Texte intégral
Q - Je précise que pour des questions d'agenda, cette interview a été enregistrée quelques heures avant sa diffusion. Vous êtes donc à Berlin, à l'occasion du 50ème anniversaire du Traité de l'Élysée. L'Allemagne est-elle toujours le plus proche partenaire de la France, sous la présidence de François Hollande ?
R - Oui, je crois qu'on peut le dire, pour des raisons qui tiennent d'abord à l'histoire. Nous sommes dans un exercice de célébration du Traité de l'Élysée, c'est-à-dire de cet acte fondateur signé il y a cinquante ans, par le général de Gaulle et Konrad Adenauer, entre deux nations qui s'étaient, dans l'histoire du XIXe et du XXe siècle, beaucoup combattues. Depuis cinquante ans, de nombreuses politiques, ont été rendues possibles au sein de l'Union européenne, par des initiatives franco-allemandes. Qu'il s'agisse de l'approfondissement du marché intérieur, de la monnaie unique et de quelques actes qui ont été posés dans le domaine de l'Europe de la défense.
Aujourd'hui, lorsque l'on regarde la crise, on se rend compte qu'une grande partie des solutions qui ont été trouvées n'auraient pas été possibles s'il n'y avait pas eu la construction, entre la France et l'Allemagne, de compromis utiles. Je pense à la supervision bancaire où malgré des différences d'approche au début, nous avons réussi à trouver un bon compromis. Je pense à la croissance, je pense à ce que nous essayons de faire pour l'approfondissement du marché intérieur. Je pense aussi à ce que nous ferons au début mois de février, j'en suis convaincu, pour doter l'Union européenne d'un bon budget. Donc le moteur franco-allemand continue à jouer son rôle en Europe.
Q - Et c'est une des choses qui sera d'ailleurs affirmées dans la déclaration conjointe d'Angela Merkel et de François Hollande, je cite : «La relation entre nos deux pays constitue le coeur de l'Europe et nous confère une responsabilité exceptionnelle». Est-ce que tout de même, vous ne pensez pas que ça peut finir par être un petit peu énervant, pour les autres États membres de l'Union d'entendre sans arrêt, répéter, que tout se joue entre Paris et Berlin ?
R - D'abord tout ne se joue pas entre Paris et Berlin. Il y a une relation privilégiée, forte, entre Paris et Berlin. Qui conduit d'ailleurs les autres pays de l'Union européenne à souhaiter que la France et l'Allemagne s'entendent bien, parce que les autres pays européens ont conscience du fait que, si l'Allemagne et la France ne sont pas dans cette proximité de relation, le moteur franco-allemand ne peut pas jouer son rôle d'entraînement de l'ensemble de l'Union européenne.
En même temps, les autres pays de l'Union européenne n'ont pas le souhait de voir la France et l'Allemagne s'ériger en directoire de l'Union. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs le président de la République et la chancelière ont souhaité, dans une relation équilibrée entre la France et l'Allemagne, ouvrir cette relation à d'autres pays de l'Union européenne en les associant à de bons compromis. Cela a été le cas notamment le 14 juin dernier, à Rome, lorsque Mario Monti, Mariano Rajoy ont été associés aux discussions pour permettre au Conseil européen du mois de juin, de pouvoir progresser sur le chemin de la croissance.
Q - Cet anniversaire est aussi l'occasion de relancer, de donner une nouvelle dynamique à la coopération franco-allemande, jusqu'où faut-il aller selon vous, dans l'Union entre nos deux pays ?
R - Je crois que la journée qui se déroule aujourd'hui à Berlin est très importante de ce point de vue-là ! Nous avons un Conseil des ministres franco-allemand, une déclaration commune de la chancelière et du président de la République. Une déclaration commune des parlements, avec une présence des deux chefs d'État et de gouvernement devant les représentations nationales allemandes et françaises.
Et pour nous, cette journée, c'est l'occasion de témoigner de la richesse de l'agenda que nous nous sommes donné à nous-mêmes, pour les années qui viennent dans de nombreux domaines, qui concernent la jeunesse, l'éducation, la culture, les politiques industrielles, la recherche. Je n'ai pas à dévoiler à cette heure, le contenu de la déclaration du Conseil des ministres qui sera rendue publique en fin de matinée.
