Texte intégral
La construction et la rénovation de logements sociaux sont un triple impératif :
Social dabord : la France et lUnion européenne ont besoin de logements abordables aux charges maîtrisées. En effet, la précarité énergétique touche 3.8 millions de ménages soit 14.4% des foyers français même sil faut noter que 87% dentre eux vivent dans le parc privé [1] et non dans le parc social, à rebours des idées reçues. Pour mémoire, le parc social est en moyenne 30% plus performant que le parc résidentiel français.
Economique ensuite : construire et rénover génèrent de lemploi, de lemploi non délocalisable. Mieux encore, léco-construction, la rénovation thermique, constituent des leviers de croissance précieux dans la période difficile que connaît notre Pays. Cest aussi un enjeu de compétitivité pour la Maison France.
Environnemental enfin : on ne construit plus ni ne rénove aujourdhui comme il y a trente ans. Nous avons pris des engagements internationaux : réduire à lhorizon 2020 les émissions de gaz à effet de serre de 20% ; porter à 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation dénergie et réduire la consommation totale dénergie de 20%.
François HOLLANDE a pris des engagements forts en matière de construction et de rénovation de logements (150000 logements sociaux neufs par an, 500 000 logements rénovés en cinq ans), des objectifs confirmés par le chef du Gouvernement.
La réussite de ce pari, rendu impérieux par la transition écologique, repose sur la capacité de traiter simultanément un triple défi : celui de linnovation technologique (nouveaux matériaux, nouvelles techniques, compteurs intelligents ), celui de ladaptation des compétences, cest-à-dire de la formation, et celui du financement des travaux nécessaires.
Mexprimant aujourdhui comme Ministre délégué à la formation professionnelle et à lapprentissage, je reviendrai essentiellement sur la question de lévolution des métiers et des compétences.
Les études prospectives nous ont montré que la transition écologique allait créer des nouveaux métiers mais surtout quelle allait faire évoluer en profondeur un grand nombre de métiers déjà existants. Cest ce que le Centre dAnalyse Stratégique nommait en 2010 : l« adaptation environnementale ».
Cest particulièrement le cas dans le bâtiment. Et qui dit adaptation dit nécessairement formation.
Selon les secteurs, la nature de cette adaptation peut varier. Dun simple ajustement, à lacquisition de nouvelles compétences approfondies du fait de lexistence de nouvelles normes ou de nouveaux processus productifs. Dans le cas du bâtiment, nous sommes clairement dans ce dernier cas. La formation nest alors pas un luxe, une possibilité, un levier de différenciation, mais bel et bien une nécessité.
Dès lors, nos efforts collectifs - État, acteurs professionnels, OPCA, organismes de formation - doivent être encore plus importants et convergents pour proposer une offre adaptée aux besoins, accessible et de qualité.
Le Premier ministre a transmis au Ministre du travail, de lemploi, de la formation professionnelle et du Dialogue social, une lettre de cadrage pour la transition écologique qui est en pleine cohérence avec ces exigences. Elle nous conforte et nous engage, Michel Sapin et moi-même, à poursuivre et à amplifier notre effort. Et cest bien dans cet esprit que je travaille pour les aspects de cette lettre de cadrage qui concerne plus particulièrement la formation professionnelle et la préparation des compétences dont notre économie aura besoin demain.
Notre ambition vise à soutenir à la fois lamélioration énergétique du parc, la mutation des métiers et ladaptation des compétences de la population active, notamment par le biais dune formation adaptée. Pour cela, il faut anticiper lévolution des besoins, adapter loffre de formation et accompagner les entreprises dans ce changement.
* Tout dabord, mieux anticiper lévolution des besoins
Dans le contexte de la transition écologique et de normes de plus en plus strictes sur la performance du bâtiment, les compétences traditionnelles restent nécessaires mais ne sont plus suffisantes.
Certains métiers évoluent : ainsi, les métiers de couvreur pour le photovoltaïque, ou de chauffagiste pour le thermique, se sont considérablement enrichis en termes de compétences.
Dautres apparaissent : diagnostiqueurs, électroniciens, domoticiens, maîtres duvre capables de suivre les aspects techniques et sociaux dun projet.
De même, les corps de compétences sont moins segmentés. Il devient alors nécessaire daffiner les interfaces entre les métiers - comment linstallateur thermique pourrait ne pas prendre en compte laction de lélectricien qui, posant une prise de courant, risque de créer un pont thermique entraînant une perte de chaleur ? - Parfois même, il convient dintégrer deux champs de compétence différents pour la pratique dune seule et même activité. Les artisans du photovoltaïque doivent ainsi maîtriser à la fois lélectricité et la couverture.
