Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Merci pour votre présence, et merci à tous les intervenants pour leur participation. Je suis très heureux de conclure cette troisième édition des Entretiens du Trésor, consacrée cette année à lEurope, qui accueille, de nouveau, de prestigieux contributeurs de tous horizons pour un dialogue de très haut niveau. Cette belle initiative de la DG Trésor confirme aujourdhui son succès, et son statut de rendez-vous important jallais dire incontournable pour débattre des enjeux économiques mondiaux.
Lavenir de la France est résolument européen. Je donne à cette conviction un sens politique mais aussi économique : le retour de la croissance en France passe nécessairement par la sortie de crise de la zone euro. Cest la raison pour laquelle lEurope est un pilier fondamental de la stratégie économique que je mets en oeuvre, aux côtés du désendettement et de la reconquête de la compétitivité. Tout lenjeu est là, dans cette absolue continuité entre notre agenda européen, et notre agenda de croissance.
Je suis à lavant-poste dans la gestion de cette crise, avec mes homologues européens et le FMI. Et cest nourri de cette expérience que je veux vous dire aujourdhui mon diagnostic de la situation en zone euro, et surtout ma vision pour son avenir.
1. Les racines de la crise
La construction dune monnaie commune est un formidable atout économique et politique. Leuro a été un choix nécessaire au moment de la réunification politique de lEurope. Il y a une dizaine dannées, lors du changement de monnaie, nous nous étions choisi pour slogan « leuro fait la force ». Il nous permet de mieux faire entendre notre voix dans le monde, et il nous apporte un symbole tangible de notre identité européenne. Bref, il est une construction dont nous pouvons être fiers. Jy suis pour ma part profondément attaché.
Et cest justement en raison de cet attachement que jappelle aujourdhui à être lucide quant aux carences de la monnaie unique. Non pas pour laccabler, mais pour mieux lasseoir encore demain au coeur de nos systèmes économiques.
Dabord, le diagnostic.
Pour comprendre les difficultés que nous connaissons aujourdhui, il faut remonter aux racines de la crise. Celles-ci sont de trois ordres :
- Tout dabord, un endettement excessif.
Leuro a été, comme le disait récemment Pascal Lamy, un « facilitateur de bêtises » pour les finances publiques, car il a permis aux pays membres de sendetter à des conditions particulièrement avantageuses.
Nous aurions du utiliser les conditions formidables offertes par la monnaie unique, et le haut du cycle de croissance de la fin des années 1990, pour assainir nos finances et préparer lavenir. Nous ne lavons pas fait. Des dettes insoutenables aux risques occultés ont été accumulées. Ce sont des erreurs que nous devons corriger aujourdhui, mais dans un contexte intérieur et international bien moins porteur.
- La dette publique nexplique cependant pas tout: les dérèglements financiers ont également joué un rôle clé dans le déclenchement de la crise.
La finance ne fonctionne pas aujourdhui comme elle le devrait.
Elle a perdu de vue dans les années 2000 sa fonction première financer léconomie réelle au profit dactivités spéculatives quelle réalise pour son compte propre. Elle a ignoré ou, à tout le moins, mal estimé les risques. Bref, elle a versé dans lhybris.
Mais le régulateur porte aussi sa part de responsabilité dans ces dérèglements. Le reflux de la régulation, des procédures de résolution bancaire inefficaces, et une supervision trop axée sur le risque individuel, sont eux aussi en cause.
- Enfin, et cest en réalité là le point essentiel, la crise a mis en lumière lurgence de compléter la zone euro.
La zone euro est une construction formidable, mais foncièrement inachevée, et que le choix de laustérité qui a prévalu ces dernières années a déséquilibrée davantage encore.
La crise a révélé trois insuffisances de la zone euro :
- En matière de stabilisation des chocs, tout dabord : nous navons pas, ou peu, dinstruments immédiats pour apaiser les tensions. La crise en a fait la cruelle démonstration.
