Déclaration de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la politique de l'enseignement supérieur à l'échelle de la région, Rennes le 12 octobre 2012.

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C’est avec grand plaisir que je viens ouvrir votre séance de travail consacrée au schéma régional de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur ce site des Champs Libres.
Les Champs libres : on aurait pu trouver des nominations plus adaptées pour les travaux qui nous rassemblent aujourd’hui.
Je ne peux que me féliciter de cette entreprise de prospective, qui associe des élus, des représentants de la communauté universitaire, des scientifiques, et des représentants du monde socioéconomique. C’est un exercice parfaitement complémentaire de celui des Assises, que j’ai voulu engager et qui témoigne que l’Enseignement supérieur et la Recherche sont l’affaire de tous.
Je sais que c’est dans cet esprit que vous travaillez en Bretagne. Votre région, dont les élus sont souvent issus de l’université, a pris conscience, très tôt, de la nécessité d’établir des relations plus fluides entre les mondes économique et académique. La création d’une technopole, dès les années 1980, en témoigne.
Il y a quelques mois, à Marseille, au colloque annuel de la Conférence des Présidents d’Université, mon prédécesseur, Laurent Wauquiez disait en substance aux présidents d’universités qu’il fallait se méfier des régions et des collectivités locales en général : Les universités ne devaient pas passer de la tutelle de l’Etat au joug des régions.
C’est un tout autre discours que je tiendrai, celui de la confiance vis-à-vis des régions et des collectivités territoriales. C’est sur ce principe fondamental que le Président de la République a souhaité fonder le projet de loi en faveur d’un nouvel acte de la décentralisation.
Je sais, en tant qu’élue de terrain, combien l’action des collectivités territoriales et notamment des régions, des métropoles a été bénéfique pour l’Enseignement supérieur et la Recherche. Elles ont tout à la fois favorisé la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur et la structuration de la recherche ; autour de pôles forts et lisibles, au plan européen et international.
Je sais aussi qu’elles ont souvent joué un rôle de médiateur, entre le monde académique et le monde économique, en matière de transfert de technologie et d’aide à l’innovation.
Et, puisque nous sommes en Bretagne, je sais enfin l’effort constant que cette région a accompli en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui la place parmi les premières régions françaises.
Cette montée en puissance des collectivités en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est faite dans le respect de l’autonomie des établissements.
Les collectivités ont d’abord mené une politique de soutien individualisé à des équipes, puis elles ont travaillé en faveur d’une politique plus collective, qui associe les établissements eux-mêmes. Je serais plutôt incitée à déplorer que les initiatives les plus intéressantes et les plus originales des collectivités ne soient pas mieux connues au niveau du ministère.
La spécificité de nos universités, c’est d’être à la fois des opérateurs nationaux, comme l’on dit maintenant, ouverts à l’international, appelés à coopérer étroitement à l’échelle européenne, tout en étant des établissements dont les activités s’inscrivent sur un territoire. On devrait même dire « dans un écosystème ».
Cette dualité justifie un effort conjugué de l’Etat et des collectivités territoriales. La compétitivité d’un Etat, c’est aussi celle de ses territoires. Contrairement à ce qui a pu être entendu ici ou là, la collaboration renforcée avec les collectivités territoriales ou même la tenue d’assises territoriales ne signifient pas un renoncement à une politique nationale, ni une « régionalisation des universités ».
Dans l’esprit de la déclaration commune entre l’Etat et l’ARF, nous devons inventer un nouveau modèle de partenariat entre l’Etat et les collectivités dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il faut en finir avec la politique, caractéristique de la dernière décennie, où l’Etat seul définissait des dispositifs à caractère territorial (des pôles de compétitivité aux investissements d’avenir, en passant par les Plan Campus), en demandant aux collectivités territoriales de payer, tout en plaçant les territoires en situation de compétition.
Je suis prête à inverser cette logique. Je suis résolue à faire en sorte que ce soit l’Etat qui vienne appuyer les initiatives territoriales. Pour cela, il est nécessaire, que les régions développent leurs capacités de prospective et de programmation, à l’instar de ce que vous faites aujourd'hui. Le caractère facultatif de ces exercices devra prendre un caractère obligatoire afin que les divers schémas et autres stratégies régionales puissent se coordonner dans un plan intégré de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation à l’échelle de la région.
Cette nouvelle logique de collaboration suppose aussi la mise en place d’une instance régionale permanente de dialogue entre les trois grandes parties prenantes que représentent les collectivités, l’Etat et les opérateurs autonomes.
Cette logique suppose également d’attribuer aux régions un schéma régional de l’accueil, de l’information, de l’orientation et de l’accompagnement pour l’ensemble des publics tout au long de la vie. Je sais l’importance que représente, pour votre région, les questions d’orientation afin que la réussite scolaire exceptionnelle de votre région en matière d’enseignement scolaire (en compétition avec l’académie de Grenoble pour le meilleur taux de réussite au baccalauréat) se poursuive dans le supérieur. Je sais que mettre fin au déficit de diplômés dans les filières longues (master et doctorat) est un des enjeux essentiels de votre futur schéma régional.
En liaison avec sa compétence économique réaffirmée, la région a un rôle majeur à jouer en matière d’innovation et de transfert.
Je souhaite que nous puissions, ensemble, matérialiser l’orientation donnée par le Président de la République, qui a indiqué, je le cite, que « La compétitivité de notre économie – dont on parle beaucoup à raison – repose sur la qualité du savoir faire, sur l’innovation, l’intelligence des entreprises mais également sur l’implication des territoires. ».
