Extraits d'un entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, avec Radio classique le 6 février 2013, sur la construction européenne et sur l'intervention militaire française au Mali.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q - Qu'est-ce que qu'une Europe différenciée et qu'est-ce qu'un compromis raisonnable pour ce week-end, puisque vous vous serez à Bruxelles avec François Hollande ?
R - Une Europe différenciée, c'est une Europe qui n'empêche pas ceux qui veulent approfondir la construction européenne de le faire. C'est une Europe dans laquelle il est possible de mettre en place la taxe sur les transactions financières en coopération renforcée sans attendre que les 27 pays de l'Union européenne acceptent de le faire. C'est une Europe, par exemple, dans laquelle il doit être possible d'engager ensemble une politique énergétique avec ceux qui sont prêts.
Q - Et donc vous y allez avec des initiatives ?
R - Nous y allons bien entendu avec des initiatives. C'est d'ailleurs ce que nous faisons depuis 8 mois que nous sommes en situation de responsabilité. Souvenez-vous que Nicolas Sarkozy avait décidé de faire adopter, à la fin de son quinquennat, quelques semaines avant la fin de la législature, la taxe sur les transactions financières, mais unilatéralement, pour la France, sous prétexte que l'on n'arriverait jamais à le faire au sein de l'Europe. Avec le ministre Allemand de l'économie et des finances, nous avons - Pierre Moscovici et moi-même - adressé une lettre à l'ensemble des acteurs européens et à nos homologues. J'ai moi-même pris mon bâton de pèlerin et je suis allé dans les différents pays de l'Union, en demandant : acceptez-vous de vous associer à nous pour mettre en place la taxe sur les transactions financières ?
Nous avons ainsi obtenu que 11 pays – il en faut au moins 9 pour lancer une coopération renforcée – s'engagent dans la mise en place de la taxe sur les transactions financières.
Si, par exemple, nous décidons demain de jeter les fondements d'une politique énergétique au sein de l'Union européenne avec ceux qui veulent bien le faire en proposant d'investir sur les bâtiments pour faire en sorte que leur bilan thermique soit amélioré, d'investir sur les énergies renouvelables, d'utiliser ensemble le mécanisme de connexion européen pour relier les centres de production énergétique aux territoires qui consomment l'énergie, eh bien nous pouvons - avec une coopération renforcée - engager cela.
C'est cela, l'Europe différenciée. C'est permettre à ceux qui veulent aller plus loin de le faire ensemble en permettant aux autres de les rejoindre quand ils le souhaitent...
Q - Mais je vous fais une petite remarque. Sur le Mali il n'y a pas eu d'Europe. David Cameron aimerait bien sortir de l'Europe, quant à Angela Merkel et beaucoup de pays du Nord ils aimeraient bien que sur le plan budgétaire on arrête de faire tout et n'importe quoi.
R - Alors je vais reprendre ce que vous venez de dire à l'instant. Sur le Mali il n'y a pas eu d'Europe, c'est totalement faux, l'Europe a été présente...
Q - Vous les avez vus où ?
R - Je vais vous prendre des exemples extrêmement concrets parce que je sais qu'il y a un bruit de fond médiatique sur le thème. Sur le Mali, l'Europe a été constamment présente, il n'y aurait pas eu la résolution 2085 qui définit le cadre légal d'intervention de la France. Il a fallu pour intervenir au Mali qu'il y ait un cadre international défini par le Conseil de sécurité des Nations unies, Mme Ashton - et Laurent Fabius a rendu cela possible avec beaucoup d'entrain - a décidé que l'Union européenne agirait ensemble pour qu'au sein du Conseil de sécurité on prenne le cadre international légal qui permettait cette intervention. Nous avons décidé que ce n'était pas à nous de rétablir l'intégrité du Mali, mais aux Africains eux-mêmes, et nous avons décidé ensemble que, pour la première fois de l'histoire de l'Union européenne, ce serait une coopération européenne militaire qui formerait l'armée malienne et qui formerait les troupes africaines...
Q - Donc des coups de téléphone ont eu lieu entre les principaux dirigeants d'Europe ?
R - Mais il n'y a pas eu que des coups de téléphone, il y a eu des Conseils affaires européennes, il y a eu des conseils affaires générales...
Q - Oui ! Mais au moment de la décision du vendredi, est-ce qu'il y a eu une coordination réelle ?
R - Mais bien entendu. Et une fois que cette opération décidée - il nous a fallu 10 heures pour le faire - on n'avait pas le temps de prendre le temps. Si nous n'avions pas décidé d'intervenir au Mali en 10 heures aujourd'hui ce pays serait...
Q - C'est allé trop vite pour l'Europe, alors ?
R - Mais pas du tout ! Nous avons pris la décision que nous devions prendre en accord avec nos partenaires de l'Union européenne. Tous les pays de l'Union européenne ont décidé de soutenir la France dans cette opération. Ils ont, pour une très grande partie d'entre eux, apporté les moyens matériels, de transport, qui sont des moyens militaires. De plus, des soldats de l'Union européenne vont engager la formation des soldats maliens. Et je vous rappelle qu'une grande partie des pays de l'Union européenne ont participé à la Conférence des donateurs d'Addis-Abeba, où des moyens ont été mobilisés pour financer cette opération.
Donc, quand vous dites que l'Union européenne a été absente... Elle a été présente comme jamais sur une opération militaire extérieure. Je vous rappelle qu'au moment de l'opération libyenne, les Allemands n'avaient pas voté la résolution permettant l'engagement de cette opération, nous étions seuls avec les Britanniques. Aujourd'hui, sur l'opération malienne, c'est un soutien unanime de toute l'Union européenne.
