Interview de Mme Dominique Bertinotti, ministre de la famille à Radio Classique le 13 février 2013, sur le vote en première lecture du projet de loi sur le mariage pour tous à l'Assemblée nationale.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME TABARD
Nous recevons ce matin Dominique BERTINOTTI, ministre de la Famille. On est heureux de vous recevoir au lendemain du vote, en première lecture, du projet de loi sur le mariage pour tous. Alors, d’abord un mot, peut-être, sur la manière dont vous avez vécu cette journée, on a vu qu’il y avait quand même beaucoup d’émotion à l’Assemblée hier, c’est un moment, j’imagine fort, pour vous.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Absolument, vous avez raison de parler d’émotion. Pour moi le moment le plus émouvant ça a été lorsque les députés ont scandé « égalité, égalité, égalité », parce que c’était, au fond, le produit de ces dix jours de débat, de cette intensité, et moi j’ai pensé, vraiment, en particulier, aux familles homoparentales qui ont des enfants, qui vivent justement avec deux pères ou deux mères, et qui vont pouvoir enfin se dire que la République les reconnait pleinement et entièrement, et je trouve que ça très émouvant.
MICHAËL SZAMES
Il y a des députés qui ont scandé « TAUBIRA, TAUBIRA », et pas « BERTINOTTI, BERTINOTTI », ça vous chagrine un peu ou pas ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ça c’est vraiment accessoire, parce que, je vais vous dire, comme ministre de la Famille, maintenant il est acquis qu’on parle de familles monoparentales, de familles recomposées, donc ça démontre bien que mon discours sur la diversité des familles, sur les questions de filiation, de parentalité, qui sont aujourd’hui posées parce que la société est comme cela, ont été au coeur du débat.
MICHAËL SZAMES
Mais Christiane TAUBIRA a marqué des points, selon vous, ou pas ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Mais on connaît les grandes qualités de Christiane TAUBIRA, vous ne découvrez quand même pas aujourd’hui les talents oratoires, l’éloquence, de Christiane TAUBIRA. Moi je me souviens, quand même, de certaines de ses prestations lorsqu’elle a été candidate à la présidentielle en 2002. Donc…
GUILLAUME TABARD
Au PS tout le monde n’en n’a pas un très bon souvenir, de sa candidature en 2002 !
DOMINIQUE BERTINOTTI
Il n’en reste pas moins vrai qu’elle a toujours eu ces grands talents oratoires et cette culture.
MICHAËL SZAMES
Donc elle a gagné ses galons de ministre pleinement ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je ne sais pas si elle avait besoin de gagner des galons, je crois qu’elle est la numéro 3 du gouvernement.
GUILLAUME TABARD
On va revenir bien sûr sur le fond de la loi, mais… cet aspect que souligne Michaël, c’est la loi TAUBIRA finalement, ou est-ce que c’est la loi TAUBIRA/ BERTINOTTI ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ecoutez, l’important c’est que ce soit surtout le fait que nos concitoyens qui sont homosexuels ne soient plus discriminés. Je le dis vraiment, et c’est peut-être l’ancien maire du 4ème arrondissement que j’ai été, qui le dit, puisque moi j’ai eu l’occasion de voir le quotidien de ces hommes et de ces femmes, j’ai vu la souffrance de certains jeunes en rupture avec leur famille, non pas parce qu’ils voulaient rompre avec leur famille, mais parce que l’homosexualité était encore jugée comme quelque chose de pas franchement normal. Si ça peut aider à la réconciliation dans les familles, si ça peut faciliter le quotidien de ces hommes et de ces femmes, c’est ça qui est l’important.
GUILLAUME TABARD
Sur le vote lui-même, donc 329 voix, c’est une majorité large, beaucoup, à gauche, espéraient convaincre des élus de droite ou de voter pour, ou de s’abstenir, finalement il y en a assez peu qui ont voté le texte. Est-ce que vous êtes déçue de ne pas avoir convaincu davantage ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Moi je remarque surtout le fait que les grands absents dans ce débat c’est les principaux leaders de la droite, moi je ne les ai pas entendus.