- En matière de gestion de lhétérogénéité de la zone euro, ensuite : si certains pays ont été attaqués, cest aussi parce que les écarts de compétitivité, de croissance, dendettement au sein de la zone euro ont persisté.
En clair, il ne suffit pas que des pays partagent la même monnaie pour quils soient porteurs de risques identiques.
Dont acte. Il faudra, demain, aller vers plus de convergence de nos économies, et apprendre à mieux gérer une hétérogénéité dont on sait quelle restera importante.
- En matière de gouvernance institutionnelle, enfin : quil sagisse de coordonner les politiques économiques ou de décider des voies de la sortie de crise, nous avons atteint les limites du modèle actuel. Atteint, et même dépassé. Je suis frappé de la difficulté avec laquelle nous prenons, aujourdhui, nos décisions. La situation sest considérablement dégradée par rapport au souvenir que jen ai gardé lorsque jétais Ministre aux Affaires européennes.
En réalité, le fil directeur qui relie lensemble de ces dimensions, cest la solidarité.
Ces dernières années, nous avons construit les disciplines - budgétaires notamment mais pour elles-mêmes, comme fin et comme moyen, pas pour assurer le bon fonctionnement de mécanismes de solidarité, alors que cela devrait être leur fonction première. Cest cette déconnection qui fait la grande faiblesse de la zone euro aujourdhui.
Nous avons besoin de plus de solidarité pour aider les pays qui font face à un choc, nous avons besoin de plus de solidarité pour réduire lhétérogénéité dans la zone euro, et nous avons besoins dinstances et de procédures qui reflètent ce niveau de solidarité accru.
La crise européenne est donc dabord et avant tout une crise dintégration. Cest une crise dun défaut, et non pas dun excès dEurope. Et cette crise est politique avant dêtre économique. Nos fondamentaux sont sains. Les attaques des marchés contre les dettes souveraines sont politiques avant dêtre spéculatives : elles sanctionnent limmobilisme politique, ou à tout le moins linefficacité dune stratégie crédible et coordonnée de sortie de crise.
Conséquence de ce défaut dEurope : nous risquons de glisser de la zone euro à la fracture avec ses peuples
Labsence de solidarité hypothèque la sortie de crise. Jen fais lexpérience comme élu dune circonscription qui a voté non en 2005, qui sinquiète de sa perte de substance industrielle, et où le Front National remporte plus de votes que la moyenne nationale. Ces ouvriers, ces paysans, ces personnes âgées, ces jeunes insuffisamment formés, ne sont pas hostiles par principe à lEurope : ils nen voient pas les bénéfices concrets, pour eux, dans leur vie. Labsence de solidarité a donc, aussi, un lourd coût politique et social. Elle a créé des réflexes identitaires de protection et de proximité, et fissuré lattachement des peuples à lEurope.
Cela, si je le constate et le comprends, je ne my résous pas.
Il faut nourrir le désir dEurope. Mais alors que lurgence sociale se manifeste dans de nombreux pays, et alors que langoisse sociale monte, il faut le nourrir avec une démonstration concrète que lEurope fait partie de la solution.
Et seul un degré suffisant de solidarité, concomitant et au moins équivalent aux disciplines que nous suivons, sera à même de faire cette démonstration.
Cest en réponse au diagnostic que je viens de partager avec vous, et nourri de mon expérience de la gestion de la crise européenne, que je veux maintenant dire quelle vision je porte de lavenir de lEurope, au sein du Gouvernement et auprès de nos partenaires.
2. Je propose une approche en trois dimensions.
- Première priorité, répondre à lurgence.
Nous devons stabiliser la zone euro, cest le préalable incontournable à toute relance de lactivité en zone euro.
Lurgence nous impose de résoudre la situation des pays soumis à la pression des marchés et de maîtriser le risque bancaire et financier.
