Interview de Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, à Europe 1 le 23 janvier 2013, sur les premières opérations de neutralisation du mercaptan (gaz de ville) s'échappant de l'usine chimique Lubrizol de Rouen.

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Média : Europe 1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Le gouvernement a-t-il parlé trop tôt, trop vite hier en affirmant qu'il n'y avait absolument rien à craindre pour les habitants de Rouen, et même, de la région parisienne ?
DELPHINE BATHO
Non, c'est la vérité, la priorité des pouvoirs publics, lorsqu'il y a un risque industriel ou un risque technologique, c'est d'abord la sécurité de la population, et la sécurité sanitaire, et c'est vrai que ce gaz qui s'est dégagé sent vraiment très mauvais, qu'il peut y avoir des effets sanitaires légers, c'est-à-dire une gêne, des maux de tête ou des symptômes passagers pour certaines personnes, mais il n'y a pas de danger pour la santé, et c'était d'abord la première inquiétude qu'il fallait lever…
BRUCE TOUSSAINT
Combien de personnes ont été concernées par cette gêne ?
DELPHINE BATHO
Eh bien, plusieurs millions, si vous regardez la carte de la Normandie et de l'Ile-de-France, ça fait des millions de personnes.
BRUCE TOUSSAINT
Mais je parlais de vomissements, de maux de tête, les gens qui se sont signalés aux autorités sanitaires…
DELPHINE BATHO
Il n'y a pas eu beaucoup de signalements auprès des autorités sanitaires. Donc je crois que… je sais que beaucoup…
BRUCE TOUSSAINT
Quelques dizaines, quelques centaines ?
DELPHINE BATHO
Beaucoup de citoyens se sont inquiétés, se sont demandé ce qui se passait parce que ça sentait mauvais, ils se sont demandé s'il y avait une fuite de gaz, certains ont été gênés, mais il n'y a pas de chiffre, parce qu'il n'y a pas eu de remontées au niveau des hôpitaux par exemple sur des signalements sanitaires, ça n'a pas été le cas.
BRUCE TOUSSAINT
Pourquoi avoir annulé le match de football entre Rouen et Marseille, reconnaissez que ça a amplifié l'inquiétude ?
DELPHINE BATHO
C'est la raison pour laquelle je me suis rendue sur place pour répondre à toutes les questions, ce match a été annulé, tout simplement, par application du principe de précaution, puisqu'un protocole est en train d'être mis en place pour traiter la cause de cette pollution, c'est ça qu'il faut faire maintenant, et donc comme c'est une réaction chimique, par précaution, on a préféré qu'il n'y ait pas un match de foot avec des milliers de personnes à proximité du site, ce qui aurait été un souci supplémentaire pour les services de l'Etat, et notamment la préfecture. Donc il n'y avait pas de raison, si ce n'est d'appliquer le principe de précaution.
BRUCE TOUSSAINT
Alors, le principe de précaution s'est appliqué aux spectateurs de ce match, où on pensait qu'il y aurait 10.000 personnes environ dans le stade de Rouen, pour ce match de Coupe de France, mais qu'en est-il des habitants qui se trouvent dans la zone, et qui eux n'ont pas été… pour lesquels il n'y a pas eu d'évacuation, il n'y a pas eu de mesures particulières, des riveraines de l'usine…
DELPHINE BATHO
Il n'y a pas d'évacuation parce qu'elle n'est pas nécessaire, le travail qui a été fait hier après-midi avec les meilleurs experts de ce type de situation, c'est justement de définir un protocole pour traiter la cause de cette pollution, qui cause le moins de désagréments possibles et qui soit parfaitement maîtrisée et contrôlée. Tous les riverains qui ont des questions peuvent téléphoner au : 02.32.76.55.66, ils auront des réponses à toutes leurs questions, mais il n'y avait pas de mesures d'évacuation à prendre parce que la situation est maîtrisée, qu'elle est sous contrôle. A l'heure où je vous parle, 500 kilos de ce mélange instable… 900 kilos – pardon – de ce mélange instable ont été traités sur trente-six tonnes, ce qui explique que cela va prendre maintenant un certain temps.
BRUCE TOUSSAINT
Quel est ce numéro de téléphone, enfin…
DELPHINE BATHO
02…
BRUCE TOUSSAINT
Non, mais, on va le répéter dans un instant, mais qui… on tombe chez qui ? C'est quoi ? C'est le ministère, c'est…
DELPHINE BATHO
Ce sont les services de la préfecture…
BRUCE TOUSSAINT
C'est la préfecture…
DELPHINE BATHO
Qui ont toutes les informations de proximité pour les habitants.
BRUCE TOUSSAINT
Alors, on va le répéter : 02.32.76.55.66. Et on le répétera plusieurs fois dans la matinée sur EUROPE 1. Michèle RIVASI, députée européenne d'Europe Ecologie-Les Verts, vous met en cause, met en cause le gouvernement et affirme que les autorités ont failli au principe de précaution, elle affirme que le mercaptan, ce fameux produit, n'est pas sans danger pour les personnes fragiles, qu'est-ce que vous lui répondez ?
