 30 novembre 2012.

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Circonstance : Les entretiens du Trésor sur le thème : "Quel avenir pour la zone euro?", à Paris le 30 novembre 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Merci pour votre présence, et merci à tous les intervenants pour leur participation. Je suis très heureux de conclure cette troisième édition des Entretiens du Trésor, consacrée cette année à l’Europe, qui accueille, de nouveau, de prestigieux contributeurs de tous horizons pour un dialogue de très haut niveau. Cette belle initiative de la DG Trésor confirme aujourd’hui son succès, et son statut de rendez-vous important – j’allais dire incontournable – pour débattre des enjeux économiques mondiaux.
L’avenir de la France est résolument européen. Je donne à cette conviction un sens politique mais aussi économique : le retour de la croissance en France passe nécessairement par la sortie de crise de la zone euro. C’est la raison pour laquelle l’Europe est un pilier fondamental de la stratégie économique que je mets en oeuvre, aux côtés du désendettement et de la reconquête de la compétitivité. Tout l’enjeu est là, dans cette absolue continuité entre notre agenda européen, et notre agenda de croissance.
Je suis à l’avant-poste dans la gestion de cette crise, avec mes homologues européens et le FMI. Et c’est nourri de cette expérience que je veux vous dire aujourd’hui mon diagnostic de la situation en zone euro, et surtout ma vision pour son avenir.
1. Les racines de la crise
La construction d’une monnaie commune est un formidable atout économique et politique. L’euro a été un choix nécessaire au moment de la réunification politique de l’Europe. Il y a une dizaine d’années, lors du changement de monnaie, nous nous étions choisi pour slogan « l’euro fait la force ». Il nous permet de mieux faire entendre notre voix dans le monde, et il nous apporte un symbole tangible de notre identité européenne. Bref, il est une construction dont nous pouvons être fiers. J’y suis pour ma part profondément attaché.
Et c’est justement en raison de cet attachement que j’appelle aujourd’hui à être lucide quant aux carences de la monnaie unique. Non pas pour l’accabler, mais pour mieux l’asseoir encore demain au coeur de nos systèmes économiques.
D’abord, le diagnostic.
Pour comprendre les difficultés que nous connaissons aujourd’hui, il faut remonter aux racines de la crise. Celles-ci sont de trois ordres :
- Tout d’abord, un endettement excessif.
L’euro a été, comme le disait récemment Pascal Lamy, un « facilitateur de bêtises » pour les finances publiques, car il a permis aux pays membres de s’endetter à des conditions particulièrement avantageuses.
Nous aurions du utiliser les conditions formidables offertes par la monnaie unique, et le haut du cycle de croissance de la fin des années 1990, pour assainir nos finances et préparer l’avenir. Nous ne l’avons pas fait. Des dettes insoutenables aux risques occultés ont été accumulées. Ce sont des erreurs que nous devons corriger aujourd’hui, mais dans un contexte intérieur et international bien moins porteur.
- La dette publique n’explique cependant pas tout: les dérèglements financiers ont également joué un rôle clé dans le déclenchement de la crise.
La finance ne fonctionne pas aujourd’hui comme elle le devrait.
Elle a perdu de vue dans les années 2000 sa fonction première – financer l’économie réelle – au profit d’activités spéculatives qu’elle réalise pour son compte propre. Elle a ignoré ou, à tout le moins, mal estimé les risques. Bref, elle a versé dans l’hybris.
Mais le régulateur porte aussi sa part de responsabilité dans ces dérèglements. Le reflux de la régulation, des procédures de résolution bancaire inefficaces, et une supervision trop axée sur le risque individuel, sont eux aussi en cause.
- Enfin, et c’est en réalité là le point essentiel, la crise a mis en lumière l’urgence de compléter la zone euro.
La zone euro est une construction formidable, mais foncièrement inachevée, et que le choix de l’austérité qui a prévalu ces dernières années a déséquilibrée davantage encore.
