Déclaration de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, sur le développement et la mise en oeuvre de l'agriculture durable, Paris le 23 janvier 2013.

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Circonstance : 5èmes rencontres internationales de l'agriculture durable "L'Agriculture 2050 commence ici et maintenant", à Paris le 23 janvier 2013

Texte intégral

Eric SCHMIDT - Avant de vous donner la parole, Monsieur le Ministre, je souhaite vous faire part de trois commentaires qui ont été faits lors de notre enquête « L’agriculture durable et vous » et qui résument bien notre journée :
- « L’agriculture durable ce n’est pas un type d’agriculture, mais la façon de la mettre en oeuvre. »
- « L’agriculture durable consiste à replacer l’agronomie au coeur de l’agriculture. »
- « C’est une agriculture qui se doit de présenter un équilibre fort entre rentabilité, respect de l’environnement, une dynamique rurale et des valeurs sociales. »
Un quatrième commentaire sera une façon de vous interpeler, à savoir qu’ « une autre agriculture est possible, tout n’est qu’une question de volonté politique. »
Stéphane LE FOLL - Je veux tout d’abord m’excuser pour le retard. Un débat avait lieu au Sénat suite au rapport sur les pesticides, sur Ecophyto, lequel a suscité beaucoup d’interventions. Le débat a donc largement débordé sur le temps prévu pour les ministres, mais je ne pouvais pas quitter le Sénat sans avoir répondu aux interpellations. Je suis un habitué des Rencontres de l’IAD, et les questions posées ou les réponses aux interpellations correspondent bien à l’enjeu qui est devant nous. Des champs du possible sont ouverts aujourd'hui, à nous de les saisir. Ils ouvrent des perspectives non seulement en termes de production, mais également en termes d’organisation sociale. Comme souvent, on considère que tout dépend de la volonté politique. C’est vrai que s’il n’y en a pas, on n’avance pas, mais parfois la volonté politique se heurte aussi à des freins liés à l’Histoire, aux approches culturelles qui se sont construites au cours des années, et à des intérêts respectables en termes économique ou d’emploi. La volonté politique est donc nécessaire, mais elle est confrontée à la réalité. C’est le vieux débat entre l’idéal et le réel déjà évoqué par Jean Jaurès. L’enjeu est donc d’essayer d’atteindre l’idéal tout en comprenant le réel.
J’ai toujours eu une idée assez simple et assez claire de ce que je pense être la voie qu’il faut suivre. Comme beaucoup d’entre vous, je suis marqué par les débats qui agitent l’agriculture depuis de nombreuses années et qui ont souvent opposé des modèles de production, des choix d’itinéraires techniques, sans essayer de trouver les synthèses nécessaires à l’idée que l’on peut produire en étant respectueux de l’environnement, que l’un ne va pas forcément sans l’autre et que l’un et l’autre peuvent aller ensemble. C’est l’idée de la performance économique et de la performance écologique, que j’ai souvent évoquée. Et j’aimerais bien que nous sortions du débat qui, historiquement, est parfaitement construit. L’agriculture biologique s’est construite en réaction à l’agriculture conventionnelle. Moi-même dans mon département, le « poulet de Loué » a été construit en partie parce que des agriculteurs ne voulaient pas faire du poulet industriel. C'est-à-dire que l’on a construit des modèles contre un modèle dominant, et il faudrait maintenant construire quelque chose qui synthétise ce développement de l’agriculture, à savoir le besoin que nous avons d’assurer une production, et le besoin impérieux que nous avons d’assurer sa durabilité. C’est cette combinaison qui fait souvent encore débat aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle, au-delà de la volonté politique, il faut arriver à convaincre les uns et les autres.
J’ai été saisi d’une lettre ouverte d’un certain nombre d’associations me mettant en garde sur les risques du non-labour, avec cette idée, qui est peut-être à l’origine du non-labour d’ailleurs, du recours aux herbicides. A partir de là, on considère que cette hypothèse peut comporter des dangers. A la lecture de ce courrier, je me suis posé la question de savoir comment expliquer qu’il serait moins écologique de faire travailler des lombrics que d’avoir recours aux tracteurs et à la charrue. Mais cela fait partie des débats.
J’essaie d’ouvrir cette troisième voie, et c’est l’objet de la conférence que j’ai engagée le 18 décembre, en ayant comme principe d’abord de m’appuyer sur les expériences, de considérer que ce n’est pas au ministre tout seul de décider ce qui est bien ou mal, ce qui doit fait ou pas. Il faut essayer de prendre ce qui marche et de repérer ce qui peut être diffusé. C’est toute la logique de la diffusion des savoirs et de la connaissance que nous allons mettre en place. C’est très compliqué, mais sans cela nous ne réussirons pas. Je connais trop bien les réseaux qui sont ici représentés. Ils ont souvent travaillé en dehors de la culture conventionnelle et la plupart ont réussi à prouver qu’une voie spécifique et nouvelle pouvait être ouverte. Ils ont pris des risques, qu’il sera toujours difficile de faire accepter à tous les agriculteurs, par conviction. Et quand on a des convictions, on assume le risque, alors que lorsque l’on n’a pas de conviction, il est difficile de l’assumer.