GUILLAUME TABARD
Vous pensez à qui ? François FILLON ? Jean-François COPE ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
François FILLON, Jean-François COPE, tous ceux qui…
MICHAËL SZAMES
Qu’est-ce que vous auriez attendu d’eux ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Qu’ils prennent leurs responsabilités, c'est-à-dire que…
MICHAËL SZAMES
C’est un manque de courage ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
En tout cas c’est une façon de dire, on va voter contre, mais on ne le dit pas trop fort. Et pourquoi on ne le dit pas trop fort ? Parce que l’homosexualité elle n’est ni de gauche, ni de droite, et que dans leur propre électorat, dans leurs propres communes, dans leurs propres départements, il y a aussi des homosexuels. Donc, au fond, la gauche a eu ce courage de rendre, je dirais cette dignité, à l’ensemble des homosexuels, on ne s’est pas préoccupé de savoir s’ils étaient de gauche ou de droite. Donc, on a vu les grands leaders de la droite très en retrait, et le combat, par la droite, il a été mené par des députés, mais toujours les mêmes, ceux qui sont très convaincus qu’on est en train de détruire la famille, mais, je veux dire, on aurait pu attendre de la part des grands responsables de l’UMP…
MICHAËL SZAMES
Est-ce que ça vous a surpris qu’ils ne soient pas de ces débats ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Oui, quelque part ça m’a surpris, parce que je pense que la politique c’est avoir des convictions, et il faut aller jusqu’au bout de ses convictions.
GUILLAUME TABARD
Avant le débat parlementaire vous aviez dit, quand on est contre accorder des droits aux noirs, c’est qu’on est raciste, quand on est contre accorder des droits aux homosexuels, c’est qu’on est homophobe. Est-ce que ce matin vous diriez…
DOMINIQUE BERTINOTTI
J’ai posé la question.
GUILLAUME TABARD
Il y a eu 229 homophobes ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Moi j’ai voulu répondre non pas à cette question-là, mais qui était de dire, « ah, mais, ce n’est pas une loi d’égalité. » J’ai entendu « mais les différences ne supposent pas des droits égalitaires. » C’est là où je ne suis absolument pas d’accord. Au nom de quoi le fait d’avoir une sexualité différente doit être un critère discriminant pour le droit ? Moi je réponds « non », ça ne doit pas être un critère discriminant. Et là il y a eu un débat sur « mais si, il y a des critères discriminants qui n’accordent pas les mêmes droits », eh bien non. Le critère de la sexualité ne peut pas être un critère discriminant. Vous citiez le cas des blancs ou des noirs, mais moi je vous citerai le cas des hommes et des femmes, nous sommes différents, et pourtant nous réclamons, en tant que hommes et femmes, les mêmes droits.
GUILLAUME TABARD
Donc vous diriez, deux visions différentes de la famille, ou 229 homophobes ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Non, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a 229 homophobes, il y a… d’abord, ça témoigne de l’évolution de la société, et j’ai envie de dire merci à la gauche, parce que c’est la gauche qui a voté le PACS. Si aujourd’hui on peut parler de façon un petit peu plus sereine des couples homosexuels, c’est bien parce qu’il y a eu ces étapes, et ces étapes on les doit à la dépénalisation de l’homosexualité, c’était sous François MITTERRAND, le PACS, c’était sous Lionel JOSPIN, et aujourd’hui le mariage. Et aujourd’hui, effectivement, les députés ont fait très attention, même si quelquefois on était vraiment à l’extrême marge de, quand même, du franchissement de la ligne rouge, de l’homophobie, mais ils ont fait très attention. Tant mieux. Tant mieux.
GUILLAUME TABARD
Alors maintenant le texte va arriver au Sénat, Michaël SZAMES.
MICHAËL SZAMES
Exactement, et justement, est-ce que ce matin vous pouvez nous dire que le texte va franchir l’étape du Sénat, sachant que la majorité ne se joue qu’à 6 sièges ? Est-ce que vous êtes sûre que ce sera voté ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Vous savez, je serais bien présomptueuse on vous répondant « je suis sûre », parce que d’abord je respecte le travail des parlementaires, et je respecte le travail des sénateurs, mais moi je fais confiance absolument aux sénateurs pour comprendre l’importance et l’enjeu de cette loi sociétale.
MICHAËL SZAMES
Vous avez peut-être fait vos calculs, a priori ça devrait passer ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je ne sais pas, je ne suis pas forcément une femme de calculs, mais en tout ce dont je suis sûre c’est que les sénateurs mènent des auditions, vont faire un rapport, ont pu entendre aussi, déjà, beaucoup d’éléments qui ont été portés dans le débat, et moi j’en attends aussi quelque chose de qualité, donc je fais confiance aux sénateurs.