- Résoudre la situation des pays soumis à la pression des marchés :
Si les attaques des marchés financiers se concentrent aujourdhui sur certains pays, cest bien toute la zone euro quelles fragilisent. Il faut agir vite, en portant une vision pragmatique plutôt que moralisatrice de léconomie. Lurgence est dapaiser les tensions, pas de punir ceux qui sont dans une mauvaise passe.
Laccord de lEurogroupe et du FMI, avec la participation de Madame Lagarde, qui nous fait lhonneur dêtre présente parmi nous ce matin, le 26 novembre sur la Grèce est un tournant. Pour la Grèce, tout dabord : il reconnaît les efforts du pays et réduit sa dette à 124 % du PIB en 2020 - cela représente un allègement de 40 milliards d'euros - pour recréer des perspectives de confiance et de croissance de long terme.
Mais cet accord, bien accueilli par les marchés, est aussi un tournant pour la zone euro, où il contribue à rétablir la stabilité et la confiance : le sort de la Grèce ne sera plus un enjeu au quotidien, et nous pouvons à présent nous concentrer sur la stabilisation dautres pays, à commencer par Chypre, qui a fait une demande de programme macroéconomique lété dernier.
Nous avons à notre disposition tous les instruments nécessaires pour cela, avec un Mécanisme Européen de Solidarité opérationnel depuis le 8 octobre. Et, le cas échéant, la politique intelligente menée par la BCE, sous limpulsion de son Président, Mario Draghi, que je salue, avec son nouvel instrument dintervention sur les marchés obligataires, nous y aidera.
- Maîtriser le risque bancaire et financier
En parallèle, nous devons réformer profondément le secteur financier et briser le cercle vicieux entre crise bancaire et crise souveraine. Cest tout lenjeu de cette union bancaire que nous mettons en place, autour dun triptyque protection des dépôts résolution supervision intégrée.
Nous sommes sur la bonne voie. Un cadre législatif pour la supervision bancaire intégrée doit être élaboré avant la fin de lannée - avec les six mille établissements bancaires de la zone euro pour champ dapplication, conformément aux souhaits de la France - avant quelle ne devienne opérationnelle en 2013.
A nous de tenir ce calendrier je le surveille étroitement, et je souhaite que nous avancions vite qui ouvre la voie à la recapitalisation directe des banques, espagnoles, par le MES.
Quant à la protection des dépôts des épargnants et à la résolution, ces deux volets sont tellement fondamentaux que nous les anticipons, en France, dans le projet de loi bancaire que je présenterai fin décembre. Mais ils font clairement partie, pour nous, de lunion bancaire intégrée dont la zone euro a besoin.
Plus profondément, nous avons fait le choix de lEurope, avec une stratégie de désendettement crédible mais juste.
Oui, cest bien le choix de lEurope qui nous a conduit à engager une stratégie de désendettement sans précédent, avec un retour à léquilibre structurel pour 2017. Une stratégie crédible et juste, dont nous définissons nous-mêmes le rythme et les moyens; mais une stratégie qui fait résolument le choix de la zone euro, parce quelle prend acte des tensions que lui font subir des niveaux dendettement disparates et excessifs.
Cest un choix exigeant et courageux, et je ne laisserai personne nous donner des leçons dengagement européen.
- Enfin, nous devons achever lUnion économique et monétaire.
A chaque étape, sur chaque sujet, la France fait et défend le choix de lintégration. Quil sagisse du MES, de la supervision bancaire, ou du pacte de croissance adopté au Conseil européen de juin, qui permettra notamment à la BEI de soutenir de nouveaux projets dinvestissements (comme des projets dinfrastructures ou damélioration de la performance énergétique), la France a joué le jeu de lEurope avec bonne foi ; mieux : aussi souvent que nécessaire, elle la mené.
Mais nous avons fait jai fait avec la crise lexpérience des limites du modèle actuel. Et cest parce que jai subi ces limites que je veux proposer un projet pour la zone euro.
