Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur les licenciements économiques et la politique économique et budgétaire, Malo-les-Bains le 30 août 2001.

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Circonstance : Journée de solidarité "Une journée à la mer" à Malo-les-bains (Nord) le 30 aout 2001

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux d'être des vôtres aujourd'hui, à Malo-les-Bains, à l'occasion de cette très belle et très populaire initiative de solidarité.
Elle est, je crois bien, unique en France par son ampleur et par la qualité, la générosité de la démarche de celles et ceux qui l'organisent et en assurent le bon déroulement : mes ami-e-s, mes camarades communistes du département du Nord.
Je les remercie donc très chaleureusement de leur invitation à me joindre à vous, et de la possibilité qui m'est ainsi donnée de vous dire quelques mots.
Le week-end dernier se tenait à Aubagne, à l'autre bout de la France, l'université d'été du Parti communiste. J'y ai exprimé les vives préoccupations qu'inspire aux communistes le cours actuel de la politique du gouvernement. Deux jours plus tard - c'était mardi soir - le Premier ministre a largement exposé à la télévision son opinion sur les grands sujets de l'actualité politique et sociale. Et surtout, il a fait part de ses intentions quant à la conduite de l'action du gouvernement dans les mois à venir.
Eh bien, je veux le dire d'emblée, les propos du Premier ministre ne me semblent pas de nature à calmer les inquiétudes des Françaises et des Français et à répondre pleinement à leurs attentes.
J'ajoute que, disant cela, je ne cherche nullement à développer une polémique artificielle et partisane avec lui. Non, ce dont il est question c'est de la situation de la France et de millions de nos concitoyennes et concitoyens en cette rentrée.
Vous avez sans doute remarqué, comme moi, que Lionel Jospin n'a pas dit un mot de deux sujets qui sont pourtant d'une actualité brutale, et qui inquiètent tout particulièrement les Françaises et les Français.
Rien, par exemple, sur la véritable lame de fond des licenciements, dont la plupart son programmés pour satisfaire la bourse, les actionnaires et non pas en raison de difficultés économiques particulières. Vous avez lu la presse pendant cette période estivale. Vous avez entendu la radio et vu la télévision. Pas un jour, pratiquement, sans qu'il soit question de plans sociaux et de la suppression de milliers d'emplois. Et ici même, dans le Nord, vous êtes bien placés, hélas, pour le vérifier. A Hellemmes avec l'entreprise Mossley ; à Lesquin avec Moulinex ; à Calais, bien sûr(, avec les LU. Au-delà des chiffres, terribles, dramatiques pour celles et ceux qui sont frappés, pour les villes et les régions concernées, il y a eu aussi, ces dernières semaines, beaucoup de commentaires sur les raisons de ce véritable saccage de l'emploi. Et je constate que de nombreux observateurs, que l'on ne peut guère soupçonner de sympathie pour le Parti communiste, ni même pour la gauche, s'interrogent sur l'efficacité de la logique ultralibérale qui est à l'origine de ces licenciements.
Il y a donc beaucoup à dire, beaucoup à débattre et beaucoup à agir pour y résister et faire prévaloir d'autres solutions. Le silence du Premier ministre en est d'autant plus surprenant. D'autant que, en juin dernier, vous vous en souvenez, les députés communistes ont mené à l'Assemblée nationale une bataille acharnée pour renforcer le volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale. Une bataille qui s'inscrivait dans le prolongement de la grande manifestation que nous avions organisée à Calais, en solidarité avec les salariés de l'entreprise LU, le 21 avril. Le 9 juin, à Paris, nous étions encore avec eux, et avec ceux de chez AOM, Moulinex, Marks et Spencer et beaucoup d'autres.
C'est la convergence de toutes ces initiatives - à l'Assemblée et sur le terrain, dans les luttes - qui a permis d'améliorer sensiblement la loi. Bien sûr elle ne règle pas tout. Mais elle constitue un point d'appui nouveau et efficace au service des salariés et de leurs organisations.
Et, face à la terrible rafale des plans sociaux, des plans de licenciements annoncés, le Premier ministre doit sortir du mutisme de son intervention télévisée à ce sujet. Nous demandons que l'Etat prenne toutes les dispositions pour suspendre par un moratoire tous les plans de licenciements en cours, jusqu'à l'adoption définitive du projet de loi de modernisation sociale.