Ce n’est pas la rentabilité de la culture bio qui a conduit les agriculteurs à s’y engager, par exemple. Les réseaux qui se sont engagés autour de la conservation des sols ont pris le risque d’une perte de rendement et de production à l’hectare, mais ils l’ont assumé par conviction, et ils sont allés jusqu’au bout. Si nous considérons que cela nous permet à la fois d’assurer les rendements et le niveau de la production nécessaires avec l’objectif de performance écologique, il faut transmettre la connaissance acquise pour que ceux qui n’ont pas des convictions, à priori, puissent bénéficier de l’expérience de ceux qui ont assumé les risques avec conviction. C'est la raison pour laquelle la question de la formation, de la diffusion et du développement sera au coeur de l’enjeu de l’agro-écologie. Ce sera le moteur, ou pas, de la réussite des objectifs que nous allons nous fixer.
Comme je l’ai dit tout à l’heure au Sénat, ce qui a été fait avec le Plan Ecophyto est contrasté, mais des bases ont été posées. D’abord, le réseau existant et la formation qui a été mise en oeuvre. Dans ce réseau, certains ouvrent des perspectives de diminution de la consommation de pesticides en changeant leur itinéraire technique. La question est maintenant de savoir comment on arrive à diffuser et à former d’autres agriculteurs, à ouvrir ce champ des possibles au plus grand nombre. C'est ce défi que nous devons relever.
Le potentiel de la France dans ce domaine est extrêmement important. Je suis convaincu que la France a les capacités d’être en position de leadership sur l’agro-écologie car nous avons à la fois la diversité des agricultures qui permet la diversité des expériences, mais aussi la capacité des agriculteurs de prendre des risques et d’accumuler de la connaissance et des expériences. Nous avons une recherche qui ne demande qu’à être mobilisée pour pouvoir amplifier les résultats obtenus. Et nous avons un outil de développement qui, s’il est mis au service de cet objectif, peut être extrêmement productif, diffuseur de tous ces éléments qui font la réussite de cette combinaison entre l’économie et l’écologie.
Cet enjeu est essentiel, et nous avons besoin d’avoir des précisions sur les niveaux de résultat, sur les expériences et cette connaissance que l’on peut faire partager. J’ai rencontré le président de l’Inra la semaine dernière, et un colloque est prévu au mois de septembre 2013. Il y a toujours un débat sur la question économique. Ce que nous sommes en train de proposer va-t-il pouvoir supporter la compétition avec d’autres modèles ailleurs en Europe et dans le monde ? C’est une vraie question. Nous devons recréer une dynamique collective chez les agriculteurs, sur le modèle qui prévalait après-guerre avec les fameux clubs des cent quintaux où chaque agriculteur évaluait sa performance avec ses voisins dans les comices agricoles. Si les agriculteurs commencent à raisonner de cette façon, je suis certain que nous allons gagner le pari. Au bout du compte, il y a un intérêt écologique pour la société, mais également un intérêt économique pour les agriculteurs.
C'est la raison pour laquelle je compte beaucoup sur la formation, sur la puissance des outils de développement, sur la recherche. Et c'est l’objet du débat que nous avons engagé avec Bertrand Hervieu et Marion Guillou. Nous allons essayer de tisser un ensemble de critères liés à l’agro-écologique et engager un travail sur cette base, mais avec une idée que je vous livre ici en ce qui concerne la question économique. Nous allons devoir intensifier, grâce à la connaissance, la productivité du travail en utilisant les mécanismes naturels qui nous permettent d’économiser ce que nous consommions auparavant en matériel ou en intrants. C'est-à-dire que la productivité que nous allons gagner sur la maîtrise et la connaissance des mécanismes naturels, qui nous permettent d’économiser en intrants, en matériel, en énergies fossiles, doit être la condition de la compétitivité.
Nous débattons avec les gens de l’Inra, pas forcément avec les agronomes qui comprennent bien l’intérêt d’avancer dans ce domaine, mais avec les économistes, pour que nous nous mettions tous dans cette dynamique et que nous réfléchissions aux gains de productivité que nous allons pouvoir opérer, aux facteurs de production sur lesquels nous allons pouvoir jouer, à ce qui va nous permettre de devenir compétitifs sur le plan économique dans ces nouveaux modèles. Ce sont de vraies pistes sur lesquelles nous devons travailler. Les expériences menées par ceux qui ont construit et conduit un certain nombre d’itinéraires nouveaux sont extrêmement importantes. Nous allons donc essayer de faire le lien entre la recherche et tout ce qui a été mené depuis des années par un certain nombre de pionniers. Nous devons utiliser l’expérience des pionniers, il faut que nous puissions la caractériser, fixer les grands enjeux, les éléments de gains de productivité, les résultats économiques et écologiques qui peuvent en découler, biodiversité, matières organiques dans les sols, moins de résidus dans les sols et dans l’eau.