Il est impératif de compléter la zone euro en allant à la conquête de cette grande friche quelle a laissée de côté : la solidarité.
Cette solidarité cette intégration solidaire, pour reprendre lexpression du Président de la République, François HOLLANDE doit se déployer dans le champ fiscal, budgétaire, social et, in fine, politique. Elle pourrait passer :
- Par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes, et qui aurait une véritable fonction contra-cyclique. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, comme un socle dindemnisation chômage en zone euro, par exemple.
- Elle peut aussi passer par lémission de dette en commun dans la zone euro, éventuellement adossée à cette capacité budgétaire ;
- Enfin, elle doit trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel, nous le mesurons cruellement tous les jours, fonctionne mal. Et nos citoyens ne le comprennent pas, parce quil séloigne trop des mécanismes de contrôles nationaux.
Je crois nécessaire, en particulier, que le Parlement européen constitue un comité des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de lEurogroupe. Les parlements nationaux devraient également être associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro.
Mais il faudra aussi à moyen terme incarner la zone euro dans un « Ministre », qui doit pouvoir, dune façon ou dune autre, affronter la sanction du vote des citoyens tout comme les gouvernants nationaux laffrontent.
Si ces mécanismes de solidarité sont mis en place en zone euro, alors il faudra sassurer de leur bon fonctionnement par des disciplines plus strictes, par exemple dans le champ budgétaire, suffisantes pour justifier une émission de dette en commun, ou en prenant des engagements plus liants, « contractuels », sur nos politiques économiques.
Je constate la nécessité de compléter la zone euro : cest le prix de son inachèvement que nous payons aujourdhui.
Cela nexclut pas dêtre ambitieux pour le reste de lEurope. Mais cela implique de lêtre prioritairement pour ceux qui ont déjà, au travers de lUEM, fait le choix daller plus loin dans le partage de leur destin.
Nous avons une échéance immédiate pour discuter de ces orientations fondamentales : le Conseil Européen du 13/14 décembre, qui débattra de lavenir de lUnion. Mais dautres se profilent, en particulier celle des élections européennes de 2014.
Nous avons donc un peu plus dun an pour définir le projet européen que les partis pourront soumettre aux citoyens. Leur vote offrira la base démocratique et la légitimité nécessaires aux inflexions que nous pouvons apporter à notre union.
Je souhaite aussi que ce grand débat européen soit loccasion de rappeler nos interdépendances. Montesquieu le disait déjà il y a trois siècles : « La France et lAngleterre ont besoin de lopulence de la Pologne et de la Moscovie, comme une de leurs provinces a besoin des autres. Et lEtat qui veut augmenter sa puissance, par la ruine de celui qui le touche, saffaiblit ordinairement avec lui. »
LEurope est aujourdhui lobjet de toutes les démagogies. Cest en rappelant inlassablement à nos citoyens que nous partageons un destin commun, que nous surmonterons nos difficultés.
Cest une conviction politique profonde que jai toujours portée. Quand on est le fils français dun père exilé de Roumanie et dune mère dorigine polonaise, on grandit nécessairement avec la conscience des peuples et des frontières. Mais aussi avec la conviction quil y a du beau et du bon dans louverture au monde et la diversité. Et quand on a la chance de devenir le ministre de lEconomie et des Finances dun grand pays comme la France, on a à coeur de traduire en actes cette conscience, cette conviction.
Notre appartenance à lEurope est une chance. Elle est aussi la manifestation dune grande foi dans lhomme, et dans sa capacité à aller avec ses semblables vers le progrès, que ce progrès sappelle paix, prospérité économique ou vivre ensemble. Cest une richesse. Cest un trésor. Cette vision-là, même et surtout dans les périodes troubles, il ne faut jamais loublier, et jamais labandonner.