Toutes ces évolutions doivent être anticipées. Pour ce faire, nous intensifierons nos efforts pour mieux observer et anticiper lévolution des emplois et des compétences. Cela passe par la refondation de la prospective métier au sein dun réseau dobservation et de prospective des emplois et des compétences, et par une coopération renforcée entre le Ministère du Travail et le service statistique du Ministère de lEcologie pour réaliser des travaux communs et co-piloter des études prospectives. Nos services respectifs ont déjà commencé à travailler ensemble. Les branches professionnelles devront y être largement associées.
Elles-mêmes, branches et filières, doivent intensifier leurs efforts dobservation et de gestion prévisionnelle. Depuis 2004, elles ont lobligation de se doter dun Observatoire Prospectif des Métiers et des Qualifications. Ces démarches doivent être confortées. Cest pourquoi lEtat a invité, le 6 septembre dernier, dans un document dorientation relatif à la Sécurisation de lEmploi, les partenaires sociaux à négocier dici la fin de lannée sur le développement des démarches de branche et de territoire et sur leur articulation avec lanticipation des mutations économiques dans les entreprises. Les engagements en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences contenus dans laccord interprofessionnel du 11 janvier en sont la concrétisation.
Ainsi, son article 14 prévoit une meilleure articulation entre gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et négociation des orientations du plan de formation.
Toujours en matière dobservation et danticipation, je veux citer ici les travaux de deux organisations qui contribueront à mieux connaître les compétences dont nous aurons besoin demain et les formations qui seront par conséquent nécessaires.
La première est le centre danalyse stratégique. Il sest saisi très exactement du sujet qui nous occupe aujourdhui et doit rendre son rapport prochainement, nous serons donc amenés à en reparler.
La seconde est lADEME qui a commis lan dernier deux rapports sur lévolution de lemploi et les besoins de formation induits.
Ainsi par exemple, lADEME montre-t-elle que les emplois équivalent temps plein générés par la construction BBC sont susceptibles de connaître une hausse prévisionnelle de 132% entre 2009 et 2014, de 100% pour les emplois de la construction bois, de 115% pour les emplois liés à lisolation [2]. Autant de métiers dont les compétences évoluent vite et qui exigent de former à la fois des jeunes qui feront vivre le secteur demain mais aussi les actifs qui occupent actuellement ces emplois.
Dans son étude de novembre, lADEME montre aussi que les évolutions observées entre 2010 et 2012 témoignent dune hausse de 7.4% des emplois générés par lamélioration énergétique des logements existants (France entière), soit un gain de 9 340 emplois en deux ans (125 750 en 2010, 135 090 en 2012). Par rapport à 2006, la hausse est de 40%, cest dire laccélération du phénomène. Au sein de ces emplois, les interventions sur le bâti sont largement majoritaires (78%), devant le chauffage (12%) essentiellement [3].
Dans ce contexte, lobjectif du gouvernement de rénover 500 000 logements en cinq ans pourrait générer entre 100 et 150 000 emplois daprès le rapport du Conseil économique social et environnemental qui vient dêtre publié.
* Il convient donc de participer activement à la constitution dune offre de formation capable de répondre aux besoins identifiés.
Il nous revient dorienter loffre de formation et de certification, en lien avec les acteurs professionnels, pour quelles intègrent les besoins liés aux objectifs de construction tant en volume quen qualité. Cest lobjet du contrat de plan de développement des formations conclu dans chaque région entre le Conseil régional et lEtat. Chaque actualisation dun CPRDFP devra désormais donner lieu à une réflexion sur le développement de ces métiers. Et il faudra veiller à ce que la carte des formations initiales mais aussi loffre de formation continue, soient adaptées aux besoins en compétence des entreprises.
Dès loffre de formation en apprentissage, lévolution des techniques, des technologies et des réglementations doit être prise en compte dans ladaptation des formations.
LEtat peut y aider par le ciblage de certaines de ses aides. Cest le cas par exemple du volet apprentissage du Programme dinvestissements davenir porté par la Caisse des Dépôts et Consignations.