Le MEDEF ne s'y est pas trompé, et a exprimé tout le mal qu'il en pensait pas plus tard qu'hier matin par la bouche du baron Seillières ! De même que la droite, majoritaire au Sénat, qui manuvre pour en retarder l'application. Et jusqu'au Président de la République qui, le 14 juillet dernier, l'a sévèrement critiquée.
Qu'on ne s'y trompe pas par conséquent : les dirigeants de la droite, Jacques Chirac en tête, peuvent bien verser des " larmes de crocodile " sur vos difficultés, ce qu'ils se proposent de faire si, par malheur, ils revenaient aux affaires, c'est de " tailler en pièces " toutes les avancées conquises depuis 1997. Les 35 heures, les emplois-jeunes, la loi de modernisation sociale : tout cela leur est insupportable !
Ils n'ont rien oublié, rien appris : ils sont plus que jamais profondément réactionnaires !
C'est pourquoi, d'ailleurs, il y a besoin d'une politique sensiblement plus ancrée à gauche : pour ne pas leur offrir la moindre chance lors des consultations électorales du printemps 2002.
Raison de plus pour accélérer le mouvement, pour lever les obstacles qui retardent l'application du texte de la loi sur la modernisation sociale. De la même façon en ce qui concerne la mise en oeuvre de la loi adoptée le 4 janvier sur mon initiative, et qui porte création d'une Commission nationale et de Commissions régionales pour le contrôle des fonds publics consacrés à l'emploi. Ce sont des dizaines de milliards que perçoivent les entreprises - tout particulièrement les grandes entreprises - et dont elles font usage dans la plus totale opacité.
Je ne dis pas que le gouvernement peut tout régler du jour au lendemain, mais j'affirme qu'il a dans ces deux domaines la responsabilité et les moyens d'agir. Et je constate qu'il se " hâte avec lenteur ".
Je le dis devant vous aujourd'hui : cela a assez duré ! C'est dans les toutes prochaines semaines qu'il convient, à marche forcée puisque c'est nécessaire, de rendre effectives les deux lois que je viens d'évoquer.
Et puis il est une autre question dont le Premier ministre n'a pas soufflé mot mardi soir : celle de l'augmentation des salaires, des retraites et des minima sociaux. Certes il a évoqué le pouvoir d'achat, en insistant sur les effets positifs de la prime pour l'emploi. Entendons-nous bien : pour les communistes cette disposition fiscale ne sera pas indifférente aux foyers qui vont en bénéficier. C'est tant mieux, puisqu'il s'agit de ceux qui vivent dans les plus grandes difficultés.
Cela dit, je persiste à dire qu'il est urgent de revaloriser sensiblement et rapidement les salaires, les minima sociaux et les retraites.
Pour deux raisons fondamentales : il y va de justice sociale, d'action résolue contre les inégalités et, inséparablement, d'efficacité économique, ce que ne peut pas permettre la stratégie de " baisse des impôts ", élevée désormais à la dignité de priorité budgétaire par Laurent Fabius.
Permettez-moi, cher-e-s amies et camarades, de dire pourquoi en quelques mots.
Première remarque, ce sont près de 40 milliards de baisse de la collecte fiscale qui sont envisagés dans le budget 2002. Mais 8, 8 seulement sont consacrés à la prime pour l'emploi. Et le reste ? Eh bien il ira à l'allégement de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés. Ainsi un contribuable acquittant 600 000 francs d'impôt sur le revenu économisera 12 000 francs, tandis que celles et ceux d'entre vous qui perçoivent la prime pour l'emploi recevront, en moyenne, 950 francs.
Je le dis tout net : ce mécanisme est une machine à aggraver les inégalités, en dépit des bonnes intentions affichées et de leurs effets, limités mais appréciables, sur la situation des plus démunis.
Seconde remarque, on nous dit aussi que cette politique va favoriser l'investissement, l'activité et la redistribution. L'investissement ? J'en doute très sérieusement car le premier effet de la baisse des impôts sera de contraindre la dépense publique - j'entends par là la dépense utile : pour l'école et la formation, la santé, le logement, la sécurité et la tranquillité des Françaises et des Français - puisque cette dépense publique ne devrait progresser que de 0,5 % en 2002.