Je vous remercie.
source http://www.economie.gouv.fr; le 6 décembre 2012
Merci pour votre présence, et merci à tous les intervenants pour leur participation. Je suis très heureux de conclure cette troisième édition des Entretiens du Trésor, consacrée cette année à lEurope, qui accueille, de nouveau, de prestigieux contributeurs de tous horizons pour un dialogue de très haut niveau. Cette belle initiative de la DG Trésor confirme aujourdhui son succès, et son statut de rendez-vous important jallais dire incontournable pour débattre des enjeux économiques mondiaux.
Lavenir de la France est résolument européen. Je donne à cette conviction un sens politique mais aussi économique : le retour de la croissance en France passe nécessairement par la sortie de crise de la zone euro. Cest la raison pour laquelle lEurope est un pilier fondamental de la stratégie économique que je mets en oeuvre, aux côtés du désendettement et de la reconquête de la compétitivité. Tout lenjeu est là, dans cette absolue continuité entre notre agenda européen, et notre agenda de croissance.
Je suis à lavant-poste dans la gestion de cette crise, avec mes homologues européens et le FMI. Et cest nourri de cette expérience que je veux vous dire aujourdhui mon diagnostic de la situation en zone euro, et surtout ma vision pour son avenir.
1. Les racines de la crise
La construction dune monnaie commune est un formidable atout économique et politique. Leuro a été un choix nécessaire au moment de la réunification politique de lEurope. Il y a une dizaine dannées, lors du changement de monnaie, nous nous étions choisi pour slogan « leuro fait la force ». Il nous permet de mieux faire entendre notre voix dans le monde, et il nous apporte un symbole tangible de notre identité européenne. Bref, il est une construction dont nous pouvons être fiers. Jy suis pour ma part profondément attaché.
Et cest justement en raison de cet attachement que jappelle aujourdhui à être lucide quant aux carences de la monnaie unique. Non pas pour laccabler, mais pour mieux lasseoir encore demain au coeur de nos systèmes économiques.
Dabord, le diagnostic.
Pour comprendre les difficultés que nous connaissons aujourdhui, il faut remonter aux racines de la crise. Celles-ci sont de trois ordres :
- Tout dabord, un endettement excessif.
Leuro a été, comme le disait récemment Pascal Lamy, un « facilitateur de bêtises » pour les finances publiques, car il a permis aux pays membres de sendetter à des conditions particulièrement avantageuses.
Nous aurions du utiliser les conditions formidables offertes par la monnaie unique, et le haut du cycle de croissance de la fin des années 1990, pour assainir nos finances et préparer lavenir. Nous ne lavons pas fait. Des dettes insoutenables aux risques occultés ont été accumulées. Ce sont des erreurs que nous devons corriger aujourdhui, mais dans un contexte intérieur et international bien moins porteur.
- La dette publique nexplique cependant pas tout: les dérèglements financiers ont également joué un rôle clé dans le déclenchement de la crise.
La finance ne fonctionne pas aujourdhui comme elle le devrait.
Elle a perdu de vue dans les années 2000 sa fonction première financer léconomie réelle au profit dactivités spéculatives quelle réalise pour son compte propre. Elle a ignoré ou, à tout le moins, mal estimé les risques. Bref, elle a versé dans lhybris.
Mais le régulateur porte aussi sa part de responsabilité dans ces dérèglements. Le reflux de la régulation, des procédures de résolution bancaire inefficaces, et une supervision trop axée sur le risque individuel, sont eux aussi en cause.
- Enfin, et cest en réalité là le point essentiel, la crise a mis en lumière lurgence de compléter la zone euro.
La zone euro est une construction formidable, mais foncièrement inachevée, et que le choix de laustérité qui a prévalu ces dernières années a déséquilibrée davantage encore.
La crise a révélé trois insuffisances de la zone euro :
- En matière de stabilisation des chocs, tout dabord : nous navons pas, ou peu, dinstruments immédiats pour apaiser les tensions. La crise en a fait la cruelle démonstration.