GUILLAUME TABARD
Il a quand même manqué une bonne dizaine de voix à gauche à l’Assemblée, si les manque au Sénat, surtout qu’on a vu finalement que les députés d’Outre-mer, beaucoup, avaient voté contre, si ça se passe également au Sénat, le texte peut être…
DOMINIQUE BERTINOTTI
Oui, mais vous avez aussi des gens comme Chantal JOUANNO, qui est sénatrice, et qui votera…
GUILLAUME TABARD
…
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je suis sûre, je n’ai pas regardé dans le détail, mais qui votera aussi, et c’est normal qu’une loi de société transgresse, et tant mieux, les clivages traditionnels.
GUILLAUME TABARD
Mais si jamais le vote est négatif au Sénat…
DOMINIQUE BERTINOTTI
Eh bien ça reviendra à l’Assemblée.
GUILLAUME TABARD
Est-ce que l’Assemblée a le dernier mot, ou est-ce qu’il faudra trouver un compromis ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ah non, mais l’Assemblée… vous connaissez bien les navettes parlementaires, donc on sait bien que l’Assemblée a le dernier mot.
MICHAËL SZAMES
Est-ce que vous espérez qu’au Sénat on puisse apporter quelques retouches qui n’ont pas été faites à l’Assemblée, peut-être quelques manquements sur la famille, sur le nom, sur le livret de famille par exemple ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ce qui peut être de l’ordre du perfectionnement et de l’efficacité, on aurait tort de se priver de cela, mais sur les articles de fond, qui sont l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, ça c’est acté, acquis.
GUILLAUME TABARD
Alors, l’autre étape importante maintenant dans ce processus de l’année, c’est la fameuse loi sur la famille, alors il y a eu le psychodrame du précédent week-end, on n’a pas très bien compris, finalement cette loi elle sera quand, et qu’est-ce qu’il y aura dedans ? En clair, est-ce que la PMA sera dedans ou pas, puisque François HOLLANDE a dit qu’il attendait l’avis du Comité d’éthique…
DOMINIQUE BERTINOTTI
C’est vrai.
GUILLAUME TABARD
Et qu’il a dit, même, qu’il se rangerait à l’avis du Comité d’éthique ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Mais, il est important… d’abord, la loi famille, je tiens à le dire, donc sera présentée à la fin de l’année 2013…
GUILLAUME TABARD
Donc 27 mars, on n’en parle plus ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Exactement, ça fait quand même 4 fois qu’on le dit, je me permets d’insister…
GUILLAUME TABARD
Alain VIDALIES avait annoncé ce texte pour le Conseil des ministres du 27 mars, au début.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Oui, c’était avant l’ouverture du débat, à l’Assemblée nationale, nous avons par 4 fois répété cela, Alain VIDALIES et moi, lors du débat, donc ça aura lieu à la fin de l’année 2013, c’est une loi qui s’adresse indifféremment aux familles hétérosexuelles, qu’homosexuelles, surtout justement ces questions de filiation, de nouvelle parentalité, pour tenir compte de la diversité des modèles familiaux, et la question de la PMA sera abordée dans le cadre de ce texte, mais, vous l’avez dit de façon très juste, le Comité d’éthique va se pencher sur cette question, va émettre un avis, et nous verrons bien à ce moment-là.
MICHAËL SZAMES
Et donc, vous vous rangerez derrière cet avis, quoi qu’il arrive ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
On verra bien. On verra bien. Mais, parce que vous savez, on ne sait pas…
MICHAËL SZAMES
Oui ou non ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je vais vous dire, on ne sait pas ce sur quoi le Comité d’éthique va se saisir. Moi je vais vous dire, si par exemple il se saisit sur la GPA, la réponse elle est très claire, il n’y aura pas ouverture de la GPA.
MICHAËL SZAMES
Et s’il dit non à la PMA, il n’y aura pas de PMA dans la loi sur la famille.
DOMINIQUE BERTINOTTI
On verra, on verra, c’est un avis consultatif, et on verra les conditions. Pourquoi s’enfermer, c’est très français, pourquoi s’enfermer dans quelque chose où on ne connaît pas exactement ce sur quoi le Comité va se saisir, et ensuite la nature de l’avis et la façon dont il va rédiger son…
GUILLAUME TABARD
Mais donc vous dites on verra, vous ne dites pas, le gouvernement, quoi qu’il arrive, est déterminé à faire aboutir ce projet, de la PMA.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je pense que, quand même, le bon sens veuille que l’on puisse écouter, entendre et apprécier, et je pense qu’il est, je le redis, légitime de s’interroger sur l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe, car la PMA existe déjà en France, a déjà été évoquée dans le cadre de lois bioéthiques.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 février 2013