La crise a révélé trois insuffisances de la zone euro :
- En matière de stabilisation des chocs, tout d’abord : nous n’avons pas, ou peu, d’instruments immédiats pour apaiser les tensions. La crise en a fait la cruelle démonstration.
- En matière de gestion de l’hétérogénéité de la zone euro, ensuite : si certains pays ont été attaqués, c’est aussi parce que les écarts de compétitivité, de croissance, d’endettement au sein de la zone euro ont persisté.
En clair, il ne suffit pas que des pays partagent la même monnaie pour qu’ils soient porteurs de risques identiques.
Dont acte. Il faudra, demain, aller vers plus de convergence de nos économies, et apprendre à mieux gérer une hétérogénéité dont on sait qu’elle restera importante.
- En matière de gouvernance institutionnelle, enfin : qu’il s’agisse de coordonner les politiques économiques ou de décider des voies de la sortie de crise, nous avons atteint les limites du modèle actuel. Atteint, et même dépassé. Je suis frappé de la difficulté avec laquelle nous prenons, aujourd’hui, nos décisions. La situation s’est considérablement dégradée par rapport au souvenir que j’en ai gardé lorsque j’étais Ministre aux Affaires européennes.
En réalité, le fil directeur qui relie l’ensemble de ces dimensions, c’est la solidarité.
Ces dernières années, nous avons construit les disciplines - budgétaires notamment – mais pour elles-mêmes, comme fin et comme moyen, pas pour assurer le bon fonctionnement de mécanismes de solidarité, alors que cela devrait être leur fonction première. C’est cette déconnection qui fait la grande faiblesse de la zone euro aujourd’hui.
Nous avons besoin de plus de solidarité pour aider les pays qui font face à un choc, nous avons besoin de plus de solidarité pour réduire l’hétérogénéité dans la zone euro, et nous avons besoins d’instances et de procédures qui reflètent ce niveau de solidarité accru.
La crise européenne est donc d’abord et avant tout une crise d’intégration. C’est une crise d’un défaut, et non pas d’un excès d’Europe. Et cette crise est politique avant d’être économique. Nos fondamentaux sont sains. Les attaques des marchés contre les dettes souveraines sont politiques avant d’être spéculatives : elles sanctionnent l’immobilisme politique, ou à tout le moins l’inefficacité d’une stratégie crédible et coordonnée de sortie de crise.
Conséquence de ce défaut d’Europe : nous risquons de glisser de la zone euro à la fracture avec ses peuples
L’absence de solidarité hypothèque la sortie de crise. J’en fais l’expérience comme élu d’une circonscription qui a voté non en 2005, qui s’inquiète de sa perte de substance industrielle, et où le Front National remporte plus de votes que la moyenne nationale. Ces ouvriers, ces paysans, ces personnes âgées, ces jeunes insuffisamment formés, ne sont pas hostiles par principe à l’Europe : ils n’en voient pas les bénéfices concrets, pour eux, dans leur vie. L’absence de solidarité a donc, aussi, un lourd coût politique et social. Elle a créé des réflexes identitaires de protection et de proximité, et fissuré l’attachement des peuples à l’Europe.
Cela, si je le constate et le comprends, je ne m’y résous pas.
Il faut nourrir le désir d’Europe. Mais alors que l’urgence sociale se manifeste dans de nombreux pays, et alors que l’angoisse sociale monte, il faut le nourrir avec une démonstration concrète que l’Europe fait partie de la solution.
Et seul un degré suffisant de solidarité, concomitant et au moins équivalent aux disciplines que nous suivons, sera à même de faire cette démonstration.
C’est en réponse au diagnostic que je viens de partager avec vous, et nourri de mon expérience de la gestion de la crise européenne, que je veux maintenant dire quelle vision je porte de l’avenir de l’Europe, au sein du Gouvernement et auprès de nos partenaires.
2. Je propose une approche en trois dimensions.
- Première priorité, répondre à l’urgence.
Nous devons stabiliser la zone euro, c’est le préalable incontournable à toute relance de l’activité en zone euro.
L’urgence nous impose de résoudre la situation des pays soumis à la pression des marchés et de maîtriser le risque bancaire et financier.