D'autre part les faits montrent que les baisses d'impôts de ces dernières années - environ 170 milliards entre 1997 et 2001 - se sont accompagnées d'une véritable envolée des placements boursiers et des investissements à l'étranger, toutes choses qui s'opèrent contre l'investissement réel en France, contre l'emploi, et finalement au détriment de la qualité de la croissance dans notre pays.
Une croissance qui, désormais, " pique du nez ". On le voit bien avec l'Allemagne, où l'on commence à s'interroger sérieusement sur la pertinence de la baisse massive, bien plus importante qu'en France cette année, des impôts. Plutôt que de se réjouir d'une meilleure situation en France que chez notre voisin, cette expérience devrait inciter à la réflexion. Car, les mêmes causes risquent bien de produire en France les mêmes effets qu'en Allemagne.
Quant à l'activité, j'ai lu avec intérêt le véritable aveu de Laurent Fabius contenu dans un récent article qu'il a signé. Selon lui notre système fiscal a, je cite " longtemps découragé la recherche d'un travail lorsque celui-ci était faiblement rémunéré ".
Autrement dit, il faut inciter les salariés à accepter des emplois sous-payés et sous-qualifiés, en les " alléchant " par un complément à ces bas salaires sous la forme d'une fiscalité allégée. Les patrons n'ont vraiment plus aucune raison de répondre aux revendications salariales ! C'est la poursuite avec, si j'ose dire, encore plus " d'ambition " et de moyens, des politiques suivies depuis des années qui visent à tirer vers le bas l'ensemble des salaires. Et ça ne marche pas, ça ne peut pas marcher.
Troisième remarque : le gouvernement se veut rassurant en affirmant qu'une telle politique ne sera pas " exagérément restrictive ". Or, je l'ai dit, précédemment, la dépense de l'Etat ne progresserait que de 0,5 % en 2002. C'est notoirement insuffisant eu égard aux besoins à satisfaire ; et ce n'est pas bon quand la conjoncture est fragile, comme c'est le cas aujourd'hui. Je ne suis pas en train de revendiquer je ne sais quel " laisser aller " budgétaire. Je dis simplement ceci : le soutien actif aux dépenses publiques utiles permettrait, tout à la fois, le soutien à la croissance maintenant, quand elle est fragilisée, et permettrait son nouvel essor à l'avenir. Tout le monde y trouverait son compte : les citoyens en terme de satisfaction des besoins sociaux ; les entreprises parce que leur activité s'en trouverait stimulée ; l'état en disposant de recettes fiscales nouvelles.
Oui, cher-e-s ami-e-s, cher-e-s camarades, je le maintiens : les salaires, les minima sociaux et les retraites ne sont pas les ennemis de la croissance. Ils en sont au contraire les meilleurs stimulants.
Oui, il faut sans doute une réforme fiscale - et nous la proposons depuis longtemps - qui allège la charge des impôts pour les bas et moyens revenus !
Oui, il faut que les très hauts revenus, les grandes fortunes, les actionnaires qui sabrent dans vos emplois, les détenteurs de " stock-options " contribuent, bien davantage qu'aujourd'hui, à la nécessaire solidarité nationale par l'impôt !
Vous me pardonnerez d'avoir exposé peut-être un peu longuement ces questions un peu arides. Et cependant il y aurait encore beaucoup à dire, par exemple sur les arrières pensées politiciennes qui commandent cette politique, en direction de l'électorat centriste notamment.
Si je l'ai fait, c'est pour montrer que les communistes ne sont pas d'accord avec cette idée martelée selon laquelle il n'y aurait le choix qu'entre les options de la droite, ultralibérales, et celles sociales libérales, qui inspirent souvent le Parti socialiste. Dans les deux cas, c'est la soumission aux marchés financiers, aux actionnaires, aux exigences du " fric-roi " qui s'impose.