- En matière de gestion de lhétérogénéité de la zone euro, ensuite : si certains pays ont été attaqués, cest aussi parce que les écarts de compétitivité, de croissance, dendettement au sein de la zone euro ont persisté.
En clair, il ne suffit pas que des pays partagent la même monnaie pour quils soient porteurs de risques identiques.
Dont acte. Il faudra, demain, aller vers plus de convergence de nos économies, et apprendre à mieux gérer une hétérogénéité dont on sait quelle restera importante.
- En matière de gouvernance institutionnelle, enfin : quil sagisse de coordonner les politiques économiques ou de décider des voies de la sortie de crise, nous avons atteint les limites du modèle actuel. Atteint, et même dépassé. Je suis frappé de la difficulté avec laquelle nous prenons, aujourdhui, nos décisions. La situation sest considérablement dégradée par rapport au souvenir que jen ai gardé lorsque jétais Ministre aux Affaires européennes.
En réalité, le fil directeur qui relie lensemble de ces dimensions, cest la solidarité.
Ces dernières années, nous avons construit les disciplines - budgétaires notamment mais pour elles-mêmes, comme fin et comme moyen, pas pour assurer le bon fonctionnement de mécanismes de solidarité, alors que cela devrait être leur fonction première. Cest cette déconnection qui fait la grande faiblesse de la zone euro aujourdhui.
Nous avons besoin de plus de solidarité pour aider les pays qui font face à un choc, nous avons besoin de plus de solidarité pour réduire lhétérogénéité dans la zone euro, et nous avons besoins dinstances et de procédures qui reflètent ce niveau de solidarité accru.
La crise européenne est donc dabord et avant tout une crise dintégration. Cest une crise dun défaut, et non pas dun excès dEurope. Et cette crise est politique avant dêtre économique. Nos fondamentaux sont sains. Les attaques des marchés contre les dettes souveraines sont politiques avant dêtre spéculatives : elles sanctionnent limmobilisme politique, ou à tout le moins linefficacité dune stratégie crédible et coordonnée de sortie de crise.
Conséquence de ce défaut dEurope : nous risquons de glisser de la zone euro à la fracture avec ses peuples
Labsence de solidarité hypothèque la sortie de crise. Jen fais lexpérience comme élu dune circonscription qui a voté non en 2005, qui sinquiète de sa perte de substance industrielle, et où le Front National remporte plus de votes que la moyenne nationale. Ces ouvriers, ces paysans, ces personnes âgées, ces jeunes insuffisamment formés, ne sont pas hostiles par principe à lEurope : ils nen voient pas les bénéfices concrets, pour eux, dans leur vie. Labsence de solidarité a donc, aussi, un lourd coût politique et social. Elle a créé des réflexes identitaires de protection et de proximité, et fissuré lattachement des peuples à lEurope.
Cela, si je le constate et le comprends, je ne my résous pas.
Il faut nourrir le désir dEurope. Mais alors que lurgence sociale se manifeste dans de nombreux pays, et alors que langoisse sociale monte, il faut le nourrir avec une démonstration concrète que lEurope fait partie de la solution.
Et seul un degré suffisant de solidarité, concomitant et au moins équivalent aux disciplines que nous suivons, sera à même de faire cette démonstration.
Cest en réponse au diagnostic que je viens de partager avec vous, et nourri de mon expérience de la gestion de la crise européenne, que je veux maintenant dire quelle vision je porte de lavenir de lEurope, au sein du Gouvernement et auprès de nos partenaires.
2. Je propose une approche en trois dimensions.
- Première priorité, répondre à lurgence.
Nous devons stabiliser la zone euro, cest le préalable incontournable à toute relance de lactivité en zone euro.
Lurgence nous impose de résoudre la situation des pays soumis à la pression des marchés et de maîtriser le risque bancaire et financier.