- Résoudre la situation des pays soumis à la pression des marchés :
Si les attaques des marchés financiers se concentrent aujourd’hui sur certains pays, c’est bien toute la zone euro qu’elles fragilisent. Il faut agir vite, en portant une vision pragmatique plutôt que moralisatrice de l’économie. L’urgence est d’apaiser les tensions, pas de punir ceux qui sont dans une mauvaise passe.
L’accord de l’Eurogroupe et du FMI, avec la participation de Madame Lagarde, qui nous fait l’honneur d’être présente parmi nous ce matin, le 26 novembre sur la Grèce est un tournant. Pour la Grèce, tout d’abord : il reconnaît les efforts du pays et réduit sa dette à 124 % du PIB en 2020 - cela représente un allègement de 40 milliards d'euros - pour recréer des perspectives de confiance et de croissance de long terme.
Mais cet accord, bien accueilli par les marchés, est aussi un tournant pour la zone euro, où il contribue à rétablir la stabilité et la confiance : le sort de la Grèce ne sera plus un enjeu au quotidien, et nous pouvons à présent nous concentrer sur la stabilisation d’autres pays, à commencer par Chypre, qui a fait une demande de programme macroéconomique l’été dernier.
Nous avons à notre disposition tous les instruments nécessaires pour cela, avec un Mécanisme Européen de Solidarité opérationnel depuis le 8 octobre. Et, le cas échéant, la politique intelligente menée par la BCE, sous l’impulsion de son Président, Mario Draghi, que je salue, avec son nouvel instrument d’intervention sur les marchés obligataires, nous y aidera.
- Maîtriser le risque bancaire et financier
En parallèle, nous devons réformer profondément le secteur financier et briser le cercle vicieux entre crise bancaire et crise souveraine. C’est tout l’enjeu de cette union bancaire que nous mettons en place, autour d’un triptyque protection des dépôts – résolution – supervision intégrée.
Nous sommes sur la bonne voie. Un cadre législatif pour la supervision bancaire intégrée doit être élaboré avant la fin de l’année - avec les six mille établissements bancaires de la zone euro pour champ d’application, conformément aux souhaits de la France - avant qu’elle ne devienne opérationnelle en 2013.
A nous de tenir ce calendrier – je le surveille étroitement, et je souhaite que nous avancions vite – qui ouvre la voie à la recapitalisation directe des banques, espagnoles, par le MES.
Quant à la protection des dépôts des épargnants et à la résolution, ces deux volets sont tellement fondamentaux que nous les anticipons, en France, dans le projet de loi bancaire que je présenterai fin décembre. Mais ils font clairement partie, pour nous, de l’union bancaire intégrée dont la zone euro a besoin.
Plus profondément, nous avons fait le choix de l’Europe, avec une stratégie de désendettement crédible mais juste.
Oui, c’est bien le choix de l’Europe qui nous a conduit à engager une stratégie de désendettement sans précédent, avec un retour à l’équilibre structurel pour 2017. Une stratégie crédible et juste, dont nous définissons nous-mêmes le rythme et les moyens; mais une stratégie qui fait résolument le choix de la zone euro, parce qu’elle prend acte des tensions que lui font subir des niveaux d’endettement disparates et excessifs.
C’est un choix exigeant et courageux, et je ne laisserai personne nous donner des leçons d’engagement européen.
- Enfin, nous devons achever l’Union économique et monétaire.
A chaque étape, sur chaque sujet, la France fait et défend le choix de l’intégration. Qu’il s’agisse du MES, de la supervision bancaire, ou du pacte de croissance adopté au Conseil européen de juin, qui permettra notamment à la BEI de soutenir de nouveaux projets d’investissements (comme des projets d’infrastructures ou d’amélioration de la performance énergétique), la France a joué le jeu de l’Europe avec bonne foi ; mieux : aussi souvent que nécessaire, elle l’a mené.
Mais nous avons fait – j’ai fait – avec la crise l’expérience des limites du modèle actuel. Et c’est parce que j’ai subi ces limites que je veux proposer un projet pour la zone euro.