A ce jour, 51 dossiers de centres dapprentissage, accompagnés ou non de centres dhébergement dapprentis, ont été sélectionnés pour un soutien global de près de 220 millions deuros. Sur ces 51 dossiers, 23 concernent des filières liées à la transition énergétique : éco-construction et rénovation de bâtiments, isolation, logistique urbaine, énergies renouvelables, filière bois, agriculture durable, biomatériaux, etc
Mais former les jeunes qui arrivent sur le marché du travail ne suffit pas. Il faut aussi adapter les compétences des actifs aujourdhui en emploi. Cest pourquoi je souhaite quun effort particulier soit fait sur la formation continue dans les filières davenir dont les métiers évoluent ou apparaissent. Je propose de les rassembler dans un institut de lefficacité énergétique : cet outil sappuierait sur les démarches engagées par les branches professionnelles et donnerait à voir lenjeu dévolution des compétences et de réservoir demploi de la transition énergétique dans toute son ampleur. On pourrait y trouver aussi bien les smart grids que des certifications nouvelles en plomberie, couverture, chauffage ou encore des professions émergentes liées à la maîtrise duvre technico-sociale pour la réhabilitation thermique.
Parallèlement, lorientation jouera un rôle essentiel. On soriente tout au long de sa vie : dès le collège bien sûr mais aussi ensuite, à chacun de ses changements demploi ou même, comme artisan, quand il sagit de donner une nouvelle impulsion à son entreprise. Lorientation doit faire davantage sa place à la présentation des métiers dans toute leur diversité de sorte à ouvrir le champ des possibles, quel que soit son âge, son niveau de qualification et son adresse. De nombreux métiers évoluent beaucoup plus vite que leur image, certains (en particulier dans le bâtiment) sont encore présentés de manière ancestrale. Il faut actualiser ces représentations.
Mieux faire connaître les nouveaux métiers, les compétences quils mettent en uvre et les conditions de travail dans lesquelles ils sexercent sont des enjeux majeurs de préparation de lavenir.
* Enfin, la 3ème direction consiste à accompagner les entreprises dans les changements induits par nos objectifs de sobriété énergétique
De ce point de vue, il est essentiel que le soutien au développement de léco-construction et de léco-rénovation comprenne un volet RH. La filière se mobilise déjà en ce sens et ses efforts doivent être salués.
Restera à lever les freins à lentrée en formation. Il y a toujours mille raisons pour repousser un projet de formation de soi-même ou dun de ses collaborateurs : la situation du carnet de commandes, lincertitude de certaines missions, des formations parfois ressenties comme rebutantes, un coût qui apparaît élevé pour un « rendement » a priori incertain, de mauvais souvenirs des bancs de lécole Tous ces freins sont observés dans le bâtiment comme dans tous les secteurs dactivité.
Pour les lever, il est indispensable de :
- valoriser leffort de formation pour celui ou celle qui sy engage, tout au long de la vie
- mobiliser les OPCA pour cibler prioritairement largent de la formation professionnelle vers ladaptation des métiers aux mutations techniques et réglementaires issues de la transition énergétique
- donner un avantage compétitif à lentreprise qui joue le jeu du développement des compétences : par exemple en imaginant que seules les entreprises qui ont des apprentis puissent répondre à des marchés publics ou encore en généralisant la clause déco-conditionnalité des aides publiques prévue par le Grenelle et appelée de ses vux par le CESE.
Ces démarches sont essentielles pour faire en sorte que ces nouvelles technologies, ces nouveaux procédés, cette nouvelle manière dappréhender la production, constituent un véritable levier pour lemploi, et ne deviennent pas une source dexclusion.
Les emplois davenir, ouverts aux associations et organismes qui développent une activité dans les domaines du développement durable, nous montrent de ce point de vue la voie. Ils permettront lembauche de jeunes non qualifiés que nous inscrirons dans un parcours de qualification pour une insertion, permettez moi ladjectif, « durable ». Cest le cas par exemple dans un certain nombre de bailleurs sociaux sur des fonctions de maintenance des bâtiments.
Nous aurons à mobiliser les régions, dont la loi de décentralisation va renforcer les compétences dans ce domaine, mais aussi les partenaires sociaux en charge plus spécifiquement de la formation des salariés, avec un Etat stratège, garant du cadre réglementaire, financier et des solidarités.
[1] Et 62% sont propriétaires
[2] Ici il sagit des chiffres du bassin de Saint-Quentin en Yvelines, retenu pour cette partie de létude
[3] Résultats citées dans lavis 2013-01 du CESE « Efficacité énergétique : un gisement déconomies ; un objectif prioritaire » paru en janvier 2013
source http://travail-emploi.gouv.fr, le 13 février 2013