- Résoudre la situation des pays soumis à la pression des marchés :
Si les attaques des marchés financiers se concentrent aujourdhui sur certains pays, cest bien toute la zone euro quelles fragilisent. Il faut agir vite, en portant une vision pragmatique plutôt que moralisatrice de léconomie. Lurgence est dapaiser les tensions, pas de punir ceux qui sont dans une mauvaise passe.
Laccord de lEurogroupe et du FMI, avec la participation de Madame Lagarde, qui nous fait lhonneur dêtre présente parmi nous ce matin, le 26 novembre sur la Grèce est un tournant. Pour la Grèce, tout dabord : il reconnaît les efforts du pays et réduit sa dette à 124 % du PIB en 2020 - cela représente un allègement de 40 milliards d'euros - pour recréer des perspectives de confiance et de croissance de long terme.
Mais cet accord, bien accueilli par les marchés, est aussi un tournant pour la zone euro, où il contribue à rétablir la stabilité et la confiance : le sort de la Grèce ne sera plus un enjeu au quotidien, et nous pouvons à présent nous concentrer sur la stabilisation dautres pays, à commencer par Chypre, qui a fait une demande de programme macroéconomique lété dernier.
Nous avons à notre disposition tous les instruments nécessaires pour cela, avec un Mécanisme Européen de Solidarité opérationnel depuis le 8 octobre. Et, le cas échéant, la politique intelligente menée par la BCE, sous limpulsion de son Président, Mario Draghi, que je salue, avec son nouvel instrument dintervention sur les marchés obligataires, nous y aidera.
- Maîtriser le risque bancaire et financier
En parallèle, nous devons réformer profondément le secteur financier et briser le cercle vicieux entre crise bancaire et crise souveraine. Cest tout lenjeu de cette union bancaire que nous mettons en place, autour dun triptyque protection des dépôts résolution supervision intégrée.
Nous sommes sur la bonne voie. Un cadre législatif pour la supervision bancaire intégrée doit être élaboré avant la fin de lannée - avec les six mille établissements bancaires de la zone euro pour champ dapplication, conformément aux souhaits de la France - avant quelle ne devienne opérationnelle en 2013.
A nous de tenir ce calendrier je le surveille étroitement, et je souhaite que nous avancions vite qui ouvre la voie à la recapitalisation directe des banques, espagnoles, par le MES.
Quant à la protection des dépôts des épargnants et à la résolution, ces deux volets sont tellement fondamentaux que nous les anticipons, en France, dans le projet de loi bancaire que je présenterai fin décembre. Mais ils font clairement partie, pour nous, de lunion bancaire intégrée dont la zone euro a besoin.
Plus profondément, nous avons fait le choix de lEurope, avec une stratégie de désendettement crédible mais juste.
Oui, cest bien le choix de lEurope qui nous a conduit à engager une stratégie de désendettement sans précédent, avec un retour à léquilibre structurel pour 2017. Une stratégie crédible et juste, dont nous définissons nous-mêmes le rythme et les moyens; mais une stratégie qui fait résolument le choix de la zone euro, parce quelle prend acte des tensions que lui font subir des niveaux dendettement disparates et excessifs.
Cest un choix exigeant et courageux, et je ne laisserai personne nous donner des leçons dengagement européen.
- Enfin, nous devons achever lUnion économique et monétaire.
A chaque étape, sur chaque sujet, la France fait et défend le choix de lintégration. Quil sagisse du MES, de la supervision bancaire, ou du pacte de croissance adopté au Conseil européen de juin, qui permettra notamment à la BEI de soutenir de nouveaux projets dinvestissements (comme des projets dinfrastructures ou damélioration de la performance énergétique), la France a joué le jeu de lEurope avec bonne foi ; mieux : aussi souvent que nécessaire, elle la mené.
Mais nous avons fait jai fait avec la crise lexpérience des limites du modèle actuel. Et cest parce que jai subi ces limites que je veux proposer un projet pour la zone euro.
