Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2002, à France 2 le 5 septembre 2001, sur sa candidature et le lancement de sa campagne électorale.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde
Vous êtes en direct de Strasbourg d'où vous faites votre rentrée. Vous prenez le bus - pas le bus scolaire, mais presque - avec une tournée de quatre mois à travers la France, pour lancer votre campagne présidentielle ?
- "En effet, de Strasbourg, d'abord parce que c'est la semaine de session du Parlement européen, et qu'en effet c'est de Strasbourg que partira le bus avec lequel nous allons visiter la France profonde, celle dont on ne parle jamais ou peu, qu'on ne rencontre jamais ou que les médias et les responsables politiques rencontrent assez peu : la France qui est dans les difficultés, ou qui travaille ou qui rencontre les problèmes d'aujourd'hui. C'est celle-là que je vais aller rencontrer."
Cela veut dire que vous allez régulièrement être dans l'autobus et que les citoyens français, s'ils veulent vous rencontrer, connaîtront le parcours, le trajet, les étapes ?
- "Ils connaîtront le parcours, le trajet, les étapes. Je serai dans cet autobus évidemment, parce que le bus n'aurait aucun sens si je n'y étais pas. Ce n'est pas une opération d'apparence, mais une opération qui va nous conduire sur les routes de France, quatre ou cinq jours par semaine, pendant des mois et des mois, pour rencontrer cette deuxième France dont je crois que les vérités, les convictions sont aussi importantes et peut-être même plus que celle de la France des puissants."
C'est votre côté paysan béarnais qui vous donne envie de sortir des sentiers battus et d'aller sillonner la France en bus ?
- "Sans doute. En effet, je suis un homme d'enracinement, né et vivant en province, né et vivant dans le village où je suis né, avec ma famille, et cela m'a depuis longtemps donné le sentiment que bien des débats que nous avions publiquement, sur les chaînes de télévision, étaient faux, montés en épingle, vraiment à mille kilomètres au-dessus de la tête des Français comme ils sont et vivent. Cela m'a donné une deuxième certitude : c'est que le monde politique habituel ne leur parle pas avec les mots simples qu'ils attendent. On a toujours l'impression qu'on invente des concepts, des formulations qui sont à usage interne, que nous, nous comprenons - vous et nous, les politiques et les journalistes - mais que les citoyens ne comprennent pas bien. Et donc, cet effort pour parler la langue vraie, la langue de tous les jours, je suis certain que ce grand voyage en autobus va nous permettre de le faire. En tout cas, c'est une manière nouvelle en France. C'est une nouvelle manière en France - c'est la première fois, je crois - de faire de la politique différemment."


Dans votre discours de Ramatuelle, on vous a entendu taper aussi bien sur Jospin que sur Chirac, en les traitant tous les deux d'archaïques. Cela veut-il dire que vous n'êtes ni d'un côté ni de l'autre ? Pourtant, vous avez plutôt gouverné avec Chirac ?
- "Cela veut dire une chose très simple : lorsqu'on mûrit cette décision de se présenter à une élection présidentielle, ce n'est pas par hasard ou pour faire semblant, ou par jeu. C'est parce qu'on a le sentiment que ceux qui sont en place ne répondent pas à l'attente qui est la vôtre et qui est celle des Français. On a le sentiment d'un jeu de masques qui est aussi un jeu de dupes. On se dit que ce n'est pas avec cela qu'on va vivre ce siècle qui commence et cette Europe qui est en train de se faire. Donc, lorsqu'on mûrit une décision de cet ordre, on a envie de dire clairement et simplement aux Français pourquoi on choisit d'y aller. C'est ce que je ferai. J'appellerai un chat un chat. Je ne serai pas désobligeant ; j'essayerai de respecter les personnes. Il n'y aura pas dans ma voix une attaque contre les hommes, mais contre le système, oui. Or, J. Chirac et L. Jospin, ce sont les représentants du système les plus galonnés depuis vingt ans. Cela fait vingt ans qu'ils sont là, trente ans même pour J. Chirac. Ils occupent cette responsabilité de diviser la France en camps depuis des décennies et avec une impuissance que tout le monde a sous les yeux."
Puisqu'on parle de J. Chirac... Le juge Halphen a été dessaisi dans l'affaire des HLM. Vous aviez dit en son temps, à propos de toutes les procédures qu'avaient menées ce juge jusqu'à la convocation de J. Chirac : "nul ne peut être au-dessus de la loi." Que dites-vous, aujourd'hui, du dessaisissement du juge Halphen ?
- "C'est la loi, c'est la justice qui s'est exprimée sur la procédure et c'est très bien. Moins on aura une campagne présidentielle polluée par les affaires et mieux ce sera. Tant mieux. Mais je répète que pour l'avenir, et pour moi, en principe, nul en France ne doit être au-dessus de la loi. Il faudra que nous pensions à toutes les fonctions en France pour qu'on montre que l'égalité devant la loi ce n'est pas un vain principe."
De l'autre côté, il y a la candidature de J.-P. Chevènement. Dans un sondage BVA pour Paris-Match à paraître, Chirac ferait 51 %, Jospin, 49. Le troisième homme serait J.-M. Le Pen, Chevènement et vous-même arriveriez, si je puis dire, côte à côte. Que pensez-vous de la candidature de J.-P. Chevènement ? Est-ce que cela peut véritablement gêner L. Jospin et qu'est-ce que vous pensez de ce troisième homme qui s'appelle J.-M. Le Pen ?
- "D'abord, je pense qu'une candidature comme celle que monsieur Chevènement a annoncé hier est utile, parce qu'il a une vision cohérente de la France, comme je crois en avoir une. Ce n'est pas la mienne, parce que lui, il choisit de ne pas être européen, moi je choisis d'être européen, mais on voit bien que c'est là le sujet de fond, et que projet contre projet, débat entre deux visions, cela peut être utile à la France, comme un de vos confrères éditorialistes l'écrivait. Quant à monsieur Le Pen, qu'il y ait une extrême droite en France, ce n'est pas nouveau. Enfin, pour les sondages, vous savez bien, parce que nous en avons discuté souvent, les sondages, c'est ce qui bouge en dernier, c'est ce qui bouge quand tout le reste a bougé. Or, la vie politique française commence seulement à se mettre en mouvement. La candidature de J.-P. Chevènement, la mienne, tout cela peut faire bouger les lignes. En tout cas, c'est une attente si forte que je n'ai pas de doute sur cette issue. Les lignes bougeront, la situation politique ne va pas rester gelée dans cette banquise comme elle l'est aujourd'hui. Et c'est très bien. Et les sondages bougeront après. Je prends tous les rendez-vous que vous voudrez, avec vous, sur ce sujet."
Il va s'appeler comment, votre bus itinérant ? le "F. Bayrou presidential tour" ou quelque chose comme cela ?
- "Cela va être quelque chose de très original, parce que le bus, comme ceux de la Coupe du monde, sera décoré d'immenses photos de paysages français traitées en puzzle et quand on s'approche, on s'aperçoit que chaque pièce du puzzle est un visage. C'est pour dire "la France humaine." La France c'est un pays fait de visages de femmes et d'hommes d'histoire, et c'est à ceux-là qu'il faut qu'on s'adresse."

(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 septembre 2001)