J’ai déjà formulé plusieurs propositions à cet égard, qui viendront compléter la décentralisation de la gestion des fonds européens, à laquelle mon ministère souscrit pleinement et sans réserve. Ainsi, l’Etat pourrait confier aux régions la responsabilité des instruments de la politique de l’innovation, avec notamment la labellisation des structures et des dispositifs sur la base de chartes nationales, et leur déléguer la gestion des aides spécifiquement ciblées sur l’innovation. Car c’est bien au plus près du territoire que nait la créativité. Elles devront, et c’est la position que j’ai fortement soutenue, participer à la gouvernance des SATT et des IRT. Comme l’a rappelé le Président de la République, la Banque Publique d’Investissement et les régions seront associées dans la mise en oeuvre de cette politique.
Dans le même esprit, parce que l’innovation, l’entreprenariat, le goût de la recherche, l’audace technologique, cela s’apprend, cela se prépare, je suis favorable à ce que les Régions aient une compétence générale en matière de développement et de diffusion de la culture scientifique technique et industrielle. La Région Bretagne a pris une position forte en ce sens il y a deux semaines : je vous en félicite et vous assure que je suis pour ma part résolue à vous accompagner dans cette direction.
Je suis enfin favorable à ce que des expérimentations se développent en matière de transfert vers les Régions pour la programmation immobilière, la maîtrise d’ouvrage et l’entretien de l’immobilier universitaire, sur la base d’un triple volontariat Etat/Région/établissements. C’est sur ces principes d’expérimentation et de volontariat que pourraient également être déléguées aux collectivités territoriales la gestion des aides au logement étudiant.
Ces pistes de travail, qui devront être affinées dans des discussions avec les intéressés, montrent la volonté du MESR de contribuer de manière ouverte à l’Acte III de la décentralisation et de mettre en oeuvre un partenariat renforcé qui associe Etat, Régions et universités.
J’en viens maintenant à un point central sans doute de votre réflexion qui est aussi un des trois thèmes majeurs des Assises : quelle organisation territoriale pour notre système d’enseignement supérieur et de recherche ?
De ce point de vue, la Bretagne est un résumé de la diversité, mais aussi de la complexité de notre système d’enseignement supérieur et de la recherche : on compte dans votre région quatre universités, 22 grandes écoles, relevant de différents ministères, et la présence de la quasi-totalité des organismes de recherche.
Les choix que vous avez faits au début des années 1990 ont conduit à une structure répartie sur l’ensemble de la région, par un fort maillage du territoire, avec les avantages et les inconvénients que cela représente.
Vous assez su développer des instruments de coopération, le Pres Université Européenne de Bretagne avec des résultats en matière de mutualisation de la valorisation ou du développement du numérique, sans déboucher sur une politique vraiment coordonnée et régulée de l’offre de formation, de la politique de recherche ou de la GRH.
Nous avons pour ambition de développer une politique territoriale qui articule la stratégie de l’Etat, déclinée sur l’ensemble du pays, mais aussi la prise en compte de la stratégie des territoires et des établissements qui y sont implantés.
Nous devons encourager la constitution de grands ensembles universitaires ancrés sur leurs territoires, selon les cas infrarégionaux, régionaux ou interrégionaux, en rapprochant universités et écoles, en associant les organismes de recherche à leur gouvernance, avec des formules juridiques adaptées aux spécificités régionales.
La gouvernance de tels ensembles doit reposer sur les principes de collégialité, de subsidiarité et de simplification.
Ces ensembles pourront prendre en compte la logique de réseau de sites qui est la vôtre, avec la force de la métropole rennaise, les spécificités qui font de Brest/Roscoff le premier centre français pour les sciences de la mer, l’excellence de l’université Bretagne Sud en matière de réussite en premier cycle, et l’insertion dans l’environnement économique des autres sites sièges de département d’IUT.
Nous pensons que ces grands ensembles doivent proposer une offre de formation conjointe et régulée, une stratégie de recherche et une politique de recrutement communes. Il faut qu’un étudiant, à compétences égales, ait les mêmes probabilités d’accès aux études longues, quel que soit son lieu d’enseignement. Un enseignant-chercheur doit pouvoir faire la même carrière et avoir la même insertion en recherche, quel que soit son lieu d’affectation.
Le développement de passerelles, et celui des outils numériques auxquelles la région s’est beaucoup intéressée faciliteront cet objectif. C’est dans cet esprit que dès 2013, nous expérimenterons un contrat de site avec les établissements volontaires d’enseignement supérieur d’Alsace et de Lorraine. Cet instrument à vocation à être celui du dialogue entre l’Etat et ces grands ensembles universitaires sur un même territoire qui serait ici le territoire régional. Il devra, d’une manière ou d’une autre, s’articuler avec les conventions que ces ensembles passeront avec les collectivités territoriales et avec les organismes de recherche. Votre travail d’aujourd’hui s’inscrit aisément dans cette perspective.
Agir local, penser global, pour les territoires comme pour l’Etat, ce sera la meilleure méthode pour faire rayonner l’Enseignement supérieur et la Recherche en Europe et dans le monde.
La récente attribution du Prix Nobel de physique au Professeur Serge Haroche va dans ce sens de l’exigence de l’excellence pour tous et pour toutes filières.
Source http://www.bretagne.gouv.fr, le 14 décembre 2012