Mais on pourra constater que la volonté du président de la République et de la chancelière a été de donner un agenda précis, opérationnel, destiné à porter des politiques communes dont l'Europe a besoin pour sortir de la crise. C'est cet agenda qui nous mobilise, que nous avons préparé avec mon collègue Michael Link, qui est, avec moi, secrétaire général pour la coopération franco-allemand. Notre objectif est de faire en sorte que, pour les cinquante prochaines années et dans l'immédiat dans les semaines, les mois qui viennent, nous puissions, autour des grands enjeux de sortie de crise, c'est-à-dire la vision de l'Europe, la politique industrielle, la politique énergétique, la politique en faveur de la jeunesse, la politique de l'emploi, les politiques culturelles, portées en franco-allemand, avoir une ambition forte pour nous-mêmes, pour nos deux pays, mais aussi, surtout, pour l'Union européenne.
Q - La France et l'Allemagne affirment dans leurs déclarations communes, qu'il est question de poursuivre la concertation étroite sur toutes les questions importantes de politique étrangère. Et elles entendent renforcer le rôle, les objectifs et la voix de l'Europe dans le monde pour promouvoir la paix et la sécurité, y compris, à travers une politique de sécurité et de défense commune. On a tout de même l'impression, Bernard Cazeneuve, à l'occasion de la guerre au Mali, qu'on est très loin du but.
R - Oui, j'ai lu d'ailleurs sur ce sujet des déclarations un peu tristes de la part d'un certain nombre de responsables politiques français, alors que nos soldats sont engagés sur un théâtre d'opérations difficile, concernant les conditions de préparation de cette opération et la collaboration qui a pu se nouer avec un certain nombre de nos partenaires européens, dont l'Allemagne. Je veux quand même rappeler que...
Q - Vous parlez de Pierre Lellouche l'ancien secrétaire d'État aux affaires européennes, qui dit : quand on a besoin de l'Allemagne, sur les questions internationales, elle n'est jamais là !
R - Non, je pense que ses propos sont malvenus, qu'ils témoignent d'une vision fausse de ce qu'est la réalité de la relation franco-allemande. Pierre Lellouche a également évoqué les soldats français, la place de la France au Mali, en disant que nous n'avions pas vocation à être les mercenaires de l'Union européenne au Mali. Tous ces propos sont excessifs, outranciers, inadaptés à la réalité de la situation. Pourquoi ? D'abord parce que nous avons avec l'ensemble des pays de l'Union européenne, préparé l'arrivée dans cette situation difficile du Mali, des troupes maliennes et des troupes africaines qui doivent pouvoir assurer la sécurité sur le territoire malien. C'est le cas d'EUTM qui est un ensemble de militaires européens venant de tous nos pays qui vont contribuer à la formation de l'armée malienne pour lui permettre d'assurer la reprise de l'intégrité du territoire malien.
Par ailleurs, nous avons, depuis que nous avons engagé cette opération pour des raisons qui tiennent aux circonstances particulières - la volonté des terroristes de faire une percée vers le sud -, décidé d'engager une opération et, depuis, l'ensemble des pays de l'Union européenne nous ont apporté un concours.
Hier, le président de la République et la chancelière allemande étaient devant les jeunes franco-allemands sur ce sujet. Et l'un et l'autre ont pu affirmer à quel point la France et l'Allemagne se parlaient sur la question du Mali. Et l'Allemagne, comme d'autres pays de l'Union européenne, nous a apporté un concours important sur le plan humanitaire et des transports, qui sont des moyens dont nous avions absolument besoin pour la réussite de l'opération. En termes de coordination aussi, de nos actions sur le terrain. Et vous avez remarqué qu'hier, il a été décidé au sein de l'Union européenne, d'organiser au début du mois de février, une réunion de l'ensemble des pays de l'Union européenne et des institutions pour coordonner davantage encore notre action sur le terrain.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2013