La droite assume cette situation avec cynisme, et ne cesse d'en redemander dans la mise en pièce des acquis sociaux et des droits démocratiques conquis par les salariés. Le Parti socialiste - et Lionel Jospin l'a confirmé à plusieurs reprises - propose de " réguler " le système capitaliste, d'en corriger un peu, à la marge comme on dit, les conséquences humaines, sociales, environnementales désastreuses. Mais surtout, surtout, pas question de le remettre en cause !
Eh bien, nous, nous disons qu'il existe une autre voie, qu'il est possible d'enclencher une dynamique nouvelle, moderne, mobilisatrice en faveur de ce que j'ai appelé dimanche dernier une " autre politique à gauche ". Nous y travaillons, nous allons continuer de le faire.
Dans la préparation du congrès de notre Parti, fin octobre, avec lequel nous voulons proposer à notre peuple un projet communiste ambitieux, radical dans ses propositions. Un projet pour un " nouveau communisme ", attentif à tout ce qui bouge et change en ce début du 21ème siècle. Un " nouveau communisme " parce qu'il s'efforce d'éclairer les formidables enjeux de notre temps, les immenses défis qui se posent à l'humanité. Un " nouveau communisme " que nous voulons faire vivre, enraciner dans la société par le moyen d'un parti tout entier organisé autour de ses adhérentes et de ses adhérents, en multipliant les formes qui leur permettent d'être en toutes circonstances, souverains, maîtres de la définition et de la mise en uvre de la politique de leur parti.
Un parti fier de son passé et qui, aujourd'hui, veut contribuer à relever les défis que j'évoquais à l'instant par sa capacité à innover profondément en politique, comme il a su le faire en diverses occasions de son histoire.
Et puis, cette " autre politique à gauche " exige notre présence partout, à tout instant, sur toutes les questions, pour aider à faire grandir et à imposer d'autres choix, d'autres solutions que l'enfermement entre " capitalisme sauvage " et " capitalisme un peu civilisé ".
Partout, c'est-à-dire dans la diversité des luttes et des rassemblements qui contestent la mondialisation capitaliste. Mais partout, c'est aussi dans toutes les institutions où nous pouvons agir utilement afin d'aller dans ce sens, afin d'aider ces efforts militants que je viens de dire à être couronnés de succès. Car il ne suffit pas de crier " A bas le capitalisme " et de rester les bras croisés quand des occasions se présentent de lui résister, de lui imposer des reculs.
Enfin, cher-e-s ami-e-s et camarades, " l'autre politique à gauche " que j'appelle de mes vux suppose - ou plutôt exige - un véritable rééquilibrage de la gauche. L'actuelle suprématie du Parti socialiste lui est préjudiciable. Nous participons au gouvernement, et c'est sans aucun doute grâce à cette participation que les choses vont autrement - et mieux - en France qu'en Allemagne, en Grande Bretagne ou en Italie, où la sociale démocratie est aussi, ou fut, au pouvoir.
Mais j'y insiste : ça ne peut pas continuer ainsi. L'hégémonie du Parti socialiste n'est pas conforme à ce qui se passe dans la société ; elle ne permet pas de restituer dans la majorité et au gouvernement le poids réel de ces mouvements multiples et divers qui veulent une bien plus grande radicalité à gauche.
Alors c'est dans cet esprit, avec ces objectifs que nous abordons les grandes échéances électorales - la présidentielle, puis les législatives - de 2002. Nous allons les engager avec des propositions fortes, exigeantes, en rupture, je ne crains pas de le dire, avec de nombreux aspects de la politique actuelle. Et c'est avec ce même esprit offensif que nous allons investir tous les grands dossiers du moment. On aura l'occasion de le constater, dans quelques semaines, avec les débats sur le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale.
Voilà cher-e-s ami-e-s et camarades ce que je voulais vous dire à l'occasion de cette rencontre.
A beaucoup d'entre vous je donne rendez-vous à la fête de l'Humanité les 14, 15 et 16 septembre prochain.
Elle sera un lieu de convivialité, de chaleur, de solidarité. Un lieu, aussi, de culture et de débats politiques. Un lieu, enfin, d'où pourra retentir la force des attentes populaires.
Merci de votre accueil et de votre attention. Et à toutes et tous, à vos enfants, très bonne journée à Malo-les-Bains.
(source http://www.pcf.fr, le 31 août 2001)