C’est la motivation sur laquelle s’appuie la volonté politique que j’exprime aujourd'hui. Néanmoins, le défi est grand. La FAO a anticipé puisqu’une proposition d’agro-écologie, d’éco-systémie, a été publiée à travers plusieurs articles. En France, il y a encore des hésitations, que je comprends, mais encore une fois nous avons du potentiel. Un reportage a été diffusé sur la chaîne Public Sénat à propos des achats de terre en Europe centrale, notamment en Roumanie et en Ukraine, par des agriculteurs français, en l’occurrence alsaciens. Ce processus d’agriculture de firme a été très bien décrit par Bertrand Hervieu. Ces agriculteurs achètent des milliers d’hectares pour y mettre des salariés et gérer leurs hectares avec des itinéraires techniques les plus simples possibles et le moins d’agriculteurs possible. Les Roumains ne peuvent pas investir aujourd'hui dans l’agriculture et d’autres le font à leur place, mais ce sont autant d’agriculteurs qui disparaissent et qui sont remplacés par des salariés. Et ils surveillent avec des GPS. Au fond, l’itinéraire technique sur lequel ils s’appuient est assez simple, mais si l’on est dans la logique de la nécessaire connaissance des mécanismes naturels et de l’adaptation des écosystèmes, on change le processus, on oblige à avoir d’abord des agriculteurs. L’intérêt, c’est bien de garder les agriculteurs qui savent à la fois maîtriser des processus naturels, agronomiques, et surtout la connaissance de leurs écosystèmes.
Quand vous disiez que le développement durable pose la question de l’organisation sociale de la production, ce sont typiquement les débats que nous devons avoir. C’est parce que nous aurons des gens avec une bonne connaissance des mécanismes naturels et qui sauront les intensifier que nous aurons de la productivité et de l’écologie, et que nous aurons surtout des agriculteurs, l’intérêt étant de garder des gens ayant la maîtrise. Si des financiers ou des investisseurs se substituent aux agriculteurs, le jour où ils n’investiront plus, cela peut disparaître aussi vite que c’est apparu. La pérennité de l’agriculture dépend des agriculteurs ou des paysans. C’est d’ailleurs sous-jacent dans tous les débats sur le nombre d’agriculteurs, sur l’agriculture familiale, dans les débats à la FAO. Peut-on avoir une agriculture sans agriculteurs ou sans paysans ? Nous devons affirmer que non. Pas simplement parce que c’est un choix politique, mais parce que c’est une nécessité si on veut pérenniser la production agricole et donc assurer la production alimentaire qui va derrière.
Encore une fois, la France a des atouts de par ses mécanismes de développement, de par la structure de son agriculture, sa recherche, les expériences menées, de par le fait qu’elle a su adapter des modèles venant d’ailleurs, notamment des Etats-Unis ou du Brésil, mais nous devons maintenant être capables de franchir une nouvelle étape, de nous adapter, de porter notre propre message. Sur la base de ces techniques, il y a encore plein de choses à faire. Dans cette zone tempérée du globe qu’est la nôtre, dans cette diversité des situations éco-systémiques qui sont les nôtres, dans cette durée des saisons qui est la nôtre, nous avons des atouts que d’autres n’ont pas. En Europe centrale, par exemple, l’hiver commence tôt et dure longtemps. Nos capacités techniques de conservation des sols, à couvrir les sols, à faire des rotations, sont peut-être plus importantes que chez d’autres, ce qui offre des potentialités. Les techniques du non-labour au Canada sont liées aux hivers longs et rigoureux et à la fonte des neiges qui rendent le labour difficile, et donc on ne laboure plus. Ce n’est pas notre problème ; si nous ne labourons plus, c’est parce que nous avons compris que nous pouvions en tirer avantage pour économiser l’énergie fossile que nous avons consommée jusqu’ici, que la maîtrise de la microbiologie des sols offrait des potentialités.
J’essaie donc de fixer cette ligne en prenant en compte tout ce qui s’est passé. D’un côté, l’agriculture biologique ; de l’autre, les processus Ecophyto ou les expériences intéressantes qui ont été menées. Nous devons mixer tout cela pour atteindre l’objectif. Il ne s’agit plus de débattre et de savoir si les uns ou les autres ont raison conceptuellement, mais de faire une synthèse qui permet d’avancer. La volonté politique ne repose pas simplement sur la défense d’une idée, mais dans la capacité à mobiliser, à relever un pari politique qui consiste à sortir de débats stériles pour faire avancer l’idée que l’on peut faire aussi bien, voire mieux, avec beaucoup moins. C’est quand même un beau projet, une belle ambition, et je sais qu’elle est largement partagée par vous.
Si je suis venu malgré un agenda chargé, c'est parce que je veux marquer l’attachement qui est le mien aux idées que vous avez souvent discutées, aux principes que vous avez mis sur le papier, et surtout à nos capacités à mettre en oeuvre un beau projet pour l’agriculture française, l’agriculture européenne, voire l’agriculture mondiale. Merci à tous.
Source http://www.institut-agriculture-durable.fr, le 11 février 2013