Il est impératif de compléter la zone euro en allant à la conquête de cette grande friche quelle a laissée de côté : la solidarité.
Cette solidarité cette intégration solidaire, pour reprendre lexpression du Président de la République, François HOLLANDE doit se déployer dans le champ fiscal, budgétaire, social et, in fine, politique. Elle pourrait passer :
- Par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes, et qui aurait une véritable fonction contra-cyclique. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, comme un socle dindemnisation chômage en zone euro, par exemple.
- Elle peut aussi passer par lémission de dette en commun dans la zone euro, éventuellement adossée à cette capacité budgétaire ;
- Enfin, elle doit trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel, nous le mesurons cruellement tous les jours, fonctionne mal. Et nos citoyens ne le comprennent pas, parce quil séloigne trop des mécanismes de contrôles nationaux.
Je crois nécessaire, en particulier, que le Parlement européen constitue un comité des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de lEurogroupe. Les parlements nationaux devraient également être associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro.
Mais il faudra aussi à moyen terme incarner la zone euro dans un « Ministre », qui doit pouvoir, dune façon ou dune autre, affronter la sanction du vote des citoyens tout comme les gouvernants nationaux laffrontent.
Si ces mécanismes de solidarité sont mis en place en zone euro, alors il faudra sassurer de leur bon fonctionnement par des disciplines plus strictes, par exemple dans le champ budgétaire, suffisantes pour justifier une émission de dette en commun, ou en prenant des engagements plus liants, « contractuels », sur nos politiques économiques.
Je constate la nécessité de compléter la zone euro : cest le prix de son inachèvement que nous payons aujourdhui.
Cela nexclut pas dêtre ambitieux pour le reste de lEurope. Mais cela implique de lêtre prioritairement pour ceux qui ont déjà, au travers de lUEM, fait le choix daller plus loin dans le partage de leur destin.
Nous avons une échéance immédiate pour discuter de ces orientations fondamentales : le Conseil Européen du 13/14 décembre, qui débattra de lavenir de lUnion. Mais dautres se profilent, en particulier celle des élections européennes de 2014.
Nous avons donc un peu plus dun an pour définir le projet européen que les partis pourront soumettre aux citoyens. Leur vote offrira la base démocratique et la légitimité nécessaires aux inflexions que nous pouvons apporter à notre union.
Je souhaite aussi que ce grand débat européen soit loccasion de rappeler nos interdépendances. Montesquieu le disait déjà il y a trois siècles : « La France et lAngleterre ont besoin de lopulence de la Pologne et de la Moscovie, comme une de leurs provinces a besoin des autres. Et lEtat qui veut augmenter sa puissance, par la ruine de celui qui le touche, saffaiblit ordinairement avec lui. »
LEurope est aujourdhui lobjet de toutes les démagogies. Cest en rappelant inlassablement à nos citoyens que nous partageons un destin commun, que nous surmonterons nos difficultés.
Cest une conviction politique profonde que jai toujours portée. Quand on est le fils français dun père exilé de Roumanie et dune mère dorigine polonaise, on grandit nécessairement avec la conscience des peuples et des frontières. Mais aussi avec la conviction quil y a du beau et du bon dans louverture au monde et la diversité. Et quand on a la chance de devenir le ministre de lEconomie et des Finances dun grand pays comme la France, on a à coeur de traduire en actes cette conscience, cette conviction.
Notre appartenance à lEurope est une chance. Elle est aussi la manifestation dune grande foi dans lhomme, et dans sa capacité à aller avec ses semblables vers le progrès, que ce progrès sappelle paix, prospérité économique ou vivre ensemble. Cest une richesse. Cest un trésor. Cette vision-là, même et surtout dans les périodes troubles, il ne faut jamais loublier, et jamais labandonner.
Je vous remercie.
source http://www.economie.gouv.fr; le 6 décembre 2012