DELPHINE BATHO
Le mercaptan est un gaz qui peut être très toxique à des niveaux de concentration 20.000 fois supérieurs à ce qui s'est dégagé sur cette usine LUBRIZOL de Rouen. Donc il faut faire la part des choses entre ce qui est l'information sur un gaz qui, effectivement, à un certain niveau de concentration est réellement toxique, il ne faut pas le nier, mais là, les émanations qu'il y a eu n'étaient pas du tout de ce niveau de toxicité, et d'ailleurs, tout à l'heure, le préfet communiquera les relevés des mesures qui ont été prises ce matin, et qui permettent de garantir qu'on est à un seuil de zéro. C'est-à-dire que ça sent mauvais, mais on n'est pas à des seuils de toxicité.
BRUCE TOUSSAINT
Il y a une contradiction entre vos propos extrêmement rassurants ce matin, et ceux de l'association « Robin des lois (sic) », on a entendu Jacky BONNEMAINS, tout à l'heure, de cette association, dire que : il y a déjà eu des précédents dans cette usine LUBRIZOL, notamment en 2009, et que des salariés ont dû être hospitalisés.
DELPHINE BATHO
Il y a eu des précédents, je n'avais pas connaissance de ces hospitalisations…
BRUCE TOUSSAINT
C'est ce qu'il affirme…
DELPHINE BATHO
Oui, il y a eu la prescription de ce qu'on appelle un plan de prévention des risques technologiques. Et la situation que j'ai trouvée, comme ministre de l'Ecologie, c'est que vous avez aujourd'hui en France 921 sites Seveso pour lesquels ont été prescrits des plans de prévention des risques technologiques, et que moins de la moitié aujourd'hui ont un plan de prévention des risques qui soit abouti, et qui soit mis en oeuvre, c'est la situation que nous a léguée le précédent gouvernement. Et donc nous travaillons d'arrache-pied à cette prévention des risques technologiques depuis effectivement un certain nombre de mois, et il faut mettre encore l'accélérateur par rapport à la situation de tous ces sites Seveso qui sont à proximité des habitations.
BRUCE TOUSSAINT
Encore un sujet d'inquiétude pour les riverains, c'est la durée de l'opération de neutralisation, on sait que ça a commencé cette nuit et on nous dit que ça va durer plusieurs jours.
DELPHINE BATHO
Ça prendra le temps nécessaire.
BRUCE TOUSSAINT
C'est-à-dire ?
DELPHINE BATHO
Parce qu'il faut… c'est un protocole de traitement progressif de cette matière qui a provoqué une réaction chimique qui n'était pas volontaire, il y a trente-six tonnes de produit à traiter, on a traité, à l'heure où je vous parle, 900 kilos, et donc ça va… ce processus va continuer étape par étape, pas à pas, et mieux vaut prendre ce temps que de prendre des risques, et donc si on prend ce temps, c'est pour que la situation soit en permanence contrôlée, maîtrisée, surveillée.
BRUCE TOUSSAINT
Vous disiez à l'instant que des tests allaient être effectués dans la journée, mais est-ce que…
DELPHINE BATHO
Non, sont effectués, les résultats et les points de mesures, y compris la cartographie des points de mesures va être donnée par le préfet tout à l'heure…
BRUCE TOUSSAINT
Mais sur le site, mais est-ce qu'on a fait des tests sur l'air dans la région ou à Paris, par exemple, est-ce qu'on a une idée de ce que ça a occasionné ?
DELPHINE BATHO
Il y a les dispositifs habituels de qualité de l'air, mais encore une fois, ce gaz à un niveau vraiment très, très, très, très faible de concentration peut sentir extrêmement mauvais, une odeur vraiment nauséabonde, et c'est ce qui fait qu'il y a ces questions et ces inquiétudes, même s'il n'y a pas de danger pour la santé.
BRUCE TOUSSAINT
Un dernier mot, vous savez qu'il y a – et vous n'y êtes pour rien d'ailleurs – la jurisprudence Tchernobyl, pour beaucoup d'habitants, on a beaucoup entendu ça hier, tout au long de la journée, on a entendu : on nous avait déjà dit au moment de Tchernobyl qu'on ne risquait rien, et puis, quelques années plus tard, on s'est rendu compte que si, il y avait eu des effets pour la santé.
DELPHINE BATHO
C'est la raison pour laquelle je me suis rendue sur place, pour dire que le gouvernement donnait la garantie d'une règle absolue, qui est celle de la transparence, donc toutes les informations sont rendues publiques, et il y aura aussi une enquête pour établir l'origine de cette pollution et les responsabilités, et notamment celles, bien sûr, de l'entreprise.
BRUCE TOUSSAINT
Pour l'instant, on n'a pas d'éléments sur justement l'origine de cet accident ?
DELPHINE BATHO
On a des indications, mais il est nécessaire qu'il y ait une enquête.
BRUCE TOUSSAINT
Vous pouvez nous en dire plus ce matin sur ces indications ?
DELPHINE BATHO
Il y a sans doute eu une négligence ou une faute qui a entraîné cette réaction chimique, mais encore une fois, ce sera à l'enquête administrative, et peut-être même à l'enquête judiciaire, de l'établir.
BRUCE TOUSSAINT
Une négligence, donc ce serait une erreur humaine, on va dire, qui serait à l'origine de cet…
DELPHINE BATHO
Ça, c'est prématuré de dire s'il y a eu une faute technologique ou s'il y a eu une erreur humaine, mais en tout état de cause, il faudra rechercher bien sûr la responsabilité de l'entreprise.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 janvier 2013