Q - Laurent Fabius dit : à partir du mois de mars, les soldats français vont commencer à partir. Est-ce que l'opération au Mali est terminée, est-ce que c'est mission accomplie ?
R - Non ! Laurent Fabius et le président de la République ont eu l'occasion de s'exprimer à plusieurs reprises au cours des derniers jours. Ils ont indiqué que le souhait de la France était de faire en sorte que les coopérants militaires Européens puissent engager le plus rapidement possible la formation de l'armée malienne et de la MISMA. Celle-ci se déploie actuellement et il y a plusieurs milliers de soldats africains présents au Mali. Les coopérants militaires européens arrivent et nous voyons que l'opération militaire française donne des résultats. Notre souhait c'est de faire en sorte que la formation militaire étant intervenue, les militaires et les troupes africaines étant en situation d'agir, la France...
Q - Donc, vous confirmez qu'au mois de mars les premiers soldats français vont rentrer ?
R - Notre objectif c'est de faire en sorte que cela se fasse, comme l'a dit le président de la République à Strasbourg hier, le plus rapidement possible de manière à ce que les Africains eux-mêmes permettent au Mali de retrouver son intégrité territoriale et la paix.
Q - Ce week-end François Hollande va dire quoi à Angela Merkel et à David Cameron, parce qu'à un moment il va falloir se parler ?
R - Il va leur dire des choses extrêmement simples qu'il leur dit déjà !
Q - Et est-ce qu'il s'entend bien, fondamentalement, avec Mme Merkel ?
R - Oui ! Très bien. Pourquoi ?
Q - Parce qu'il y a eu un doute à un moment !
R - Angela Merkel et François Hollande ont des qualités communes. Ils ont une certaine constance de tempérament et ils sont pragmatiques. À chaque fois qu'un problème apparait ils essaient de mettre en face du problème une solution, ils sont dans un respect mutuel. La constance du tempérament de François Hollande, le respect de son interlocuteur, le sentiment qu'il partage avec Angela Merkel que l'Europe doit progresser, tout cela crée un lien.
Q - Alors vous céderez sur quoi ? Par exemple la Politique agricole commune, vous allez faire un pas ou pas ?
R - Non ! Mais ce n'est pas comme ça que le problème se pose. Que voulons-nous faire ? Nous voulons un budget de l'Union européenne qui prolonge l'ambition de croissance du pacte de croissance de 120 milliards d'euros adopté au mois de juin. Nous ne voulons pas un budget, une négociation qui se réduise à des coupes sur le budget et à des chèques qu'il faudrait distribuer à tel ou tel Etat. Donc nous n'avons pas effectivement - le président de la République l'a rappelé hier - la même position qu'un certain nombre de partenaires de l'Union européenne. Je pense notamment aux Britanniques, parce qu'il faut que le budget de l'Europe fasse de la croissance. Le budget de croissance de l'Europe, c'est-à-dire qui va financer l'horizon 2020 - ce qu'on appelle l'horizon 2020 c'est la croissance résultant de la recherche et du développement, du transfert de technologies, du soutien aux petites et moyennes entreprises à travers le programme «COS» et de la volonté d'accompagner la transition énergétique - tout ça c'est un budget qui, dans les propositions de la commission Herman Van Rompuy, augmenterait de 50 %. La même commission a proposé que l'enveloppe destinée à accompagner la transition énergétique, les transports propres, la numérisation du territoire, soit augmentée de 400 %. Nous avons besoin de ces sommes pour faire la croissance durable dont l'Europe a besoin pour sortir de la crise. Nous voulons des moyens supplémentaires pour la Politique agricole commune parce que cette politique a été fortement décotée dans les propositions du président du Conseil européen et nous avons besoin de la politique de cohésion.
Nous ne pouvons pas aborder la négociation de cette fin de semaine avec le seul objectif d'avoir des coupes et des rabais, l'Europe a besoin d'un budget de croissance...
Q - Et comment fait-on ?
R - Et François Hollande, qui est au coeur et au centre de cette négociation - avec l'accueil que vous avez vu hier au Parlement européen au terme de son discours - qui transcendait les clivages politiques traditionnels, est en discussion avec ses partenaires pour faire en sorte qu'il y ait un compromis positif.
Q - J'ai trois petites questions précises et, malheureusement, il nous reste peu de temps. Première question : comment fait-on pour faire baisser l'euro, puisqu'il a dit que ça devenait un problème et les Banques centrales n'en veulent pas ?
R - Les Banques centrales et la Banque centrale européenne ont une compétence en matière de politique monétaire...
Q - Mais ils ne font rien !
R - Oui ! Mais de par les traités il y a une possibilité pour le Conseil européen de se saisir de la politique de change. Et François Hollande a dit hier que les chefs d'État et de gouvernement ont aussi un rôle à jouer pour faire en sorte que...
Q - Il va le faire ce week-end ? Il va essayer d'obtenir quelque chose ?
R - Ce n'est pas à l'ordre du jour de ce week-end.
Q - Mais enfin il va falloir en parler ?
R - Mais on en parlera. Le Conseil européen de ce week-end c'est le budget et la politique commerciale. Celle-ci est la politique qui doit nous permettre de développer notre croissance par les exportations. Donc cette question-là est une question qui peut être effectivement abordée à l'occasion du chapitre sur la politique commerciale.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2013