Il est impératif de compléter la zone euro en allant à la conquête de cette grande friche qu’elle a laissée de côté : la solidarité.
Cette solidarité – cette intégration solidaire, pour reprendre l’expression du Président de la République, François HOLLANDE – doit se déployer dans le champ fiscal, budgétaire, social et, in fine, politique. Elle pourrait passer :
- Par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes, et qui aurait une véritable fonction contra-cyclique. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, comme un socle d’indemnisation chômage en zone euro, par exemple.
- Elle peut aussi passer par l’émission de dette en commun dans la zone euro, éventuellement adossée à cette capacité budgétaire ;
- Enfin, elle doit trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel, nous le mesurons cruellement tous les jours, fonctionne mal. Et nos citoyens ne le comprennent pas, parce qu’il s’éloigne trop des mécanismes de contrôles nationaux.
Je crois nécessaire, en particulier, que le Parlement européen constitue un comité des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de l’Eurogroupe. Les parlements nationaux devraient également être associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro.
Mais il faudra aussi à moyen terme incarner la zone euro dans un « Ministre », qui doit pouvoir, d’une façon ou d’une autre, affronter la sanction du vote des citoyens tout comme les gouvernants nationaux l’affrontent.
Si ces mécanismes de solidarité sont mis en place en zone euro, alors il faudra s’assurer de leur bon fonctionnement par des disciplines plus strictes, par exemple dans le champ budgétaire, suffisantes pour justifier une émission de dette en commun, ou en prenant des engagements plus liants, « contractuels », sur nos politiques économiques.
Je constate la nécessité de compléter la zone euro : c’est le prix de son inachèvement que nous payons aujourd’hui.
Cela n’exclut pas d’être ambitieux pour le reste de l’Europe. Mais cela implique de l’être prioritairement pour ceux qui ont déjà, au travers de l’UEM, fait le choix d’aller plus loin dans le partage de leur destin.
Nous avons une échéance immédiate pour discuter de ces orientations fondamentales : le Conseil Européen du 13/14 décembre, qui débattra de l’avenir de l’Union. Mais d’autres se profilent, en particulier celle des élections européennes de 2014.
Nous avons donc un peu plus d’un an pour définir le projet européen que les partis pourront soumettre aux citoyens. Leur vote offrira la base démocratique et la légitimité nécessaires aux inflexions que nous pouvons apporter à notre union.
Je souhaite aussi que ce grand débat européen soit l’occasion de rappeler nos interdépendances. Montesquieu le disait déjà il y a trois siècles : « La France et l’Angleterre ont besoin de l’opulence de la Pologne et de la Moscovie, comme une de leurs provinces a besoin des autres. Et l’Etat qui veut augmenter sa puissance, par la ruine de celui qui le touche, s’affaiblit ordinairement avec lui. »
L’Europe est aujourd’hui l’objet de toutes les démagogies. C’est en rappelant inlassablement à nos citoyens que nous partageons un destin commun, que nous surmonterons nos difficultés.
C’est une conviction politique profonde que j’ai toujours portée. Quand on est le fils français d’un père exilé de Roumanie et d’une mère d’origine polonaise, on grandit nécessairement avec la conscience des peuples et des frontières. Mais aussi avec la conviction qu’il y a du beau et du bon dans l’ouverture au monde et la diversité. Et quand on a la chance de devenir le ministre de l’Economie et des Finances d’un grand pays comme la France, on a à coeur de traduire en actes cette conscience, cette conviction.
Notre appartenance à l’Europe est une chance. Elle est aussi la manifestation d’une grande foi dans l’homme, et dans sa capacité à aller avec ses semblables vers le progrès, que ce progrès s’appelle paix, prospérité économique ou vivre ensemble. C’est une richesse. C’est un trésor. Cette vision-là, même et surtout dans les périodes troubles, il ne faut jamais l’oublier, et jamais l’abandonner.
Je vous remercie.
source http://www.economie.gouv.fr; le 6 décembre 2012